G ^ jT^i/^ C-Oj^^-cW^
Le
Monde Modetne
3^ ANNÉE
li li P R O I) L- C T I O N I N T E n I) I r E
des arlicles et des illustrations.
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pour tous pays, y compris la Suéde et la Norvège.
Le
Monde Moderne
r O M E \ I
Juillet - Décembre 1897
PARIS
A 1. Il r. M T ( j r A \ '1' 1 X , 1<", I) ni: i m
5, Rue Saint-Benoit, 5
LE MONDE MODERNE
Juillet 1897
AMAN-JEAN : PdnTIiAIT llK IKIIMK.
(Sillon ilu Clumii) ilu Mur-.)
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LE PARDON DES OISEAFX
I
Juluanik s'est levé le premier de tous
les garçons de la ferme, lui, le jeune
maître, et, sa toilette achevée, il a
chargé sur ses épaules des cages d'osier
remplies d'oiseaux encore endormis.
Quel plaisir de les porter au pardon
pour les vendre dans la forêt de Car-
noël aux arbres séculaires! En route, le
soleil luit sur le pré tout blanc de perles
brillantes. Le jeune homme siffle gaie-
ment, marchant d'un pas cadencé sur le
chemin, sans s'inquiéter de ses inno-
cents prisonniers. Il approche de la
fêle, aussi insensible au désespoir des
oiseaux qu'au charme profond des
choses; pourtant jamais il n'est sorti si
douce fragrance des douces fleurs de
mai; jamais les pommiers, en toull'es de
neige rosée, sur les branches courbées
en berceau, n'ont épanoui, comme en ce
printemps, leurs corolles jusque parmi
l'herbe ensoleillée.
El voici la forêt majestueuse habillée
de feuilles nouvelles, la forêt mysté-
rieuse qui recèle en ses profondeurs les
ruines du château de lîarbe-Bleue. Des
voûtes séculaires du chêne tombe une
atmosphère d'émeraude qui emplit le
sous-bois, où les myrtils et les perven-
ches se mêlent aux lierres qui ser]icn-
lent vagabonds autour des cailloux con-
verts de lichens, galets chexchis de
l'océan forêt.
.Iiduanik cessa de siffler et baissa la
tête en passant sous les nefs immenses
et encore solitaires de ce beau tenq)le.
1) un pas furlif, il gagna le lieu où se
tenait le marché des oiseaux : une clai-
rière où s'étaient eironilrés trois menhirs,
semblables à des bêles saciM'cs nxiiles. Il
y arriva promplemeni, e( la voix de ses
semblables rass('Téna son ànie ébianli'e
par la grandiose étreinte de la forêt.
11 ne pensa plus qu'à tirer bon parti
de ses cages et à ce qu'il achèterait avec
le produit de sa vente; à l'amour, nulle-
ment, comme un autre jeune homme.
Non, à aimer une jeune fille, il n'avait
jamais mis sa peine. 11 ne les remar-
quait pas aux batteries, ni dans \r dés-
ordre de la moisson, ni quand elles
peignent le chan\'re : il n'avait senti
pour aucune battre son cœur. Même sa
sœur de lait, Fiamette, ne le Iroidjlait
pas quand elle le fixait de ses grands
veux remplis d'interrogations.
Qu'elle l'aimât, il ne s'en inquiétait
guère; pciurlani, i-omme un lis de mer
s'épanouit au fond des eaux tièdes de
l'océan, un sentiment plein de force
grandissait pour lui dans le mystère de
ce jeune cœur, et elle avait ses projets,
elle aussi, pour ce bienheureux jour de
pardon : d'abord danser avec son ami
d'interminables gavottes, consulter la
fontaine de liarbe-Iileue sur le sort de
son amour en v jetant une éjiingle, et
peut-êlri' s'aventurer à son bras jus-
qu'aux ruines du lénébreux eliâteau.
Ahl qu'il sérail doux d'avoir |ieni- et de
Irendiler à ses côtes en se reniénidiMnl
la lugubre légende I
Du eolfre sculpté .[ui b.M-de le lit de
sa mère et sui' la Cice dui|uel s entre-
lacent les Idlns rigides <-t les margue-
rites, la jeune lilli- a tii'é sa plus bril-
lante parut e; elle a glissé sa robe
orienlali' (■|iamarr(''e d'or, noué à sa
taille pliante les rubans d'un tablicM- île
soie clair de lune, e! elle est très lu-Ile
ainsi. I''iamelle; elle a un long e(Ui blanc
sortant de ses collenMtes immaculées,
des cheveux d'ini blond irargenl, des
veux de myosotis humides, nu leiut de
marguerite de pré. il ne manque point,
an long de la roule, de garçons délnri's
I.K PARDON DKS OISKAUX
— rose au chapeau — pour l'en l'aire
apercevoir. « C'est toujours ainsi, songe-
l-elle, on plaît à qui l'on n'aime. » Et
se mêlant à ses compagnes, elle s'en fut
vers la fontaine d'où s"<?chappaient en
petits ruisseaux des eaux dansantes.
Une des dernières elle s'approcha, et
s'agenouillant sur la pierre, inclinant sa
lêle charmante sur l'eau limpide, elle
jeta l'épingle, essayant de la suivre dans
sa chute aux méandres symboliques,
quand une amie malicieuse lui cria :
— Fiamette, pourquoi ne te voit-on
point avec Juluanik?
C'était vrai qu'il l'abandonnait, pour-
tant. Un amer chagrin serra sa poitrine
de fillette qui n'avait jamais souffert,
des larmes formèrent un voile liquide
sur ses yeux, puis s'en détachèrent, et
la mystérieuse fontaine les reçut dans
son frais cristal : la jeune fdle se retira,
découragée, sans avoir rien vu.
Il ne restait plus à Juluanik qu'un
rossignol ■ — un rossignol dont la tendre
et magnifique voix emplissait la vieille
ferme au chaperon de chaume surchargé
d'iris et de joubarbes d'un ruissellement
de notes triomphales. Le jeune homme
ne voulait pas le vendre, il ne l'eût pas
donné pour toutes les pièces blanches
qui sonnaient dans son gousset. Les
offres importantes des marchands de
perroquets et d'oiseaux des îles venus
de Lorient ne tentaient pas Juluanik,
et déjà le « chantre des nuits heu-
reuses », dans sa prison tressée, repo-
sait sur les épaules du jeune paysan,
quand Fiamette surgit devant lui.
Dans la foule grandissante et bariolée
chacun avait sa cage el son chanteur
prisonnier. L'on eût pu croire que tous
les oiseaux de la forêt géante, au coup
de baguette d'une fée, étaient tombés
des arbres, comme des fleurs, pour être
livrés à ce peuple engourdis encore.
Seule la jeune fille n'avait pas de mi-
gnon esclave, et elle arrivait trop tard.
Elle s'approcha de Juluanik.
— Je gage, dit-elle, que, ne mayant
pas vue, tu as mis de côté pour moi ton
plus beau merle, un sansonnet parlant
comme aucun autre, car lu es habile à
dresser les oiseaux!
Il y avait de l'ironie dans sa voix,
l'ironie de l'amour offensé de n'être pas
payé de retour, du mystérieux mal qui
dévore quand il n'est pas souffert à
deux.
— Je n'y ai pas pensé, répondit
na'ivemenl Juluanik; si tu étais venue
tout à l'heure, tu aurais choisi à ton gré :
tu sais que je ne te refuse jamais rien.
— C'est bien, reprit-elle avec un œil
plus assombri et plus offensé. Je me
contenterai de celui dont personne n'a
voulu et que tu remportes par pitié,
pour ne pas le tuer, sans doute!
Leste, elle s'éleva sur la pointe du
pied pour se saisir de la cage, mais il
lui échappa, disant :
— Ah! non, j'y tiens trop, c'est mon
rossignol !
Et comme il remarquait, sans péné-
trer pourtant entièrement sa pensée,
qu'elle semblait très affligée, il devint
câlin :
— Je t'en élèverai un autre, ma pe-
tite Fiamette, celui-ci ne connaît que
moi et je le nourris de viande crue.
Elle ne s'attarda pas à l'écouter.
— Garde ton oiseau, dit-elle, puisque
lu l'aimes mieux que moi.
El s'enfuyanl, loin du bruit, dans
une clairière où vivait dans une virgi-
nale paix un peuple de digitales, elle
s'allongea, au milieu des fleurs empoi-
sonnées, comme une herbe fauchée. La
mort chevauchait sa pensée où était en-
tré l'amour.
Le son grave des bombardes, le per-
çant appel du biniou dissipèrent la nuit
de son âme cl l'agonie de son cœur.
Elle ne pouvait renoncer à lui, sans
avoir éprouvé entièrement l'empire de
ses charmes, sans avoir essayé de faire
pénétrer dans les veines de Juluanik un
peu de ce poison inconnu qu'elle sen-
tait cii'culer dans les siennes. La jeune
fille courut à la danse, el ses yeux im-
périeux et désespérés cherchèrent le
jeune homme. Tout va bien à la jeu-
nesse, même la peine. Une flamme nou-
LK PARDON DKS OISEAUX
vc'Ue avivait les regards, les joues, les
lèvres de Fiamette.
Juluanilv menait la gavotte, si chère
aux jeunes hommes du pays de Quim-
perlé et de Scaer, avec
trois héritières des en-
virons, et il la menait
bien, si grand, si leste
quand il s'agissait do
changer de main, en
tournant légè- ■<^-
rement. C'était ..«■
plaisir de le
voir très sé-
rieux, les yeux
nonchalants, à
peine animé par
un rythme lenl
de pavane. 11
donnait la main
à sa cousine
Jeannie Le Ma-
r'hadour, une
belle au corps
de statue, au
corsage cha-
marré d'or,
d'une raideur
hiératique, por-
tant la coille ilr
Ponl-.\veii cl
la collerette de
dentelle. Deux
autres fillettes
terminaient la
chaîne , mais
F i a ni e 1 1 e n e
%• o y a i l q u c
Jeannie qui avait
|)lace.
(Télait vrai qu'i
pas l'air de la courtiser, avec ses veux
calmes, son air de danser (ont seul el
pour lui-même, d'accomplir quelque naïf
sacerdoce. Peut-être u'a\ait-il pas d'àme
plus qu'un iniioceni, insensible comme
un arbre des bois! Il n'avait pourtant [las
eu de fièvre maligne qui laisse la têle
vide, ni été en proie au mal sacré de
folie! Quelquefois elle détournait ses
yeux (le lui |)our empêcher de laisser
fondre sous sa paupière le sel amer des
larmes, et, pour calmer sa souffrance,
regardait, entre les branches, des nuages
qui traînaient à travers le ciel de lapis
comme des flocons
de laine, ou bien
les cavernes glau-
ques que formaient
les trouées de ver-
dure où s'entassait
la fraîcheur; mais ces niueltes Ix-aulés
de la nature l'irritaient puis(|u'elle ne
pouvait les faire servir à son anioin-. l'-lle
s'irritait aussi de ne pou\c)ir s'éprendre
d'un autre, engluée à ce cieur rebelle, et
une sorte de haine d'amour gonflait sa
poitrine sous celle brilhuile armure de
MO PAIiDOX DKS OISEAUX
* '' métal qui ', faisait
ressembler sa taille
à une gaine de poi-
gnard. Les danses continuèrent; elle se
trouva maintes fois avec Juluanik pour
le Jabadoe, et cette figure gracieuse à
deux que l'on appelle le
l>:il: mais vainement elle
resplendit près de lui
d'amour et de beauté
dans tout le magnétisme
de sa passion volontaire,
,^ il ne la regarda pas plus
qu'il n'avait regardé
Jeannie, ne prit pas garde
à sa grâce, quand elle
levait les bras, et que
ses manches chargées d'orfèvreries scin-
tillantes lançaient des étincelles, il n'eut
point l'air de se douter qu'elle demeu-
rait devant lui comme une terre sans
eau, comme une fleur prête à se flétrir.
Les danses durèrent jusqu'à la pé-
LE PARDON DKS OISEAUX
nombre mélancolique, mais Fiamette les
avait abandonnées depuis longtemps et
Juluanilv ne s'en était pas aperçu. La
jeune lîlle s'élait réfugiée dans cette
clairière où l'on avait tenu marché des
oiseaux, elle s'était assise sur le menhir
renversé et tenait son front dans ses
mains. Était-ce une semblable journée
qu'elle avait demandée à saint I^othéa,
le matin, à genoux dans l'ermitage où ce
bienheureux reçoit ses fidèles, une fois
l'an, en l'honneur du pardon? Car, le reste
du temps, il se renferme sans autre so-
ciété que saint Laurent portant son gril,
et qu'une vierge au visage tragique et
fruste de femme des bois, ayant sur ses
genoux un Christ convulsé et étrange
aux bras démesurés. Sa seule distraction
est sans doute de regarder ses bannières
fleurdelisées, de compter les gueules de
crocodiles qui avaient l'air d'avaler les
poutres et de voir, du haut de son
socle, à travers les vitraux, pousser
l'herbe et fleurir les boutons-d'or dans
son cimetière abbatial fermé depuis des
siècles et dont seul il eût pu nommer
les morts. Il lui semblait peut-être re-
vivre tout un jour; à ses narines,
montait le |iarl'um de l'encens et une
foule, la même, en coiffes blanches,
semblables ci un vol de frémissantes pa-
lombes, comme autrefois, quand il par-
lait en chaire, débordait le temple, em-
plissaif l'enclos des morfs perdus dans
l'oubli, se hissait sur les murs ruinés;
et, dans les cages d'osiers et d'herbes
tressées, pépiaient les oiseaux a|iportanl
l'écho de la forêt profonde, le parfum de
mousse et de jeunes feuilles d(;s bords de
la Laïta. Son nom sonore, répété mille
fois, l'emplissait d'une gloii-e pnslhume :
Lothéa! Lolhéa!
l'^h bien, il avait déilaigné les ])rières
de l'^iamette, ce saint. Trop vieux sans
doulc, u'enfcndant plus rien à l'anioui',
songeai! -elle ii-ri''\('Tencicus(', peul-rh-e
ne vonhiil-il plus s'iiccii])ei- cpie de clioses
graves el inoi-oscs, tle i'(''c(illes, ou de
guénr des lii'\i-cs ; mais de cliangei- ini
cii-iii- lie I l'une Imnime, ce n'éfail |)as siiu
all'aiie aprr^ loul ; le soi-clei- riMissiraif
mieux, — car il fallait en celte occasion
un peu de la malice du diable, — et en
apaisant Lothéa par un présent, celui-ci
consentirait à l'intervention du sorcier
et ne lui ferait aucun mal, comme cela
arriverait si l'on se passait de sa permis-
sion.
Fiamette croit entendre du bruit, des
pas, et elle ne veut pas être surprise,
elle se lève marchant dans la forêt pro-
fonde aux futaies centenaires. Retourner
au village, dans le char à bancs de
Jeannie, rempli de filles rieuses et qui
liraient sa défaite dans le sombre mi-
roir de ses yeux, jamais ; elle veut laisser
partir les autres et rentrer chez elle par
les traverses.
La nuit est belle, tout s'est allumé
comme d'enchantement là -haut, les
étoiles dardent leurs flammes claires et
la lune est au milieu d'elles comme une
dame un peu mystérieuse, pâle d'amour.
Toute jjêtite et très perdue se trouve la
jeune fille au milieu de l'immobile armée
des arbres, toute jeune et éphémère
chose, aussi fragile que la primevère,
aussi craintive que le faon qui s'épou-
vante de ses propres bonds. Qu'est ceci
qui traîne à terre? Un grand rameau
mort couvert de lichen blanc qui semble
un spectre, et là une coulée de margue-
rites fleuries et si pressées qu'elles simu-
lent un linceul déroulé sur le bord du
ruisseau. Ce c<i'ur de forêt moyen âge,
c'est un vrai endroit pour voir son inler-
signe, rencontrer le présage de mort.
II
— Ma Doué, <lisail Marixonuic, la
servante, aux commères réunies sur
l'aire, ti-icot en main, ticvani la fcM-me
des (iraïc, on ne sait pas d'où vienl ce
mal ([ui a saisi noire Fiamette, le soir
du l'ardon des ciiseaux. Un air mauvais
l'a fra|ipi''e cl elle esl renlri'C eu Ireui-
blanl plus blauiln- ipic la llcnr d'aubé
]iin<', C'esl une lièvre 1res uiahgiie,
mais je me di'maiide ipii a pord' le mal-
heur sur elle. cai- elle est douce .iu\
panvi'cs el ne ril pas des iiuintriils. ,1a-
M-: TARDON DES OISKAL'X
mais les tailleurs n'ont passé le seuil de
la porte, toujours ils sont restés cou-
sant clans la 'grange et le corbeau appri-
voisé porte toujours ses bas de laine
rouf^e.
I-a l'ormo osf ondeuillée par le jjrand
mal de Fiametle; le père Graïc, un rude
gars, assis sur la margelle du puits, re-
garde devant lui les bras croisés d'un
air slupide, il ne veut même plus piler
la lande verte dans les auges de pierre
pour les chevaux, le soir, ni couper la
luzerne ; on leur donne le foin de réserve
qu'il comptait vendre à la ville; Guil-
lemelte, la mère, s'assied derrière la haie
pour pleurer, se remémorant tout ce
qu'elle a tait pour protéger sa fille contre
les mauvais sorts, tous les pèlerinages
où elle a pieusement brûlé les chan-
delles bénites, depuis Notre-Dame de
Kergornel, — alors qu'elle portait l'en-
fant dans ses flancs, — qui bénit les ma-
melles et donne un lait suave aux sucs
forts. El dans combien de fontaines
saintes elle lavait trempée, et comme
elle lui avait appris sa prière, quand elle
bégayait à peine, la menaçant, si elle
n'apprenait vite, de la fouetter avec une
verge de genêt !
Fiamette est dans son grand lit clos,
la figure rouge. Tantôt allongée et sans
force, elle plaint et vagit comme un en-
fant au berceau, et tantôt elle se dresse
sur son séant, écoulant avec une atten-
tion profonde, les bras blancs étendus,
les épaules inondées de ses blonds che-
veux, battant la mesure avec sa tête
mutine. Son visage s'éclaire soudain,
elle entend les binious ; pour elle seule
ils approchent et elle s'apprête à danser
comme quand les sonneurs sonnent un
air joyeux. Elle chante, sa voix éclate
stridente et d'une joie terrible :
Le lils du roi vient avec ses pij^eons
Rouges, blancs et violets...
L'imagination a forcé les portes du
merveilleux et demeure grisée devant
la liction enchanteresse. C'est encore un
air de ronde que les filles de quinze ans
dansent sous les couronnes de mai, au
carrefour envahi d'ombre, secouant leurs
chevelures libres ; mais déjà, dans leur
voix qui mue, palpitent des notes do-
lentes, prélude des proches amours.
Personne près de la malade autre que
Juluanik accroupi sur la pierre de l'âtre,
le front sur les genoux, les épaules se-
couées de sanglots muets, et qu'un men-
diant familier qui occupe au fond de la
cheminée le fauteuil de l'aïeul, dont les
cheveuxfinsdéroulent, sur sa veste grais-
seuse, de pâles boucles couleur de miel
et qui marmotte d'interminables litanies
se mêlant tantôt aux vagissements, tan-
tôt aux chansons de la pauvre fille.
Abgrall est son nom et il est un peu sor-
cier. Quand sa prière est finie, il trace des
cercles dans les cendres du bout de son
bâton; des paroles saccadées volent sur
ses lèvres flétries : il dit que la terre use
le fer, que l'anneau diminue sous le doigt
qui le porte, que le sel, la pluie et les
pas usent le rocher, les baisers du fidèle,
la main du saint vénéré. Lugubre, il
proclame la dispersion des atomes; il
parle par lambeaux, comme les bardes
d'autrefois, au gré de l'inspiration, des
rameaux qui se dessèchent et des fleurs
qui s'effeuillent ; et c'est le même qui
faisait tant rire Fiamette quand elle était
petite, dansant de^•ant elle jusqu'à en
être ivre et chantant jusqu'à perdre ha-
leine. Depuis vingt ans qu'il entre d'un
air assuré dans la ferme des Graïc, se
dirigeant en silence vers la cheminée et
s'asseyant à l'abri de son vaste manteau,
tranquille comme un grillon familier, ce
vieux baleer-bro prend sa part des joies
et des peines de ce foyer, de ce nid
d'homme, à ras de terre, entre deux
sillons.
— Hé ! garçon, que fais-tu là aujour-
d'hui? dit-il à Juluanik, en touchant son
épaule du bout de son bâton : ta place
est au Pardon des fleurs ; la malade,
pauvre, se gardera bien sans toi pour
une journée et tu peux gagner le prix à
la course.
— Ohl ma foi non, dit le jeune homme
en relevant sa tête pâlie, je suis bien là,
j'aurais trop de peine d'aller voir sainte
LE PAIÎDOX DES OISEAUX
Fiamette dans sa chapelle, à son jour de
fête, quand celle-ci est dans son lit,
ajouta-t-il en désignant sa sœur de lait.
— Il est vrai, reprenait Abgrall, que
son esprit la quitte et qu'elle a peur de
l'enfer.
— Juste, vieux balecr-bro, je ne ferais
pas belle mine à la l'èle, autant rester
■îaw-ai:
'*8raî?nj
le nie eon-
nliMid même ])as
ai pendu à sa
et-in hier ? in-
tu as la tête plus défaite et plus perdue
que si lu revenais de chanter les Vêpres
des hannetons (aller boire au cabaret
le dimanche); huit jours que tu ne
reposes pas sur ta couette, que tu uses
la force à [)leurer cl à la tenir quand
près dVll,-. Il
naisse plus, c
mon rossignol
IVnêtre.
— (^u'a dit
terrogea le vieillard.
— Que veux-tu (pi'il
pondit le jeune homme, avec la
sourde méfiance qui est au fond de
tout paysan, le mépris haineux que
lui inspire la science, le remède tpii
n'a pas de source surnaturelle.
Il est rare qu'une substance odorante
ne soil pas amcre, il est rare que la dou-
leur ne fasse pas sortir du co'ur humain,
sa plus pure, sa plus suave omanalion.
Le malheur qui frappait le jeune Hrelou
en frappant Fiamette avait déchaîné une
LE l'AHDON DUS OISKACX
grande tempête clans sa conscience. Il
était bourrelé de remords en songeant
à sa coiuluile envers elle le jour du Par-
don des oiseaux. S'il était resté à ses
côtés, elle n'aurait pas reçu le présage
de mort, ou son inlersKjne; il l'aurait
sauvée des miasmes fantômes, semences
ailées de la mort, qui montent dans l'hu-
midité nocturne des funèbres paysages,
feux follets que charrient les étangs
mystérieux, la rivière endormie, fris-
sonnante et nacrée sous la futaie cente-
naire ; à l'appel perfide des ruisseaux
égrenant leurs purs chants limpides,
emplissant le silence nocturne de leurs
concerts, par delà le mystère des om-
brages, elle n'eût point pénétré dans les
régions inviolables où repose majestueux
et néfaste le souvenir des âges perdus.
Et toutes ces pensées de Juluanik n'a-
vaient pas de contours précis ; elles
étaient confuses, comme son amour pour
Fiamctle qui le possédait à son insu,
indistinctes et tumultueuses comme le
chuchotement des bois, quand la nature
célèbre sa fête et qui est semblable à la
voix lointaine du printemps qui a parlé.
Mais le vieux baleer-bro discourait
toujours pour distraire le jeune homme.
— Ah ! vois-tu, disait-il, quand je suis
seul sur les roules, aucune habitation ne
me plaît comme celle-ci, mon cœur bon-
dit de joie en voyant la fumée de ce feu
des Graïc. Ailleurs on se chauffe aussi,
le cidre est doux; mais la parole meil-
leure que le feu clair et la boisson pi-
quante, on ne la trouve pas. Guille-
mette elle-même m'apporte ma part
du repas, nul ne m'interroge quand j'ai
le cœur trop lourd... de braves gens,
ces Graïc, le choix d'entre tous.
Les jours passaient et il restait tou-
jours là, ce mendiant, accroupi sous
l'àtre, pleurant, priant et prophétisant ;
ce n'était pas par paresse, car il savait
marcher toujours, sans relâche, indéfi-
niment, sans avoir l'air d'y penser, sur
les routes poudreuses; les \illages roux
et gris semblaient l'attendre, les enfants
et les chiens l'accueillaient de leurs cris.
11 aimait sa vie errante, il aimait les sen-
tiers primitifs et herbeux que l'on suit
sans hàle au crépuscule, les haltes dans
la lande [)arfumée, à l'abri des pierres
géantes, couronnées de houx et de lau-
riers que l'on dit être le sauvage tom-
beau des héros antiques ; il aimait aussi
l'invincible tristesse qui se dégage des
oratoires abandonnés, entourés d'épines,
d'herbes folles et d'absinthes amères, où
le baleer-bro, en loques et la barbe in-
culte, parle à Dieu sans honte, exhalant
les angoisses de son vieux ca'ur en un
lamento désespéré.
Le prunier sauvage tout courbé par le
vent d'ouest avait fleuri quelques jours
au bord de la fenêtre, puis secoué ses
grêles fleurs, et les parents de Fiamette
pensaient que la jeune fille n'en cueille-
rait jamais plus les fruits acides, qu'elle
ne couperait plus jamais le blé noir aux
tiges de corail avec sa petite faux et que,
([uand les seigles élancés noieraient à
demi leur hutte d'argile au milieu de
leurs flots satinés, il y aurait déjà de
l'herbe naissante sur sa tombe. Ah! qui
aurait le cœur de brandir le fléau, au
temps de la paille blanche! il faudrait
des étrangers pour ces soins; et l'hiver,
qui élèverait la voix à la veillée, quelles
seraient les images qui leur apparaî-
traient à travers les flammes claires du
feu de lande, quand, hébétés de dou-
leur, ils se tiendraientl'un devant l'autre,
regardant désespérément les charbons
qui s'éteignent!...
Suivant la coutume bretonne, on n'ap-
prochait guère de la malade, la croyant
prise tout entière dans les serres de la
fatalité; chacun se dispersait au dehors
avec des mines funèbres. Tous les sor-
ciers étaient venus de plusieurs lieues à
la ronde et on faisait grand accueil à
ceux des voisins qui connaissaient quel-
que saint patron, reclus dans son sanc-
tuaire, et qui pouvait s'intéresser au
sort de Fiamette.
Le frère de Gra'ic était parti en grand
mystère — à cause de ces étrangers ré-
pandus dans le pays breton, et qui of-
fensent les croyants, se riant avec im-
piété des vieux rites: — il a^•ait marché
LK l'AHDOX DES OISEAUX
deux nuits à travers champs et bois pour
trouver un ermitage bâti au bord des
Ilots où régnait une vieille idole délabrée
tenant en laisse, par un ruban fané, un
fantastique animal. Son souvenir était
perdu dans les temps et personne ne
savait plus son histoire. Ce saint était-il
de ceux qui arrivaient des îles sur les
Ilots houleux, assis dans une auge de
pierre, apportant la science magique des
pays inconnus? ou bien avait-il mené la
charrue, n'ayant connu, comme ce pèle-
rin même, d'autre horizon que ses
bruyères natales etl'infini des eaux? Quoi
qu'il en fût, des offrandes moisissaient
à ses pieds, sur le granit, s'accrochant
aux saillies dentelées des corniches,
et il y avait des bouquets de vio-
lettes et de mousses qui se desséchaient
dans ses mains. Le vent du large em-
plissait la nef, balançant un minuscule
navire suspendu à la voûte. Ce frère des
Graïc, homme grave et sévère, après
avoir embrassé ces choses d'un pieux
coup d œil , s'était prosterné sur les
dalles et, avançant sur ses genoux par
pénitence plus grande, il avait offert ses
présents qui se composaient du blé le
meilleur de l'année, de chanvre peigné,
de beurre et de lard, et il songeait en
lui combien ces dons rustiques étaient
préférables aux ancres dévorées de
rouille qu il voyait alentour, maigres
présents des gens de mer.
Mais il lit vainement ce voyage, l'étal
de l'ianu'lte alla toujours en em|)iranl;
alors on ne sut plus (pie devenir, car on
n'all.icliait aucune importance à ce que
pouvail bien dii'c ou faire le médecin,
ni au (li'hii (ju'il avait assigné à la vio-
lence (lu mal.
Alors, un jour, au repas, .Vhgrall, le
vieux baleer-bro, jjrit la parole au mi-
lieu du morne silence qu'entretenaient
l'angoisse ambiante et les soujjirs de
Guillemelte; et ou l'écouta. (Jraic ne
rintciTompil pas avec le farouche :
<c Donne/ -Mini la |i,iiv •• . (|u'il ,i\ail aux
lèvr(;s |i()ur ((jus depuis la maladie clr
sa lillc, cai- il ^ax.iil, ccirnuii' cliacun,
(pi'un \icu\ uii'ndiaiil inniiuc celui-là,
à demi barde et presque sobre, a {)lus
de pensées que le paysan qui l'héberge.
Il est l'homme de bon conseil que n'ab-
sorbe pas le rude souci du fermage, celui
qui médite longuement sur le tertre des
chapelles, au(juel est abandonnée de droit
divin la garde de l'héritage des Iradi-
ditions; à lui la mémoire vigilante qui
conserve et entretient le trésor.
Ses yeux, qui avaient été grands, for-
maient deux taches bleuâtres dans son
visage buriné de rides ; il avait de grands
traits de montagnard, un geste noble,
singulièrement, et il se servait, jjour
convaincre ses hôtes, d'expressives com-
paraisons.
— Le soleil, disait-il, brille sur la col-
line, la brûle, et pourtant entre lui et la
colline se déploient des terres, des
océans, de vastes régions d'air: ainsi la
prière que nous croyons monter tout
droit vers Dieu a souvent encore, |)0ur
atteindre son trône, à fournir un [ilus
généreux effort. Que vaut-elle la foi qui
se décourage au premier refus, quelle
est la force de l'amour qui meurt sous
le dédain, et que croit-il être celui qui
s'imagine que toutes les oreilles célestes
sont tendues pour l'écouter? Le cœur
du fidèle doit êlre comme ces racines
vivaces (pii, battues et foulées aux
pieds, prospèrent au milieu même du
sentier qui mène à la fontaine, hund)lc
et sans es[)oir présomptueux.
i^a voix de (iraïc s'i'lc\a raiicpu' et
tremblante.
— l'arle, Abgrall, dit-il, lu as un pro-
jet poui' nous li|-ei- de princ : que (iols-je
faire, voyons, me crois- lu un homme!
(lU non I .rirai où il faudra, et... si tout
1 argent y passe, (|ue Dieu nous garde.
— Comment n'avait-on pas songé, dit
le baleer-bro, à cette chapelle (pii se
trouve à dix lieues de chemin en Lo-
guivy, de l'autre bord deQuinip(>rlé vers
le faon !
C'est
(pie
l)ienhi'uri-u\ saiiil
DiliDiin Iraïuhc le sori des inallieu-
ITU\ (•uglué> |i.n- la MKirl. Sun oflice
est de précipilri- farrci >uprènie, son
nom veut dire lilt.T.dcment : .illrr ou
LE PAltDON DES OISEAUX
venir; il délivre des agonies longues,
accorde Irépas ou guérison. On vient à
lui dans la lassitude des longs maux in-
compréhensibles, dans la hâte du dé-
nouement, et il a vu souvent des hcri-
ritiers cupides, des enfants dénaturés,
qui voulaient le soudoyer avec leurs
présents; mais il connaît les vues droites
et démêle sans doute tout ce qui s"abrite
dans les cceurs.
— Partons dès demain, dit (Iraïc, lu
nous accompagneras, Abgrall, toi qui
connais tout, tes prières doivent être
agréables.
— El moi, que t'erai-je? dit Guille-
melle.
— Tu viendras, dil le mendiant avec
force, car il faut que tous ses proches
l'abandonnent comme un enfant perdu,
pour que le saint la prenne en sa garde.
On convint qu'on laisserait la Mari-
vonnic près d'elle et que Juluanik gar-
derait la ferme.
< )n vida les armoires de tout le linge
qui avait été filé dans l'année, vierge de
tout contact avec le corps humain, de
draps et de massives chemises cra-
quantes aux mains et sentant le chanvre
jusqu'à enivrer, pour les offrir à saint
Diboan qui préférait ces dons à tous les
autres. On en lit des paquets que les
plus jeunes femmes porteraient sur la
tète, à même le béguin, leur coiffe fra-
gile pendue au bras dans la crainte
de l'abîmer. La nouvelle du pèlerinage
projeté se répandit promptemenl dans
le hameau et tous ceux qui estimaient
les Gra'ic et pouvaient quitter leurs tra-
vaux promirent de se joindre à eux.
Le convoi se mil en marche à l'aurore,
par un malin blond et transparent.
La lande étincelait, parée de ses plus
fines et de ses plus délicates fleurs, l'or
incrustait les taillis, le genêt rajeuni
balançait ses branches fleuries sembla-
bles à des rayons qui lanceraient des
parfums, et le soleil avait tant de force
qu'on entendait déjà au midi, dans le
pré, chanter le grillon noir dont la ca-
rapace est sculptée de signes étranges...
A travers les sentes herbeuses, ils
glissaient taciturnes. Les pleurs qu'ils
avaient versés claienl taris et les sanglots
dont ils avaient fait retentir l'air à la
sortie du bourg s'étaient graduellement
éteints; leur chagrin, en s'éloignanl,
s'amollissait, diminuait comme l'eau
que jette un enfant dans un trou de
sable qu'il a creusé. Ils marchaient dans
un navrement doux fait d'anxiété mys-
tique et de joie morbide, car c'était une
fête quand même, funèbre et religieuse,
puisqu'ils étaient parés, oisifs, emportés
par la foi et qu'ils allaient voir un saint !
En vue de Quimperlé, leur douleur
s'aviva d'elle-même du spectacle de ses
clochers dentelés, et les habitants virent
passer des hommes : de grandes ligures
noires barbouillées de larmes et de pous-
sière, qui s'en allaient dans l'éclat du
jour avec des yeux clignotants, des
femmes dont le visage disparaissait sous
des capuches de molleton blanc ornées
de noir qui retombaient sur leur front
et des jeunes filles soutenant sur la
tête des fardeaux de toiles tissées, d'une
grâce très noble dont l'une, blonde,
Jeannie Le Mar'hadour, de haute stature,
au port sculptural, faisait songer à Nau-
sicaa.
Ils s'enfoncèrent dans les profondeurs
de la ville, sur un pavé inégal et sonore,
rosé et relavé par les grandes pluies,
encadré de minces lignes d'herbe verte ;
puis une raide montée se dressa devant
eux, le Gorréker, très dure à gravir, à
cause des rocs à fleur de terre, mis à nu
par les eaux ravinantes et des cailloux
roulant sous les sabots; puis on les vil
sur le plateau entre les deux rivières.
Sur le point d'arriver, ils entendirent
derrière eux une marche pressée el un
souffle rauque, une plainte scandée de
fatigue el de douleur, un râle puissant
el forcené semblable à celui de quelque
bêle moribonde, el se détournant, ils
virent une femme qui marchait pieds
nus. Ses joues étaient polies, usées par
les larmes, comme une pierre sous les
eaux du torrent ; l'horreur de la mort,
vue face à face, avait agrandi ses yeux
où nageait l'épouvante, la sueur tombait
I.IC l'AliliciX DKS OISEAUX
avanvant ver:
es|x
ivec foi ri i
ILII, 1
rance.
Is le
ronsic
lit un
lert'roiil
nonlil'e
à grosses gouUes de son front brûlant.
Elle avaitrejeté sa cape de deuil, arraché
son chupen fcor-
sage à manches) et
sa rude cl étroite
chemise trempée
collai ta ses épaules,
dessinant sa poi-
trine abîmée cL
nourricière pres-
que animale. Per
sonne ne raccom-
pagnait, la pauvre
o u \' r I é r e d e ^
champs, elle était
seide, elle venait
sans escorte, fuyant
la maison où le
croup maudit ve-
nait d'éloull'er deux
de ses enfants; il
lui en restait un,
un seul, et elle
l'axait laissé près
de la vache amie,
dans sa t'aliaui' m-
fecléc; elle venait
iiilercédcM- le saiiil
en sa faveur, lui
demander de m-
|)as le [)reiidre. Ses
cheveux \'olaient
en désordre, ellr
avait perdu ir
calme monacal, eel
air dé\ol (pu \'a -i
1)1. 'Il, avec la coill.-
I) I a II c h e , .1 II \
femmes de vrHr
race, et sur •■on
misérable visage
convulsé et \ii|-
gaire s'étalait la
plus i-loqiienle, la
plus farouche ex-
pression de la ^oiif-
raiice himiaini'.
.Au CMiir d'nii
pelil \ illagr d'une sainagerie pnmilixe, milré, tenani la
ils IrouverenI l'oratoire, nii. un peu sévère et sage, (aille d.iiis un gr.iiiil ipie
obscur, où régnait saint Diboan, el, l'on devinait très antique. Il avait les
niaiii. an \isa;:e
I.K l'AllDdX DKS OISliAIJX
niaiiKs chargées de cliapelels, grains de
perles où s'attachent avec les mains fié-
vreuses les suppliques dolentes ; sa mai-
son était si froide que l'on y sentait
bien réellement l'avant -fjoût du sé-
pulcre, et l'humidité qui tombait des
murs, jointe à l'émoi du verdict qu'il
allait rendre, faisaient claquer des dents
à ces gens grisés de marche, d'angoisse,
de fatigue et de soleil.
Il v eut un long moment de silence où
l'on sentit flotter la splendeur suprême
de la foi. Des envolées mystérieuses en-
levèrent ces îimes obscures, en mal d'in-
fini, jusqu'aux régions où le rêve, aux
contours fantastiques, absorbe et fond
les consciences dans sa béatitude. Mais
tant d'immensité, un vague si formida-
ble entourait les primitives visions qu'ils
évoquaient, que leur être tout entier
finissait par s'y engloutir, que la force
d'évocation qu'ils avaient apportée se
mourait sous l'intensité et le merveilleux
de leurs conceptions, et que, d'esprits
agiles, d'illuminés superbes qu'ils ve-
naient d'être, ils se sentaient redevenir
de misérables paysans dont le cerveau, à
court d'images, se pacifiait, ne trouvant
plus pour se traduire qu'une lamenta-
tion aussi large, profonde et indistincte
que la rumeur des choses frémissant
dans la nuit.
Et alors, comme un flot infatigable,
les oraisons coutumières sortirent de
leurs bouches en effusions lugubres et
pénétrantes; la prière, sans s'interrom-
pre, s'épanchait avec ardeur; les cierges
brûlaient allumés en profusion, et leur
flamme, luttant avec le jour, jetait une
lueur trouble sur cette troupe d'êtres
prosternés à genoux sur la pierre glacée.
Puis, à la longue, les strophes s'espacè-
rent, quelques voix se turent épuisées,
cette psalmodie devint une plainte traî-
nante où tremblèrent, pour bient(it
s'éteindre tout à fait, quelques dernières
notes gémissantes : ce fut .Abgrall qui se
lut le dernier.
D'un seul bond, leurâme avait atteint
les régions paradisiaques où les Bretons
veulent réaliser leurs brillants songes, et
maintenant la nostalgie de l'inutile ef-
fort pesait sur eux avec l'infinie lassi-
tude d'une chute si haute. Les yeux
encore éblouis de la vision disparue,
chacun d'eux se sentait redevenir seul,
abandonné de l'armée triomphante des
saints d'Armor, — purs esprits avec des
ombres de corps, revêtus d'ornements
royaux, — à laquelle ils venaient de se
mêler. Incapables de s'élever de nou-
veau vers eux, ils avaient la conscience
d'être vraiment des fils immédiats de la
lerre, rivés à elle par des liens puissants
et impossibles à rompre : un composé
de chair périssable et d'ossements, des
mains rudes et un esprit pauvre.
Ils sentaient maintenant la fatigue de
la route, les défaillances de leur estomac
qui n'avait reçu, de tout le jour, aucune
nourriture et, comme dans une cathé-
drale, quand on a éteint tous les cierges,
la nuit noyait leur pensée. Us oubliaient
même un peu ce qu'ils étaient venus
faire là, dépaysés et hésitants : leur dé-
tresse et l'imminence des périls qu'ils
venaient conjurer se reculaient jusqu'à
n'être plus qu'une chose pas trop réelle.
Ils sortirent tous ensemble après avoir
versé l'argent qu'ils avaient apporté dans
les mains de la gardienne et qui était
intact, car, par une louable prudence, il
est interdit aux pèlerins de faire halte
aux cabarets que désigne le houx aux
perles blanches.
La nuit tombait. Une ferme leur offrit
sa table, leur vendit le lard, la boisson,
le beurre et les crêpes. Ils étaient ras-
surés, ils parlaient, tout en mangeant,
des aléas de l'agriculture, de la qualité
des grains, de la valeur des denrées, des
fêtes prochaines, et ces sujets familiers
les ranimaient. L'hôte, pour leur faire
honneur, offrit un cruchon de cidre mous-
seux et, pour lui répondre, ils firent
venir de l'eau-de-vie, parlèrent beau-
coup, se chicanèrent et rirent même un
peu, l'ivresse aidant. Quand ils s'allon-
gèrent sur la paille pour dormir dans la
grange, leur chagrin n'était plus qu'un
insaisissable malaise, semblable à celui
que l'on éprouve en sortant du eau-
LI': PAliDON DKS OISKAUX
cliemar, et le sommeil descendit sur eux
aussi bienfaisant que sur d'heureuses
choses vivantes.
IV
Et à cette heure-là même, ils étaient
seuls dans la ferme des Graïc, Juluanik
et Plamette. La complainte du rossignol
était morte, les dernières notes de son
chant étaient tombées, rebondissantes
en écho, comme des perles jetées de
très haut dans un bassin de fabuleux
cristal. La Marivonnic dormait accrou-
pie, les genoux repliés sur un banc de
chêne, dans l'attitude gênante que l'on
donne aux momies péruviennes, son
chapelet refroidi agrippé à ses doigts
noircis et noueux, comme des racines
de buis. Elle semblait ainsi une figure
très antique détachée de quelque sculp-
ture d'église.
Le délire avait encore tenu Fiamette
depuis le départ des pèlerins. Juluanik
voyait bien que c'était toujours ce Par-
don des oiseaux qui revenait dans sa
tête. Elle prenait des airs peureux d'une
personne qui se trouve dans un lieu
redoutable, comme dans cette nuit où
les arbres géants de la forêt avaient pris
une figure hostile de malfaisants colosses,
où la rivière immobile et pâle s'était
montrée pareille à une femme morte
couronnée, par la lune, d'un diadème de
perles fines avec des rayons au bout des
doigts, où l'embûche formidable de la
nuit avait pesé sur son cœur craintif.
D'autresfois,ellecroyait voirlespectre
d'un vieux curé, (pii, quand elle était
j)etite, chargeait son panier de poires, à
la saison où les vergers s'alourdissent
de leur récolte éclatante, et elle se blot-
tissait dans les bras de .Iuluanik.
Mais voilà c|ue cett»; nuit un calme
profond était descendu sur la jeune fille.
Etait-ce l'inlluence du pèlerinage '.' Saint
Diboai) étendant sa main puissante vers
elle, consolidant d'une bénédiction loin-
taine la trame menacée de ses jours? l']lle
avait eu un lon^ soniincil réparateur,
n'ouvranl les vcii\ ([u'aii créjjuscule,
après que le soir était tombé dans une
pluie d'or. Elle n'avait presque pas l'air
de vivre et les choses environnantes lui
semblaient diminuées, inaccessibles et
perdues. Pour la première fois, elle
reconnut Juluanik, mais en détourna
vite ses regards avec un profond regret,
et elle se lamentait doucement avec des :
" Ma Doué, ma Doué <■, tristes et ré-
signés.
Pourtant Fiamette n'avait plus sa voix
de fièvre et quand elle parla, ce ne fut
plus avec l'accent bref, le timbre aigu et
sonore de la jactitation, mais d'une
voix argentine et faible, comme venant
d'une grande distance, des bords du
tombeau sur l'abime duquel s'était
penchée son âme défaillante. Elle disait
combien ses noces avec Juluanik auraient
été belles, d'une magnificence antique,
les meubles qu'on aurait mis dans la
chaumière et quels habits princiers
aurait vêtus le bien-aimé; combien
de mendiants seraient accourus pour
manger les reliefs, le lendemain, sous
les tentes, et qu'Abgrall lui aurait fait
danser sur Faire la danse d'honneur
que la mariée accorde au plus vieux de
ces affligés. Les cuisines eussent été mi-
rifiques, installées en plein air, dans le
champ, sous les chênes ; deux bieufs et
un grand nombre de moutons, sacrifiés
sur place, auraient servi à rassasier les
centaines de convives, et une notable
rangée de tonneaux à apaiser leur soif
inextinguible. I'",t combien eut été beau
le lit où ils devaient dormir sur la balle
fraîche, toutes les nuits, cûlc à cote,
éternellement, tant que le soleil dorerait
la terre bretonne 1... l'ille l'eut voulu de
chez le vénérable scul[)teur de Scacr,
aux longues boucles blanches, l'ancêtii'
de toute une lignée de purs artistes, (|ui
gardait les sujets mythiques dont on a
oublié le symbole... Des vautours ces
oiseaux donl le nid est élevé comme un
rêve - étendant leurs ailes sur les
portes, eussent protégé leurs amours, et,
parmi les arabesques accoutumées, elle
eût \oulu tout autour <les guirlandes de
ces Heurs nivslérieuses, dont elle lu-
I.K l'AlilmN 1)K
OISKAUX
savait le nom, qui n'ouvrent pas leurs
calices sur les cotes crArmor, mais bien
loin, clans l'antique patrie d'Asie des
Celtes : les lolus dressant leurs hampes
des poulains sauvages... 11 lui semblait
qu'en perdant Fiamelle sa vie imma-
culée et intacte n'avait plus aucun prix.
A qui porterait-il le mai au renouveau.
lières; et niainlenanl \oil<i '
qu'elle clait morte cl([uelcs
vaiilours avaient mdngo<on cu'ur
l']lic éclata en sanylols bas.
Le tableau exquis, sortant de c
d'agonie, pénétrait Juluanik d'une an-
goisse douce et cruelle. C'était une dé-
chirante vision de bonheur perdu, pour
la première fois enirevn, sans réalité et
d'autant plus inelîable. .Ah 1 il compre-
nait maintcnani des joic^ autres que
ses plai^i^s de pâtre bondissant nu ilns
les premières branches chargées de
l'euilles que l'on cloue à la fenêtre de la
mie aimée? Quelle douzik fiancée) au-
rait-il'.'Et sesnoces? Il n'en ferait jamais,
pas plus qu'.Abgrall. Voili'i tout.
Mais il protestait contre celle idée
ini'elle avait d'élre défunlc.
MO l'AltDiiN DKS
— Sûr que non (|u elle ii l'iail pas
iiiorle; il ne mentait pas, lui. jjeul-élre,
son .Iuluanik, Esl-ce qu'on s'en allait
comme ça, par ce beau printemps, quand
on était jeune autant, pour l'aire de la
peine a ses amis? Il lassurait que sa
peau était tiède comme le lail, frais tiré
ilans les bassines, qu'à l'aurore elle en-
tendrait la cloche en volée, et attirant la
tête pâlie de la jeune fille en dehors du
lit clos, la soutenant sur son épaule, il
lui montrait la lune recourbée qui les
regardait à travers les découpures fines
de la vigne et du rosier, bercée dans
son lit d'azur velouté.
— Tu crois? disait-elle avec ravisse-
ment : mais j'ai cependant ouï les coups
de marteau donnés dans les solives pour
suspendre les draperies au-dessus des
tréteaux où j'étais allongée, toute ri-
gide; le char de la mort est venu; j'ai
entendu hennir le cheval. Eh bien, si je
ne suis pas morte, chante-moi la « Tur-
zunel inconsolable », car l'Anaon (dé-
l'unt) n'entend plus les sônes d'amour.
— lu as rêvé, répondait-il, c'est un
méchant songe, et pour satisfaire son
caprice, il attaquait en sourdine la suave
mélodie :
<i Le soir et le matin, lorsque j'entends
chanter les oiseaux — gazouiller, per-
chés au haut des arbres
d'eux qui pénètre mon
voix de la tourterelle
amant. "
Et comme il ne sa\'
lin, elle lui snufllait les
lointaine :
" <^)uoi, jeune tiiHitr
Ion cieur? il
\ \i \(iis bien
inrtlc, s'i'xclaniail d, lu \(ii> bien (pir tu
sais encoi-e les juli- s.'.nrs ilamiiur !
.Mais elle dcinr
— ICiiibrasse inun \isagc. lu nie dira
s'il est glacé comme la pierre du ^rml
Et iluliiaiiik, qui n'avait |aiii,'ii> iIimiik
<le baisers a aueiiiic lilli', trouvait m
très grand plaisir a prnmnirr ses lè\ re;
sur celle dc'iieicuse ligure d'enraiil : mai;
<|iiaiid il renciintiMit sa buiii lie un 1;
-i
n
e
st anciii
(!•
ir
((
)iiime 1;
1"
t
1
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1(
is
iii-e SI 11
trop la
lO
s
h
sa voix
icllc, tdurincnk
lu vi>, ma l'ia-
III
d
cl,
mort avait erré et qui gardait ses cou-
leurs de scabieuse violette, il avait un
frisson de détresse voluptueuse...
Cette résurrection avait une extrême
douceur, éclairée par l'énigmalique lu-
mière de lune. Tout alentour d'eux, la
chaumière se noyait dans d'innomables
teintes, les choses avaient des contours
discrets jusqu'au mystère. -Au milieu de
cette ombre voilée, certains détails
brillaient étrangemenl.
Marivonnic ne bougeait pas, figée
dans sa pose gênante de momie péru-
vienne douloureusement repliée; son
visage, recouvert d'une sorte de vernis
brun très luisant, n'avait pas tressailli,
mais à présent ses yeux , pareils à de
l'émail, s'étaient ouverts et regardaient
devant eux avec un éclat fixe d'yeux
extasiés d'idole... puis ils se refermèrent
discrètement.
L'on, n'entendait plus dans le repos
suprême où se berçait la nuit qu'un
chuchotement bas et intermittent, doux
comme un langage d'esprits qui s'accor-
dent; le rossignol ne chantait pas, at-
tentif et surpassé peut-être jiar le duo
d'amour murmuré dans la très vénéi-able
langue des aïeux.
Le jour revint, et l,i vive lumière, et
avec eux les pèlerins las. l)'aliord dé-
faillants, ils 11 osaient passer le seuil;
jiuis l'évidence du miracle les |e|a à
genoux devant le lit de la malade, fon-
dant en actions de grâces et promettant
au saint des récompensi>s plus hautes
avant même de presser Eiainetlc sauvée
entre leurs bras.
.Ajirès les batterie^, aiiv pniiimes rou-
gissantes, on maria .iuluanik et Eia-
mctte. Abgrall \éciil a^se/ |ii)ur danser
aux noces avec la mariée, graxc comiiie
un devin antique, la gavote d'humieur
oU'erle au balecr-br<i.
.\ plusieurs lieues à la ronde un p.irl.i
longtemps de la giiérison de la tille des
(îraïc par saint Dilioan, et il en rejaillit
un grand renom sur sa puissance.
,1 vci.uis l'ii I II i:i,.
LA COMKDIK FRANÇAISE
En li;nil de rcscalicr de );i (>omédiG
fianvaise, à droite, en (ace de la porte
du grand foyer, un huissier à cliaine
d'arf^ent se lient toujours debout devant
une porte dissimulée
sous des glaces. Ce noir
personnage intrigue les
non initiés qui le pren-
nent pour le contrôleur
des vestiaires : c'est en
réalité le gardien des
coulisses, le cerbère du
domaine réservé, la
sentinelle de cette fron-
tière que seuls les amis
franchissent.
I^aissons la partie
connue du bâtiment, la
salle, la galerie des
bustes, les couloirs, et
passons tout de suite de
l'autre côté du théâtre,
là où l'on va moins.
Derrière la petite
porte de glaces s'allonge
un couloir qui se replie
au bout en coude pour
tourner vers la droite.
Il est, en temps ordi-
naire, silencieux. Par-
fois quelques figurants
se reposent sur les ban-
quettes. Il fait commu-
niquer la salle avec le
foyer des artistes et les
bureaux de l'adminis-
tration. A droite, une
porte conduit aux lo-
ges; à gauche, une autre
porte tendue de \e-
lours rouge et percée d'un gros judas
rond donne sur la scène. Les murs sont
garnis de tableaux, dont nous parlerons
plus bas. La portion du couloir en re-
tour longe un petit salon : c'est le foyer
des travestissements. A l'extrémité du
corridor s'ouvre le foyer des artistes,
où nous entrerons plus tard. Continuons
de suivre la galerie ; elle tourne encore
à droite cl aboulil au palier de l'escalier
PORTE DE C'0MMIIN1C.\TI0N AVEC LE. S COULISSES
particulier des artisles qui donne vers
la rue Sainl-Honoré. De l'autre côté du
palier sont les bureaux, le salon d'at-
tente, la salle du comité.
ïoul cela est biscornu, avec des re-
tours et des angles, qui oITrcnt une
LA COMÉDIE FRANÇAISE
ample surface à l'accrochage des tableaux
et estampes. C'est l'orig-inalité de ces
coulisses : elles sont un musée d'icuvres
d'art. Sans ce caractère spécial, elles ne
dilTéreraient guère de l'envers ordinaire
des théâtres. Elles ne sont pas si majes-
tueusement amplesque celles de l'Opéra ;
elles sont plus confortables, plus offi-
cielles que celles des autres scènes, vé-
ritables greniers. Mais de vous conduire
dans les combles ou les dessous, vous
faire admirer les treuils et les palants, le
rideau de fer, la manœuvre des décors,
ce ne serait rien dire de bien spécial et
ce serait refaire les travaux de Moynet
sur cette question de la machinerie.
L'histoire administrative anecdotique
et lilléraire de la Comédie française a
été souvent faite, surtout autrefois. Ce-
pendant toute une littérature continue à
se former autour de cette antique insti-
tution, dont les papiers officiels portent
fièrement la date de sa naissance, IGSO.
Sans parler des éludes rétrospectives de
Maupoinl, des frères Parfaict, de des
Essarts , de Mouhy, de Laugier, de
Fournel, d'Ed. de Monnc, de V. du
Bled, de Monval, parmi les plus récents
travaux, il convient de nommer ceux de
R. Peyre dans sa complète et intéres-
sante série, les Galeries célèbres: Hené
Delorme, le Mtist'e de la (Jonicdie fran-
çaise, un excellent et commode ouvrage;
Maxime Boucheron, la Dirine Comédie
française; Arsène Iloussaye, la Comédie
française; .1. Claretie, /.i (Joniàdie fran-
çaise; Albci't Soubies, la (Comédie fran-
çaise def)iiis rj;'fi(i(/iie ronianti(/iie. étude
détaillée et documentée, suivie d'un pré-
cieux tableau de toutes les leuvres
jouées, avec les dates et le nombre des
représentations. M. .Ad. Brisson prépare
un gros livre sur la Comédie.
Dans les galeries, dans les escaliers,
les reporters, les dessinateurs poursui-
vent de leurs crayons les artistes qui
courent changer de costume et répondent
aux questions en otant leurs souliers. Le
journalisme se fait l'historiographe de
la maison.
Les soirs de " [)remière ■, ces couloirs
s'animent singulièrement. La salle est
peuplée par un public spécial, gens de
lettres et artistes, tous plus ou moins
amis des artistes et de l'auteur. .Alors-,
pendant les entractes, la porte de com-
munication reste ouverte, tant le va-et-
vient est fréquent, et c'est une amusante
promenade de toutes les célébrités, demi-
célébrités ou obscurités du monde intel-
lectuel. On croise des peintres, des ro-
manciers, des actrices; l'auteur, entouré
d'amis, recueille avidement les bruits de
la salle, et il e^l rare qu'il n'ait pas la
mine satisfaite de ce qu'il entend : les
amis et les complaisants n'ont jamais que
des éloges à la bouche, et c'est un miel
si doux que toutes les lèvres le happent
avec une avidité crédule. Qiiand la pièce
plus tard se ralentira ou sera retirée de
l'affiche, faute de succès, ce sera tou-
jours » par la mauvaise volonté de l'ad-
ministration, qui aime mieux faire plaisir
à un tel ». Chacun est persuadé que le
vrai cbcf-d'i)'uvre du siècle est le sien.
On pai-le de la vanité des comédiens;
ceux-ci pouiraient en dire long sur celle
des auteurs. Il y a des exceptions heu-
reuses, parmi losipiclles, par exemple,
Jules Leniailri'. ([ui courbe le dos sous la
volée des coin]iliments, la main demi-
levée cl oiivuiic, ilans un gesti' d'incré-
.lulilé.
— ()lil pour\u c[ue cola se joue cinq
ou six fois, je n'en demande pas ijIus!
C'est comme un lieu de rendez-vous
qui a ses haliilui's et ses fidèles. Les
gens de lettres et d'art muI si peu d'oc-
casions (1<" se reneonl ri'r : chacun tra-
vaille chez, soi, à l'écarl ; on ne se voit
qu'aux mariages c[ aux enterrements d<!
la corporation.
'l'ont le monde e-t deliout. chapeau
bas. Il est interdit d'entrer, ne fut-ce que
dans le corridor, la tète couverte. Le-^
coulisses de la (Comédie française sont un
salon où on cause, et où l'on cause bien.
N'oili'i un trait dislinclif, caraeléristique.
Cela n'existe nulle pari, (lu ne dit |ias
les coulisses, on dit le fn/er. même dans
les escaliers. .Ailleurs, l'envers du théâtre
n'évo(pie que îles idées badines d'aetriees
I.A (;OMi;i)IK Kl! ANCA ISli
CORRIDOR
FOYER DES ARTISTES
Sarcej-, Richepin, Jules Lemaître,
Pailleron, etc.
rieuses, au langage peu châtié, qui se
reposent de leur rôle en convenant de
l'heure et de l'endroit où aura lieu tout
à l'heure le souper au Champagne. Il y a
dans les couloirs de la Comédie une
tenue, une réserve qu'on ne trouve que
là, dans le monde des comédiens. La
Comédie est l'académie de Thalie.
Si les comédiens ne sont plus hors la
loi, ils ne sont pas encore du monde. Il
n'y a que des brèches dans le mur qui
les isole de la société, mais le mur n'est
pas tombé. Les femmes du monde ne
vont pas au loyer des Français et n'ou-
vrent que par exception leurs salons ou
leurs salles à manger aux actrices de ce
théâtre supérieur. Cependant c'est là
qu'a lieu le contact le plus ])roche entre
la société et les comédiens. Les gens du
monde se llalleiit de leiu- amitié et de
leur commerce, leur décernant ain.si un
diplôme llatteur de distinction et d'éga-
lité. C'est une des causes du crédit, de
la supériorité, des prérogatives mon-
daines de cette aristocratie que constitue
le personnel de la maison de Molière.
Les temps ont bien changé. Quand Le
Sage, furieux de ses démêlés avec ce
théâtre à propos de Turcarel. leur fit
subir le terrible châtiment de sa ven-
geance, il protestait contre la morgue
insolente des comédiens à l'égard des
auteurs, et il écrivait :
— Ces histrions mettaient l'auteurim-
médiatement au-dessous d'eux-mêmes;
certes, ils ne pouvaient pas le placer
plus bas.
Cette injure serait aujourd'huiinjuste.
Le niveau s'est relevé, et les comédiens
français ont leur brevet de gens très
bien, comme on dit.
Chaque artiste dispose et orne sa loge
■d sa guise. Nous n'avons pas ici le loisir
de faire une tournée à travers les deux
étages, le long des couloirs où s'alignent
les petites portes blanches munies de la
pancarte indiquant le nom de l'occupant
ou de l'occupante. Ce serait une visite
i,.\ t;OMi:uiK l'i! am; AISE
domiciliaire qui ne niaiiqLierail ni d'agré-
ment ni de pittoresque, mais qui a rie
souvent faite. Sinon nous eussions in-
discrètement ouvert lus porles de ces
réduits artistiques, encombrés de bibe-
lots d'art chez Mounet-Sully, de dessins
et d'aquarelles chez Coqueliu cadet,
agréablement tendues et gracieusement
décorées quand c'est M"""- Bartet, Rei-
chemberg ou autres qui en sont les titu-
laires. Chacun ou chacune est là chez
soi, et il faut nous retirer, car ce sérail
franchir le mur de la vie privée, d'autant
plus que le régisseur sonne et apix-llc
dans le corridor : « \']n scène pour le
deux! ..
Dans l'escalier, large, mais peu artis-
tique avec sa rampe laide, les artistes à
demi costumés ou en costumes de \ ille
descendent pour la
répétition, l-es pre-
miers essais d'une
pièce se font au
foyer si la scène est
occupée ; elle des-
cend au théâtre
quand elle est mieux
suc. La salle est
sombre ; des housses
de toile grise cou-
\rrnl les fauteuils
et les loges. Une
guérite apj)elée le
guignol s'élève an-
dessus du trou du
souflleur; elle abrite
contre le froid de la
salle noire et vide
l'auteur et le direc-
teur, C|ui surveillent
et guident les étu-
des. La scène est
éclairée par une
herse baissée cpii
i-appellc les ram])es
de-- l'ni-aiiis. .lusipie
\ers les derniers
jours, il n'y a ni
décors ni costume> :
les acteurs sont en
l.ulctlc de ville, ri
Camille dépose son ombrelle pourgémii-:
Hi>nie. tunique ol)jel de in<:in ressentiment'
C'est surtout dans les derniers tenq's
que l'aspect est pittoresque. Les figu-
rants endossent la partie de leurcoslume
qui est finie: on voit des chevaliers qui
ont les jambes prises dans des maillots
rayés et le torse vêtu d'un veston à car-
reaux. Ils portent la hallebarde et sont
coiffés du chapeau melon. Ces reliquats
de costumes contemporains dans l'en-
semble des travestissements sont comme
une intrusion brutale de la réalité dans
la fiction. I^e mélange est bizarre. Il
semble qu'on voie un archonte sur l'im-
périale d'un omnibus. Ecoulez, les or-
gues grondent, les gardes se rangent, un
homme apparaît, mains jointes, yeux
I. A I. o G 1-:
I.A C0M1';01K l'ItANÇA ISK
baissés, vêtu d'un complet gris, coiiré
d'un canolier : c'csl A\'orms qui fait
Henri III et qui sort de la chapelle des
Médicis entouré de sa cour. In autre
jupe renaissance et une jupe moderne,
qu'entre un pourpoint à crevés de satin
et un smoking.
I.n répétition est lente, interrompue
par les explications
de l'auteur, les
querelles, les re-
prises, les appels
aux machinistes,
aux ligurants qu'il
faut placer, dépla-
cer, au souffleur,
à Donato.
Vous m'en vou-
driez de ne pas
vous donner ici à
lire le récit d'une
répétition pris un
jour, sur le vif,
par un reporter
.inu'iicain. Il est
curieux et vivant.
M"' KEICHEMBEtl
Hôle d'Ophélie.
jour, Mounet-Sully joue 1 Arétin et porte
une élégante jaquette de cheviotte: il
n'a du personnage que le large béret de
velours. Pour les dames, la disparate est
moins choquante; les robes ont beau
varier, elles changent moins dans leur
aspect général que les habits masculins.
et il V a moins de dilférence entre une
La répétition
marche assez ronde-
ment, les moments
d'arrêt ne provenant
que d'un ou deux
mots d'avertisse-
ment donnés à Jean
Coquelin par son
père ou par son
oncle ; on voit que
ces conseils sont
rais à proQt silot que
le passage en ques-
tion est repris. 11 se
présente une fois,
cependant, un em-
barras sérieux : l'en-
droit où Scapin,
étendu à terre, pré-
tend avoir été dé-
valisé et battu par
xs SA LOUE les malandrins. Ce
jeu de scène prend
un certain temps
avant que le père ou
l'oncle se déclarent pleinement satisfaits,
et, enfin, il n'y a plus d'anicroche dès que
Co(|nelin aîné, son tuyau de poêle rejeté
sur l'occiput, se jette à plat ventre, et là
gesticulant des bras et battant l'air de ses
jambes, indique par un exemple pratique
comment la chose doit se faire. C'est un
spectacle digne des dieux, et la leçon n'a
pas besoin d'être répétée, car, à peine
Coquelin aine se retrouve-t-il debout, Co-
LA COMKDlIi FI! AN r. Al SE
quelin jeune se jello de nouveuu à lerre et
montre celte fois qu'il possède à fond les
traditions de la maison.
La Zerbinette du joqr est M" Kalb. Une
heure ou deux avant la répétition, je l'ai
entendue discuter avec M. Sarcey, le cri-
lique, la fameuse scène où le récit de Zer-
binette se double d'un long- éclat de rire;
l'un et l'autre convenaient que ce discours
était la tirade la plus difikile do tous les
rôles de soubrette du répertoire classic[ue.
Je n'ai pas de texte sous la main, et je ne
puis donner le nombre exact des lignes
([u'il comprend, mais la tirade est vraiment
longue, elle est remplie de traits remar-
(juables, les auditeurs ne doivent pas en
perdre un mot, et ce n'est qu'une fusée
continue, exubérante, irrépressiljle, d'un
rire sonore, du commencement à la fin,
une tirade pour Rosina Vokcs I
Sachant cela, Je brûlais d'envie de voir
comment Kalb-Zerl)inette, en sou joli cos-
tume de ville noir, el fouettant l'air de son
léger manchon d'astrakan , se trémousse
sur le devant de la scène. Son visage, ra-
dieux d'enjouement, suffit pour vous mettre
en bonne humeur : le visage le plus intel-
ligent et le phis gai que j aie vu chez au"-
cune actrice à Paris, car celle ([ui le pos-
sède est une des [jIus brillantes femmes
que ma bonne fortune m'a fait rencontrer.
Je suis bientôt en état d'apprécier l'im-
mense difliculté de la tirade, mais je ne
me sens pas enlevé. Pas une syllalie de
peidue, le rire aux échos argentins éclate
bravement, mais il résonne forcé el mono-
tone, et il me semble entendre le grince-
ment de fils métalliques.
La répétition est suspendue. Un in-
stant de repos est, accordé aux artistes,
qui se retirent pour deviser avec les
amis au foyer. Suivons-les : ce sera pour
nous rentrée au musée. C'est une grande
pièce que nieubh'nt des sièges de velours
rouge, un |)laiio à queue et une fort
belle tajjle l.nuis W, (|ui supporte un
théàlropliono. li. Delornn- disait des
merveilles étal(''cs là :
C^cs riclicsses soiil pour ;iiiisi dire incori
nues, (jui les visite? Nous avons \u cpiel-
([uefois des Anglais, souvent des Husses,
solliciter Paul orisat ion do parcourir cet
intéressant musée; des Piançais, — jamais.
Le hasard, la force des choses, les belles
premières, ont pu y amener exceptionnel-
lement un public; mais ce public préoc-
cupé n'a jeté que des regai-ds dislrails sur
la colle<'lion de la (lomédie. Le nombre
des personnes qui r(uit regardé(- est donc
des plus restrcinls.
La faute n'en est pas <à l'administrateur,
qui me disait un jour :
— Je voudrais, si Fou me donnait un
prolongement sur le Palais-Royal, faire
un musée spécial qui pourrait être ou-
vert au public le jeudi et le dimanche.
Mais...
Toutes ces œuvres ne sont pas accro-
chées au hasard ; il y a un classement,
cjue je retrouve expliqué dans une lettre
de l'administrateur :
Voici le principe du classement des
tableaux : salle du comité, les auteurs
iportraits); foyer du public, les auteurs
(busles); couloii-s du bas, la même chose;
couloirs du théâtre, les acteurs. Dans la
loge de l'administrateur (petit salon du
fond), peintures de l'auslin-Besson, repré-
sentant la troupe d'Arsène lloussaye : Pro-
vosl, Delaunay, Samson, Favart, A. Bro-
han, Fix, Hachel. Tu as vu cela, le public
ne le voit pas. Les acteurs vivants n'ont
pas leurs portraits accrochés. On les garde
en haut : la Sarah, de Parrot ; le Worms,
de Cliartran ; le Mounet-Sully, etc. Ils des-
cendront, — le plus lard possible.
Le foyer des artistes est le sanctuaire
de iMolicre,son image est partout. Il est
en médaillon au-dessus de la glace, en
buste au-dessus de la pendule, et les
murs présentent une curieuse galerie de
ses portraits.
Le voici par Mignard, dans le ri')le de
César, de la Mali ilc l'iimpée. Mo-
lière s'était cru d'abord l'ail [K)ur la tra-
gédie, — comme Corneille avait pense
qu'il ('•lait né pour la comédie. Il jouait
xiiloulicrs les rôles tragiques, et en écri-
vit même, comriie celte '/'/léh.inle. qu il
repassa à Hacinc, n'en pouvant rien
faire. On le siflla à Limoges, où son tra-
gique déplut. C'est la turlutaine des co-
mitpies lie jouer dans le sTM-ieux : voyez,
CiMlIlrlm.
Si Miilicrc M' Ircuupa, l'opinion publi-
(pie Ic^ rcmil briilaleniciit dans sa voie,
cl c'csl une des plus curieuses toiles,
celle (pii représente, dans un <lécor à
l'ilalicnne. (•claire par des lustres, les
f.ircciir.s. français et italiens, vers l(>7(t,
c'esl-à-dirc Hriiscambille, Ciautier-Ciar-
guillc, (iuillot-Corju, l'anlalon, l'olichi-
ucllc, et (lui s'v attendrait ■.' — Mo-
I.A Cil M i; 1)1 1
Kll A m: A ISK
lièicl Quelle pi-omisciiité |)Our Cé.siir
que le comiiagnonnaffe de Trivelin !
Mais c'est un trail de mœurs, ceci : il
mnulre quel élnl ou faisail de Molière,
[)uisqu'on le considérait comme un vid-
^'aire aniu-eur piililie, à i'aMf;er parmi
M 0 U N E T - s U L L Y DANS SA Ll
Rôle d'Hamlet.
\cs farceurs. Farceur! lui, dont la vie
lut un lent supplice, et qui, quatre an-
nées avant, avait l'ail le Misaiil/irope!
II va encore là le Molière de Coypel,
accoudé, et aussi une sii;nalure du j;rand
comique.
Alexandre Dumas donna à la Comédie,
en 1884, ce papier qui <'st accroché au
mur dans un cadre; c'est un contrat qui
perle la signature de Molière; on l'a
encadre avec un brevet de pension de
12,000 livres en faveur des comédiens
français, du 24 août 1682 ; il porte les
signatures autographes de Colbert et de
I-ouis XiV.
De beau\ por-
traits sont accro-
chésauxmurs,Tal-
ma, Lekain, avec
Sun petit nez en
liompette, Haron,
l'infalué Baron,
que La Bruyère el
1-e Sage ont cingle
de leur satire, (|ui
jouait au naturel le
rôle de Moncade,
I homme à bonnes
fortunes, et de qui
l'on cite des mots
superbes.
l'ne grande
dame le suppliait
de l'aimer ; il ré-
pondit :
— .l'ai mes pau-
vres.
X'oilà la Clairon,
qui fit de si curieux
Mémoires pleins
d'anecdotes. l n
jour, elle laissa à
une amie un rôle
en cours de répé-
tition. Au moment
de l'orage, le ma-
chiniste criaducin-
Ire à la doublure ;
— C o m m e n t
voulez-vous votre
tonnerre?
— Comme celui de M"° Clairon !
A'oltaire l'a chantée, sans craindre de
déranger pour elle tout l'Olympe.
Toi que furnia \'émis et que Mincive ;ui:me.
On voit aux archives les coins d'une
médaille qui lui fut offerte par ses ad-
mirateurs. — car Sarah Bernhard n'est
LA C C) M IC 1 ) 1 1-: F H A N ( '. A I S lO
])as la première qui ait eu cet liomieur.
L'exergue était : L'Amitié et Melpo-
mcne ont fait frapper celte médaille
en 176J. La reproiluctioa agrandie de
cette pièce orne aujourd'hui, au cime-
tière du Fère-Lachaise, le tombeau de
la Clairon, à qui ses amis vont prochai-
nement élever une statue à Condé-sur-
Lscaul, sa ville natale.
A gauche de l'entrée, sont les deux
grands et célèbres tableaux île l'acteur
(lelfroy.
Le premier représenle le foyer des
artistes de la ( lomédie française en 1 84().
Le second met en scène, dans le même
décor, les artistes (pii composaient la
troupe du Théâtre-I''rani,'ais en IS6L
Il y en a un troisième, du même, la
(Jomédie française en lsr>.") : il apparlicnl
à M. |{odiniei\
i< L examen, remarque M. l'evie, des
deux tableaux suflii'ait à nous apprendre
comment se sont modiliés, cuire les
deux dates, les ressources du lliéâlre et
le goût public. I']n 1810, la tragédie et le
drame sont également en honneur, .-\ussi
|)ourpoinls el loques, loges cl chlaniydes
se mêlenl-ils en nomlji'c honnête aux
costumes plus modernes avec liaclicl.
M'"' Noble I, .loan-
n y, lîea u \a 1 le l ,
l.igier, (lellVov,
M Ciiyun, etc.
-M'' Anaïs elle-
même est habillée
en page. Une ving-
taine d'années plus
lard, pourpoints el
locpios onl à |)en
]n-ès disparu. La
Iragédie se relire
modestement dans
LUI coin a\ec Mau-
banl, \l"" (iuyoïi,
.M""' Judilh. Gel-
Iroy a abandonné le
coslume historique
pour endosser l'ha-
liil de <■ l'homme
aux rubans \eiis ■>.
Il y a peu de
femmes. La Duchesnois, M"" (îeorges,
M""' Contât sont absentes du foyer; mais
on y voit, peinte par Sicardi, M"' Hour-
going, qui prépara à sa manière l'alliance
franco-russe, en embrasant le cccur du
Isar Alexandre, quand la Comédie fran-
çaise alla à lù-furl. Son tombeau est en-
core surmonté d'un vase dllercidanum
que le Isar lui donna, sans doute en pri--
vision de Cronsladt.
Eu quillant le foyer des artistes, nous
sommes loin d'avoir épuisé tout ce qu'il
y a de curieux à visiter. Il faudrait en-
core aller vcii]-, dans l'i'scalicr do loges.
la forêt où le médecin nialgii' lui l'ail
des fagots; le [laysage esl ili> MiuiIncI.
et les figures d'Horace V'ernel ; dans les
couloirs, les dégagements, les galeries,
(jne d'ieuvres dignes d'allenlion : le
médaillon de Pigault-Lebrnn, parl)avi<l
d'Angers, le Molière de I lofer la MurI
il,' 7';ihii;i. par Hoberl l'ienry. laChamp-
mcslé el M'i' Desmares, par de 'l'roy, cl
les bustes, les bron/es, les Ici-i'cs cuiles,
les caux-foi'Ies, mniialnrcs, aquarelles.
Ce musée renfci-me même des curio-
sités anatomicpies. Il possédail déjà la
màchoii-e de Molière. Il s'esl enrichi
dun fragmcnl du cciir île Talma. (pii
I.A C.OMKDI !■: FH AN'CA ISI-;
ressemble à un bouchon de liège ; el il
vient de refuser la main de M"'' Duches-
nois, qui n'avait jamais eu pareil alFronl
(le son vivant.
Mais on ne peut pourtant pas i-enou-
veler ici les surprises du M. Trottmann,
de Gham, qui admirait à la Tour de
Londres le crâne de Shakespeare en-
fant à côté du crâne de Shakespeare
adulte.
l.a mâchoire de Molière est sous globe.
dans la terrible salle du comité. Les
murs sont amplement décorés, autour
de la table solennelle où se décide le
sort des lectures ; le large encrier est
garni de plumes d'oie, comme sous
Louis XIV.
C'est ici, dans cette salle solennelle,
le musée des au-
teurs; P. Corneille
a sa statuette sur
la cheminée; elle a
été donnée par la
Société des amis
des arts de Seine-
el-Oise. 11 a aussi
son portrait au
mur, à côté de son
frère Thomas, qui
a lair bourru el
grincheux, comme
il convenait au cri-
tique acerbe du
Mercure galanl et
à l'organisateur des
cabales contre Ra-
cine. Il y a un Au-
gier, de Jalaberl,
qui est plein dex-
pression et de vé-
rité; il occupe une
des places d'hon-
neur : elle lui est
bien duc. Puis ce
sont X'ollaire, Ma-
rivaux, Ducis, Cré-
billon ; au-dessus
d'une porte, A. Du-
mas fils fiait une
lecture devant le
comité. On a ac-
croché là aussi le tableau de l)antaii,
fit eiilr'acle à la (lomùdie fraiii,aise,
OLi l'on reconnaît dans les stalles (Camille
Doucet, Sarcey. ,)ules (>laretie, Meis-
sonier, VN'oIll', Zola, Ohnet, Daudet,
Dumas, de Hornier, (Jounod et bien
d'autres.
La petite antichambre qui précède la
salle du comité est ])areillement ornée
de cadres, parmi lesquels il y a deux
photographies intéressantes : la maison
de la rue de la Pie, où naquit Corneille,
et Petit-Couroime, où il habita, près de
Houcn, avec ses frères Thomas el An-
toine, un poète peu connu, lauréat du
prix des Palinods.
La salle du comité renferme dans une
armoire des biscuits de Sèvres, reprc-
L E F 0 T E U DES
I.A COMEDIE l'IlAM.AISE
sentant des écrivains et des acteurs :
Molière, Racine, Corneille, Gresset,
M""" Dangeville, Contât, etc. Ils ont été
confiés, par le maréchal ^'aillant, à la
Comédie IVançaise, mais en restant la
propriété de l'Etat.
Ce musée s'enrichit toujours. Il vient
Les comédiens eux-mêmes y trou-
veraient, si ce catalogue était raisonné,
d'utiles précédents comme encourage-
ment pour leur art. Us voudraient avoir
autant d'action sur le public que M"'' Du-
mesnil, peinte par Nonnolte, ou autant
(lecrânerie que Fleury, peint par (lérard.
I M I T !•: DE LECTURE
de recevoir de belles lapi^i'-iTics des
Gobelins, un portrait d'.McN.indrr hu-
mas. Il recevra sans doute, ini jour, bleu
d'autres toiles qui y ont été laites, comme
celle de Héraud, ou le Corneille au Sa-
vetier, d'I'juile l'errin, — ou le buste
de Lagrange auquel travaille Cuillaume.
l'^t de tout cela il y aurait matière à
ouvrir et em])lir un admirable musée,
dont la visite serait un enseignement,
un voyage ù travers le passé de l'art, et
dont le catalogue serait une page d'his-
toire.
M"'' Dumesnil jouait (Jlcopàtre dans
lUnliKjunf. H V axait encore des ban-
quelles sur la scène, l'ille fut si terrible
et si odieuse qu'un spectateur se leva,
la frappa du poing dans le dos. en lui
criant :
— \'a-l'eu, cbieiuie, à tons les diables !
Quel bejiu jour pour une actrice !
Qu.'Hil à Fli'urv, ou le sil'lla. un SDJr
qu'il jouait Tartufe, eu ISI.'i, ,i eau-e de
ses sympathies bien conniu-s pour Na])o-
léon 1'''.
Il s'avan(,'a vers la rampe i-l dil :
I,.\ C.O.MKDli: l-ll A M.lAISl-:
— Messieur.-*, ici, je ne suis chargé
que de jouer Tartufe. Mais si quelqu'un
veut me parler, je demeure me 'l'rnver-
sicre, 23.
C'est un trait entre mille. Llii^toire
(le nos comédiens français les ven^e
d'avoir été si lonj,'temps hors la loi.
Un coin préféré des travailleurs, à la
Comédie, est l'humble mansarde où sont
relégués les archives et M. Mon val,
où Trufiler, l'érudil poète comédien,
travaille son Ilaulcroelie. Il faut cnlrer,
l'après-midi, parla rue de Hichelieu; on
passe devant le concierge de la salle; on
gravit les escaliers déserts où le soir se
presse la foule, el donl les parois portent
les indications nécessaires : parterre,
secondes (jaleries, etc. Derrière les pe-
tites portes des loges, on sent le vide
de la salle, à travers lequel volent les
éclats de voix et les rires de la répéti-
tion sur scène, devant le guignol et
sous la herse llambanle.
L'ne barrière porte un écrileau :
Caisse. Le théâtre, vu ainsi de jour,
n'évoque aucune idée de plaisir, mais
bien de travail, de fonctionnaires rete-
nus à leur table ou à leur guichet.
Nous poussez une petite porte vitrée
en verre dépoli. Le timbre sonne. Vous
êtes dans les archives, long couloir que
garnissent des rayons remplis par des
ouvrages de théâtre et par des cartons
pleins de manuscrits. Tout au fond est
le cabinet du conservateur. Regardez
celte couronne de lauriers, c'est celle
qui servait à Talma pour le rôle d'.Au-
guste dans Ciiina. Cette autre couronne
à côté, dans un cadre, a été remise à
Rachel par la reine d'Angleterre. Voici
des cheveux de Talma, donnés par son
neveu, le docteur Talma, et aussi une
lettre signée du grand tragédien. Une
caricature est près de la cheminée : ce
diable qui sort d un buis^son de serpents,
c'est le critique Geoll'roy; il excite à
la guerre les partisans contraires de
M"" Georges et ceux de M"'' Duchesnois,
dont on nous olfre la main.
Dans le petit réduit au plafond bas,
aux murs couverts de livres, aux meubles
encombrés de carions d'estampes, nous
flânons devant tous ces curieux docu-
ments, vieilles affiches qui sont des
raretés, anciens billets qui sont des
reuvres d'art, portraits autographes
précieux. La veuve de Molière a signé
cette quittance de rentes sur i'Ilôtel
de N'ille; ce procès- verbal porte les
signatures de Lagrange, de Guérin,
le second mari de M"' Molière , de
Champmeslé, donl La Fontaine fut en
lous sens le collaborateur, de liaisin,
donl le frère eut une plaisante aven-
ture.
11 montrait une épinelle automatique
qui jouait toute seule l'air désiré. Le roi
ouvrit la boite et en relira un petit
garçon qui faisait marcher la méca-
nique.
Kn descendant des archives , vous
passez devant la caisse d'où sort un dé-
cadarque de Phèdre en mollets nus. 11
serre sa monnaie sous sa chlamyde. Au
même étage que le foyer nous retrou-
vons le secrétariat et les bureaux, le
petit salon d'attente qui a un air un
peu grand'inère, el la porte blanche
qui mène à la salle du comité et au ca-
bmet de ^L l'administrateur général :
il n'a là que son cabinet el n'est pas
logé.
Le cabinet de l'administrateur est
vaste, tendu de rouge sur bois noir;
deux portraits décoratifs en grisaille de
Lehmann, Molière el Corneille forment
des médaillons dessus de porte. La che-
minée supporte la statue de Molière, par
Seurre aîné, d'après celle qui décore la
fontaine Molière. Le buste de la Clairon,
par Lemoine, celui de Lekain, donné
par M""' V" Dumas, une réduction du
Corneille, de Caffieri, complètent l'ameu-
blement de style. C'est là le centre de la
maison, l'âme de cette institution que
les attaques et les défections semblent
consolider, et elle n'est pas aisée à di-
riger parmi les écueils que fait surgir
l'amour-propre concertant des comé-
diens et des auteurs. Ad. Brisson a spi-
rituellement consigné le procès-verbal
de la Journée de l'administrateur, el le
I.A C CI M K I) I !■: FI! A m; AI SE
33
liibleau n'esl point chargé : les journaux
du malin, les articles irritants, les bro-
chures ennemies, les vraies coulisses
de la Comédie française el C", les notes
perfides, les lettres dr réclamation, le
rapjiort du semai-
nier, le bordereau
de la recelte . le
bulletin de répé-
tition, les réponses
urgentes, visite au
dessinateur ou à
l'atelier des dé-
cors, boulevard Bi-
neau, et voilà qui
permet de gagner
l'heure du déjeuner
sans trop soulFrir
de la longueur du
temps. A une heure
il fait son entrée
dans son cabinet :
nouveau paquet de
lettres, répé-lilion
toute raprés-midi,
course au galop
jusqu'au ministère
de l'instruction
publicpie el des
beaux - a ris, à
moins que ce ne
soit celui des Ira-
vaux publics ou
celui des linance-..
A son retour,
quinze visites lui
prcicureiil l'agré-
ment de III' pas
rester à ne rien
faire ; mais s'il ne
les recevait pas, il
a \ingt lettres à
('■crii'c l'I un raj)-
|io]-| (III deux à ri''(
lui, dinc, i-r|iarl, el relroi
<al)inrl où le lemps pu
l'éclair, à éei'in:' des rcpciiisrs, à lire des
manuscrits, à \érilior des comptes, à
lancer les pensionnaires, el recevoir des
visilenrs, caj- il en \ienl jusque \ers
miiiiiil, pas piii-^ lard, (i'esl Labiche ipii
\ I. - 3.
disait : " Si l'on me nommait directeur
de la Comédie française, je n'accepte-
rais que pour une heure, parce que le
mois commencé compte, puis je donne-
rais ma démission. "
Il renlr.
;itcur gcni;
chez
cher
innie
r:U (lu la Comùdic fr
cl:ins
llre^
Rien n'est amiisaiil. |
s'enlend . comme la li'in
qui arrivent. Ce smil toujours des de
mandes nu des réclamalion~, dont 1
monoliiiiie est lassanlr.
Cher iiiOM-.irur,
i;ii bien, que a
ICI vos liiiniies
ieiMieiil vos promesses :
rôles d'autrefois .' Vous
I.A COMKDIli KnANC.AISl!:
adoriez, le talent de ma mère, vous vantiez
le succès de ses ouvrages, vous lui avez
consacré une étude enlliousiaste que j'ai
heureusement conservée. Vous pourriez
maintenant me prouver que votre sympa-
thie était sincère, en remettant à la scène
une de ses comédies. Hélas! vous n'y pen-
sez guère et vous avez d'autres projets.
Voyons , cher monsieur, un bon mouve-
ment!... Kt soyez sûr que le public ne s'en
plaindra pas. P »^
La fille d'une femme de lettres juste-
ment illustre.
Mon clier ami,
Vous savez qu'on ne m'a pas joué depuis
trois semaines. Ce n'est pas gentil! -Vllons,
faites-moi vos excuses et affichez-moi pour
dimanche en matinée. ., ,.
Un descendant littéraire de Corneille.
Là, défilent les artistes, appelés pour
le service, plus ou moins exigeants selon
leur rang.
Les nouveaux venus dans la maison
sont pensionnaires. Ils deviennent peu
à peu sociétaires par quarts successifs,
avant d'être sociétaires à part entière.
C'est l'ambition de ce régiment, dont les
parts sont les galons. Le doyen est
Mounet-Sully ; M""^ Reichemberg est la
célèbre « petite doyenne ». Ces comé-
diens sont aussi des juges, à la dif-
férence des autres théâtres, oii ils ne
sont que de bons instruments.
Les manuscrits sont examinés par
deux lecteurs, JOL Cadolet Paul Perret,
sur le rapport desquels le comité décide,
après une lecture quand il y a lieu. Le
comité est le souverain et redoutable
aréopage dont les décisions sont atten-
dues avec anxiété parles candidats dans
la pièce voisine. La Comédie étant une
coopérative, il est juste que ses membres
confient à des délégués, qui sont les
membres du comité, le soin de gérer la
maison au mieux de leurs intérêts. Ils
sont le conseil d'administration, action-
naires et responsables, puisque tant
mieux vont les recettes, tant mieux va
leur prorata. Tout d'abord, ils se géraient
eux-mêmes; ils étaient trop, et les ar-
tistes étant rarement hommes d'affaires.
il y avait des ressauts et des ressacs.
.Aujourd'hui l'organisation intérieure
est réglée par les décrets. C'est celui
de 1830 qui fait loi. Le décret de 1812
attribuait au comité des pouvoirs qu'il
n'a plus depuis le décret de IH.'jO. La
prospérité matérielle de la maison date
de là. Un chef vaut mieux que douze.
Le litre de directeur a été attribué
pour la première fois en 1833. Aupara-
vant, le théâtre était placé sous la sur-
veillance de la direction du surintendant
des spectacles, qui transmettait ses or-
dres aux comédiens par l'intermédiaire
d'un commissaire im[)érial ou royal art. 1
et 2 du décret de Moscou). Le titre d'ad-
ministrateur général a été conféré au di-
recteur en vertu de la loi du 27 avril,
11 mai 1830.
Voici, depuis 18.'}.'i, les noms des di-
recteurs et administrateurs généraux :
1833. .losselin de la Salle.
1837. Vedel.
IS^O. Buloz.
Isfï2. Arsène Houssaye.
1856. Empis
1860. Edouard Thierry.
1871. Emile Perrin.
1885. Jules Clarelie.
L'administrateur délègue hebdoma-
dairement ses pouvoirs au semainier. II
départage les voix dans les comités d'ad-
ministration ou de lecture. Il fait voter
le budget par l'assemblée générale et
écrit au ministre un rapport qui est
l'historique de l'année et qu'on devrait
bien pouvoir publier.
Le sociétaire est élu pour dix ans par
le comité, sur la proposition de l'admi-
nistrateur général. Le ministre a le droit
de ratifier ou non. Au bout de dix ans
il faut être réélu. .Après vingt ans on
peut prendre la retraite en renonçant au
théâtre. On a 5,000 francs de pension
après vingt ans, 100 francs de plus par
an après ces vingt ans.
Les sociétaires ne peuvent pas être
nommés à moins de 3; 12 de parts, et ont
pour maximum 12 12, soit 12,000 francs
d'ajipointements fixes, plus le partage de
fin d'année distribué au prorata des
parts ou fractions de parts.
LA GOMKniE FRANÇAISE
La valeur des parts annuelles qui re-
viennent à chaque sociétaire est tout à
fait variable et aléatoire. Cela dépend
des années. Avec "2 millions de frais an-
nuels, il faut travailler pour assurer un
partage convenable. Autrefois, de 18i('>
à 185i, du temps d'Arsène Iloussaye, il
n'y avait pas de parts, bien qu'il y eût
moins de sociétaires qu'aujourd'hui.
En 1850, les Contes de la reine de Na-
rarre et le Joueur de jlùle assurèrent
'2,400 francs de partage. Ce fut du dé-
lire. Fuis, de 18.J1 à 18.'j4, rien. En 185."),
qui fut l'année de l'Exposition, on eut
5,0011 francs. En 1856, rien. On com-
mença à avoir des partages en 1857,
sous Ed. Thierry. Puis sous Perrin, la
prospérité s'affirme. Il y avait, au temps
de Perrin, 150,1)00 francs de frais iné-
vitables pensions, éclairage, etc.) de
moins qu'aujourd'hui. Le dernier par-
tage, en 1806, a été de 24,0(10 francs.
Les parts suivent la fluctuation des
receltes.
La Comédie, dans sa progression as-
cendante qui est le meilleur éloge de In
direction actuelle, encaisse aujourd'hui
en un mois autant qu'en 1847 en un an!
.Mais les frais, les obligations sacrées,
pensions de retraite aux sociétaires et
employés ont subi les mêmes proportions.
En 1846, on faisait par an 525,591 fr. 25
(le receltes. On a fait, l'an dernier,
2,200,000 francs. Sans la subvention, ce
serait seulement un peu plus que les
frais.
Lesdroilsd'auteurs sontde 15 pour 100.
La Comédie française est It; théâtre ([ui
donne le plus de droits aux auteurs.
Le répertoire classique en est exempté.
L'assistance publique prentl 10 pour 100.
L'administrateur général reçoit, avec
un rapport du semainier, le bulletin
quotidien d'avertissement tous les ma-
tins, et le bordereau tous les soirs.
Voici un spécimen de bordereau :
Ir. .-.
2 mars 1X97 Itcccllc : S.GSl fis
.\ dculiiirc ;
Assistance piiblitiutî - . "92 2fJ
Auteurs :
Le Dépit amoureu.i . . . .
L'Élis de la Sainl-Martin.
Le Député de Bomhir/nac.
Total à cléduii
Reste à 6.937
2 mars 1S97
Location,
Bureaux .
8.656 50
38 35
Total 8.694 S6
Récapitulation. , . .
Abonnement compris
29 . 8 1 s .,
■-•I.S'Jl 66
L'administrateur général actuel,
M. Jules Claretie, n'a pas de secrétaire;
qu'on juge de la somme de travail qu'il
fournit! Il écrit vingt-cinq lettres par
jour : il faut une certaine dose de résis-
tance pour soutenir pareille occupation
au milieu de tant d'autres. C'est un cas
peu banal d'endurance et de facilité.
M. Guilloire est contrôleur général et
en mémo temps secrétaire général du
théâtre. C'est lui que regarde la tâche
de répartition des billets d'auteurs, des
services de premières représentations.
.Ancien officier d'administration au
Mexique et à Metz, il est décoré et jouit
de l'eslime de tous.
Jamaux est régisseur général. Ccf[
lui <]ui écrit les convocations, les bulle-
tins d'avertissement. .Ancien comédien,
il est un auxiliaire iiilelligeni, aimable
et dévoué.
Le dessinateur de costumes est Bian-
cliini; mais l'adminislralcur général
consulte d'autres artistes, Olivier Merson
pour (Irisclidis, par exemple, ou
J.-P. Laurens pour Frédécionde.
Le chef costumier est Clialain. un des
costumiers des plus instniits qui soient.
Les décorateurs varient : Kubé, Cha-
jieron. Jambon, Carpezal. I.enieunier a
travaillé une l'ois au lliéâlre pour Ther-
midor.
LA COMKOIK l'IîANCAISl-:
Le décorateur nUilré, el excellent, est
Devred. Les ma;,Msins des décors sont
boulevard Hineau.
Ce système d'organisation de la mai-
son de Molière est bien typique; c'est
une application du socialisme, et l'in-
venteur n'est pas Jaurès, c'est Molière,
en plein siècle de Louis XIV. J. Claretie
a mis ce l'ait en lumière el reporté cet
honneur sur Molière :
— Il leur montrait, dans celle société
aristocratique du temps de Louis XI\',
la valeur du groupement, la force de
l'association. Il faisait du socialisme, à
l'heure où l' l'état était personnifié dans
lui seul homme, le Roi. J'ai déjà eu
l'occasion de dire, — et je répéterai
volontiers, — que ce fameux décret de
Moscou dont on parle tant sans l'avoir
toujours étudié et qu'a d'ailleurs singu-
lièrement complété le décret présiden-
tiel de 1850, qui est devenu la charte de
la Comédie ou qui l'a à la fois amendée
et complétée, le décret de Moscou, pré-
paré à Paris par d'éminents juriscon-
sultes et envoyé par eux tout rédigé en
Russie, ce décret n'est que la codifica-
tion de l'acte de germinal passé devant
notaire entre les comédiens français, et
cet actj n'était qu'une sorte de codifica-
tion des us et coutumes, des droits el
devoirs des premiers collaborateurs de
la Maison de Molière.
« Le véritable inspirateur des décrets
qui font la force de la Comédie fran-
çaise, on ne saurait trop le répéter, c'est
Molière. Nous vivons matériellement de
son esprit comme nous vivons intellec-
tuellement de son tcuvre...
« C'est une maison de commerce qu'un
grand théâtre, fût-il le premier el le
plus artistique de tous. « On ne fait de
<i l'art cju'avec de l'argent », dit Henry
Irving. El combien de fois Dumas fils
m'a-l-il répété : " Mon cher ami, vous
« êtes un temple, oui ; mais vous êtes
« aussi une usine ! »
L'usine fonctionne bien malgré les
gros nuages de fumée que soufflent par-
fois les noirs tuyaux de l'envie ou les
caprices des incidents. La Comédie
française a le sort de l'art dramatique,
en général, on crie à sa décadence, à sa
fin. .\h 1 si vous aviez vu Samson, cl
Prévost el (îelFroyl Ah 1 quand il y
avait Got, Sarah Bernhardl, (^orpjclin
aîné ! La réponse est dans le bon livre de
Soubies que je vous signalais plus haut.
Qu'on lise un fort curieux ouvrage
écrit en llSii par un homme (jui con-
naissait à fond la Comédie française, on
V trouve cette interjection désolée :
« Le Ïhéàtre-Français a-l-il jamais été
aussi pauvre en talents? » Or on y ren-
contrait alors Kirmin, Samson, Ligier,
Beauvallel, ("lelfroy, Régnier, Provost,
Brindeau, M""" Desmousseaux, Mante,
Anaïs, Plessy, Noblet, Rachel, Augus-
tine Brohan. Excusez du peu! selon la
facétieuse locution de Rossini. Evidem-
ment M. Eugène Laugier, l'auteur du
travail en question, était exigeant à
l'excès; prenons garde à notre tour
d'être trop difficiles.
La Comédie française est en bonne
santé. Si on y suit le mouvement et la vie
de l'époque, le beau a toujours son culte
et ses fidèles; les petites querelles
n'ébranlent pas cette vieille et solide
institution qui, si elle offre quelque
chose d'étonnant, le fait par sa longé-
vité vaillante et active. C'est l'elfet de
la bonne discipline, de l'esprit qui anime
ce corps, de la cohésion qui unit ces
éléments, c'est comme une petite patrie
pour ses enfants; et ce n'est pas un
mince honneur que l'on puisse aujour-
d'hui écrire encore ce que disait Cha-
puzeau à la gloire des comédiens leurs
ancêtres, il y a trois cents ans :
" Ces distinctions et de niérile et
d'emplois el de profits n'empêchent pas
qu'ils ne s'entretiennent dans la con-
corde, et, s'il nait quelquefois entre eux
des jalousies, l'intérêt public ne veut
pas qu'elles éclatent; ils ont la discré-
tion de les cacher, et les désintéressés
prennent soin d'accommoder les petits
différends de quelques particuliers, qui
ne pourraient croître sans que le corps
en souffi-ît. "
Li';o Ci. ARBtiE.
STATIONS D'KTK
DKS PYRÉNÉES
Les stations d'été des Pyrénées sont
toutes si tuées au centre même de la chaîne,
au pied des monla^'nes les plus élevées.
Les unes sont surtout des stations médi-
cales; les autres, tout en possédant des
établissements thermaux , ])euvent être
regardées aujourd'hui comm<^ des sta-
tions de repos, des centres de courses de
monta^'iies.
De celles-ci Luchon est sans contredit
l.i plus renommée: elle reçoit charpie
année le plus grand nombre de touristes
et de baigneurs.
I5âtie au conlluent de deux vallées, à
l'altitude do Crli) mètres, elle est desser-
vie aujourd'hui par une \oie ferrée qui
se détache à Montréjeau de la ligne [)rin-
cipalc : Toulouse, Hayonne: une allée
de tilleuls ( 1 ,.'{(i()'"j plantés par l'intendant
général des états du Languedoc, baron
d'Kligny, la traverse dans toute sa lon-
gueur et aboutit à l'élablissenient ther-
mal ; dans le fond, les cimes neigeuses du
l'(irt-(lc-\'éiiasfpie forment l'horizon.
Les Luchonnais sont justement tiers
de leur allée d'hJlignv, mais leurs ancê-
tres appréciaient peu cette innovation,
et l'opposition à tout embellissement
était telle, qu'un dragon montait la
garde au pied de chaque arbre pour em-
pêcher les montagnards défiants d'arra-
cher cette allée qui leur déplaisait tant.
Les meilleurs hôtels sont échelonnés
le long de l'avenue; et chacun d'eux
s'elforce de réunir le confori le plus
complet.
An milieu du parc des Quinconces, se
dresse rétablissement thermal à la colon-
nade de marbre blanc.
I>'un autre eùlé, sur les bords de la
Pi(|ue, et juste eu face de cet admirable
décor d'opéra, le Port-de-^'énas(|ue. a
été bâti le Casino; un des jilns Inill.nits
de tous ceux que comptent anjourd luii
les stations balnéaires.
Les eaux thermales de Luchon ont
étéconnuesel utilisées parles Komains.
Strabon les dési';nait sous le nom de
STATIONS Dl^riK DES PYRÉNÉES
Therm.f Oiiesin- pre.sl;inlissini;i\ et les
nombreux aulels volifs que l'on a dé-
couverls autour des sources prouvent
conibioii était grande leur réputation.
(Juolques-uns de ces monuments sont
conservés dans les thermes actuels, les
autres figurent au musée de Toulouse.
Lors de l'invasion des barbares, les
thermes de Luchon furent saccagés, et
LrcHON. — Les Quinconces.
l'emplacement des thermes onésiens de-
vint un marécage.
Pendant toute la durée du moyen âge,
Luchon et ses sources furent à peu près
inconnus, lorsqu'en 17,'tl un grand sei-
gneur, ayant entendu parler des guéri-
sons obtenues par les eaux chaudes de
la grotte de Luchon, se hasarda à venir
s'y baigner et s'en revint complètement
guéri. Il parla de ce fait à l'intendant de
la province, d'Etigny, et celui-ci vint à
Luchon, emmenant avec lui deux chi-
mistes, Boyer et Richard, pour leur
faire analvser les eaux chaudes.
11 fit percer des routes, planter l'allée
dont nous avons parlé, et projeta la
construction d'un établissement ther-
mal; mais celui-ci ne fut édifié qu'en
1818; et en 1848 la municipalité fit com-
mencer les thermes actuels.
Parmi les stations thermales des Pyré-
nées, il n'en est pas de plus importante
que celle de Luchon. Ici, on ell'et, on
rencontre les sources les plus sulfureuses
de la chaîne; on y trouve, en outre, des
sources moins riches en principesactifs,
et qu'on peut classer parmi les sources
de force moyenne, et des sources faible-
ment minéralisées; on y rencontre enfin
des eaux qui ont
la propriété de
subir une décom-
])osilion telle
qu'une partie du
soufre qu'elles
renfermaient pri-
mitivement à l'é-
tal de sulfure de
sodium, devenant
libre, se trouve
suspendu dans
l'eau minérale et
lui donne l'aspect
d'une émulsion.
Les bains d'eau
blanche, qui ont
l'apparence d'un
bain de lait, sont
fort recherchés
par les malades.
Les sources
sulfureuses de Luchon sont au nombre
de trente-huit et constituent par leur
réunion la série d'eaux sulfureuses la
plus belle et la plus complète qui soit
connue. Le débit de l'ensemble s'élève
à 416,000 litres par vingt-quatre heures
(Filhol). D'après le docteur Garrigou,
les eaux de Luchon seraient uniques en
Europe pour l'application des vapeurs
aux inhalations.
L'installation de l'établissement ther-
mal, remarquable pour l'époque où elle
a été faite, a déjà subi de notables amé-
liorations; et grâce à l'initiative intelli-
gente du maire, M. Bonnemaison, il sera
bientôt au premier rang pour les aména-
gements intérieurs, comme il l'est déjà
pour le nombre et les qualités de ses
sources.
Les courses aux environs de Luchon
STATIONS D'ÉTÉ DKS PYRÉNÉES
-4^ -i
orme le
sont iionibrciises c>l IrOs largemcnl l'aci-
lilées par rorj^anisalion Irès complète de
la société des f;:uides. De iiombreusos
voitures à deux cl à quatre chevaux
emportent tous les jours des touristes à
la vallée du Lys, à l'iiospico de Vénasquc,
nu lac d'Oo, dans la vallée d'.Aran; tan-
dis qu'un véritable régiment d'excellentes
montures fait gravir les sommets acces-
sibles aux chevaux. Les écuries de lîour-
detle, d'I'/Slrujo, de Sanson, etc., sont
renommées e( comptent à la fois des
clicv.nix de monlagne au pied sûr et
des chevaux de
promenade de pre-
mier ordre.
(Juanl aux cour-
ses, qui sont in-
nombrables, dit
M. Russel, il y en
a pour tous les
g o ù 1 s et pour
toutes les forces;
nous ne citerons
que les principales.
Lue route ther-
male soigneuse-
ment entretenue
permet aux voi-
tures de parcourir
toute la haute
vallée du Lys et
conduit au pied
mèmedel immense
falaise rocheuse qui
Clique tel minai, et d'où s'é-
L happe le louent l'-su des glaciers supé-
I leurs
Chemin faisant, on rencontre, presque
à la sortie de Luchon, une antique tour à
signaux : la tour de Castel-Vieil, élevée
sur un mamelon isolé et qui commande
à la fois la vallée principale et le vallon
latéral de Burbe, qui permet d'atteindre
rapidement la frontière espagnole ; des
tours semblables s'éfagenl sur les lianes
de la vallée jusqu'à son débouché dans
le bassin de la Garonne à Saint-Béat.
Ces tours sans caractère, dont il est
difficile d'apprécier l'ancienneté, ser-
vaient de postes à signaux et permet-
taient de prévenir les contrées voisines
de l'arrivée de l'ennemi, venant d'l"]s-
pagne; d'après la légende, elles dateraient
des invasions sarrasines.
La roule C('il(iyaiil le lorronl s'élève
|)eu à peu el atteint la cote de 1,(M)0 mè-
tres aux cabanes du Lys. Le paysage
change également, la vallée s'élargit el,
après le goullre de Bouneou, le lourislo
se trouve tout d'un couj) en face du
cirque du Lys : vaste amphithéâtre de
montagnes, aux llancscouverlsde forêts,
aux sommets étincelants de glace et de
STATKINS DKTIC l>i;S 1' V II KN K KS
Ifi^^.--
LA TODR DE CASTEL- VIEIL
" , >■■ jT"'
'■^^ "piye, que dominent
les pics de Maupas,
Crabrioules, Quairat,
tous dépassant 3,000 mètres d'altitude.
Au milieu du cirque, une brèche im-
mense du rocher donne passage au tor-
rent supérieur et forme les admirables
cascades d'Enfer. L'n sentier de mulet
permet d'atteindre le pied des glaciers;
au delà, l'abri de Prat-Long, bâti par le
Club Alpin, donne aux alpinistes toutes
les facilités pour gra-
vir les sommets de la
crête frontière. Du
haut de cet observa-
toire, la vue s'étend
au loin, au nord, sur
les montagnes de Lu-
chon et la plaine de la
Garonne ; au sud, sur
la vallée de lEsserra
et les massifs du Né-
thou et de Poset.
Mais si la course de
la vallée du Lys est
charmante, facile pour
tout le monde, celle
du Port-de-\'énasqLie
est encore plus belle,
étant plus longue et
plus difficile. La route
carrossable, s'arrête
au dixième kilomètre
à l'hospice de Luchon
I,3(>0™j, en face du-
quel s'ouvre le Port-
de X'éiiasque, longuecou-
pure de la montagne qui
ne devient libre de neige
que vers le mois de
juillet. Cette partie de
la course peut se faire à
cheval, grâce à l'excel-
lent sentier muletier qui
atteint la frontière à
•J,-il7 mètres.
Le port est une étroite
brèche s'ouvrant entre
les deux montagnes de
Sauvegarde et de la Glère,
montagnes schisteuses
faciles à gravir, et d'où l'on a une vue
superbe. Une série de petits lacs s'ouvre
sur le versant français, au pied même
de la brèche, et vient heureusement
rompre la monotonie des pentes arides
de la montée.
Arrivé au sommet, l'on se trouve tout
d'un coup en face du massif entier de la
Maladetta ; spectacle grandiose, d'un effet
saisissant, et que rien ne faisait prévoir
avant ce véritable lever de rideau.
STATIONS D'ÉTÉ DKS l'Y li KNÉKS
Xous citerons encore noire colléj^ue
en alpinisme, M. Russell, car personne
mieux que lui n'a compris les Pyrénées;
personne n'a parlé d'elles avec autant
d'enthousiasme véritable, u Groupe le
plus imposant, le plus grandiose, le plus
alpestre des Pyrénées. C'est une sauvage
immensité de granits, de lacs et de gla-
ciers qu'un mois sul'lirail à peine pour
l'explorer. »
Au port, l'Espagnol Cabilkid a in-
stallé une cabane où l'on peut coucher
à la rigueur; et nul
point dans les Pyré-
nées ne serait mieux
choisi pour établir
une station d'alti-
tude. Les levers et
les couchers de so-
leil sont admirables,
et je n'oublierai ja-
mais les soirées dé-
licieuses que j'ai
passées là en com-
pagnie de quelques
amis, amoureux de
la montagne comme
moi et insoucieux
du peu de confort
de l'abri de Cabillud.
L'ascension du
Néthou (3,404 '"j de-
mande deux jours, car il faut aller cou-
cher au pied des glaciers, sous le rocher
de la Renciuse. Les glaciers de la Mala-
detta ne sont pas aussi faciles que sem-
blent l'indiquer tout d'abord leurs
pentes uniformes, et ils imposent aux
touristes d'user des j)récautions usitées
en pareil cas : la corde ne peut être mise
de côté. C'est pour avoir négligé de s'at-
tacher, que le guide Barrau a trouvé la
mort dans la crevasse supérieure de la
Maladetta.
Une étroite crête de granits sépare en
deux portions h peu |)rès égales le grand
glacier tpii couvre la face noril du massif
des monts Maudits ; h' plus étendu, celui
du Néthdu, ("-1 nidins iiicliin' (|ue son
voisin, el r l'st lui cpi il faiil traverser
pdur alleiniire Ir soinnirt t'iiliniiiant de
la chaîne : le Xéthou. Sommet défendu
par un passage difficile, le Pont-de-
Mahomet, étroite crête, composée de
blocs désagrégés par la foudre, parfois
placés en équilibre inquiétant, et sur-
plombant, de droite et de gauche, des
murailles absolument verticales.
El cependant le Xélhou a été souxent
gravi par des dames; il est vrai que nos
guides luchonnais sont adroits et ro-
bustes et conservent toujours celle
gaieté méridionale qui cache le danger
LA >r A L A D E T T A
et le fait oublier. Les glaciers de la Ma-
ladetta peuvent être regardés comme le
type parfait des glaciers pyrénéens; ils
sont formes de grandes masses de glace
accrochées aux lianes de la montagne
et ne descendent pas dans la valK'e
comme ceux des .Mpes.
lue région tout autre est ci'lle du
Port-d'Oo; région moins gracieuse ipic
celle du Lys, moins grandiose (pie celK'
des monts Maudits, mais remanpiable
par ses lacs et par les glaciers qui la do
minent, l'ne roule carrossable conduil
jusqu'au pied delà montagneà .\slos, cl
là un sentier de mnlel arrivi> jnsrpi'au
lac d'Oo, qui mesure id hectares de
superficie cl dont les eaux alleignent
7(1 mètn-sde pidlondeiii-. l'ne li('ilellerie
modeste a élé établie en ce point i 1 ,,")(l()"'
STATIONS IVKTK DIîS l' Y R KN lUÎS
par la commuiio d'Oo, et comme le lac
i'oiirmillc de (miles excellentes, l'on
\ieiil surlout déjeuner au lac.
Au-dessus de lui, trois autres lacs
remplissent les creux de la nionta^^ne cl
se déversent les uns dans les autres en
cascades bouillonnantes. Tout en haut
une ceinture de glaciers emmaf,'asino les
neiges de l'hiver et défend le Porl-d'Oo;
dépression creusée à la base du pic du
rORT-D oo
Port el qui constitue le passage le plus
élevé de toute la chaîne {3,001™) : aussi
est-il peu fréquenté, même parles Espa-
gnols que les difficultés n'effrayent pas
cependant.
Luchon est souvent le point de départ
d'une course de plusieurs jours et qui
permet de voir assez rapidement les
points importants de la chaîne centrale.
L'on peut, en elfet, aller en voiture de
Luchon à Bigorre par le col d'Aspin; de
Bigorre à Barèges par le pic du Midi ;
de Barèges à Gavarnie, puis redescendre
sur Saint-Sauveur, remonter à Caute-
rets, passer à .\rgelez pour atteindre les
Eaux^Bonnes et rentrer à Pau. C'est là
une excursion de toute beauté, que les
calèches de Luchon font aisément, grâce
à leurs excellents chevaux.
Bagnères-de-Bigorre n'est point une
station de haute montagne comme Lu-
chon, mais elle a cependant ses avan-
tages; le pays est charmant, ses eaux
excellentes par leurs propriétés séda-
tives, enfin elle est au pied du pic du
Midi, et c'est de là (jue partent les tou-
ristes qui veulent visiter l'IJbservatoire.
Cet établissement,
admirablement ins-
tallé au sommet de la
montagne f2,887"'), se
compose de bâtiments
parfaitement aména-
gés, et dans lesquels
peuvent résider toute
l'année les observa-
teurs chargés d'enre-
gistrer les oscillations
du baromètre, du
thermomètre, etc.
ALilgré toutes les pré-
cautions prises, ils ne
sont pas cependant à
l'abri de tout danger,
et la foudre est leur
principalennemi. Plu-
sieurs fois déjà elle a
causé des accidents,
sans avoir amené
cependant mort
d'homme.
Les rochers foudroyés que l'on ren-
contre tout autour de l'Observatoire ont
conservé les traces du passage de l'étin-
celle électrique : leur surface est fondue
et forme un enduit vitreux que les mi-
néralogistes connaissent sous le nom de
fulgurite.
L'observatoire du pic du Midi est dû
à l'initiative du général de Nansouty.
Celui-ci, retiré du service militaire,
était venu se fixer à Bagnères-de-Bi-
gorre, et il fut bientôt mis à la tête
d'un comité formé pour la création
d'un Observatoire au sommet du pic.
C'est là que nous l'avons trouvé maintes
fois, lui , l'homme excellent, le soldat
courageux que tous ceux qui l'ont
_^V-.^*^
STATIONS D'ÉTÉ DES PYIÎENICKS
,X ■^'
connu aiment et
admirent. Puis, sa-
vamment aidé par
l'ingénieur Vaus-
senat il conduisit à
bien celte iru vre
capitale, et il ne
redescendit dans la
plaine que lorsque,
tout étant fait, il put
en faire don à l'Etat.
M. ^'aussenal reçut
alors le titre de di-
recteur de F Observa
loire et continua à
perfectionner l'ceu-
vre commune. Mais
la mort impitoyable
est venue l'enlever pi
presque subitement
en I89"2 et le général
a également succombé l'année dernière.
, Au pied du cône terminal du pic, et
au bord du lac d'Oncet, a été bâtie une
hôtellerie dans laquelle viennent cou-
cher les touristes qui vont voir le lever
du soleil au sommet du pic. Un sentier
part de ce point et va rejoindre la route
de voiture qui vient de Bigorre et par
le col du Tourmalet rejoint la station
célèbre de Barèges.
1 1 u K 11 r !• I (• I) r M 1 m
M I D 1 , \' u
Les eaux sulfureuses de Barèges sont
connues depuis des siècles, mais elles
n'étaient guère utilisées que par les ha-
bitants du pays, halles ne devinrent
célèbres que sous Louis XI\', lorsque
.M""' de Maintenony eut conduit le jeune
duc du ALiine.
Les eaux de cette station , mieux que
toutes autres, facilitent l'élimination des
corps étrangers; esquilles osseuses, pro-
jectiles, etc. Bien
des guérisons de ce
genre tiennent vrai-
ment du prodige;
aussi sont-elles d'une
el'licacilé merveil-
leuse dans le trai-
tement des blessures
anciennes, et l'ad-
ministralion de la
guerre \' a-l-ii in-
>lalié un iiiipilal mi-
litaire.
Barèges était sou-
vent dé\ asle par les
avalanches que les
montagnes voisines
lançai e u t chaque
année à l'époque de
la foute des neiges.
STATIONS 1) KTK DES P Y fl HNÉIvS
Mais ;uiioiir<rhui, j;ri'ic-L' iiux rdjoisc-
nicnls cll'cctui's par l'atlniinislration des
l'orôts, le (lang^er est entièrement conjuré.
De liarcges la route descend rapide-
ment et atteint bientôt la vallée ver-
doyante de Luz : point où converf,'enl
toutes les vallées de la région et qui a
été occupé de tout temps.
L"éy;lise de Luz est un exemple com-
])let de ce Ij'pe, disparu aujourd'hui,
des églises fortiliées du xii'' siècle. Son
chevet est défendu par deux tours car-
rées; Tune d'elles est percée de meur-
trières et couronnée de créneaux. Une
enceinte de remparts enclôt à la fois
l'église et le cimetière et protégeait
morts et vivants contre les entreprises
des huguenots.
De Luz la route s'engage dans la pro-
fonde vallée du Gave, passant devant
le pont Napoléon, qui relie Saint-Sau-
veur à Luz : œuvre audacieuse au pos-
sible et du plus bel elTet.
Ce pont d'une seule arche mesure
45 mètres d'ouverture, et la clef de
voûte est à G5 mètres au-dessus du
torrent.
Plus loin la route passe sur le vieux
pont ruiné de Scia, que vient de rempla-
cer le plus solide, mais bien moins |jitlo-
resque pont de pierre des ponts et
chaussées, et arrive à Gèdres. Là appa-
raissent tout à coup les sommets de Ga-
varnie, en partie cachés par les énormes
blocs du chaos, montagne ellondréo
qui a barré la vallée.
(îavarnie n'a été pendant longtemps
qu'un pauvre village à peine fréquenté
par les rares contrebandiers qui pas-
saient en Espagne par le port. Autre-
fois un couvent
de Templiers ser-
vait de refuge
aux voyageurs, et
sa vieille église,
aujourd'hui dé-
miilie, rappelait
il y a quelques
années encore
cette époque loin-
taine.
l.e circjue de
Gavarnie, un des
sites les plus
grandioses des
Pyrénées, forme
un demi-cercle de
j)lus de 4 kilo-
mètres de tour,
et ses murailles
verticales s'élè-
vent à plus de
"2,000 mètres au-dessus du point où naît
le torrent.
Aussi cette localité est-elle aujourd'hui
des plus fréquentées. Un hôtel très con-
fortable permet un séjour prolongé, des
guides plus excellents les uns que les
autres rendent faciles les nombreuses
courses de sommets dont (iavarnie est
le point de départ.
La grande cascade du cirque, la
plus belle de toutes les Pyrénées, se pré-
cipite de 422 mètres de haut.
La muraille de Gavarnie est coupée
de point en point par des corniches
toujours fort dangereuses à parcourir
à cause des pierres qui descendent des
sommets; aussi, pour faire l'ascension
de la brèche de Rolland, fait-on un dé-
STATIONS DKTK l)i:S P Y 1! KX ÉES
(our par les Sarradels, sorte d'épaulc-
ment qui se trouve à la gauche du
cirque.
La brèche de Rolland est um^ étroite
ouverture qui semble faite par un coup
de sabre : sabre fameux, la Durandai,
qui a ouvert un passage au célèbre
paladin.
En bien des points des Pyrénées nous
retrouvons vi- nom fameux, de Rolland :
c'est à lui que les montagnards attri-
buent les phé-
nomènes natu-
rels étranges
qu ils ne peu-
vent expliquer.
Le palet de
Rolland dans le
Roussillon n'est
qu'un bloc erra
tique : mais ce
n'est la, ;iu\
yeux du \ul-
gaire, qu'une
idée de savant :
la vraie, la vé-
ritable histoire,
c'est que Rol-
land jouait au
palet avec un
bloc de plu-
.' i' I
sieurs mètres
cubes I
Son épée lui ouxrail un passage aussi
jjien dans les rangs des ennemis (]uc
<lans les rochers de la montagne. I']l
comment ne pas croire à tout ceci'.' Son
palet existe encore, et son épée est tou-
jours apjiendue dans le sanctuaire de
liocamadour.
A coté de la brèche, non loin du pic
du Talion, les glaciérisles \onl admirer
les aiguilles do glace du (ialiiélnu : point
inLéressanI pour le savani, car il permet
de voir en action l'elVcl picKluit par le
mouvement des glaces, les roches sous-
jacenlcs sont arrondies, polieset portent
de lines stries [irofliiiles par les grains
de sable, de profondes cannelures, ap-
pelées coups de gouge, creusées par les
cailloux, l'inlin l'es mêmes cailloux sor-
tent de dessous la glace couverts de
fines rayures à directions irrégulières.
C'est la nature prise sur le fait, et je
doute qu'il y ait un autre point aussi in-
téressant que celui-là.
C'est de (lavarnie que l'on fait ordi-
nairement l'ascension du ^'ignemale et
que l'on va rendre \isite à l'hôte aima-
ble de la montagne, au propriétaire de
^'ignemale, ^L Russell. Presque au som-
met ont été creusées une série de grottes
li (J n E DE U .4 V A II N 1 K
et tous les ans ^L Husscll \a passer
quelques jours dans sa villa aérienne ;
ce montagnard, éjiris de la montagne,
trouvant à tort que les années venaient
rapidement, a pensé qu'avant d'aban-
donner définilivement ces courses qui
avaient été la [lassion de toute sa vie, a
voulu faire un dernier sacrifice à la mon-
tagne et aller -e recueillir de temps en
temps le plus près possible d'un de ces
sommets ipill a\ail tant aim(''s.
Comme le .Ni'lhou à I.ucIkjii. h' mont
Perdu à (ia\arnie est le grand sommet
f|ui domine tout par son altitude et par
sa vieille répuliilion, due aux ('-erils de
Ramond, mais .iiissi moulagne diflicile
à gravir el périlleuse à aborder, .\ujour-
d'Iiui la pln~ i;raiide partie (h' ces en-
STATIONS I) i;tk dks pyrknkes
UN c H E V i; I E R
traves, contre lesquelles venait se buter
l'alpiniste, a été supprimée grâce à l'abri
et au sentier do Tuqueroux e que le Club
Alpin a fait établir.
Admirable casemate, bâtie à '2,866 mè-
tres par la section de Bordeaux, avec
le concours des guides de Gavarnie; et
sans l'énerfrie de M. Lourdes-Roche-
STATIONS D'ÉTÉ DES PVRÉXKES
blanc, secrélaire de la section, jamais
ce (ravail difficile ne serait arrivé à bien.
De ce point, la vue que l'on découvre
sur le mont Perdu est dune beauté sans
égale, et rien ne pourrait en donner une
meilleure idée que la relation enthou-
siaste de la première ascension de Ra-
mond. Nous la transcrirons sans y rien
changer.
(I La brèche, qui nous avait été long-
Perdu ! se disait-on l'un à l'autre, et ce-
pendant personne ne le démêlait encore
dans le chaos de rochers, déneiges et de
vapeurs. C'est le Dieu dont la présence
est sentie plutôt qu'aperçue, et qui se
manifeste dans tout ce qui l'environne
avant de se révéler lui-même.
" Et ce n'était pas sans raison qu'on
voyait partout le mont Perdu ; tout ici
lui appartient, tout en fait partie; même
Ca u t eu et. s. - - L.i il.
temps cachée par la saillie du glaciei-,
reparait sous de gigantesques propor-
tions, et déjà l'on sent le vent froid qui
débouche par sa large ouverture. On se
hâte, on s'élance, on atteint hors d'ha-
leine le liul désii-é... In cri de joie an-
nonce le changement de scène : un
morne silence lui succède à ras[)ect d'un
nouveau monde, des profondeurs qui
nous en séparent, des glaciers qui le
ceignent et du nuage qui le couvre;
spectacle alFreux et sublime dont toutes
nos facultés sont accablées! L'n instant
indivisible l'avait dévelo[)pé dans toute
sa majesté, et plusieurs instants ne suf-
tisaienl pas pour lui coordonner nos
sens. Voilà le mmil Perdu ! voilà le mont
la crête où nous étions parvenus et qui
n'est séparée de la cime principale (|ue
par raffaissement nu l'énisinu d'une
partie de ces lianes, (lelli'cinic cl.iil de-
vant nous, un peu à ganelie, blanche,
mais omliive de gris, et fuyant dans le
sein d'une brume épaisse qui cireidait
lentement autour d'elli'. .\ ilriute se dé-
tachail le cylindre, plus snrnlire ipu' le
nuage, [)lus menaçant que le mont Perdu
lui-même, dressé sur son éiu)nue pié-
destal an niveau duquel nous élicuis
placés, et si près de nous ([n'd semblait
le toucher de la main, l'ai viiin je l'avais
vu cent fois de loin, son apparilu)n n'en
était (pu- |)lus fautaslitpu'. Toujours in-
visible pour moi (le tontes l«>s stations
STATIONS DKTK DKS 1> V It KN KKS
CaI'teuets. — Pont d'Espagne,
intermédiaires, il élail devenu subite-
ment un colosse qu'agrandissait encore
à mes yeux le souvenir de sa première
apparence. Cette figure de tour tronquée
qui rappelle des dimensions connues,
contrastant avec des proportions aux-
•quelles rien n'est comparable, sa situa-
tion, sa couleur, sa proximité, la vapeur
dont il était environné, tout concourait à
faire de cet énorme rocher l'objet le
plus extraordinaire du tableau. C'était
versluique les re-
gards étaient sans
cesse ramenés;
c'était lui que les
guides s'obsti-
naient à nommer
le mont Perdu.
<i Mais ce qui
était encore plus
imprévu, s'il se
peut, que ces
étranges aspects ;
ce qu'aucune vue
antérieuren'avail
préparé, ce qu'on
ne saurait consi-
dérer que du haut
de l'observatoire
où nous nous
étions portés.
c'est l'indescriptible
apparence du majes-
tueux support de ces
deux sommités, 'l'aillé
du même ciseau qui a
façonné les étages du
Marboré, il présente
une suite de gradins,
tantôt drapés de neige,
tantôt hérissés de
glaciers qui débordent
et se versent les uns
sur les autres en larges
et immobiles cascades,
jusques aux bords
d'un lac dont la sur-
face encore glacée,
mais déjà dégagée de
neiges, brillait d'un
éclat sombre qui re-
haussait l'éclatante blancheur de ses
rives. »
De Gavarnie il est facile, mais long,
de gagner Cauterels par la haute mon-
tagne; aussi le plus souvent descend-on
la vallée jusqu'à Pierrefitte pour re-
monter le col du Limaçon et arriver ainsi
en voiture jusqu'à la célèbre station.
Comme toutes ses congénères, les
sources sulfureuses de Cauterets vien-
nent au jour au fond d'une gorge assez
LES E A U X - B O X N E S
SÏATK)NS D'ÉTÉ DES l'YRÉNEES
110 II n A T
iuitres, d'où
■troilc
loulus parts par île liautcs
montagnes. Ces sources
naissent en des ])oints
assez éloignés les uns des
i nécessité de construire
des établissements distincts. Cet isole-
ment des divers groupes de sources est
une chose avantageuse, en ce sens fjue
chacun d'eux a pu être approjirié d'une
manière toute spéciale aux divers modes
balnéaires cpie la |)ratique a recoiuuis
VI. — 4.
les plus convenables.
La plus renommée
de ces sources est
celle de la Raillère,
au pied d'une mon-
tagne en ruine et qui
menaçait d'ensevelir
l'établissement et de
détruire ses eaux bien-
.••.. faisantes. Mais grâce
à l'habileté des ingé-
nieurs des forêts, le
!.. mal est aujourd'hui con-
juré : de solides barrages
ont été établis au milieu
des torrents de pierres, le
reboisement se fait et la
montagne sera bientôt dé-
finitivement fixée.
Ces eaux sont particu-
lièrement efficaces dans les
maladies de la gorge ;
aussi trouve-l-on réunis
là des avocats, des prédi-
cateurs, des artistes qui,
tous les matins, vont sa-
crifier aux nymphes de la
montagne, auraient dit les
poètes du siècle dernier,
et qui cherchent plus pro-
saïquement, dans un garga-
risme à la Uaillère, à recouvrer une
voix perdue.
Ue nombreuses courses peuvent cire
faites dans les montagnes de Caulerets;
l'une des plus faciles et des plus belles
conduit au pont d'Espagne et de là au
lac de Gaube, que domine la masse
imposante du X'ignemale.
La vallée d'.\rgelès, que l'on parcourt
dans la plus grande [)artic de son éten-
due en quittant Cauterets pour gagner
les Kaux-Honnes, est une des plus fcrlilcs
des Pyrénées. Le sol est d'une grande
richesse, grâce aux apports cpie les
anciens glaciers ont déposés en ce|)oiiit.
C'est là que les géologues peuvent le
mieux étudier ces traces anciennes de
l'immense lleuvc de glace, qui desccn-
ilail des hauteurs de Cavaruie et arrivait
au delà de Lourdes jusque dans la plaine
STATIONS DÉTl': DKS l'YnKN'KlOS
de Tarbes. De nombreux blocs erra-
tiques jalonucnl la roule des f,'laces el
restent là comme témoins irrécusables
de cette période lointaine.
A Argelès on abandonne les rives du
Gave i)our traverser le massif qui sépare
celle vallée de celle d'Ossau; une roule
excellente franchit le col de Tories à
1,799 mètres et descond rapidement sur
les Eaux-Bonnes. L/ village, situé au
fond d'une gorge piVjfonde, ne compte
qu'une rue accrochée aux lianes de la
montagne; à rextrémilé, la montagne
du Trésor donne naissance aux eaux
célèbres de Bonnes. Celles-ci étaient
connues autrefois sous le nom d'eaux
d'arqiiehusades, et elles étaient regar-
dées comme jouissant d'une efficacité
merveilleuse dans le traitement des bles-
sures ; aujourd'hui elles sont surtout em-
ployées dans les maladies de poitrine.
Les Eaux-Bonnes sont souvent le point
de départ de courses de hauts sommets,
et la première ascension de tout alpi-
niste qui arrive dans le pays est celle du
pic de Ger, qui domine toute la vallée.
La vue que l'on découvre du haut de cet
observatoire est de toute beauté, car le
pic de Ger se trouve en face d'une admi-
rable suite de hauts sommets.
Non loin des Eaux-Bonnes, nous avons
encore à visiter les Eaux-Chaudes, ainsi
nommées, probablement, parce qu'elles
sont presque froides : eaux pour les
dames. Aussi ne trouve-t-on dans les
hôtels que quelques maris compatissants,
égarés au milieu des baigneuses qui vien-
nent chercher la santé aux Eaux-Chaudes.
Comme leurs voisines les Eaux-Bonnes,
celles-ci eurent une véritable célébrité
sous les rois de Navarre : Henri IV y
mena la belle M"" de Fosseuse et vou-
lait exiger que sa sœur l'accompagnât;
mais elle refusa énergiquement et vint
seule quelques années plus tard, ce que
rapporte l'inscription suivante :
A DAME CATHERINE
DE FRANCE
SŒUR DU ROI TRÈS C U R É T I E N
HENRI IV
La gorge du Ilourat qui conduit aux
IOaux-(>haudes est une des plus étroites
des Pyrénées, aussi les ingénieurs ont-ils
dû tailler la route en plein roc vif.
Au delà de l'établissement thermal la
vallée remonte vers la haute chaîne, cl
à (jabas se fait l'ascension du pic du
Midi d'Ossau.
Celle curieuse pyramide de porphyre,
haute de 2,880 mètres, est isolée de
toutes paris; elle occupe le centre d'un
immense cirque de montagnes. Son
ascension était des plus ardues, mais
aujourd'hui elle est devenue facile de-
puis que l'on a scellé des barres de
fer dans la cheminée qui conduit au
sommet.
Les conditions d'isolement de celte
montagne m'ont permis de savoir à peu
près de combien les Pyrénées ont di-
minué de hauteur depuis le commen-
cement de la période géologique ac-
luelle.
D'après une observation de ^L de
Bouille, l'on sait que ce pic lance conti-
nuellement des débris de rocher : blocs
énormes quelquefois et qui roulent le
: long de ses pentes. Aujourd'hui tous ces
blocs d'éboulement, même les plus volu-
mineux, ne franchissent jamais une
limite déterminée. L'on trouve cepen-
dant des blocs de même origine, beau-
coup plus loin : il est donc permis de
supposer que lorsque ceux-ci se sont dé-
tachés du sommet, celui-ci avait une
force deprojection beaucoup plus grainde,
qu'il était plus élevé. Il est donc pos-
sible d'établir, d'après ces deux obser-
vations, une sorte de proportion : par
le calcul, nous trouverions qu'au lieu du
chiffre de 2,880 mètres que mesure au-
jourd'hui ce sommet, il faudrait lui
assigner plus de 6,000 mètres. J'ajou-
terai qu'une autre série d'observations,
difîérenîes, il est vrai, et qui ont trait
au remplissage de la vallée de la Ga-
ronne, me permet de dire que les Pyré-
nées devaient s'élever primitivement à
8,000 mètres environ.
Eugène Trutat.
LES SALONS DE 1897
CHAMPS-ELYSKES
LA P i: I N T U H I .
Je mêlais trop pressé, l'an dernier,
de sonner le glas de ce pauvre palais
des Champs-Elysées, condamné à la
mort sans phrases par l'esprit autori-
taire et mégalomane des ingénieurs.
Voilà que son agonie s'est prolongée
juste assez pour que nous ayons encore
une fois, à propos du Salon, l'occasion
de constater les inappréciables services
rendus par ce modeste et honnête ser-
viteur. Cette fois, la mort est proche ;
le destin sera accompli lorsque paraî-
tront ces lignes. La pioche des démo-
lisseurs n'attendait plus que le départ
des tableaux pour faire tomber en même
temps murailles et arbres. Dieu veuille
que les regrets ne soient pas trop cui-
sants et que les splendeurs promises ne
se montrent pas trop inférieures au
terre à terre des réalités disparues ! Les
palais bleus du Champ de Mars tombe-
ront en même temps. Hélas! trois fois
hélas I Les deuxSalons rivaux sont partis
conjointemeni eu ((uéle du local problé-
mati(|ue que (IdII leur (■i'('cr l'adminis-
tration. L'ère des diflicultés commence,
(îrand merci poui- l'adininistralion 1
l"]tail-ce suite de la crainle de man-
quer d'un gîte convenable pour celte
année, ou simplement un résultat de
contingences fortuites? Je ne sais, eu
vérité ; mais, ce qui est certain, c'est
qnr le Salon drs Cliainps-l'Ilysées était
faible, plus faible (piil n'a jamais été.
Le [jiiblic, même le moins Champ de
NLai's, a été MMaiilin<' sur ce poiul. Il
n'est pas jusqu'à la sculpture (pii ne se
soit montrée moins nourrie que de cou-
tume. Le syslème des compensai ions,
[jar Cdutic, a voulu, fort heureusemeni,
que l'exposition de l'avenue I{app se
présentât à nos regards sous les dehors
les plus aimables et les plus brillants.
Les Salons sont fermés. Avantage ou
désavantage, profitons-en pour envisa-
ger les choses de loin et, si possible,
avec l'impartialité du juge de camp qui,
après la bataille, enregistre les victoires
et les défaites. Toutefois, pour la com-
modité et la rapidité du style, et aussi
pour éviter de dangereux subjonctifs, je
conserverai la forme du présent et sup-
poserai que lesdits Salons sont encore
ouverts.
.lEAN - l'A n, I.AIIRKNS
Le [ircmier tableau (jui saisit l'atten-
tion du visiteur, autant par les caractères
de son dessin que par ses dimensions inso-
lites, c'est l'immense peinture décorative,
le L,iur;i(/u!ii.'!, destinée au Capitole de
Toulouse. Le ferme et austère talent di'
AL Jean -Paul Laurens s'y est afiirmé
avec une décision qui ne saurait laisser
place à l'indilTérence. L'dïuvre a été
vigoureusement discutée : c'est bon
signe; elle est digiu», en tout cas, d'in-
spirer le respect, .lai ciileiulu bien des
gens s'étoiuier do rencontrer dans une
composition murale ces grands espaces
vides (pie rien n'éveille, ces croupes
(le cliaiiine que nul accident u'iuler-
rom[)l, celle moiiolonio achromati(pi<'
qui éloigne volontairement l'esprit «le
toute vibration lumineuse. Je demande
cependant la permission d'exprimer net-
tement mes sympalhies pour une «euvic
(|iie je considère comme très forte, très
p.irlieiilière, <'l, dans sa nudité même,
très ornementale. Cligne/, des yeux,pla-
ci'z-vous au recul voulu, insistez au
besoin, et vous r("Coiinailrez avec moi
(pie le^ lignes de ce paysage oui une
I,KS SALONS DIO IJ'.n
fjrandeur exlrcme, que ces Ixeul's ac-
couplés, qui traînent la charrue, et dont
le dessin fruste vous a tout d'abord causé
quelque surprise, ont une qualité maî-
tresse, rare en tout temps, le style, que
ce parti pris d'inertie lumineuse, sans
aucun souci des ambiances que recher-
chent les harmonistes, n'est pas quan-
tité négligeable, que tout cela est
destiné à accentuer la puissance syn-
blant. On retrouverait des sensations
analogues dans les descri[)tions si naï-
vement exactes de M. Edouard Pouvil-
lon ; ce n'est pas, h mon avis, un mince
éloge.
HIJMII MAEITIN
Si vous aimez les antithèses, tournez-
vous vers l'autre paroi. \'oici l'étrange
iuture décorative, par M. J.-P. Laureu-.
fhétique des lignes, que la sauvagerie
du dessin et le dédain des vaines parures
conviennent enfin à merveille à une pein-
ture qui doit rester au mur et échapper
aux caprices de la mode. M. Laurens est
un Mérovingien, j'en conviens; son pay-
sage nous reporte à des temps barbares,
c'est entendu ; mais soyez sûr qu'en le
voyant ainsi, l'artiste n'a rien abandonné
de ses sincérités habituelles. Je ne con-
nais point le Lauraguais, ce pays de
Laurac, dont Saint-Papoul est la capitale;
je suis néanmoins persuadé que le por-
trait de cette nature agreste, pastorale
et dénudée est parfaitement ressem-
composition de M. Henri Martin, Ver.i
l'abimc, où tout est lumière et vibra-
tion. L'allégorie est claire, elle n'a guère
besoin d'explication, et sa philosophie
est à la portée de tous ; c'est, si vous
voulez , l'éternelle poussée humaine à
la poursuite du mirage décevant de la
volupté ; mais ce n'est pas pour le sym-
bole qu'elle m'intéresse. Ce que j'aime
et suis avec la plus vive attention chez
M. Henri Martin , c'est le praticien
oseur, épris des subtils raffinements,
l'adaptateur très personnel des effets de
plein air à la peinture allégorique et
décorative. Marier Claude Monet à Che-
CHAMPS-ELYSEES
navard : lâche diabolique, mais non inl'é-
conde. Comme chez M. Tatlegrain, autre
paysagiste à tendances apothéotiques et
philosophiques, c'est le cadre, c'est le
milieu, le décor qui constituent la
recherche essentielle ; chez M. Martin,
celle-ci se complique des plus rares,
des plus exquises préoccupations de
l'ambiance lumineuse. Ses tableaux
m'ont laissé le souvenir de plusieurs
aux ailes de chauve-souris et à la ceinture
de pavots, n'est pas d'une tonalité exquise,
de même le ciel pâle qui luit dans les
profondeurs de l'élher, de même ces
onjbres ténues, aux transparences vio-
lacées. M. Martin a d'autres qualités en-
core : il a le sens du geste, du mouve-
ment, l'aptitude à grouper les formes en
des rythmes inédits ; il a la curiosité
des grâces féminines, parfois délicieuse-
JI. Ilriin .\Liiti
aspects de radiation ensoleillée d'une
qualité véritablement admirable. II faut
ajouter que le procédé de l'urlistc,
intermédiaire entre le strié et le poin-
tillé, joue un rôle capital dans les ed'ets
saisissants de luminosité auxquels il
atteint; il nous force à regarder et à
achever, par la distance, des toiles des-
tinées à être éloignées de notre œil : - la
distance , facteur essentiel et cpion
oublie (ro|) lors(|u'il s'agit de juger cer-
tains tableaux! Faites -en rcxpéi'ionc(^
pour celui de M. Henri Martin, oX vous
nie direz si la dune, dans laquelle dévale
le lorrcnl ininiain à la siillc de la "oulc
ment attirantes, et des élégances pré-
cieuses. Je le tiens pour un peintre (h-
race et de tempérament, pour un des
mieux doués de la jeune génération ;
j'aime sa conviction , sa ténacité , son
élan, son état d'âme que rien ne rebute
et qui le soutient dans son incessante
montée vers l'idéal choisi; j'aime jus-
(|u'à ses erreurs, ses trébuchements, ses
audaces a;jressives.
iMini iiiioi' I If. r: r
Il était aise de prt-voii- que la récep-
(111 du tsar à l'aiis susi'ili'rail uu débor-
I.KS SALONS DU 1897
dcment de toiles commémoralives. A 1 s'est donné carrière. Je dois cependant
moins d'être un David, il est bien difli- | faire exception pour M. André Brouillet,
Réception du Tsar ù iAcaih'mie/iani;aise, p:ir JI. André Brouille
cile de tirer œuvre d'art de ce genre i dont la facture délicate, les habitudes
officiel. Comme toujours, la médiocrité | d'observation véridique se sont appli-
cil AM l'S-ELYSEES
quées à nous rendre, dans son inlimitc
cordiale, la visite à l'Académie. La re-
production qui accompagne ces lignes
suffit à montrer tout ce que l'artiste a dé-
ployé dans cette page d'illustration, de
conscience et de talent.
Chacune des physionomies
est à reconnaître, et nos
lecteurs s'en chargeront.
L'œuvre a la valeur d'un
document, sans en avoir
la sécheresse; j'y voudrais
seulement plus d'écritun-
artiste et la suppression
de certains détails trop
précis ou inutiles, comme
les lustres à gaz. Ayant été
des premiers à remarquer
les débuts de Brouillet, je
suis heureux de constater
une fois de plus qu'il n'a
pas menti à ses promesses
et qu'il a côtoyé assez
adroitement les écueils
d'un sujet périlleux.
Saluons avec respect el
admiration M. Hébert ;
plus beau cas de longévité
et de probité artistiques
ne saurait être proposé en
exem[)le à la génération
nouvelle. Ne vous semble-
t-il pas que le peintre de
la Mnhirln appartienne à
une autre époque ? Et ce-
pendant quelle jeunesse,
quel entrain et quelle
grâce dans ce l'orlriiil (/<■
.1/'"" //....' Rien n'y trahit la ukiIm dé-
faillante de l'octogénaire. Je dirai même
que jamais l'artiste n'a caressé une
[)hysionomie d'un |)inceau plus délicat
el plus allc'iitif. La fourrure, la robe
de vcloui-s ni)ir, li- col de gui|)ure, le
petit grillon aux yeux éveillés, puis le
calme, expressif et souriant visage d'un
modèle vanté pour sa beauté, tout cela
est rendu à perfection, par des accents
assoupis et d'une tendresse charmante.
M. Hébert pourrait dire comme Ho-
kousaï : « J'espère que j'arriverai, au
delà de la centaine, à cet état supé-
rieur, indéfinissable, où pas un point,
rortrail de M'»' II., par M. Hubert.
pas une ligne ne demeurera à mes
sans signification. »
l!P.N.I.\MIN-(:oNST.VN 1
Le l'nrlr.iil ,1c M. Clunnli^inl
M. Uenjamin-Constaut, exposé e
gard du Poviruil de M-' le duc
nulle, nous vient fort à i)oiiit
expliquer lonic la distance qui s
par
Il ro-
pour
épare
I.KS SALONS DE 1S97
un portrait vrai d'un portrait faux. Nos
peintres ont aijsolumcnl perdu la notion
du porlr:iil décoratif, de ce genre oii les
reeherciies de l'arrangement ajoutent à
la caracli-risliquo du modèle, qu'ont
Portrait de M. Cliaiu-hnrd, p:ir JI. Benjamin-Constaut.
illustré Rigaud, Largillière, les Anglais
du xviii" siècle, puis David et Gérard,
et dont Paul Baudry, dans son Por-
trait du (jcnéral Cousin-Monlauhan, a
été le dernier protagoniste. Le portrait
de M. Chauchard est un portrait vrai,
celui du duc d'Aumale un portrait faux,
.le voudrais avoir la place de répéter ce
qu'un de mes confrères a si bien dit à
ce propos. Pour avoir manqué de sim-
plicité etcherché midi à quator/c heures,
pour avoir voulu compliquer son sujet
d'intentions secondaires et à proprement
parler littéraires, le peintre a fait de ce
modèle, pétri de
sérénité souriante
et de bonne hu-
meur française que
lui offrait le châ-
telain de Chantilly,
un personnage at-
tristé et souffre-
teux, de significa-
tion morne et
vague, au milieu
d'un décorde parc
quelconque, qui ne
caractérise ni
Chantilly, ni même
la France. Un banc
de pierre, une allée
d'arbres, des guê-
tres, une culotte de
chasse, une canne,
ne sont, dans un
portrait, des acces-
soires intéressants
que s'ils corro-
borent efficace-
ment l'impression
morale résultant
de la figure. Ici ce
n'est pas le cas ;
ils ont la préten-
tion d'être tout et
ne sont rien.
Pour avoir au
contraire regardé
directement , en
M. Chauchard,
l'homme tel qu'il
se présentait, sans ambages, avec sa
vigueur, ses habitudes, sa rectitude,
et tous ses dehors physiques nette-
ment et même violemment accusés,
M. Benjamin-Constant a fait un portrait
de valeur documentaire indiscutable et
d'une harmonie parfaite. La figure est si
parisienne que tout le monde aura pu
en reconnaître l'exacte et scrupuleuse
CHAMPS-ELYSÉES
véracité. La bouche, en sa femielé mar-
moréenne et inflexible, le regard, en son
acuité pénétrante, le front, le nez, les
cheveux, les favoris, qui encadrent les
traits d'un blanc éventail, sont traduits
avec une impeccable et décisive auto-
rité. Le portrait de
M. Chauchard est
sûrement, par sa
tenue d'ensemble,
un des deux ou
trois meilleurs du
Salon des Champs-
Elysées, et, je ne
crois pas me trom-
per, le meilleur de
son auteur, si l'on
admet que la res-
semblance soit,
pour un portrait,
la qualité fonda-
mentale.
mais de tout ce qui est de nature, dans les
accessoires, à faire deviner l'état social,
les goûts, les occupations, le caractère
du personnage. Tel j'ai vu M. Bertrand
présidant une réunion, la tète un peu
renversée, l'œil demi-clos, le sourire
M. Bonnat pour-
suit intraitable-
ment et victorieu-
sement la loyale
carrière de portrai-
tiste à laquelle il
s'est voué. Sa ga-
lerie d'hommes cé-
lèbres s'est enri-
chie d'iiiM' figure
qui n'est pas de
médiocre significa-
tion et qui comp-
tera, jeu ai le pres-
sentiment, parmi
les meilleures.
I/expressif visage de M. Joseph Ber-
trand, l'illustre secrétaire perpétuel de
l'Académie des sciences, est si connue,
qu'il est aisé d'en contrôler la ressem-
blance. Celle-ci est prodigieuse, car
M. Bonnat s'entend à ne négliger aucun
détail. A ses yeux rien n'est inutile pour
déterminer un modèle. Je ne parle pas
sculonieni des (rails physionoiuitpics
(pi'il souligne de la l'a(,'oii que l'on snil.
Portrait ./c .1/. ./oscjik licrtrnifl, p.ir M. Boiiiiat.
narquois e( bon enfant, la jiarole [irélc
à voler, claire, vibrante, bien timbrée,
la main dans la poche, la chemise bom-
bée, le gilet largement échancré et dé-
coré d'une grosse chaîne d'or, l'allilude
aisée de l'homme maître d<' lui, bien-
veillant, point vaniteux, tel je le vois,
frappé en médaille, dans le portrait de
M. Honnal.
Je sais ce que les anus des exéculions
LlîS SALONS DK 1897
attendries et souples reprochent à lii
peinture robuste et copieusement ma-
çonnée de M. Donnât; je sais ce qui lui
manque, mais je sais aussi tout ce
qu'elle a, et ce qu'elle a est de iircmière
force, surtout quand le peintre s'en
tient au morceau d'étude, comme dans
le Ih'cnrd ou dans le lierlrand. En
somme, nul aujourd'hui ne va aussi
loin dans rexactilude formelle, nul
n'incise avec autant de fermeté le«
lignes d'un visage humain, nul ne simule
mieux les apparences de la vie, nul, par
conséquent, ne donne à celui t|ui pose
la certitude du résultat; grande sécu-
rité, qui est pour beaucoup, cela est évi-
dent, dans l'universel succès de l'artiste.
M. Bonnat honore son art par la con-
viction qu'il y apporte; il est un des
plus beaux exemples que je connaisse
de conscience professionnelle.
Il I M HE in
Portrait de M. André If., par M. Humbert.
Idéaliste, réaliste ou pitto-
resque, le portrait ne saurait
s'éloigner des lois imprescrip-
tibles de la vérité. Un peintre
de la haute intelligence de
M. Ferdinand Ilumberl ne
pouvait l'oublier. Ses portraits
nous olFrent, à doses heureu-
sement combinées, le mélange
des trois facteurs essentiels.
Tout en restant sévèrement
exact et fidèle à l'impérieuse
éloquence de l'expression mo^
raie, il incline volontiers vers
une légère prédominance du
pittoresque.
M. Humbert est un concentré
et un modeste, un inquiet tou-
jours mécontent de lui et
toujours préoccupé d'affiner
ses sensations. En cela il
m'intéresse profondément , et
je n'hésite pas à saluer en lui
un des artistes qui, grâce à cet
incessant amour du mieux et à
un persévérant désir d'alîran-
chissement, honorent le plus
notre jeune école.
M. Humbert est avant tout
portraitiste, quoiqu'il n'ait
point dédaigné d'affirmer sur
d'autres terrains ses belles apti-
tudes. Il est portraitiste par
les côtés délicats et sensitifs,
et aussi par des qualités d'ar-
rangement et de goût dont je
lui sais le plus grand gré. Le
ClIAMl'S-ÉLYSÉKS
portrait de M""^ Héglon, au dernier
Salon, était bien près d'être un chef-
fausses recherches et sans alTcterie.
J'en aime la svelte élégance, la sou-
nutiiaiiles, pai- M. Jlr
d'œuvrc; celui de son lils, qu'il exi)0sc
celte année, ne lui est pas inférieur. Un
l)el adolescent en tenue de salle d'armes ;
voilà le motif, traité simplement, sans
plesse désinvolte, lu savante harmonie,
jouant dans les },'"'i!^, *"• i^'^'H^' muxeuvre
rapide de la brosse à laquelle le peintre
non-, :i habitués, ri (in'il tend chaque
I-ES SALONS DK 1S97
jour à rendre plus cursivc el plus
Ihétique.
^yn-
M i:n H I 1111^ i:n
J'ai, je l'avoue, une [)référence ins-
linctive el incorrigible pour le portrait.
intention expressive, une émotion vive-
ment ressentie. La revue en est vile
faite aux Champs-I'^lysées, mais encore
y aurait-il déni de justice à passer in-
diU'érenl devant des toiles aussi remar-
quables à divers lilrcs que celles de
>■, par M"*-' Dufau.
Le portrait occupe, selon moi, le sommet
de l'art; il en est la force et la vertu;
il est noire gloire par excellence, à nous
Français. Aussi ne s'étonnera-t-on pas
si je cours d'une haleine aux œuvres
qui mettent en jeu la physionomie
humaine, le geste humain, la vie et le
mouvement des individus, celles où je
rencontre une observation juste, une
M. Henri Royer, de M'"' Dufau, de
M. Geoifroy, de M. Fouqueray el du
prestigieux M. Struys.
Le thème des Conimnnianles nesl pas
neuf. Depuis M. (lervex il a été traité
à satiété, mais il est inépuisable. Géné-
ralement on y cherche un prétexte à la
symphonie des blancs. M. Royer y a
vu les éléments d'une élude physiono-
CIlAMPS-ÉLVï^EK;
mique ; bien lui en a pris, car il en a 1 de l'observation juste, de la vie et de la
tiré un tableau d'observation intime et I lumière, un des meilleurs du Salon, le
délicate. Je vou-
drais seulement
plus de précision
et de dessin dans
les fonds et les ac-
cessoires.
Pour le critique
qui a su discerner,
dans le modeste
début d'un artiste
ignoré la veille,
la certitude des
triomphes pro-
chains , il y a
comme un plaisir
qui ressemble un
peu à de l'amour-
propre d'auteur.
Je me réjouis du
succès de M"'" Du-
fau, d'abord parce
que je la sais vail-
lante et méritante,
et ensuite parce
qu'à lui seul il
suffirait à justifier
une mesure à la-
quelle j'ai vigou-
reusement ap-
plaudi : l'admission
des femmes dans
les ateliers de l'E-
cole des beau.x-
arts. l']n trois ans,
le talent de cette
jeune artiste a
conquis une matu-
rité que bcaucouj)
de ses émules, et
des ])lus habiles,
pourraient lui en-
vier. Le tableau
de cette année, où
des Enfttnls de
murinicrs s'ébattent
et des [jéniches, est,
.1 Ui Vircl,.-, ,,:,r M, Geolïn.y.
sur des barques I meilleur peut-èlrc, aveccclui de M.
au i)oint de vue ] queray, parmi ceux (|ui portent un
Fou-
nom
l.liS SALONS 1)1-: isii-;
nouveau. M"'' Dul'au — je ne saurais
assez l'en louer — ne s'est poinl laissé dé-
tournpr du bul (|u'cllo s'était proposé : la
peinture do la ligure humaine, cl spécia-
lement du nu, dans l'ambiance du plein
air. Problème capital dont les plus
grands maîtres de l'heure présente ont
reconnu l'urgence. M"" Dufau l'aborde
par les solutions les plus difficiles et avec
une franchise délibérée, une énergie
presque virile. Jetez les yeux sur la
reproduction ci-jointe, et vous verrez
sans peine combien les formes ont de
certitude, le dessin de solidité, et com-
bien il a fallu d'adresse heureuse, d'étude
intelligente et de goût, pour donner à
cette composition ramassée, presque
sans horizon, et de signification pro-
saïque, le vibrant des choses vécues et
le prestige de la lumière. M"" Dufau a
trouvé sa voie; qu'elle s'y tienne. C'est
le souhait que je me permets de lui
adresser.
G F o K K n o 1
Dans le tableau de M. GeolFroy, A la
Crèche, clair, lumineux, transparent,
d'expression si délicatement nuancée, je
ne vois pas trop, étant donné qu'il s'agit
d'un tableau de genre, ce qu'il y aurait
à reprendre. Je surveille depuis plu-
sieurs années les recherches sincères de
cet artiste, aux tendances bien françaises
et bien parisiennes, et, sauf sa facture
encore un peu mince, rien ne pouvait
ajourner davantage la réussite de ses
elTorts. M. Geoffroy était parti en cam-
pagne avec les procédés et le tempéra-
ment d'un illustrateur: il arrive à ses
fins avec l'élolTe d'un peintre épris des
subtiles manifestations de la vie. L'œuvre
est charmante, dans son enveloppe de
lumière blanche qui filtre à travers les
rideaux; elle est charmante aussi par
le calme et le silence qui y régnent;
charmante enfin par les finesses de des-
sin qui en relèvent la grâce. L'image qui
accompagne ces lignes supplée aisément
à toute description écrite et traduit,
sans trop les transposer, servie par la
monochromie de l'original, tout en blanc
et noir, les aimables trouvailles d'exécu-
tion et d'expression dont il abonde.
Je regrette de ne pouvoir montrer ici
l'admirable tableau de M. Struys, (Jon-
xoler les afflit/és, antérieurement repro-
duit, sous un autre titre, par le Monde
moderne (avril 1895) et celui singu-
lièrement remarquable aussi, dans un
tout autre genre, de M. Fouqueray,
la Biilaille de TrafaUjar , épisode de
r " Achille >'. \'oiei cependant deux
œuvres qu'il ne faut pas hésiter à mettre
à la tète des plus marquantes de 1897.
M. Struys, de Malines, est aujour-
d'hui le premier peintre de la Belgique:
c'est un maître acclamé comme tel en
Europe; les collections publiques se
disputent ses œuvres et notre adminis-
tration des Beaux-Arts, en dépit de son
bon vouloir, n'a pu encore en acquérir
une seule pour nos musées. Le Monde
moderne a célébré, dans une étude spé-
ciale, ce peintre aux coulées opulentes,
aux tons profonds, au clair-obscur pres-
tigieux, à l'émotion intense, qui fait
songer aux anciens maîtres.
Quant à M. Fouqueray, je signale en
lui quelques-unes des grandes qualités
de dessin, d'invention et d'exécution
qui font les vrais artistes. Cette bataille
de Trafalgar m'est apparue poignante
et saisissante, et je ne crois pas, en
vérité, qu'aucun peintre, sans en ex-
cepter l'auteur de la Bataille d'Eylau
et celui plus étonnant encore du PonI
de Taillebourg, — Gros et Delacroix,
excusez du peu, — ait encore osé péné-
trer avec cette furia, cette force et cette
sincérité, dans le vif des émotions trou-
bles, des fumées mauvaises, de la vision
sanglante du combat. Le tableau de
M. Fouqueray n'est certes pas, au point
de vue technique, à l'abri de tout re-
proche ; son ton de fresque n'est point
plaisant, l'inexpérience y est encore
manifeste en bien des points; mais que
de qualités peu communes dans cette
œuvre frémissante de fièvre !
cil AMl'S-KLYSEES
M. Roybet se soucie, comme un pois-
son d'une pomme, de l'âme de ses mo-
dèles. Son art est
tout en surface
et en virtuosité.
Pour le plaisir
de peindre les
cassures brillan-
tes d'une belle
étoffe , il ven-
drait, j'imagine,
son droit d'aî-
nesse. Joie de
vivre et joie do
peindre sont sy-
nonymes pour ce
praticien mer-
veilleux. Parve-
nue à ce degré
d'aisance et de
brio, la manœu-
vre du pinceau
s'impose à l'ad-
miration des
l'ouïes. Ne vous
avisez pas de la
discuter; on vous
jetterait Frans
Hais à la têle.
Etde fait ceGuil-
lemet en l'orlc-
élciidurd est un
miracle dmit il
faut suliir l'évi-
dence. .'Xdmirons
donc sans iiint
dii-e, quille à ré-
server IKIS cH'ii-
sions pour les
manifestations
d'une adresse
moins impeccable et d'un lan
communicatif et plus artiste.
l'âme de l'artiste devant son modèle,
nous le rencontrons dans un délicieux
portrait au pastel de M. Edouard Danlan,
Déjeuner. Imaginez trois babys frais el
Polirait ,1e M. Guillemet eu Porte-étendard, jinr M. Itnyljet.
plUï
Précisémenl, ce (pii mancpieà .M. Hoy-
bel, ce je ne sais quoi de fugace el il'in-
détinissable, cpii est la palpilalldri de
roses, autour d'une lahle, devant leur
tasse de lait, dans cet état de douce
béatitude que seuls apprécient à leur
prix les enfants et les clials; pare/,-les
des nuances les jjIus fraîches, les |)lus
gaies, enveloppez-les des caresses de la
lumière, animez- les du souflle de la
vie, (le celle vie eli;ii'inaiile doul nous
Mis SALONS DlC 1X97
aimonsùsurprendrelesbé{,'ayenientschcz 1 prit, les raffinemenls d'une composition
ces pelils êlres où nous relrouvons le i déduite ù ravir, les saveurs d'une exé-
Dtjeunei'j pastel yAi AI. K. Dautuii.
meilleur de nous-mêmes, et vous aurez
le tableau de M. Dantan. Ajoutez à ce
canevas, si vous le voulez, la gaieté, les-
cution primesaulière, les mille recher-
ches innocentes qui trahissent la ten-
dresse paternelle, et vous comprendrez
CHAMPS-ELYSÉES
pourquoi j"ai eu tant de plaisir à décou-
vrir cette jolie chose dans le demi-jour
discret où elle se dissimulait.
SOI! O L L A \ B A S T I D A
A-t-elle assez fait parler d'elle, il y a
quelques années, celte école espagnole
du plein-airisme (pardon du néologisme)
et les adeptes convaincus d'une saine
vérité.
Le plein-air de M. Sorolla, on s'en
doute, n'est point celui de M"" Dufau,
le soleil ardent de l'Espagne n'étant
point le même que le pâle soleil des
environs de Paris; mais le jiut nour-
Coiimnt la toile, jiar M. Sorolla y Basti.la.
recréée par les Kortuny, les Villegas, les
Domingo! Que resle-t-il aujourd'hui do
ce grand l'eu de paille? Une fumée (]ui
s'envole et le souvenir déjà lointain
d'une vogue passagère. 1/arl péninsu-
laire s'étudie à se retremper dans une
communion plus intime avec la nature.
M. Sorolla y Bastida, dont la presse a
salué l'apparition, il y a deux ou trois ans,
d'un concert enthousiaste, et M. Harrau,
dont nous avons loué, l'année passée, les
curieuses recherches de lumière, repré-
sentent aujourd'hui les tendances de la
nouvelle école; ils y sont les champions
VI. — b,
i suivi est analogue, M. Sorolla appor-
I tant à la réalisation de son ohjeclif plus
i d'emportement, de verve, d'éclat, mais
I aussi moins de linesse, d'élégance et de
grâce. Dans le tableau exposé au Salon
de 1897, M. Sorolla nous donne un
aperçu très complet de son talent méri-
dional, à savoir de son aptitude parti-
culière à noter les jeux éclatants de la
lumière à travers les feuilles des arhres,
la vérilé et le mouvement des gestes,
des attitudes, saisis sur le vif, la gaieté
violente et un peu encanaillée des cou-
LL'S SALONS DK 1K97
M A n l'ii: MHS
linfni, riu'urft du Irioniphe a sonnd
pour l'illuslrc cl vaillatil ailisle. M. Ilar-
pif;nies a re(,u la giaiule niùdaille d'hon-
neur, que ses amis cl ses admirateurs lui
avaient déjà décernée depuis de nom-
breuses années. Dire la tenue imposante,
et si ràf;c y apporte quelques modilica-
tions, c'est pour ajouter encore à la plé-
nitude de ses moyens, à la netteté de sa
conception.
lùi réalité, le meilleur de la peinture
contemporaine peut être ramené au por-
Les Bords du Rhùne, par M. Harpignies.
la sévérité de style, la belle et juste
impression de nature, le sentiment de
décor, qui font des Bords du Ehone et
de Solitude deux admirables paysag^es,
deux des plus beaux que le maître ail
rêvés et réalisés, serait, je crois, superflu.
M. Ilarpignies est comme ces vieux
chênes, dont il excelle à peindre le port
robuste et que leur lente croissance as-
sure d'une longue existence; il semble
défier les atteintes du temps ; sa force
sereine est toujours égale à elle-même,
trait et au paysage, portrait de l'homme
ou portrait de la nature. Envisagez le
Salon : le nu d'atelier est délaissé (à
peine peut-on signaler un morceau digne
de ce nom, l'élude, à la Henner, de dos
de femme de M. Bordes), la peinture
d'histoire se meurt, elle se raccroche au
paysage; de même l'allégorie, de même
la peinture décorative ; synthétique ou
réel, le paysage est partout. C'est le signe
du temps et des exigences chaque jour
grandissantes de l'esprit rationaliste et
cil AMl'S-ÉLVSÉES
scienlifique. Les paysagistes purs sont
légion. Les uns se contentent d'ouvrir
une fenélre sur la campagne, la forêt, la
montagne ou la mer, sans prétendre in-
terposer leur personnalité entre le molit'
à reproduire et le regard du spectateur,
ce soait les photographes de la nature ;
leurs productions demeurent d intérêt
secondaire; daulres cherchent, dans les
regards ; ils cherchent la vérité sans
petitesse et dans ses relations exactes
avec le grand facteur de vie : la lumière.
C'est parla luminosité que M. Higolot
arrive à l'exactitude intensive des formes.
Déjà, l'an passé, j'avais été frappé de la
sensibilité optique qu'il avait apportée
La Route. <hi Kar.Uula à liou-Siiàdu, yiar M. Rigolot.
formes cl les couleurs fpic leur offre
riiiliuir n.ilurc.des l'ésullals de choix,
rytlimes, lignes ou valeurs, propres à
llatter notre mémoire par des réminis-
cences agréables ou à éveiller dans noire
osj)rit des associations d'idées esthéti-
ques, qu'on pourrait qualifier d'orne-
mentales; d'autres enfin, et ce sont les
vrais paysagistes, ceux qui se glorilieut
d'avoir à leur tête les Millet, les C^orot,
les Claude iMoiiet, clicrclienl l'àmc des
choses, l'éloquence profonde de ses
admonestations, l'éniolion (pii s'en dé-
gage, ce (pli l'sl SM[)éri(Mir enliii et beau
dans les lalilrau\ (iircllc met sous nos
à rendre les paysages sursaturés de lu-
mière du Sud algérien. Il semblait
qu'après Fromentin, Ciuillaumet,et sur-
tout après M. Dinet, le peintre attitré
des régions sahariennes, il restât peu de
chose à dire sur les pavs du soleil.
M. Rigolot montre une fois de jjIus qu'il
y a bien des manières d'exprimer les
mêmes im[)ressions. Il cherche la strui-
turc exacte, la solidité matérielle des
terrains calcinés et rougis |iar kîs feux
du ciel, à l'aide du jeu délicat et extraor-
dinairement transparent de l'ullra-\ iolet
dans les ombres. I''n regardant atlenti-
\enieiit son tableau de la Hmitc ilii /\;ir-
I.KS SALONS DE 1»97
(/a(/aà /ioH-^S'a<l(/a, et il en vaut la peine, déjà cilée, de M. Hordes, les paysages
on voit comment la qualité des ombres, | de M. Demont, le Dimanche à Audierne,
parleur finesse extrême, fait valoirl'éclat 1 de M. Duvenl,\a (jrotlc aux sirènes, de
des parties lumineuses. M. Hif,'oIol doit i M. Faul-Albert [..aurons, lei'aiVi/Georf/e.t,
Homme de l'âge de pierre, par M. Frémiet.
posséder un organisme de vision singu-
lièrement actif et résistant.
D'autres œ uvres encore se sont recom-
mandées à mon attention : le Sauvetage
en pleine nier, une émouvante marine
de M. Tattegrain, la Résurrection de
Lazare, de M. Tanner, aux préoccupa-
tions rembranesques, la Revue de Châ-
lons, de M. Scott, aussi exacte et plus
vivante qu'un Détaille, VElude de nu
de M. Berges. Mon silence, commandé
par les limites de cet article, n'est point
du dédain, et je m'en excuse, pour cette
année. La sculpture me réclame.
L.\ SCULPTURE
A parler franc, la sculpture, aux
Champs-Elysées, quoique pléthorique,
se distingue par une indigence d'œuvres
sensationnelles. Le talent surabonde,
\
GHAMPS-KLYSÉES
comme de coutume ; ce qui manque,
c'est l'accent personnel, original, la
vision aiguë. Quelle raison de choisir la
Faneuse de M. Boucher, la Parleuse
d'eau de M. Guitlel, la Perle el la
vague de M. Loysel, ou la Bacchante
de M. Seules, plutôt que le Potier de
M. Hugues, le Sommeil de l'Innocence
de M. Barrau, le Spleen de M. Vital-
Cornu, V Etoile filante de M Charpen-
tier, ou V Homme aux loups de M. Jac-
quot, toutes figures exécutées selon les
bonnes méthodes et dans l'excellente
moyenne? Cette vision aiguë, cependant,
que je demande à tous les échos , je
l'avais rencontrée dans le curieux bas-
relief, Pastorale, de M. Desruelles, un
nouveau venu qui a été récompensé du
prix national. M. Desruelles, retenez
ce nom. Les figures, d'une gracilité
charmante et d'un modernisme inédit,
m'avaient insidieusement attiré, et je
me proposais de leur donner ici la pre-
mière place. Malheureusement, l'impos-
sibilité de tirer une bonne épreuve pho-
tographique de ce plâtre perdu dans
l'ombre et maquillé par l'artiste d'une
sauce inopportune, me prive de la satis-
faction d'en mettre une reproduction
sous les yeux de nos lecteurs. Force est
donc de m'en tenir à quelques ouvrages
qualifiés des coryphées de la statuaire.
M. Frémiet achève son cycle du
Muséum d'histoire naturelle. Naguère
c'était la lutte de l'humanité primitive
contre son redoutable adversaire, le go-
rille. Aujourd'hui, nous assistons à la
lutte non moins terrible de l'homme des
cavernes contre l'ours. On sait que
M. Frémiet est un animalier de premier
ordre. Le succès lointain de son déli-
cieux /)énicheur d'oursons est revenu
sans doute c'i sa mémoire ; les oursons,
gourmands de miel, oui grandi, ce sont
maintenant des aiiini.uix formidables,
aux mâchoires |)uissantcs, c|ue l'homme
combat à coups d'éjjieu. M. Frémiet a
su tirer un grand parti décoratif de ce
lliènic |)itliircs(iue.
M. Mercié, habile entre tous à la
conception des monuments funéraires,
Tombeau d,- .)/'"» Carmlho, par M. Mcix-ié.
— souvenez-vous des admirables tom-
beaux de M'"" Charles Ferry, de Micho-
let, de Paul Baudry. — et coulumier des
poétiques envolées, symboles de l'au
delà, était tout désigné pour exécuter la
stèle destinée à commémorer la divine
I.KS SALONS DlC 1H97
chanteuse qui avait charmé noire jeu-
nesse, M""" Miolan Carvalho. C'est
M. Mercic qui a imaginé et mis à la
mode ces (igures en demi-relief qui sem-
blent s'échapper du marbre. On sait le
parti que lui et d'autres à sa suite,
comme M. Puecli, en ont tiré; comment
il les a animées de mouvement et de
Li-Hung-Tchang , par il. Bernstamm.
grâce et par quels artifices savants
d'exécution, par quels jeux de lumière
délicats, il est parvenu à leur donner
l'apparence de la vie, d'une vie imma
térielle, fluide et spiritualisée.
La figure de M'"'^ Carvalho occupe la
stèle dans sa hauteur : c'est Marguerite
s'élevant au ciel, Marguerite à la dernière
scène de Faust, les mains unies dans la
prière, les cheveux dénoués, le visage
illuminé, la longue robe blanche dé-
roulée au vent... « Ange pur, ange ra-
dieux... » \'ous entendez d'ici la mu-
sique de Gounod, les harpes, les voies
célestes... M. Mercié, avec son tact avisé
et en véritable artiste, a trouvé encore
une fois la note juste.
Les bustes sont légion. Il faut choisir.
Je m'en tiens à deux : celui de M. Pucch,
de Jules Ferry, commandé, sans doute,
pour la galerie des
pi'ésidents, au Sé-
nat , magnifique
rossouvenance de
l'admirable buste
de Chapu, du Sa-
lon de \m.) , et
celui de M. Hern-
slamm, du fameux
envoyé du Fils du
Ciel, Li-Hung-
Tchang, de co-
pieuse mémoire.
Le buste de
M. Puech est d'une
exécution assou-
plie qu'on ne peut
s'empêcher de dé-
clarer merveil-
leuse; ^L Puech
s'entend comme
nul autre à cares-
ser le marbre. Ce
buste est, de plus,
d'un caractère no-
ble et grave, d'une
ressemblance par-
faite, et tous ceux
qui ont connu le
grand homme d'Etat n'ont pu le regar-
der sans émotion.
Li-Hung-Tchang, au contraire, est
toute vie et toute malice ; l'œil pétille,
narquois et impénétrable, œil d'Oriental,
bridé et à demi couvert; le nez frémit,
les joues se creusent sous le sourire de
la bouche que dissimule la moustache
emmêlée, la barbiche inculte et mal
tenue retombant sur la veste, l'illustre
veste jaune qui a fait courir tout Paris.
De celte physionomie à caractère.
M. Bernstamm a tiré un véritable chef-
d'œuvre d'observation intense et de fac-
CHAMPS-KLYSÉES
lure primesautière. J'admire comment
l'artiste est parvenu à faire poser un
semblable modèle. Le morceau, esquissé
de verve et sans reprise, aurait-il été
achevé de mémoire? En tout cas, il est
expressif à l'extrême, et de la plus d
cate, de la plus savoureuse exécution,
supérieurement conçu pour la fonte et
pour la fauve patine dont il est revêtu.
Un des reproches les plus sérieux que
les gens de goût adressent
aux sculpteurs modernes,
c'est d'abandonner l'exécu-
tion de leurs marbres aux
praticiens. Le statuaire pres-
sé, devenu, et pour cause,
économe de son temps,
n'exécute plus lui-même;
ne sait plus, à vrai dire,
exécuter. De ce qui était
autrefois l'honneur et le
souci des maîtres, il ne reste
plus rien, ou presque rien.
Le praticien est une inven-
tion du progrès, et combien
néfaste! Elle répond, hélas '
aux besoins utilitaires de
notre époque. Michel-Ange,
Puget, Coysevox, Iloudon,
Rude, où êtes- vous?
Heureux pourtant lors-
qu'on ne nous sert pas
une maquelle agrandie
et lorsque l'artiste ne se
contente pas de jivicr
une simple ébauche au
metteur au poinL .Aussi
faut-il saluer avec une
gratitude resj)ec tueuse
le scul[iteur assez courageux
nrlré de son art, pour ne
pei'sounc le suiii
et (|iii sait <'ii(
inaiu, " faire lr(
vaut lui.
M. Hartholoiiié est un (
hommes.
Considérons donc comm
de féliciter M. Sicard d';i
assez, pe-
coiilier à
traduire sa pensée,
, le marteau à la
ler 1 le marbre de-
)re en iiKiiliie et bionzi-, par M. CarliCT.
vaille ') sou marbre /inijiri.i in;iiiu cl
d'eu avoir parfait anioui-eusenieiil re|)i-
derme. Le grou[)e d',!//.!/' exposé pai
eel habile artiste est sans contredit le
plus beau inorceau d'e\éeuli<>ii de tout
le Salon de sculpture. Les .■li.nrs sont
d'une facture inodigieiiseineiit délicate
et savoureuse; les eou|>s de gradine,
venus en dernier, y ajoutent la palpita-
tion d<- la vie; il semble iiue le seulp-
MCS SALONS 1)K 1S9T
leur se soit plongé avec délices dans la
manœuvre du ciseau. Ceux qui sont
hors de la petite cuisine des récom-
penses avaient décerné in pello et sans
débat la médaille d'honneur au mai-bre
de M. Sicard.
.le suis persuadé que la polychromie,
forme naturelle et rationnelle de la
sculpture, reprendra un jour ses droits;
la Grèce, l'Orient, le Moyen-Age, tout
nous y invite; mais les ])rogrès, jusqu'à
présent, sont lents, timides et incertains.
C'est dans les petits ouvrages d'art, sta-
tuettes ou objets d'ameublement qu'ils
se font surtout sentir. Dans le milieu de
l'école et des prix de Rome, on s'en
doute à peine. Que de ressources, ce-
pendant, et de nouveautés, la polychro-
mie apporterait à l'art un peu immobi-
lisé et attardé de la statuaire! Sachons
gré aux artistes qui, dans un milieu doc-
trinaire comme celui des Champs-Ely-
sées, ne craignent pas de s'intéresser
à ces recherches que d'aucuns taxent
de révolutionnaires.
Il y a la polychromie obtenue par
l'adjonction de la peinture, telle que
l'ont pratiquée nos vieux Gothiques; de
celle-là on ne parle guère. Puis il y a la
polychromie matière; c'est celle qui a
tenté M. Carlier, dans son groupe,
marbre et bronze, du Miroir; tentative
des plus honorables, résultat de longs
efforts, — il s'en est fallu de peu qu'elle
ne valût à son auteur la médaille d'hon-
neur.
Nous retrouvons encore cette sorte
de polychromie dans un joli buste de
femme, à j)iédouclic de bronze doré et
à draperie ilcur de pêcher, de M. De-
loye.
Houdon avait fait, pour le duc d'Or-
léans, un groupe polychrome, malheu-
reusement détruit, oii il avait représenté
une baigneuse accompagnée de sa né-
gresse au naturel et tenant une aiguière
d'or. La tentative devait être singulière-
ment intéressante. Je ne sais si M. Car-
lier a songé à l'œuvre de Houdon en
composant son groupe, mais il est certain
que l'opposition des chairs blanches de
sa Circé, avec le bronze noir des chairs
de la négresse et les ornements dorés
du piédestal, produit un trèn heureux
effet.
l'omheau, d' AUxamlre Dumas, par M. de Saint-Marceaux.
CHAMP DE MARS
I, A PEINTURE
L'ouverture du Salon du Champ de
Mars avait été attristée par l'absence
de M. Puvis de Cliavannes; depuis,
l'illustre maître, rétabli, a pu envoyer
le carton, en camaïeu, de la seconde
composition dd VlJislnire de sainte Ge-
neinève, destinée au Panthéon. Celle-ci
sera digne de son aînée, n'en doutons
plus. Jamais la pensée de l'artiste ne se
sera montrée plus ferme, plus haute et
plus sereine. En regard de celte mer-
veilleuse Knfancc de sainte (ieneviére,
qui est déjà le chef-d'(ruvre de la pein-
ture monumenla!<' au \iv'' siècle, nous
verrons donc (Icnrricrc r;iiilaill;inl
Pnns ;is.sii^(fé cl nH'n;iré île lu funiine.
Ah ! l'admirable cl émouvante vision,
le sublime décor I A l'avant de la barque
que le lleuve a amenée sous les murs de
la ville, la sainte se tient debout. Par
la porte entr'ouverte se presse le peuple
pour accueillir Geneviève; une longue
théorie de vierges tenant des cierges
s'avance, précédée de l'évêque ; un
homme agite une cloche d'appel au-
dessus de la foule ; une immense action
de grâces monte, comme une fumée
d'encens, de tous ces êtres aux gestes
pieux et attendris. Quelques groupes
accessoires, femmes, enfants, malheu-
reux, infirmes, disséminés sur les berges;
au second plan, les héroïques murailles
mérovingiennes, d'une majesté indicible
et d'une vérité archéologique saisis-
sante, complètent l'ordonnance de cette
scène où vibre l'âme nationale et sur
laquelle semble régner une paix sidérale
et « comme un souffle de la très vieille
histoire prolongée à travers les temps ».
Nous devinons sans peine ce que la
couleur ajoutera de séduction et de
{irâce à cette admirable ébauche.
J'eusse aimé à mettre sous les yeux
des lecteurs du Monde moderne le
l'urlniil de M""' Th. //..de M. Dagnan-
Houveret. L'autorisation n'ayant point
été accordée par le pi'opriélaire du
tableau, je dois me contenter de con-
stater, tout uniment, c|uc l'ieuvre est
d'un dessin achevé, d'une ressemblance
exquise et qu'elle a au suprême degré les
qualités de charme et de lonue, qui
caractérisent la manière concentrée de
M. Dagnan. L'artiste, plus à l'aise dans
ce portrait de grandeur naturelle que
dans les foi'mals réduils où il avait
d(''bMté, a siL;né là un morceau délinilif
Li;S SALONS UK 1H97
dont nous devrons garder précieuse- 1 cherche le style et la sévérité des formes
ment le souvenir. M. Dagnan modèle I dans les modalités élégantes de la vie
contemporaine ; l'exo-
tisme ne l'a point
i-nlamé; il est Français
(I a 1 1 s la plus I i n c
iicceptioii du mot;
pondéré et scrupu-
leux, avec ampleur et
décision, ce qui paraît
iiiconcilialjlo; au de-
meurant, un véritable
cl grand artiste.
EUGÈNE c A H 11 1 t R i;
L'originalité de
M. Carrière est un
tout qu'on accepte ou
condamne en bloc,
clic échappe aux ac-
coutumances ordi-
naires et aux com-
munes mesures ; il
faut s'y faire, ce qui,
je le reconnais, n'est
pas chose aisée ; ses
adversaires ont d'aussi
bonnes raisons pour
la critiquer que ses
partisans pour la
louer.
Ce n'est pas assez
de dire que M. Car-
rière peint dans un
brouillard fumeux; il
peint dans une cave,
et il est besoin d'un
sérieux elTort d'ac-
commodation pour y
voirclair. Mais quand,
une fois ce parti pris
de monochromie ou-
trancière dans le gris,
ce dédain irréductible
de la couleur, cette
recherche quasi mala-
dive du clair-obscur
sont acceptés, que de trésors appa-
raissent, que de suggestionnantes har-
monies se mettent à vibrer !
Chfht en croix f par M. Carrière
avec les lignes, « avec des lignes qui
viennent de loin », dirait Degas, comme
d autres modèlent avec les valeurs : il
CHAMP DE MARS
Pour exprimer le charme profond
qui se dég:age des œuvres de M. Car-
rière, au modelé intense et léonar-
desque, il faudrait emprunter son voca-
bulaire au domaine des sons; sa peinture
est une musique, un cliant élégiaque,
d'amour ou de souffrance, soupiré dans
le silence des nuits; ses accents pas-
Doiice journée, en effet, que celle où
M. Lerolle vit dans un paysage arcadien
d'élégantes femmes faisant la sieste. 11
s'agit, vous le devinez à la tournure des
arbres et à la molle ondulation des ter-
rains, d'un panneau décoratif. Les figures
,'meut du puuueau décoratif de M. Lerolle
sionnés semblent s'exhaler dans le mode
mineur, sur un murmure étouffé de
sourdines.
Ne vous liàtc/ doiir jias de Juger le
Clirisl en imi.r, (|u'il expose cette
année au Champ de Mars ; interroge/
ses ombres mystiques, cherchez, comme
je l'ai fait, dans le rayon qui les traverse,
le drame poignant qui s'y cache; écoutez
le cri suprême de l'agonic, le dernier
râle, et ce sanglot de la Vierge, ramonée
par une fiction géniale à la hauteur du
visage de sou (ils, sanglot déchirant que
nul |)eintre ])eut-être n'a fait encore ré-
sonner, .le l'entends, ce sanglot, il se
mêle dans l'air à la plainte du C'hrist...
Cdiisiiiiiiii.ilinii fsl ' . . ,
étaient-elles indispensables et ce déca-
méron champêtre ajoute-t-il à la valeur
ornementale des troncs de pins qui pro-
filent leurs grêles silhouettes sur le ciel
pâli d'un soir d'été? Quoique le paysage
soit la partie essentielle de la composi-
tion de M. Lerolle cl qu'il y excelle, je
regretterais, pour ma part, qu'elles n y
fussent |)as ; elles animent très agréable-
mcn( le snjel et nicllrnl les plans à leur
échelle.
Ce grand ])anncan, doul nous repro-
duisons la partie centrale, \aul surtout
par les qualités de lumière cl d'atmo-
sphère. Sa trame légèri' n'en demande
pas davantage. i\L LiMolle a du charme,
de la ^fàce, niu- entente des belles lignes
I.KS SALONS DIC 1897
cl certaines colorations point banales,
évoluant dans les jaunes, qui en font
un de nos plus aimables décorateurs.
la couleur on ne saurait ^uère concevoir
de décor. Les Japonais, qui sont les
premiers décorateurs du monde, sont
La Pêche, panneau décoratif, par M. Gaston La Touche.
GASTON L.\ TOrCHE
Décorateur, M. GastonLaToucheTest
sans conteste; il 1 est par la couleur, à
la façon de M. Besnard, auquel le rat-
tache une influence directe. Grasset en-
seigne à ses élèves que dans chaque
forme il y a un décor ; le tout est de
savoir le discerner; il en est de même de
toute association de couleurs, car sans
par corrélation, les premiers coloristes
du monde. Il peut y avoir cependant
prédominance de l'un des deux élé-
ments.
Chez Delacroix, c'est la couleur, et
aussi chez M. Besnard : chez Puvis, c'est
le dessin, le rythme des formes; chez les
Japonais, chez leurs g^rands maîtres de
l'estampe par exemple, l'équilibre entre
les deux éléments est complet; une belle
CHAMP DE MARS
composition en couleurs de Kiyonaga ou
d'Oulamaro atteint au siimimiin de la
puissance décorative.
Parmi les divers panneaux exposés
par M. La Touche, j'ai choisi la Pèche.
La couleur v chatoie comme dans une
H E N E M i; N A R n
Décor, la toile de M. René Ménard,
Nu (levant la mer; décor également,
celle de M. Ary Renan, les Voi.v de la
mer. Notez que je parle dans le meil-
par M. Reuû Ménan:
cristallisation de féerie, avec des tons
d'arc-cn-ciel. t^hairs nacrées, vagues
écumeuses, voiles tendues au vent con-
courent à merveille à l'eirct objectil' du
décor. Cette composition mytliologico-
marine me fait songer que, en dehors
d(! la peinture murale, le plus beau
tableau décoratif qu'ait produit l'art
moderne est probablement celui de
lî(jeclilin, au Musée de Munich, Maïaile.s
el Triton.'!.
Voilà un décor réalisé par les moyens
les plus riches de la jx'lnlure, du
Wagner transposé I
leur sens et avec le désir évident de faire
un éloge (jui ne soit jias banal.
J'adore le nu de AL Ménard. Placez-
vous dans l'embrasure de la porte à
l'entrée de la salle, et vous m'en dire/
des nouvelles. C'est positivement un
charme. Rien n'est mieux dans l'air, au
Salon; l'enveloppe, chose si rare, prête
une magie délicieuse à ces formes
qu'épure un souvenir d'anlicpiité, en
fait valoir le beau mouvement de caué-
])hore el, doucement ensoleillées, les.
enlève sur un fond di'gradé, mer et ciel,
d'améthyste et de rubis, .le trouve, cou-
LKS SALONS Dlv IS9T
densées dans ce lableau, les qualités de
noblesse, de calme, de |)oésie, de cou-
leur, el ce senlimenldu décor, qui font
marquable et si bien faite pour un musée.
La reproduction ci-jointe en donne, il
me semble, une idée fort exacte.
de M. Ménard un des peintres les mieux
doués et les plus personnels de notre
jeune école. Je regrette que l'Etat ait
négligé d'acquérir une œuvre aussi re-
A n V R E N A N
L'éducation littéraire n'est certes pas
indispensable au peintre ; elle serait
CHAMP DE MARS
même nuisible à ceux qui ont embrassé
le métier aux fins exclusives de faire de
]a peiuliire. Il est certain qu'un Corot,
un Degas, un Monet n'ont point à se
soucier d'acquérir un bagage étranger à
M. Ary Renan est un écrivain délicat,
un raffiné de lettres; ses préoccupations
d'art dérivent de ce premier fonds.
Après avoir débuté en des paysages
exquis, notes de Syrie ou vues d'Ischia,
leur unique passion ; celle de noh- juste
et de rendre juste. Un Delacroix, un
Ingres, un Puvis, au contraire, ne sau-
raient se ])asser d uni' li.iulc culture
spirituelle. Il est éviilfiit ipicrapporl de
la littérature peut être considérable dans
une [X'inturc d'histoire ou d'allégorie.
il a élargi son liori/on et s'est pmposé
d'adjoindre la figure humaine à ses pay-
sages, pour leur donner une significa-
tion mystique ou syniboli(pie. Connnenl
s'étonner que son esprit subtil et son-
geur, nourri du commerce inlellectnel
le plus choiM, ,ii( trouvé, dans celle
LES SALONS I)K Ittai
évolulion, la voie qui convenait le mieux
à ses aspirations initiales? Sans bruit,
M. Henan a con<|uis une place que d'au-
tres plus renommés pourraient lui envier.
Ce qu'a voulu exprimer le i)eintrc,
dans son tableau des Voix de la mer,
l'imagination de chacun en décidera.
Est-ce la plainte des naufragés qui
Cet accord précieux a frappé les moins
compétents, devant le tableau de M. Mue-
nior, d'une ambiance si lumineuse et
d'un calme si reposé. J'ai été de ceux
qui ont discerné dans le talent naissant
de cet artiste de race plusieurs caracté-
ristiques, — sentiment du geste, senti-
ment du paysage, sentiment de la ligne
Soir orageux, par M. Cottet. (D'après le carton du tableau.)
s'exhale pendant la tempête, est-ce le
cri du goéland qui fuit sous le vent,
est-ce le bruit des vagues qui s'entre-
choquent ? Un peu tout cela, sans doute.
M U E N I E R
Je suis ravi que l'État, consacrant un
succès unanime, ait acheté les Chemi-
neaujc, de M. Muenier, un vrai tableau
de musée, qui donnera une idée parfaite
de l'union intime de la figure avec le
paysage, selon les exigences nouvelles.
ornementale, — dont l'association devait
faire naître un jour des œuvres d'une
harmonie exemplaire.
Je ne chercherai pas à expliquer qu'en
regardant les interprétations de nature
si fortement caractérisées de M. Cottet,
le nom d'Ingres me vient souvent à l'es-
prit? Le rapprochement semblera, pour
témoins, paradoxal entre le grandissime
adepte de la forme parle dessin linéaire
CHAMP DlC M Ans
et ce beau manieur de pâles uniquemeiil
préoccupé, en apparence, de rapports
de valeurs. Regardez cependant avec at-
tention les tableaux de M. Cottet, même
ses plus frustes notations, vues de mer,
études de pêcheurs, scènes de la vie des
ports, et peut-être vous apereevrez-
vous, comme moi, que nul peintre, parmi
formisles, qu'ils s'appellent Prud'hon,
Ingres ou Degas. Tout ce que je lui vois
peindre décèle une constante et intuitive
préoccupation du caractère, de ce carac-
tère immanent qui est le langage mysté-
rieux de la nature.
Je n'en veux pour preuve que le très
remarquable tableau. Soir orageux, qui
Cmirlisane, par M. Dinet.
les jeunes, ij'a su lirei' des entrailles
de la réalité, de la physionomie spéciale
(les choses, de la vie qui leur est propre,
ce ([u'Ingres dénommait d un mot si
juste, " le caractère », et ce qui, dans
le domaine de l'imitation, met en relief
et précise la signilication essentielle, les
conditions dislinctivcs d'une forme ou
d'un ton. J'ignore les préférences csthé-
li(|ues de M. Cottet, mais je suis sûr,
sans en avoir jamais parlé avec lui, qu'il
a uneadniiialion j)rol'oMd(' pour les grands
VI. — (1.
nous représente en un raccourci intense
le va-et-vient des gens au moment du
retour de la pêche.
Le caractère ne fait pas défaut non
plus à la peinture de M. Dinct ; mais il
est moins synthétique et moins général.
,\ travers la lîretagne, M. Cottet entre-
voit l'humanité. M. Dinet s'attache, au
contraire, îi particulariser de la façon la
plus aiguë, la plus incisive et la plus
I.KS SALONS DIC 1S07
voloiilairejesobscrvalioiisqu'il rapporte
d'Algférie; il se prend corps à corps avec
un sujet, le fouille cl le tourne clans tous
les sens, jusqu'à ce qu'il en ail rendu
avec âpreté, presque avec violence, le
canaclère spécial.
M. Dinet pouvait se contenter d'être,
comme peintre alf;érien, un paysagiste
hors de pair; sa vive intelligence d'artiste
lui a l'ait ambitionner d'être un peintre
d'observation morale; nous ne pouvons
que l'en féliciter. Son Adoration des
liergers, sa Réunion publique, aussi
bien que les deux tableaux de celle
année, Courtisane el Douleur, sont des
œuvres dont la vigueur d'écriture égale,
ce qui n'est pas peu dire, l'intensité de
sentiment.
Les paysagistes du Champ de Mars
me pardonneront, j'espère, de leur
fausser compagnie. Que dirais-je, d'ail-
leurs, qui ne soit banal sur le charme
reconnu de M. Cazin, sur sa manière
soyeuse et élofTée de traduire les grâces
de la nature, sur les impressions exqui-
sement sincères, de M. Billotte et de
M. Binet, ou chatoyantes comme des
gemmes de M. Thaulow? Les portraits
m'attirent ; j'en aperçois plusieurs et d'un
ordre supérieur. Le portrait est décidé-
ment l'art de France par excellence.
t; V R o I. V s u l: h a n
M. Carolus Duran nous a fait large
mesure; trois portraits : le portrait de
sa fdle, M'"" Feydeau, entourée de ses
enfants, un de ses meilleurs ouvrages,
un vrai thème de réception à l'Aca-
démie, puis le portrait de son fils, un
beau gaillard en tenue de cuirassier, et
un vif et savoureux portrait d'homme
en buste, — trois morceaux de la plus
brillante facture. Pour mon plaisir, je
me permettrai d'ajouter à cette liste le
portrait merveilleux d'un canard à tête
verte pendu par la patte. Oudry, Char-
din, les animaliers japonais, ne sont-ils
pas, à leur façon, des portraitistes?
II ISN \ Il I)
M. liesnard, cette année, ne nous
ollrc pas l'occasion de disserlcr sur ses
magnifiques audaces de décorateur;
mais il s'impose à notre allenlion avec
plusieurs portraits, dont un, tout au
moins, a eu l'heureuse aventure de sou-
lever d'ardentes polémiques, ce qui est
bon signe. Le portrait de la dame en
rose, aux yeux de myope, vous l'avez
deviné, est l'objet du litige. Les con-
naisseurs, ou ceux qui ont des raisons
de se croire tels, veulent bien admettre
que, dans aucune œuvre peut-être,
M. Hesnard n'a affirmé plus délibéré-
ment et plus librement sa personnalité;
les uns, toutefois, critiquent le mouve-
ment, d'autres la vacuité du regard;
quelques-uns s'étonnent du choix des
gammes. Pour ma part, je n'hésite pas,
— et en cela je me sens d'accord avec
des juges dont j'estime grandement
l'opinion, — je n'hésite pas, dis-je, à
reconnaître, en ce morceau de haute
et dédaigneuse indépendance, une des
œuvres les plus caractéristiques, les
plus raffinées cl les plus savoureuses
qu'ait encore produites le pinceau trou-
blant et prestigieux de ^L Besnard. Je
ne parle même pas de la robe de soie
d'une nuance innommable, — rose sau-
mon, si vous voulez, — glacée d'une
légère enveloppe de dentelle blanche,
miraculeux régal dédié aux délicats; je
parle précisément de ce qui effarouche
les timides, de ce mouvement de torsion
du cou, si curieux et si élégant, du dessin
des épaules et des bras, du charme un
peu bizarre de ce visage au regard ab-
sent, de cet éclairage à jour frisant, de
toute cette hardiesse enveloppante de
lignes et de couleurs.
Je ne prétends pas insinuer que l'in-
fluence de M. Besnard ait agi directe-
ment sur des portraitistes d'une valeur
aussi individuelle que MM. Zorn, Aman-
Jean, Jeanniot ou Jacques Blanche; on
me permettra cependant de constater.
cil A Ml' llK MARS
l'mlinit .!,■ M'"- C. F. ri, ./,. «es ,;\/hnl<, |);.r M. f::iro1iis Du
LKS SALONS DlC
sans vouloir leur porter ombrage, que
le célèbre artiste, comme un astre fécon-
dant, resplendit sur un groupe de pein-
tres qui cherchent à associer trois
conditions fondamentales de l'art, sou-
vent désunies dans le portrait ou par-
à larges à-plals, qui n'est point celle de
M. Besnard; même remarque pour
M. Jeanniot, qui peint à petites touches,
pour M. Aman-Jean, dont la facture
estompée fait songer aux simplicités de
la fresque, et pour M. Blanche qui, par
le procédé, se rc-
tlamcdesAnglais
du wni'- siècle.
Combien ori-
^;iiial et élégant,
en sa mélancolie,
Vf portrait de
M. Ainan-Jean :
une jeune femme
assise surun banc
(le jardin et en-
cadrée, en volets
(le triptyque, de
la Beauté et de
la Poésie I J'en
aime infiniment
la pose alanguie,
la silhouette un
peu déhanchée et
la belle euryth-
mie décorative.
La reproduction
qui figure sur la
couverture de la
présente livrai-
son n'en a pas
altéré l'effet.
Portrait de -1/""' L., par M. Besnard.
tiellemenl délaissées : le sentiment orne-
mental de la ligne, la synthèse expressive
de la couleur et le rendu de la vie dans
la vérité ambiante.
J'entends dire du portrait de femme
de M. Zorn : c'est du Besnard exaspéré.
Je ne suis point de cet avis. Si le but
poursuivi est identique, les moyens de
l'atteindre sont, chez M. Zorn, très dif-
férents. Celui-ci a une manière cursive.
Nature puis-
sante et directe,
M. Roll s'attache
surtout à la vé-
rité morale ; il
ne s'attarde point aux bagatelles. Comme
Manet, il tend à restreindre son exécu-
tion au strict nécessaire. Déjà l'admira-
ble portrait d'Alexandre Dumas montrait
jusqu'à quel point l'artiste avait pro-
gressé dans la voie de la simplification.
Le Rocheforl marque encore un pas
en avant. L'image est saisissante de vie,
et d'une justesse d'expression qu'on
pourrait qualifier, dès maintenant, d'his-
CHAMP DE MARS
torique. Le visage du célèbre pamphlé-
taire a tenté bien des peintres et des
plus habiles; jamais ce masque extraor-
dinaire, où la lutte a imprimé sa formi-
dable grilTe, n'a été rendu avec celte
intensité, et je
dirai même, cette
intraitable fran-
chise. L'attitude,
le geste, le pince-
ment des lèvres,
la fixité presque
hypnotique du re-
gard, la chevelure
en flamme de
punch, tout est
rendu à miracle, et
avec cette sérénité
tranquille, cette
force intérieure,
celte unité austère,
qui n'appar-
tiennent qu'aux
maîtres.
« Pour arriver à
la belle forme, di-
sait Ingres, il ne
faut pas procéder
parunmodelécari-
ou anguleux; i
faut modeler rond
sans détails appa
renls... Fasde cou-
leur trop ardente,
elle est anli-liis-
loriqne. "
M. Louis Picard,
dont j'observe
avec un vif intérêt
1 incessante montée,
année, par une toile (
l(! portrait de M.
remontant à celle de M. Picard, on
trouverait les Flamands du xv" siècle
et le grand physionomiste Holbein. On
voit la différence.
Pour traduire avec loule l'intensité
s'aflirme, celte
le premier mérite ;
Dagnan-Iîouveret.
Voici encore une œuvre de vérité morale
et psychique, mais obtenue exclusive-
ment par la sévérité attentive du dessin.
V.n remontant à la source de la généa-
logie inlellectuelle de M. Holl, on ren-
l'onlrcrail \'ela'5que/. , j'inKiginc : en
»!■; Ki,cl,r/„ri, |.;ir M. Iloll.
voulue une ligure à la fois aussi liue.
aussi particularisée et aussi réservée
que celle de M. Dagnan, il fallail regar-
der il travers la vie de lardsle et à
travers son talent, c'esl-à-dii-c se péné-
trer de deux choses \éri(ablenieiil exem-
plaires: une carrière faite de dignité el
d'anslérilé professionnelles, un l.ilenl
subordonné à i'ell'ori pers(''véran( d'une
i.i;s SAi.oNS Di-: \no-i
volonlé iridexiblc. Ces traits tic <■ carac-
tère », M. Picard les a inscrits dans le
modelé du visage anguleux , dans la
saillie des pommettes, dans la largeur
ihi front, dans recuite d'un regard scru-
J\'itrfut df M. Vaifnan-Bouferet, par M. Louis Pican.l.
lateur, dans l'allure rélléchie de la pose,
dans le sérieux de l'exécution.
El' G EXE VIDAI.
J'ai entendu Degas, dont les éloges,
on le sait, ne sont pas monnaie cou-
rante, et qui s'y connaît, saluer en
M. Eugène Vidal quelques-unes des
qualités les plus éminentes et les plus
rares du portraitiste. M. \'idal a vécu
longtemps en Angleterre cl en Amé-
rique; il est peu connu <'i Paris. Ile que
j'avais entrevu de son talent m'avait fait
discerner en lui un des peintres de notre
temps les mieux armés pour aborder
le redfiiilabic et
Il )!• i.v»||i ii;ni ■ , I fuyant problèmedc
la physionomie hu-
maine. Ses maîtres,
ou plutôt ses mo-
dèles, Degas et Pis-
saro, lui ont mon-
tré la voie : chez
le premier, il a
étudié le secret de
la construction des
formes ; le second
lui a fourni l'exem-
|ilc de ses con-
quêtes hardies,
dans le domaine
à peine exploré de
l'optique des cou-
leurs. M. Pissaro
est un novateur,
dont peu de gens
soupçonnent l'im-
portance ; c'est de
lui que M. \'idal a
appris à restrein-
dre sa palette aux
unités fondamen-
tales du prisme :
le rouge, le jaune,
le bleu et le blanc.
Delacroix , déjà ,
avec sa puissance
intuitive, avait in-
diqué les grandes
lignes de la ques-
tion. Le noir, étant la négation de la
couleur, et n'existant pas dans la na-
ture, malgré que notre œil inhabile
croie l'y discerner, est rigoureusement
proscrit; le bleu le remplace. Les cou-
leurs, employées à l'état pur, ne sont
point mélangées sur la palette; c'est
par un travail de superposition, sur
la toile même, et par la trame des
touches, tissées comme une étolTe, que
le bleu doit disparaître et que le ton
CHAMP m-: m a us
rompu esl oblenu. Voilà le système. Il
est audacieux ; mais à voir le parti qu'en
ont tiré des artistes comme Claude Monel
et Pissaro, on peut lui prédire des desti-
nées fécondes, des conséquences impré-
vues. Appliqué au portrait , il permet
d'atteindre plus sûrement aux ellets d'in-
lensilé de vie, de frémissement d'épi-
derme, de vibration lumi-
neuse, à un lien plus elTectif
entre ralmosphère et le
modelé, au relief des formes,
sans dureté.
Dans le portrait d'homme
qu'il expose, aux salles de
In peinture, comme dans
ses quatre pastels du rez-
de-chaussée, W. \ idal a
donné à ses théories la
sanction décisive du ré-
sultat.
Réunir dans un même
cadre plusieurs f]gures, on
les traitant chacune avec la
préoccupation individuelle
du portrait, grouper ce qu il
est déjà si difficile d'ex-
primer isolément : voilà une
tâche bien digne de tenter
un artiste de |)ersonnalité
et de courage tel que M. Lu-
cien Simon. (Jes réunions
de portraits, auxquelles
excellaient les Hollandais
du xvn" siècle et dont Rem-
brandt a dit le dernier mot dans ses
Sifiiclics d'Amsterdam ou dans cet in-
comparable et définitif chef-d'ieuvrc du
Musée de Rrunswick, J'iirlrnil de fa-
mille, bien peu, parmi les modernes,
les ont tentées; (Courbet y a échoué, et
je ne vois guère que M. Fanlin-l-alour
(]ui ait su triompher des p('rils du pro-
gramme.
C'était donc de la part de .\l. Simon
une singulière témérité (|ue de placer
ensemble, dans le même cadre, sept
ligures de grandeur naturelle, sept re-
présentants d'une même famille. La
jeunesse a de ces imprudences.
Je vois ce qu'on peut reprocher à
l'œuvre de M. Simon : une certaine
égalité de facture, un manque de pitto-
resque dans l'arrangement et un ton
local inharmonieux; mais j'y vois aussi
tout ce qu'on peut y louer : la belle
J'ortraif, pai M. En-. Vi(l:.l.
tenue des lignes, la valeur expressive de
chaque figure et une probité générale
d'inter|)rélation, qui est la marque du
véritable artiste. Déjà, l'an passé, j'avai'-
signalé l'effort considérable de M.Simon :
un secret pn^ssentiment m'avertissait
qu'il ne mentirait pas à mes pronostics.
Je ne m'attendais pas ce[)endanl à une
œuvre aussi ample et aussi caractérisée.
Avec déjeunes talents comme MM. Mé-
nard, Cottel, Ricard, Simon, sans parler
de beaucoup d'autres, l'avenir i\c notre
école esl en bonnes manis.
LKS SALONS l)K IS!)7
IIOUTET Dl'
A quelle catégorie les amis des
classifications exactes rallachcroiit-ils
M. Houlet (lo Monvel? 'l'ouï houtic-
à laisser loin de lui son modèle; il tie
lui est resté de cette première origine
qu'un goût un peu anglais, comme une
coupe fllialfil spéciale. Ses marionnettes,
(l'abord rudimciilaires , sont devenues
Portniits, par M. Lucien Simon.
ment, je crois, à celle des gens d'esprit,
nombreuse au pays de Voltaire. L'illus-
trateur des Chansons de France, des
Fables de La Fontaine et de VEpopée
de Jeanne d'Arc a de l'esprit, et du
meilleur, jusqu'au bout des ongles. Mais
cela ne lui suffit pas; à cet humour char-
mant que son imagination sème sans
compter, il ajoute un sens aigu du des-
sin, une abondante et originale inven-
tion, un sentiment physionomique des
plus fins. Issu des publications enfan-
tines de Caldecott, il s'est affranchi
promptement de toute imitation, décidé
bientôt un petit monde très alerte, très
vivant et- très sensitif. La Jeanne d'Arc,
dont il expose les originaux dans une
salle réservée à ses œuvres, comptera
parmi les meilleures illustrations de
notre temps. Une archéologie, puisée
aux bonnes sources, y vient, dans une
juste mesure, corroborer l'élément pit-
toresque ; quelques tableaux sont d'une
grâce achevée , d'autres d'une verve
entraînante, tous ont une valeur déco-
rative et dénotent une entente de com-
position dont pourraient s'accommoder
la fresque ou le vitrail.
CHAMP DE MARS
De plus, M. Bou-
let, qui est passé
maître en l'art de
manier l'aquarelle, a
signé des scènes de
genre que se dispu-
tent à l'envi les ama-
teurs ; il a exécuté,
à l'aide de ce pro-
cédé, nombre de por-
traits qui sont des
merveilles de préci-
sion, de délicatesse,
et parfois de douce
ironie : souvent il
atteint à l'élégance
la plus rare, à l'har-
monie la plus heu-
reuse; je n'en veux
pour témoignage que
le portrait de ses
enfants, dont nous
donnons ici une re-
production, ou celui
du petit garçon au
chien. Notes blondes
et notes roses, tout
cela est délicieux.
r.A SCI i.i'i uni;
Nul ne conteste
(|uc la sculpture
u Offre, cette année,
au Champ de Mars,
plusieurs reuvres de
premier ordre et de
nature à motivei
diverses observa-
lions intéressante--,
susceptibles, en
tout cas, (le ni)U>
donner cette certi-
tude que noire école
est toujours la prc-
nnère du Mimidr,
l'.n-trails J'enfynis, ai)ii:ircllr, i.;ir M. liuiitut .le Munvel.
I.KS SAI.ONS t)I-; ln'jl
: A INT-M A IICKA l \
Sous le veslibule, dans le demi-jour
([ui aujj;menle le calme de ses lignes, une
lif^ure funéraire apparaît. (]'esl Alexan-
dre Dumas, étendu sur une dalle et
nimbé d'une couronne, revêtu, selon sa
volonté expresse, du froc de travail.
hors-d'<j'uvre; déjà le goût avisé et
1res expérimenté de rarchilectc du mo-
nument, M. Houwens, avait obtenu que
M. de Saint-Marceaux surélevât la tête
de son gisant sur un renllement de marbre
formant coussinet; mais cela ne suffisant
pas encore, on adopta le parti bâtard
de la couronne. 11 fallailaller hardiment
Victor Ilugo, groupe en plâtre, par M. Rodin.
pieds nus, les doigts des mains croisés
sur la poitrine. M. de Saint-Marceaux
en est l'auteur. Je me sens l'interprète
du sentiment universel en louant la
beauté sévère du visage émacié, des
mains, des pieds, de ces pieds fameux
dont le maître avait l'innocente coquet-
terie, et le grand style de la draperie.
Je regrette seulement la couronne, qui
n'est là que pour dissimuler ce que la
silhouette aurait eu de trop rigide sur
cette dalle d'amphithéâtre; on sent que
sa fonction est limitée à celle d'un
jusqu'au coussin, comme les artistes du
Moyen-Age et de la Renaissance. Lé-
gères critiques, du reste, qui n'ôtent
rien à la noblesse sculpturale d'une
image où revit tout entier, dans l'éter-
nelle tranquillité de la mort, le souve-
nir de l'illustre auteur de la Dame au.r
Caméliaa.
Continuons notre chemin. L'ne masse
de plâtre bizarre, de forme losangée, et
cil A M I' DE M A liS
soutenue sur sa selle d'atelier par des
béquilles de bois, nous avertit que
quelque chose d'insolite est proposé au
jugement de l'opinion. Vous l'avez de-
viné, nous sommes en présence du
Viclnr Huf/o de M. liodin.
utilisé dans son groupe), M. Rodin serait
encore un des maîtres de la plastique
moderne.
Mais qu'a-l-il voulu prétendre en con-
viant le public à discuter une œuvre
en voie d'enfantement ? A-t-il voulu
Fr;igun-nt du ,I/oh««
M. linrtliolomi'.
Me voici vraiment l'ort perplexe. J ad-
mire autant que quiconque le génie de
M. llodin ; je sais ce qu'il nous a donné
comme manieur de chairs et comme
évocateur de vie, et je mets le praticien
an-dessus de toute discussion. N'cùt-il
l'ail que le groupe; du Uniscr et ses admi-
rables bnsles {l);il<iii, Anlonin l'rinisl,
\'itl(ir /liufii. celui-là même (pi'il ,i
al'lirnier le ilroit du public à violer le
secret de l'atelier? .-V-l-il entendu, au
contraire, déclarer par cet envoi que
l'ieuvre lui semblait à [)oint et i(u'olle
était parvenue à ce moment psycho-
logique où il convient de n'y plus
toucher? S'agirail-il tout simplement
d'une fantaisie dont raniour-pr(>|)re de
l'inléi-essé n'a pas calcule lonles les
l,i;S SALONS DK IHD"
Le Marichal Cauroherl,
(Statue en bronze pour la
par M. A. Lenoir.
■illeileSaint-Céré.)
conséquences? Je ne sais. Quoi qu'il eu
soil, prenons révéncinenl tel qu'il se
présente et cherchons ii déduire les en-
seignements qu'il comporte.
Assurément , la pensée créatrice de
M. Itodin se comprend ; elle est superbe
et impérativement expressive. Le poète
sera assis sur un rocher; au-dessus de
lui planera rins|)iration lyrique, celle
des (lliAliincnls et de la Lci/einic des
.siècles: derrière lui se dissimulera hum-
blement l'inspiration intime, celle des
V'o/j- inlcricures et des C.hniils du cré-
/>ii.f<iilc ; de son. vaste front absorbé par
le rêve, de sa poitrine haletante, de son
geste dominateur jaillira, comme un
éclair, le \'erbe qui doit parler à l'I'^s-
pril; la nudité des immortels donnera
même à la figure principale le caractère
de grandeur épique qui lui convient. Je
vois tout cela et je l'admire; cependant,
si d'aventure tout cela disparaissait dans
l'exécution finale, ou se trouvait grave-
ment compromis, pourquoi m'en donner
le regret ? Car je ne suppose pas que ce
groupe, dont les bras sont attachés avec
des ficelles, puisse être envoyé ainsi à la
fonte. Passe encore s'il s'agissait d'une
véritable ébauche à grandeur d'exécu-
tion et d'intentions définitives; mais ce
n'est pas cela : M. Rodin n'expose, en
somme , il était facile de s'en rendre
compte, qu'une maquette de quelques
décimètres, grandie par une mise au
point et moulée ensuite en plâtre, de
façon à donner le change sur sa gran-
deur réelle. Je ne saurais, pour ma part,
approuver une semblable dérogation aux
rèffles consacrées.
BAR TU OLO .M l:
Dans le Rodin, tout est tumulte,
désordre, agitation; dans le fragment
en pierre du Monument aux nior(s, de
M. Bartholomé, tout est repos, gravité
et recueillement. J'ai déjà dit ici mon
admiration profonde pour une création
qui sera, après le bas-relief du Départ.
de Rude, la grande œuvre sculpturale
du siècle; je n'y reviens que pour con-
CHAMP 1)1-: MAH!
slaler avec joie, d'après cet essai, tout I m'avenlurer dans le domaine des hypo
ce que le premier modèle, si beau pour-
tant, aura bénéficié du grandissement
et du paracbèvement final. Descendant
et émule des gothiques, M. Hartholomé
semble né pour le travail de la pierre;
c'est un tailleur d'images, dans la plus
noble, la plus haute acception du mot.
thèses, prédire à cette création monu-
mentale un immense retentissement. On
cherche le « clou » artistique de 1900 : le
voilà.
A L F R E D I, E N O I R
Il faut bien que, de temps à autre,
fil briques (;maillées, p^ir MAf. Cliarptiitier
Sa belle intelligence a entrevu l(;s fins
immuables de l'art; sa science, débar-
rassée des misères du métier, l'y con-
duira d'un pas sûr. J'ai pu examiner
la grande maquette architecturale du
monument, (el ([u'il sera édifié au milieu
de l'avenue centrale du Père-Lachaise,
à mi-chemin de la montée; j'ai vu les
niodilicalions, longuement méditées que
le maître y a apportées, d'accord avec
l'architecte, M. h'ormigé, cl je puis, sans
une œuvre sincère, étudiée avec le souci
de la dignité de l'art, et justifiée par la
(|ualité (lu personnage à éterniser dans
le marbre ou le bronze, vienne nous
consoler de foules les platitudes dont
on nous accable, de foules les fausses
gloires dont on nous encombre, des fan-
toches enfin dont on déshonore nos rues
et nos places publiques. I-orsque ('elle
(euvre de bonne foi nous a|)parai(, nous
la saluons d'un r<'<;ar(l reconnaissanl.
AI.ONS DIO lS!t7
La Douleur^ statue en marbre, par M, Esoouki
Les souscripteurs du monument du Ma-
réchal Canrohert ne regretteront pas
leur argent; l'auteur de la belle statue
de Berlioz, du square Vintimille, vient
de démontrer péremptoirement que leur
condaiice availété bien pla-
cée. Le Ijronze du Canro-
bcrl se dresse au milieu du
SmIdii (lu Champ de Mars,
\n;inl et bien campé; à
S;iiiil-Céré, il s'élèvera sur
iiii haut piédestal de pierre
auquel M. Alfred Lenoir se
propose d'adjoindre deux
ll;,'ures allégoriques et réelles
à la fois : un zouave et un
soldat de ligne, personni-
liant les campagnes de Cri-
mée et d'Italie. L'idée est
claire, franchement sculp-
turale et sa réalisation plas-
tique sera, je n'en doute pas,
excellente. L'(jeuvre iconi-
que de M. Lenoir, telle
qu'elle est déjà, se présente
comme une des meilleures
tpi'il nous ait été donné de
voir durant ces vingt der-
nières années.
eu ARI'UNTI EH
L'Orient avait montré tout
le parti qu'on pouvait ob-
tenir de la céramique ap-
pliquée à la décoration mo-
numentale; les frises du
palais de Darius, exhumées
par M. Dieulafoy et magnifi-
quement restituées au Lou-
vre, devaient avoir leur
contre-coup sur les recher-
ches de la statuaire ; la
brique émaillée et appa-
reillée est, en effet, un mode
de décoration qui, manié
par des mains habiles, peut
devenir singulièrement sou-
ple et pittoresque, durable
en même temps et écono-
mique. M. Formigé, dès
1889, avait eu le sentiment des res-
sources qu'offrait l'emploi de la céra-
mique comme adjuvant de l'architecture
métallique et il en avait tiré les plus
heureuses applications dans la con-
en AMI- DK M Ali a
struclion de ces beaux [)alais bleus
condamnés bientôt à disparaître ; —
vandalisme inutile, soit dit en passant,
puisqu'on était décidé .'i conserver pré-
cieusement la Tour Eiffel, la Galerie
des machines, le Palais du Trocadéro,
les grandes lignes enfin de l'Exposition
de 1889.
Le bas-relief, en briques émaillées, de
MM. Charpentier et Mijller, les Boii-
laiicfers , est destiné, je suppose, au
Palais de l'Alimentation en 1900; c'est
une adaptation selon le goût moderne
des admirables modèles laissés par les
vieux Persans.
La tentative est très intéressante et
digne en tout d'être encouragée. Seu-
lement elle présente, à mes yeux, un
défaut que je tiens à signaler. La façon
dont les joints de l'appareil ont été mis
à nu et même soulignés est une erreur
manifeste. Jamais, au grand jamais,
les artistes de Darius n'auraient com-
mis un tel manquement aux principes
rationnels de l'art; les joints que né-
cessitait l'emploi des petits matériaux
étaient soigneusement atténués, cela
est certain; s'ils sont apparents dans la
restitution du Louvre, c'est qu'on n'a
pu unir à joints vifs les briques dont les
arêtes étaient usées. Pour tout le reste,
composition, dessin et couleur, le bas-
relief mural de M. Charpentier est
excellent.
Parmi les statues les plus recomman-
dablesque le Salon du Champ de Mars
ait vues éclore, je citerai, cette année, en
terminant, la belle et expressive figure
de la Douleur, exécutée par M. Escoula
pour un tombeau. Nous en donnons ici
la reproduction.
Toute celte exposition de sculpture
est d'ailleurs superbe et les morceaux
de valeur y abondent. Si je voulais être
en règle avec ma conscience, je devrais
m'arrêler devant les envois si intéres-
sants, à divers titres, de M. Dalou (trois
bustes admirables); de M. Lambeaux
(groupe en bronze, les Lutteurs; de
mouvement puissant et de merveilleuse
patine); de ^L Dampt (délicieux buste
en pierre lithographique d'un jeune
garçon, casqué et armé en chevalier);
de MM. Bourdelles, Vernhes, Masseau
(bustes en bronze et en marbre); do
AL Henri Cordier (cavaliers d'Afrique,
en bronze); je devrais aussi discuter les
essais si curieux de sculpture en cire de
M. Ringel d'Illzach, un vétéran de la
polychromie; mais si je me laissais in-
duire en tentation, mon article, déjà
long, envahirait le numéro tout entier.
Il vient un moment où il faut avoir la
ferme volonté de poser le point final.
Louis (ioNSH.
1»1<:T1TS HOTELS MODERNES
lloTKI, (jDNKTUrlT l'Ail M. SAUVKSTIIK
EN SMALAH
si)ii\'i;miis i> UN ofi-'ici lUi de spahis
(Jui, dit le capitaine iJLiroclier en
poussant un profond soupir, c'était lo
bon temps alors! La vie rude, mais
large; la sauvagerie à l'état chronique,
mais si sentimentale qu'elle devenait
une poésie: une nature âpre avec des
sites pittoresques; des hommes à l'air
farouche, mais d'une naïveté enfantine ;
une existence patriarcale comme on la
lit dans la Bible; du monde civilisé,
quelques échos lointains, rares, n'éveil-
lant plus en moi qu'un restant de curio-
sité sans allumer ni convoitises, ni re-
grets, voilà la vie de smalah, celle que
j'ai menée durant les huit premières an-
nées de mon existence militaire, je la
l'egrette, oui, je la regrette !
Après une pose passée dans une pro-
fonde méditation, le capitaine Durocher
continua :
A ma sortie des l'xoles, (h'signé sur
ma demande pour servir aux spahis, je
fus flirigé sur Alger. J'étais plein d'ar-
deur, plein de foi en l'avenir, plein de
dé<lain pour mes jeunes camarades qui
se condamnaient aux monotonies de
l'exislence dans les garnisons de France.
Il fallait voir avec quelle crâneric
mêlée d'orgueil j'endossai mon pi-cmicr
uniforme, confectionné à l'aiisclic/ l'un
des tailleurs militaires en renom, (l'était
au temps où les culottes commen^aienl
à devenir boud'anles, où les képis allon-
geai<'nl démesurénu'iil li'ui- \ isière et
leui- coilfc, fa(;on Sauinui-, Ali ! la belle
l<'nuc ilr icunc sous lieuli'iiaiil , (|ucllc
coupi' irn''|iriii-li,ililc, (|ucl chic! l'uninic
j'allais... r/i;ilci- les cainar.iilcs d'.\fn-
qui', qu'un disait ai-riérc'S r[\ nialirri' di'
IcMur!
I )rs nmn aiTivi''c au d('-|iol du légi-
niciil, iiù résidaicnl ri-lal-major et deux
cscadinns. j allai faire ma visite au colo-
nel.
'ii'lall un honiiue rigide el froid. I'!ii
VI. — 7.
voyant ma tenue, il froiira le sourcil.
Après l'échange de quelques paroles lia-
nales pendant lesquelles il [larut médi-
ter, les yeux fixés sur la pointe de ses
bottes, il redressa la tête, croisa les bras
et, me regardant dans les yeux :
— Monsieur, dil-il d'un air qui me
fit jiAlir...
... El il s'arrêta brusqueinçiil. In trait
de lumière avait du traverser son cer-
veau,car son front s'éclaircit. PicnanI un
air narquois, il continua en ces termes :
— Vous appartenez au 'Y' escadron,
smalah de C... et vous serez mis en
route demain. Avez- vous un cheval?
— Non, mon colonel.
— ^'ollS en choisirez un parmi le--
disponibles, l'ailes vos prl■■paratil'^ de
départ. Adieu, monsieur.
Je sortis le cceur gros, sentant bien
(|ue j'avais déplu, que j'étais sous le
coup d'une disgrâce, que la smalah
de C... devait être ma Sibérie.
Je commençais à apprendre à mes dé-
pens qu'aux spahis ce ii'csl fins l'hnhit
(/ui f:iil... considérer l'oflicier comme
un homme de valeur. J'allais recevoir
une autre leçon cpii me cori-igcr;nt tout
à fait.
(l'est sous ces aus[)ices (pie je me mis
en roule le lendemain, accom|)agné d'un
spahi (|ui devait me servir de guide, el
suix'i de mes bagages à dos de mulel.
J'avais cent eiurpiaiite Kilomèlre- à fran-
chir.
.le 11-; dans m.i jourm'e. à la moili'
arabe. 1rs cent dix lulomèlri's (pu me
séparaii'nl de 'riemecn.
Le lendemain, je lis ma deniicre étape,
quarante kilomètres à travers la brous-
saille, par de marnais chemins, dans un
|)ays de [)lus en |)lus aeci<lenli', m èle-
\ant de terrasse en leria--e jiisqii'anv
|)remiers conlreforls des hauts pla-
teaux.
Vers le soir, au détour d'une colline,
le spahi qui, dans ce moment-là, mar-
chait devant moi, me montra la smalah.
Sur la pointe ahaissée d'un haut pro-
montoire horde" de roches abruptes
qu'entourent les eaux tumultueuses d'un
torrent, s'élèvent les tristes murailles
du hordj, llauquées de bastions carrés.
Le soleil couchant, — un soleil d'Afri-
que, — jetant derrière elles son man-
teau de feu, les fait paraître plus sombres,
donne à leur silhouette un aspect sinis-
tre. Comme cadre, des montagnes vio-
lettes avec de larges taches noires, des
roches rouge sombre, un ciel d'un bleu
intense; les teintes les plus inattendues,
les plus abracadabrantes pour l'œil qui
n'y est pas exercé, s'étendent sur ce
chaos montagneux; le rêve de l'impres-
sionniste devenu réalité se présente à
ma vue, dans un silence de mort, trou-
blé seulement, de loin en loin, par le
froissement d'ailes d'une chauve-souris
ou le cri sinistre d'un chacal.
Ah! j'avoue qu'à cette vue j'eus le
cœur serré ! Il me sembla que j'allais
entrer vivant dans un tombeau, je fis
un rêve éveillé dans lequel je revis le
jeu de physionomie de mon colonel.
Pourtant cette pé-
n ible impression
dura peu; mon che-
val s'était arrêté
comme s'il avait
compris mes hési-
tations, je le mis au
galoj).
En un temps, in-
terrompu seulement
par une côte à des-
cendre, une rivière
à passer à gué, une
côte à monter, j ar-
rivai à la porte du
bordj.
l'^n pénétrant sous
le grand portail ,
j'aperçus, adossé à
la voiîte, un Euro-
péen vêtu d'un mé-
chant complet de
velours, coilTé d'un
large feutre très fa-
tigué, chaussé de
guêtres et de gros
souliers ferrés, fusil
en bandouillère,
teint basané, che-
veux et barbes incultes ; j'avais rencontré
sur ma route des hommes de ce type-là, on
m'avait dit que c'étaient des Espagnols.
^'oulant me renseigner sur la direc-
tion que je devais prendre dans le bordj,
et ne voyant que lui à qui parler en lan-
gage chrétien, — je ne connaissais pas
l'autre, — je l'interpellai :
— Qu'est-ce que vous êtes dans les
huiles, vous? lui demandai-je en argot
militaire.
— Monsieur, me répondit-il en se
découvrant poliment, je suis le capitaine
commandant de la smalah.
K\ SMALAH
qu
Eh bien, me voilà beau! — Aussi,
pourquoi élail-i! ainsi ficelé! — Etait-ce
ma faute, à moi, si je lavais pris pour
uu f^arçon de
cantiiK' ou uu
braconnier es-
pag^nol ! — Il
n'a\ait qu'à
conserver une
tenue cor-
recte, et j'aurais su à
qui je parlais.
Mais j'avais beau
\'ouloir me raisonner,
au fond, ma con-
science mo dénonçait,
je comprenais que
j'avais eu tort, que,
que soit Ihomme, je n'au-
rais pas dû l'interpeller de
favon aussi légère.
Mes débuis continuaient
à être très malheureu.x.
Comme il était l'heure
de dîner, le capitaine me
lit conduire à In chambre
dos hôtes, pour y l'aire ma
toiletle.
A tal)le. je lrou\ai réunis
le capitaine commandant,
le cajiilaine en second, et
un lieutenant qui, avecmoi,
formaient au complet régle-
mentaire le cadre des ofli-
<iers français de l'escadron.
Le repas fut morne. Le capitaine en
second, (pu avait [lourlant l'aii- il'un
bon gros vivant, fut grognon ; le ca|)i-
taine commandant ne parla qu'on termes
sentencieux dont je no compris que trop
les intentions; le lieulenanl garda une
sti ictr neuli-aliir-,
.\[)rès le repas, le capitaine couiman-
<lant se leva et me congédia : — Monsieur,
me dit-il . vous devez être fatigué,
.Ahmed va \(ius conduire à votre
<liambi-e; bonne nnil, monsieur.
.\lnned l'Iail lindigène chargé du ser-
virc de la lalile, il parlait assez bien le
français. Marchant devant moi. il me
<onduisil ù l'extrémité du pavillon. Ma
chambre était au premier étage : c'était
une grande pièce carrée, aux murs nus,
peints en vert. Dans uu angle élail
dross.
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iblail allendre cpiclque observa-
ICN SMAI.AII
lion, je le congédiai en le remerciant
el je m'assis sur mon lit en proie aux
amères réncxions que me sugf,'éraienl
mes malheureux débuls.
.l'étais par bonheur doué d'une cer-
taine force morale, je n'étais pas dénué
de bon sens, j'avais surtout le désir de
plaire à mes chefs et de faire mon de-
voir; la jeunesse seule, l'inexpérience
de la vie, gâtaient tout.
Je n'en voulus pas 'i mon capitaine
dem'avoirsi durement traité; ne l'avais-
je pas bien mérité? Au contraire, la leçon
me profita.
Le lendemain matin, quand j'eus re-
vêtu ma pimpante tenue et que je me re-
gardai, je me trouvai ridicule. Non, je
n'étais pas un officier d'Afrique, je le
compris et j'eus honte; me déshabillant
à la hâte, je recherchai dans mes can-
tines, pour les revêtir, mes vêtements
les plus modestes.
Lorsque je descendis dans la cour du
bordj, l'animation y régnait déjà. Les
spahis pansaient leurs montures. Les
chevaux piaffaient, hennissaient, se
tourmentaient à attendre la ration ; le
maréchal des logis chef transmettait
des ordres au sous-officier de semaine ;
l'officier indigène de jour, vêtu d'un
caban bleu, se promenait gravement les
mains derrière le dos, tandis que le four-
rier en pied courait, ayant en main les
pièces à signer.
Je demandai le capitaine, on me con-
duisit à la salle du rapport.
Occupé à expédier son courrier, le
capitaine commandant ne sembla pas
tout d'abord remarquer ma présence.
J'attendis debout à quelques pas. Lors-
qu'enlin il leva la tête, il me considéra
en silence. J'avais les yeux fatigués d'un
homme qui a mal dormi, mais le sou-
rire aux lèvres.
Soudain, le capitaine me comprit et,
se levant vivement, vint à moi les mains
largement tendues et me donna une
royale poignée de main.
La glace était rompue et ma mala-
dresse oubliée.
A midi, le capitaine en second et le
lieutenant me firent le meilleur accueil ;
le soir, on mit les petits plats dans les
grands pour fêter mon arrivée, j'étais
désormais de la famille; je fus bientôt
le fils chéri de ces braves gens.
Plus tard, lorsqu'il me fallut les quit-
ter, je pleurai à chaudes larmes.
Le cadre des officiers était complété
par trois officiers indigènes : un lieute-
nant et deux sous-lieutenants. Le lieu-
tenant s'appelait Ahmed ben Lagdar.
C'était un bel .Arabe d'âge mûr, au vi-
sage grave, au port droit el noble, une
figure biblique dans son costume orien-
tal. Élevé au lycée d'Alger, il parlait le
français avec une pureté qui frisait l'élé-
gance. Erudit, sa conversation était at-
trayante. Je me liai promplemenl avec
lui et, s'il ne devint pas précisément mon
ami, il fut du moins pour moi un agréa-
ble compagnon et un bon camarade.
15en Lagdar m'olfrit de me faire con-
naître la smalah. Nous partîmes à pied,
une après-midi, un bâton à la main; il
marchait devant d'un pas lent et mesuré
et, tandis que nous gravissions la col-
line, de sa belle voix de ténor un peu
grasse, mais harmonieuse, qui me berçait
comme un chant, il me parlait des
spahis, de la conquête de l'Algérie, de
l'occupation de ce pays perdu, de la
création des smalahs.
Arrivés à mi-côte, Ahmed s'arrêta et
son visage prit une expression de tristesse.
Élevant le bras, il me montra, sur notre
gauche, un espace couvert de tumuli et de
pierres levées : « Le cimetière, me dit-
il. Là sont enterrés beaucoup de spahis
morts au service delà France. Comme tu
le vois, l'égalité la plus parfaite y règne,
toutes les tombes se ressemblent : même
forme, même orientation vers la Mecque,
nulle inscription; on ne connaît les
tombes des siens qu'au rang qu'elles oc-
cupent dans les alignements. Celle que
tu vois là, la troisième, est celle de mon
père: il était sous-officier à l'escadron,
tu entendras souvent parler de lui, car
il fut chasseur émérite et brave soldat.
Cependant nous avions repris notre
ascension. La pente devenait rude, ro-
i;n smalah
cailleuse, parfo
rocher formait de véritables
escaliers qu'il fallait gravir.
Je voyais partout l'empreinte du
pied des chevaux ; j'en lis la
remarque à Ben Lagdar, il sou-
rit : " Nos chevaux, me dil-il, onl le
pied aussi sûr que nos mulets. Ils gra-
vissent ces pentes sans efforts, ils les
descendent de même, ayant en outre sur
le garrot une grosse botte d'alfa qu'ils
ont été chercher dans la montagne et
qui doit leur ser\ir de lilirrc Jamais
nous n'avons eu à déphirei- (raceidenl.
.Nous comprenons l'écpulalidn à noire
favon, nous ne faisons pas de ré(pnlalion
savante, nous faisons de l'cquilalion
()ratique. Dans nos montagnes comme à
la guerre, la science é(piestre est un luxe
inutile, (le (pi'il faiil à nos chevaux,
conuHi' à Udus, c'i'sl Ihui |iied. bon leil
cl MU csloinac rnniplai>anl . ■■
Arri\cs au --(inHUcl de la cullinc, mius
voyons au-dc>sciu^ i\r nou> \r burdj,
avec' li> rectangle de m'S ipiati'c laces
nan(pii''es de bastions carrés.
l'ont prés, sur le versant, sont les
lentes des spahis, rangées en douars
(c'est-à-dire en cercles), entourées do
haies d'éjiiiies appi-h'cs zrrril);is.
Quoique à cette heure du jour — il
était cinq heures — les troupeaux fus-
sent encore dehors, il régnait dans les
douars une certaine animation. Les
aboiements furieux des chiens roux à
long poil, les cris des volailles, les aj)-
pels gutturaux des femmes, les brai-
ments passionnés des ânes montaient
jusqu'à nous.
Des femmes voilées, courbées sous le
poids des jieaux de bouc remplies d'eau
puisée à la rivière, gravissai(>ut péni-
blement les pentes du ravin. On prépa ,
rait le couscous du soir.
.\ <piel<pic distance m' \dvail le ma
rabciul aux nun's blanchis à la chaux ;
c'ol la sépullin-c i\u saint du pays, l'oul
aulnui-, ^ous sa prolcclion, MUit les sd.'--
dans les(|uels les spahis i-cnfcrnienl leurs
récolles; au-dessous, éparses sur la l'ol-
line, les blanches et pnipi-cltcs maisou-
nelles des ofliciers indigènes.
I-a smalah lire ^cm iMipi>rlancc de sa
situation au déb.iuclu' des inoutagnes, à
i:n smai.aii
rcnliH'C (le la ])laiiie; elle surveille l'une
et l'an lie.
C'est un poinl d'occupation au milieu
J] I E N s II O U X AT L 0 N (i POIL
des tribus qui, livrées à elles-mêmes,
seraient la proie du premier agitateur
venu, et comme les spahis sont recrutés
dans le pays, ils assurent la tranquillité,
autant par la surveillance qu'ils exercent,
qu'en servant d'otages inconscients, eux
et leurs familles.
Ben Lagdar m'explique comment se
fait le recrutement des spahis indigènes
de smalah.
N'est pas spahi qui veut. Pour être
admis, il faut jouir dune certaine noto-
riété dans sa tribu, être chef ou fils d'un
chef de tente, amener un bon cheval
d'armes, une ou plusieurs tentes, au
moins une femme, posséder des trou-
peaux, autant que possible une jument,
enfin avoir un ou plusieurs khammès
(serviteurs).
Me montrant du geste les terres qui
environnent le bordj : « Tout cela, me
dit-il, appartient aux spahis. Chacun
d'eux reçoit de 15 à "20 hectares de ter-
rains de parcours pour les troupeaux, et
de 1.5 à 'iO ares de terres irrigables. Avec
ses terres, sa solde cl ses troupeaux, le
spahi peut faire vivre aisément sa
famille, car l'Arabe a peu de besoins. »
C'est ainsi que je m'initiais
peu à peu à l'existence des spahis
de smalah, vrais soldats labou-
reurs tels que les avait rêvés
Hngeaud pour ses villages mili-
taires. .Mais si les spahis s'accom-
modent de cette existence mixte,
c'est parce qu'elle ne change
rien à leur constitution sociale,
basée sur une sorte de féodalité
et sur le communisme.
Le spahi manie la charrue
comme le sabre (ense el anilro).
V.\\ dehors du service intérieur,
de celui des détachements, des
expéditions, il cultive.
Dans le principe, les smalahs devaient
servir aux spahis d'écoles d'agriculture;
mais les Arabes n'eurent que du dédain
pour nos beaux procédés et continuèrent
de cultiver à leur manière.
Comme le jour baissait, nous redes-
cendîmes la colline: mais, au lieu de re-
gagner le bordj, nous allâmes nous
asseoir sous une tonnelle rustique.
C'était l'heure de la rentrée des trou-
peaux ; on les voyait dévaler de toutes
parts, bientôt ils commencèrent à gravir
les pentes, venant vers nous en pha-
langes houleuses, comme une marée
montante; les brebis bêlaient de ce ton
plaintif de bêles malheureuses qu'elles
conservent lors même qu'elles sont re-
pues. Les bergers, armés du long bâton
recourbé, faisaient entendre des appels
stridents, sifflaient leurs chiens, lan-
çaientla fronde auxbrebis récalcitrantes.
Les troupeaux de chèvres ne se voyaient
plus, dans la nuit tombante, que comme
des taches noires glissant sur le fond
gris du sol ; derrière eux venaient les
vaches mugissantes, enfin les chameaux
dont on ne distinguait plus que vague-
ment les grands cous qui se balancent et
les longues jambes grêles, qui tricotent.
Tous ces animaux vont s'engoulfrer
pêle-mêle dans l'enceinte des douars, où
les femmes des spahis, reconnaissant
aisément les bêtes qui leur appartiennent,
viennent traire chèvres, brebis, vaches,
et jusqu'aux chamelles dont le lait est
apprécié.
Cependant, la nuit étant venue, de
f;rands l'eux s'allument dans les douars,
les ombres s'allongeant déforment les
objets, les chacals qui rôdent pour cher-
cher une pâture hurlent dans la mon-
lag'ne, les chiens leur répondent furieu-
sement. Parfois le silence se fait et l'on
entend alors les sons doux et mélanco-
liques de la lli'rte en roseau qui fait en-
tendre une mélopée.
El ce sera ainsi tous les soirs ; tous les
soirs on assistera à la rentrée des trou-
peaux, à l'illumination des douars, aux
concerts de flûte et de derbouka ; tous
les soirs on entendra les cris des chacals
et les aboiements des chiens se prolon-
g-eanl jusqu'à Faube; tout ce mouvement,
tout ce bruit, ([ui éveille sans cesse les
échos des montagnes, qui en trouble les
solitudes, c'est la vie en smalah.
Quinze cents êtres humains et plus de
cinq mille têtes de bétail grouillent dans
ces trois douars, tandis que dans le
bordj les chevaux de l'escadron,
sous leurs hangars ouverts à tous
les vents, dans toutes les saisons,
agitent leurs cent cinquante chaînes,
que les gardes décurie font en-
tendre leurs appels gutturaux poui-
imposer le calme aux batailleurs,
qu'au café maure, accessoire indis-
pensable;! toute smalah, le son sourd
et cadencé du tam-tam marque la
mesure de ipielque danse arabe ou
d'une fantasia kabyle.
Il faudra vivre dans celle caco-
phonie étourdissante dont on ne
peut se fair<' une idée (|uaiid on iir
l'a [)as entendue, comme d faudra
s'acclimaler ilaris un pays malsain. C'est
dur (piand on vient de Fi'anee, quand
on débute dans la vie militaire au sortir
de l'existence de Saint-Cyr, avec ses
écliap[)ées joyeuses sur Paris.
(>etl(! vie, au milieu de la sauvagerie
<lu pays et des gens, semble impossible
aux rares visiteurs des smalahs ; des
rapports faits au ministre de la guei-re
par les généraux inspecteurs ont pré-
senté l'existence des officiers de smalah
sous un jour assez sombre.
Cependant le son de la trompette se
faisait entendre: c'était la soupe des of-
ficiers qui sonnait, nous nous séparâmes,
nous donnant rendez-vous pour lelende-
main et je me rendis à la salle à manger.
C'est au repas du soir qu'on se re-
trouve généralement au complet. Tout
le jour, chacun a vaqué à ses occupa-
tions; la chasse, la pêche, les excur-
sions, les courses aux localités voisines,
le service ont plus ou moins séparé la
petite famille.
On se raconte les événements, on
rend compte d'une mission, on se con-
sulte pour l'emploi du lendemain, on
dépouille le courrier rjuand il Hrrire, et,
lorsqu'on n'a plus rien à se dire, on ra-
conte des gauloiseries, de sempiternelles
histoires qu'on entend pour la centième
fois et dont on s<> gausse chaque fois,
parce cpiil faut liien rire un peu.
I,e> bordjs sont presque lous con-
■•iWs'X^
struits sur le même
modèle, le modèle il u
génie : lorsqu'on a
dépassé l'entrée, on a derrièri
bureaux, la chand)re di's lu'iles.
du rapport, le corps de gaide
des enfants, les locaux de disci]
fond de la cour, à <lroile, un
n les
salle
e. .Au
, 1 1 1 o 1 1
i: N s M. A I.A II
I. E SEUvrCK EN CAMI'AUNK
rpiifermaul les loyements du cadre fran-
çais (sous-officiers, Irompelles, ouvriers,
ordonnances), la cantine, l'alelierde ré-
parations. Derrière se trouvent la forge
et la cuisine. Au fond de la cour, à
g^auche, on a le pavillon des officiers,
dont la moitié, qui comprend : salle à
manger, salon, deux chambres à cou-
cher, quatre cabinets, cuisine, cave,
appartient au capitaine commandant.
Les officiers sont logés dans l'autre
moitié, ils se meublent eux-mêmes,
comme ils peuvent ; pour mon compte,
j'ai couché mes huit années dans mon
lit de troupe.
Les officiers français ont un jardin en
commun.
Le nôtre était un véritable éden. On
y arrivait par une longue allée, ombragée
d'arbres séculaires.
Jamais un rayon de soleil ne pénétrait
dans cette allée, on y jouissait tout le
jour d'une délicieuse fraîcheur. Des cen-
taines de rossignols, des milliers d'oi-
seaux de tout plumage y faisaient en-
tendre les chants les plus variés. Parfois
un craquement dans les branches faisait
lever la tête, on apercevait dans l'ombre
du feuillage sombre deux yeux fascina-
teurs, ceux d'un lynx ou d'un chat sau-
vage en quête dune proie.
A l'extrémité de l'allée, dans l'enca-
drement des derniers arbres, se dressait
un superbe palmier, dont la silhouette se
détachait sur le fond bleu du ciel. Au
pied du palmier, une source cristalline,
débordant d'un petit bassin, s'échappait
en cascadelles qui s'étalaient largement
jusqu'au fleuve.
Sur la droite s'ouvrait le jardin, vaste,
ombragé d'orangers, de citronniers, de
mandariniers, clos de haies de figuiers
et de vignes vierges, avec des lauriers
sauce, dont les masses cylindriques,
s'élançant à plus de quatre mètres de
hauteur, semblaient les bastions de cette
muraille verdoyante.
Danscetle terre, pour laquelle l'engrais
serait une pléthore, sous les rayons ar-
dents et féconds du soleil d'Afrique, les
fruits viennent à profusion, s'épanouis-
sent à pleine peau, se colorent richement,
se parfument, deviennent succulents.
Ah ! les bonnes fraises que j'ai mangées
!■: \ SMALAH
A T R A V E It S
là-bas 1 Et les pêclies ! et les brugnons
},'ros comme cela, elfermes, elsavourcux 1
La création de ce jardin était due aux
officiers français qui n'avaient épargné
ni soins, ni argent pour le doter des
belles espèces darbres fruitiers et des
|)lus beaux légumes.
Lejendemain, Abmed Ikmi Lagdarviiit
me chercher pour aller visiter à cheval
les environs de la smalah. Après avoir
chevauché quelque temps par monts et
par vaux, voulant voir de près l'entrée
d'une gorge qui semblait niléressante,
je tournai à dioite sur un sentier à flanc
(le coteau. Mais à mesure (|ue j'avançais,
le sentier se faisait plus étroit, tandis que
la pente de la colline devenait plus
abru|)te ; bientôt je fus obligé de ni'ar-
rèter. Je vis alors (|u'il était inq)ossdjle
ii mon (•lie\al d'avaiirer, ilc reculer et
de toiirni'r s.iiis roiinr la chance à jieu
pi-rs ciTl.nnr d'rlrr |ii(''(qii|i'' au fonil
du l'aN'in. <Jm(' faire .' ,Ic jelai un
regai-d anxieux vers l.agdar, il était
calme et souriant. .Aucune émotion
n'effleurai I son visage : « I'"ais comme
moi, me dit-Il, ouvre la rêne "anche et
laisse le che\al libre d'agir à sa guise. »
Joignant l'exemple au principe, Lagdar
ouvrit la rêne gauche, le cheval, compre-
nant qu'il fallait tourner, se cabra, pi-
vota sur les jarrets et se trouva face en
arrière.
C'était à la fois lerrihlc et merveilleux ;
j'ouvris à mon tour la rêne gauche, et
mon cheval exécuta la même mana'u\re
avec un succès identique.
J'avoue que j'eus honte de mon iguo-
l'ance, car un officier français ne doit
jamais paraître inférieur à un officier in-
digène. J'ai juré ce jour-là de travailler,
d'étudier le cheval à un point de vue
pratique, de devenir en tout supérieur
aux indigènes : j'ai tenu parole. l*lus
tard, alors que je les entraînais dans une
course folle à travers les roches, sur la
pente des collines, le long des précipices,
je les ai entendus dii-e : >■ Il ne sait doiu-
pas tpn' nous sommes marii'-< ! ■ (Juel-
(pi'un leur répondil : •■ l'!l lui m- l'csl-il
pas ('•gaiement? ■> (le jour-la, mon anmur-
pi'0[)re fut satisfait el j'c'lais vengé de
riinmilialion ipn- m'avait iniligée un
inili''ène.
i;n smai.aii
Sc'plemljrc esl la saison des pluies,
seul hiver de ces réf,'ions. Les cours
(l'eau, {grossis de lous les lorrenls formés
instantanément dans les ravines, s'en-
llent et jettent par-dessus bords leurs
eaux bourbeuses. (Juand elles se retirent,
les eaux laissent sur le sol un limon fer-
tile, mais chargé de ferments paludéens
que le soleil vient ensuite dilater et ré-
pandre dans l'atmosphère. Ce va-ct-vicnl
des eaux se renouvelle plusieurs fois
dans la saison. Alors la fièvre éclate et
l'on assiste au bordj à un spectacle la-
mentable : la garnison, si alerle, si vi-
vante le mois précédent, semble avoir
été échangée contre une garnison de
spectres jaunis et parcheminés, déguisés
en spahis. Des hommes qui traversent la
cour péniblement salfaissent tout à
coup sur le sol, on les enlève, le lende-
main la voiture d'ambulance les trans-
porte à l'hôpital, à vingt kilomètres; il
y en a qu'on ne revoit plus.
Durant la seconde année de ma pré-
sence à la smalah, le commandement
m'échut dans de pareilles circonstances;
mes deux capitaines et presque tous les
sous-ofliciers français étaient entrés à
l'hôpital, le lieutenant était mort.
Je m'occupai aussitôt des moyens
d'enrayer le mal. J'avais remarqué que
ceux des hommes qui, comme moi,
étaient restés actifs et sobres, avaient
été préservés du fléau, tandis que quel-
ques sous-ofliciers qui avaient coutume
d'aller deux fois par jour prendre une
absinthe au palmier, près de l'eau,
avaient été les premiers atteints. J'en
conclus qu'il fallait respirer l'air sur les
hauteurs, que les ferments morbides
n'atteignaient pas, et barrer le passage
de la vallée empoisonnée. Je traçai une
ligne de démarcation au-dessous de
laquelle je défendis de descendre sous
peine d'une punition sévère et, pavant
d'exemple, j'entraînai mes hommes
dans des chevauchées matinales sur les
crêtes des collines.
En quelque temps l'état sanitaire
s'améliora. J'avais suppléé à mon igno-
rance par le raisonnement. Avec le beau
temps la (ièvre disparut et la vie de
smalah reprit enlin son cours normal
pour un an.
— l'.tes-vous chasseur? me demanda
un jour le capitaine commandant.
— Non, mon capitaine, répondis-je,
non sans rougir légèrement.
— Tant pis, mon ami, tant ])is, il
faudra chasser, cela lue l'etmui ; et
puis, ici chacun apporte son tribut à la
popote, il faut faire comme les cama-
rades. Avez-vous un fusil?
— Non, mon capitaine.
— On vous en prêtera un. Savez-vous
faire les cartouches?
_ [
— On vous en fera. Demain vous irez
à la solde à ma place et vous chasserez
chemin faisant. Vous emmènerez Ben
Caddour qui sait oii est le gibier.
Arrivé sur un plateau que Caddour
m'avait signalé comme giboyeux, je mis
pied à terre, j'entrai dans la broussaille
et je me mis en quête. Je m'étais bien
gardé d'emmener un chien, ij m'eût
plutôt gêné.
Ma grande préoccupation était de tuer
quelque animal à plume ou à poil, n'im-
porte lequel, mais de ne pas revenir
bredouille.
Ayant aperçu un oiseau jaune roux,
assez gros, dont j'ignorais le nom et l'es-
pèce (j'ai su depuis que c'était un émou-
chet), jeme mis à le suivre, en me dissi-
mulant le plus possible.
Tandis que le diable d'oiseau, sem-
blant me narguer, sautillait d'une
branche à l'autre au moment où je
l'ajustais, car je n'osais tirer qu'au poser,
j'entendis la voix du spahi; ayant levé
la lêle par-dessus la brousse, je l'aperçus
tenant par les oreilles un superbe lièvre.
— Où as-tu pris ce lièvre? lui criai-je.
— Je ne l'ai pas pris, je l'ai lue.
— Comment as-tu fait?
— Avec une pierre, là, dans la brous-
saille.
L'Arabe a l'œil perçant. Pour lui, la
broussaille n'est pas comme pour nous
un corps opaque. Ben Caddour avait
KN SMALAH
aperru le lit-vre blotti près de lui clans
une toulfe de lentisques et, tout en maî-
trisant nos chevaux de la main gauche,
de la droite ayant ramassé une pierre,
il l'avait lancée avec assez de force et
d'adresse pour assommer le lièvre.
Je compris à l'instant le succès que je
venais de rcmporier. Je n'avais pas
besoin de chasser davantage ce jour-là.
Pour mes débuts, rapporter un
lièvre était bien beau et je rece-
vrais certainement les lélicila-
tions du capitaine commandant, féolSiÈ;
tout en éveillant légèrement la
demanda à me parler, il me présenta sou
bissac qui avait servi la veille au trans-
port de la solde. Il était resté un écu
au fond d'une des poches. Caddonr
n'avait même pas voulu l'en retirer lui-
même. Touché de cet acte de probité, je
voulus lui faire présent de la pièce, il
refusa :
— Me prends -tu pour un Khnmniès,
me dit-il d'iui ton
(.le reproche.
UN E.srAnRON ii E srAuis
jalousie tlu capitaine en second. Pris
d'un scrupule, je dis à Caddour :
— Pose-le là, je vais le tuer. Place-
le comme s'il courait.
Caddour obéit.
Comme je recidais pour écarter le
plomb, Caddour, comprenant ma pen-
sée, me lit remarquer qu'il était inutile
de changer de place, qu'en visant de
trois quarts, obliquement, je ne logerais
dans le lièvre que (pi(>l(|ues grains de
plomb.
.le Mie rangeai à cet avis et, restant en
place, je visai de trois (|uarts; mais
I eniiiliiin (]u<' |'('prou\aislit dévierl'arme
et la charge porta en [ilein dans lecenlre.
l'ille lit balle. Le lièvre bondit et retomba
à trois |)as de là, je le relrou\ai dans un
étal piteux, complèlcMieiit \iilicl na\anl
I>lus (pie trois pattes.
i.e leudcniain de ce succès, (iaddour
J ignorais alors cpie les spahis,
du moins ceux des smalahs,
n'acceptent pas de pourl)oires.
Notre petit groupe dol'Iiciers
était uni comme une famille dont le ca-
pitaine eût été le père. Moi, le [dus
jeune, j'étais choyé comme un Benjamin.
Cette union ne nuisait en rien à la disci-
pline, chacun avant assez de lact jiour
se tenir à son rang. (JuanI à notre soli-
darité, elle était jiarfaile: l'épisode
typique que je vais \ous racdiiter vous
en donnera une idée.
Mes capitaines étaient des passionnés
de la pèche à la ligne; ([uant à moi, je
ne me sentais aucune inclination pour
ce genre de sport. Si j'étais à |)eu près
de toutes les parties, c'est parce (pie |e
sa\ais faire plaisir à mes chefs. (Jiiand
on est si peu nombreux, la vie cominuiK»
à long terme n'est [)0ssible qu'à la con-
dition de se faire des concessions mu-
luelles.
I,e capitaine du ^rnie devait venir
passer riii>peclioiÈ des li.ilinienls niili-
KN SMAI.All
lairos de In smalah. l'"ii ralisciue du
capitaine conimandaiil, c'est le capitaine
en second qui devait le recevoir. Cet
oITicier du irénie était un l'ei-\i'nl de la
LE .I.\KDIN DES OKFICIEK
liyne. On projeta pour le lendemain de
son arrivée une partie de pèche à
l'anguille.
Tous les pêcheurs irexpérience savent
combien l'anguille se laisse prendre
dil'licilemenl. Il faut aller la taquiner au
|)elit jour, lorsque le soleil va paraître il
l'hori/.on. J.e matin convenu, nous nous
mimes doue en roule suivis de spahis
porteurs de nos engins.
La matinée s'annon-
■ .lit helle et nous nous
i'rcions do l'espoir de
q)porter une bonne fri-
ture pour le déjeuner.
Nous l'ûmes déçus. A
neuf heures du malin
nous n'avions encore rien
pris. Obligé d'aller faire
son rapport à la smalah,
le capitaine en second
planta sa ligne en terre,
en un point de la rivière
connu pour être fré-
quenté par les anguilles
et, se tournant vers moi :
— Durocher, medil-il,
avant de rentrer, vous
relèverez ma ligne el
vous me rapporterez
l'anguille. Je répondis
simplement : Je n'y
manquerai pas, mon
capitaine.
Comme le capitaine
du génie nous regardait
d'un air moqueur, le ca-
pitaine Féru (c'était le
nom de mon chef j ajouta
en appuyant sur les mois,
avec un hochement de
léteénergiquement affir-
inatif :
— Et-elle-y-sera, elle
V a toujours été!
Le capitaine du génie
-e contenta de hausser
les épaules et s'éloigna
pour chercher fortune le
long de la rivière.
Cependant, tout en
continuant ma pêche, j'étais obsédé par
cette pensée : il me faut l'anguille du
capitaine, mais comment l'avoir, puis-
que rien ne mord, sinon les infectes
tortues d'eau, aussi stupides qu'elles
KN S MAI. A 11
sont répugnantes et pestilentielles.
J'avisai une toulTe d'herbes, au milieu
d'un coin tranquille de l'eau, mon llair
de pécheur m'y lit jeter l'amorce. 0
bonheur! au bout d'un moment le bou-
chon remua, puis tout redevint Iran-
quille. Je tenais ma lii,'ne nerveusement,
les deux mains crispées et, le cou tendu,
retenant ma respiration, je ne quittais
pas des yeux le bouchon. Le temps pas-
sait... après quelques hésitations le
bouchon se mit en marche. Mon C(cur
battait à rompre ma poitrine, je laissai
hier la lif;ne.
•Mteiilion ! [)as de nervosité, pas de
maladresse, une l'ois, deux l'ois, trois
l'ois, j'amène, et au bout de la corde je
li'ouve... ranf,Miille
du ca|iitaine I San- .^,
vé! mon Dieu! *0Mt.1!¥'î^
J'allai sournoise-
ment faire l'échanffe
des li;,^nes, et, de
l'air le plus innocent
du monde, je me
rapprochai du capi-
taine du génie.
— I'!li bien, mon
capitaine, ave/.-vous
pris quelque chose?
— Non, monsieur,
rien, et vous?
— Bredouilic,
mon capitaine, mais
nous avons la ligiu-
de .M. l'éru.
— l'arceur! \'ous
aussi, vous élcs du
.Midi?
Sans (loiilc, .....t,- (■>— .«-^
mou capitaine, sans «..,i',,|': <
doute : mais comme
il est temps de ren-
trer, nous l'crioiis
bien de relever loiil de niéinc la ligne.
.A vous l'honneur, mon capilaine.
Le capitaine relc\a la ligne coinplai-
sainment et ne pul s'empêcher de |)Ousser
un formidable piion en trouvant l'an-
;;uille au bout, ,1e la mis dans mon
sac et nous réprimes le chemin du
bordj.
Le capitaine I''éru nous attendait sous
la tonnelle en fumant sa pipe.
Lorsque nous fûmes à lui : — Et mon
anguille? me demanda-t-il.
~ \'oilà, mon capitaine, répondis-je
en sortant de mon sac l'anguille encore
pleine de vie.
A cette vue le capitaine Féru fut tel-
lement saisi qu'il resta d'abord sans \ oix.
Se tournant \ers l'oflicier du génie en
croisant les bras, il lui dit ces seuls
mots; — Quand je vous l'avais dit!...
Tous les pécheurs à la ligne dignes de
ce nom comprendront sans peine cette
émotion du capitaine en second; mais il
faut être militaire, avoir la solidarité
d'armes, pour saisir l'impor-
tance de la victoire que
l'arme des Spahis
(les deux braves iifliciers n<' -mil plus,
ils nul ignoré l'un d l'aulre ju-c|ii à leur
mort l'innocenl subtciiiige doiil j'avais
usé. Telle es! la laiiiaradeiii' d'Alri(pie
et celle de smalah.
F. (tlT.
.. ./ , \^
LKS
l'KciiKrns DU ijhandkhouik;
i-bro:
l.a première
fois que je fus
à Sans-Souci,
c'était un jour
ensoleillé, mais
froid, avec du
? la fflace aux
f;i\ir . iui\
liriiulilles.
Le gardien de la pclilc maison du roi-
philosophe, heureux de recevoir un visi-
teur, espèce rare en hiver, ne m'avait
fait grâce d'aucun détail, exaltant Vol-
taire, Herr i^on Vollaire. comme il di-
sait, qui est l'âme de l'endroit; puis
j'avais poussé jusqu'au Nouveau Palais,
la dernière création du grand Frédéric.
De retour à Potsdam, j'avais encore une
bonne heure devant moi ; alors je pris
le jiremier tramway venu pour aller où
il lui plairait de me conduire.
La tête de ligne n'offrait rien de re-
marquable. Une auberge fermée; quel-
ques maisons de campagne soigneuse-
ment closes; à gauche, un rideau de
l)etits arbres tamisant un soleil pâle; à
droite, et au loin, à mi-côte, le château
de Babelsbcrg, d'architecture anglaise.
Jecontinuaidoncmon chemin, sans but,
pour attendre la nuit et voir quelques
arpents de plus en ce monde, lorsque,
venant de lra\'erser un petit bois, je me
trouvai tout à coup devant un tableau
qui me causa l'une des grandes surprises
de mes étapes de touriste. In lac, aux
eaux claires, bordé de bouleaux au pe-
lage argenté, s'étendait, en grande lar-
geur, devant moi.
Le Nord, seul, a de ces paysages d'une
poésie infinie. l']n Hnssie. en Suède, ils
sont |)lus accusés encore, et plus tendres,
et plus impressionnants; mais, dans le
Brandebourg, où le sable et la lande
succèdent trop souvent à la lande et au
sable, ils frappent d'autant plus l'esprit
qu'ils sont plus inattendus.
Ce premier lac me donna l'idée d'en
visiter d'autres, et ils sont nombreux,
car la Sprée, depuis Custrin jusqu'à
Berlin, et la Havel, depuis Spandau
jusqu'à Brandebourg, ne sont, en réalité,
qu'une succession de lacs. C'est au cours
d'une de ces excursions que je découvris,
heureux Colomb de ces parages inconnus,
la vaste nappe d'eau, vraie mer inté-
rieure, qui porte le nom même du pavs
où elle se prélasse, le lac des grandes
pêcheries, le lac des grands horizons, le
lac de la Marche de Brandebourg.
C'était le soir, et l'eau, et le ciel, et
les bouleaux avaient des taches et des
bandes rouges, violettes et jaunes. A la
sortie de la rivière, dans le clapotement
LES PKGIIHUUS DU niiANDKnOUUG
d'un flot suhilcnu'iit (■•m;incipé , des
barques, smis l'iiispeelidii Ijiern'eillaiile
d'un moulin tournant, s avançaient péni-
blement menées, par des hommes et par
des femmes, à la \oile, à la rame, à la
pap;aie. Tout es! Ihui pour faire marcher
ces bateaux de prehe. qui, sans cela,
iiroche les hautes herbes, sur les bords
sur un paillasson de nénuphars, (l'est le
clieniin le |ilus court, parait-il, pour
gayner la première'maison riveraiiu> où
l'on puisse trou\er gite et couvert, l'u
brochet sournois fait levei'uneconipagnie
de fretin. Une perche jette ré|)ouvante
dans le monde des poissons; c'est une
vraie chasse ;i courre. In dernier cnibra-
1. K I. A (' I) K I. \ M A l; V II K
lu lac, s eiidiirniirairiil ciiniiue une ' '■l'Ulcii I ; il il pniiil d'or, une aif;rel li' : puis
;ondole \(-ni I ii-liiir. \.i tiiiiI, aii loin du li' ^ninlirr di' la iiiiil, i\nc les l'Ioilo
îiallo. u'i'clairriit pa^ ciicoïc 1 l'as de l'anal an
l'',l,cii \iTil('', elle \ii'mI, la n il il , j;rise [ bati'aii; mais, au |i>in, une linnirre dans
■t rose ciHiirc. \a-> liniils de la bei'f;e, [ un rniirn''. (pi'on n'apciçoil plii^ qiir
oui à riicurc susurraiils, s'aM'aiblisseiit . '• i'alblrineiil .
l'oiil l'sl silence maiiilenanl . I .a brise N'oii^ iinus dirigeons \ er^ ce |iliare
•lli'-mèini', cpie le (h'cliii du jour a^ui- |i;ilol, cl bienlMl nous \ louclmns.
■liail, csl Iniiiliée. \nlrr bal, Mil, lourd. De bonnes .i;cns viveul l.i. qui nous
leiiir. l'rolr les ajoiiis <pii, en rebondis lonl bon accneil. lu sonpi'r snmniaire
^anl, foiiellent la lii^nre. s'euclievel ri' i-sl \ile pn-pan''. I.e poisson, roi du
lans les herbes, cl glisse, en f;riiiçaiil, pa\s. eu l'ail les frais, a\cc une piude
iM:i;iii;riis nr ii it ANDiciioruc
tluMs lia cocon (I'IktIh
pour desscrl. des cerises
jiromalique
l'U eiisuilo, au lit j
l'^lranfjfc curiosité que celle du voya-
geur ignorant de ce qu'il va voir en
s'éveillaiit. Au petit jour, il est debout
el sonde les mystères du pays qu'il ne
connaît pas.
Devant la fenêtre
rr .^àH^ niiverli', l.i luiime
sique aiguë. I.es loseanx, animés, vibrent
comme des harpes. Kl, eu arrière, dans
les arbres c|ui, du haut d'une colline en
pente douce, dévalent jusqu'à la berge,
les oiseaux, pai- milliers, assourdissent
l'air de leur aubade piailleuse.
Une acre odeur de friture remplit
déjà la maison. Les hommes vont partir
à la grande pêche, tandis que les femmes
et les tilles se préparent à prendre la
.M A I s 0 .V U E P K C K E U R S
SVR
LE BORD DU LAC
s'étenil, puis séclaircit, et, en coquette,
livre peu à peu les secrets des trésors
qu'elle a tenus cachés. C'est d'abord
comme une plaine herbeuse, sur laquelle
se détachent, près du bord, des canots
amarrés à la rive, et des boîtes à pois-
sons percées de trous. I^es libellules ma-
tinales se croisent en tous sens, avant
même que le soleil ait mis de l'orà leurs
ailes. Un bourdonnement, sourd d'abord,
puis grandissant, s'élève du marais.
C'est toute une symphonie de coasse-
ments, de bourdonnements et de susur-
rements qui s'exhale de l'eau stagnante.
Mouches et cri-cris y mêlent leur mu-
rame pour porter à Berlin, ou tout au
moins à un lac plus rapproché de la ca-
pitale, le poisson pris la veille ou dans
la nuit, et qui, de là, gagnera sa desti-
nation par les voies rapides de la navi-
gation ou de la traction à vapeur.
On va lever les nasses, et c'est un
spectacle qu'il ne faut pas manquer.
Nous doublons, en canot, la pointe où
se dresse l'hospitalière demeure de notre
hôte, et nous longeons la réserve, vraie
forêt de mâts et de perches, où sont
attachées, flottant dans l'eau, les boites
pleines et, suspendues en l'air, pour se
sécher au soleil, les boites \ides; puis.
LK? l'KCIIEUHS DL' liR ANDEliO U RG
mettant pied à terre, nous gagnons, en
pataugeant, les canaux perfides, vrais
travaux d'art, où l'humaine subtilité
s'est ingéniée à tendre au crédule pois-
son les pièges les plus traîtres. Au mo-
ment oii nous arrivons à l'entrée de ces
I, A it Ê s K R V E
méandres
de la mel-
on vient
la nasse 'j
<hi <-ôl(
l'haute
_ le oii s est
cngoull'ré le bataillon lluvial, qui, de
confiance, [)renait le chemin de la |)leiiie
eau.
La ])etite [jéche a été bonne; mainte-
nant, à la grande! Nous revenons à la
maison, aveuglés par une nappe d'or qui
.s'est, pendanl notre excursion, ré|ian(lue
VI. - s.
sur le lac. Au ri\age, la llore aquatique
brille de mille couleurs, et de l'humble
toit de chaume, encadré par les arbres,
une fumée bleue s'échappe, droite et
paisible.
Un plat de goujons frits, avec des
pommes de terre,
compose le déjeu-
ner. On se hâte de
lefaire disparaître,
car la journée sera
laborieuse. Les
' femmes, en jupe
rouge et bonnet
"^ J ' blanc en této, se
dirigent vers les
barques de trans-
port, où la voile,
hissée déjà et cla-
quant au niï'it, a
comme des piaffe-
ments d impa-
tience. J'avais eu
l'idée de reprendre
en leur compagnie
ij la route du logis;
mais l'attrait de la
grande battue qui
se préparait me lit
changer d'avis. La
grande pêche ne se
fait pas tous les
jours, et c'est une
bonne fortune que
d'y pouvoir assis-
tel-.
.Mon hc'ile et ses
r fils ont |)ris place
sur leur bateau ,
saiisquilh', au fond
duquel sont dé-
])osés les filets bien
reprisi-s cl garnis, assez |)riniili venienl ,
de flotteurs en jiuic, sur une de leurs
lisières, et de cailloux troués, sur l'autre,
en guise de plomb. Il s'agit d'une action
collective, et bientôt des barques pai-eilles
à la notre se détachent de dixcrs points
de la rive. Lentement, lourdement, car
la charge est j)esante, celle flottille se
dispose en demi-cercle, barrani le lac
I.KS IM^CIIICI'IIS Ur IIIIAM)i:H()UH(;
tliuis loulo sa larf^eur, chaque' bateau
nouant son filet à celui de son voisin.
Le rideau maintenant est complet, et
la manœuvre de concentration com-
mence. Le cercle se resserre ; les fdels
raclent péniblement le fond de l'eau;
dans l'espace qui se rétrécit, l'inquiétude
du monde des poissons est sensible :
l'ontle se moire de frémissements sifjni-
ficalifs, et dans la nappe ensoleillée, des
La ])éclie a été spicniluic. lirémes^
carpes, anguilles, brochets, j,'ardons et
chevaliers, em[)ilés comme harenf^s en
caque, grouillent et frétillent autour de
nous. Il sort de cctamascomme un mur-
mure de foule. « Le poisson se plaint »,
me dit mon hôte, et, en vérité, le poisson
à lieu de ])lainlc, car le soleil dai'de ses
rayons brûlants sur ces belles écailles qui»
tout à l'heure, étincelaienl à Heur d'eau.
], A NASSE
myriades de paillettes d'argent sautent
et déambulent comme un banc de frai
phosphorescent, retombant, par une
belle nuit d'été, du chalut à la mer. Des
mouettes, accourues à cette curée, rasent
les Ilots et s'offrent à bon compte un
régal peu commun. A un moment, l'anse
où s'est opéré le rabattage évoque le sou-
venir de la Garonne légendaire:... Chez
nous, pas d'eau, rien que du poisson !...
Et alors l'épervier, lépuiselte, la nasse,
et tout ce qui tombe sous la main, de
s'emplir et de combler en un instant les
flancs du bateau.
— Belle pêche! m"écriai-je, pensant
trouver un écho chez mes compagnons.
Mais le patron se contenta de hocher
la tête, d'un air qui semblait dire :
" Qu'est-ce que cela peut me faire?» Ses
fils demeuraient impassibles.
— Allons, en route ! dit le père, quand
on eut relevé le filet à l'aide d'un treuil
installé spontanément à l'arrière du
bateau.
Et il ajouta queicpies mois dans une
langue que je ne comprenais pas, mais
qui n'eut point pour elfet de dérider les
figures.
LES PKCIIKURS DU BRANDEBOURC
Les garçons se mirent aux rames, et
nous eûmes bientôt gagné le fond de
lanse, où les autres barques arrivèrent
bientôt. Elles se rangèrent côte à côte,
comme pour une revue ; et, en eifet,
c'était bien d'une revue qu'il s'agissait.
Un gros homme, à poil hirsute, vêtu
d'un complet aussi jaune (|ue sa barbe,
et portant des lunettes ronties, à branches
à traverser le lac dans le sens de sa
longeur.
— Quel était cet lionnne? deniandai-
je, quand nous lûmes à qiicl(|ue distance
du rivage.
Je pensais que c'était quelque agent
du lise ou quelque commissaire de pêche,
vu l'aspect tout bureaucratique de ce
j;rotesr[ue: mais je nie trompais.
LA G n A N I) K r' K C H E
d'or, qui s'accrochaient à ses oreilles,
parut et, d'un air important, visita l'un
après l'autre chaque bateau, comptant,
appréciant la valeur des lots de poisson
et marquant sur un carnet à souches le
résullatdc son expertise, ('liacjue patron,
tête nue et l'air profondément humble,
recevait de ses maiii-;. on luillaicnl de
grosses bagues, le l'cinllcl qui le ^(^nc(•r-
nait; puis, (pjaiid I in-|ir<l imi fui lei'-
minéc, la llnHillc. après a\(ur dc'b;ii(|U('
ses lilcls, (|uc crrlaiiu's bartpirs d<'\ aienl
reconduire à terre, se dishxpia, mais, en
réalité, lit roule de concert, se disposant
- Ces! rinlcudaiil
ré|)()iidil miiii In'ilr. ri
idiome, ipii se rap|i
plus du wende (|ue (h
<' ... Oui, l'iKMuine
lui (pii cotiqile le poi-
ce (lue vaut noire nêc
a noblesse,
"uta dans ;
ait beauci
IliMuand :
I noblesse.
Il a mai-(
■I il faudra
■apporter lar^,
inênu'.
(iommenl ! C
■ni
-I pas p.
Non.
VA p(Mii' (pu do;
l'^h 1 pour la no
I.KS l'KC.IlKl'IlS DU lUtANDKBOUai;
— yut'Uc noblesse?
— Ils soiil plusieurs : un prince, un
comte el deux barons.
— Je comprciiils : les locataires de
lit péclu'.
— Non, la pèche leur a[)parlient. Ils
en sont propriétaires. C'est une laveur
qu'on leur a accordée, comme on leur
homme, que je n'osais interrompre le
silence morne qu'il garda longlcm()s. Ce
fui lui qui, brusquement, le rompit. Il
releva subitement la tcte, qu'il secoua
comme au sortir d'un rêve, et d'un air
presque enjoué :
— Oui, maintenant, nous péchons
même en hiver, el c'esl à ce moment-là
LA PÊCHE, EN HIVER
aurait donné une croix, un titre ou une
pension.
« Autrefois, ils nous la louaient, et
nous travaillions pour notre compte. Mais
les lemps durs sont arrivés. La concur-
rence; le poisson qui vient de loin; le
poisson de mer, surtout. Le matériel
s'usait. Il a fallu emprunter. On n'a pas
pu rendre. Les hommes de justice sont
venus. Et tous, du premier au dernier,
nous avons été asservis, comme nos an-
ciens des temps passés.
Un air si douloureux se peignait
maintenant sur la iigure du pauvre
que vous devriez venir. C'est bien plus
curieux que ce que vous avez vu.
— En hiver! Comment vous y pre-
nez-vous ?
— .Ah I dame, ce n'est pas aussi aisé
que maintenant, mais on en vient à bout
tout de même.
— Alors, chacun pêche pour soi.
— Oui, dans les bras de rivière, à la
nasse, comme ce matin ; mais dans le
lac, c'est la grande pêche, comme tout
à l'heure.
— Contez-moi donc ça.
— Voilà. Au lieu de bateaux, nous
LES PÈCHKUIiS DU lili AND E lîO U BG
avons des traîneaux. De quinze mètres
en quinze mètres, chaque équipe fait son
trou. Elle y trempe son filet, où les
poissons sautent d'eu.x-mêmes, et que
relève, du trou voisin, à l'aide d'une
gaffe de même dimension, l'équipe d'à
côté. Les filets ainsi attachés sous la
glace, on trace, ou plutôt on a tracé
d'avance, aux deux bords de Fanse per-
méme son équipage. Le soir, au retour,
cela va tout seul ; on se tient par la
main, deux à deux, sur le traîneau vide,
et comme l'argent qu'on rapporte n'est
pas bien lourd, on file avec une rapidité
vertigineuse.
En route, nous croisi'mies les femmes
qui revenaient.
— Ah '. celles-là ont liioa du mai
R E T 0 U U A U LOUIS
(idc, un clK'min (pu suit la ri\e, puni'
nhoulir à un cir(|ue, où l'on prend le
poisson aussi facilement qu ii présent.
J'étais émerveillé.
Eh bien ! et après?
.\[)rés..., on se partage son poisson
comme on veut, et on va le vendre comme
ou [)eul... pour la noblesse toujours...
On part en traîneau, oh! pas attelé. On
se lient sur le côté, sur le patin; ou est
ferré à glace, comme les chevaux de
maître, à Hcrlin, cl on l'ail ni.u'cher soi-
aussi. nie tlil mon liôlc. et elle
gncnt pas un [ilcnnij; .
— Comment cela .'
— La |)elile pèche est
marché, — et obligatoir
jours; • — c'est dans notre
Triste pays, [)ensai-jc
ces j)auvres gens reslaui-i
vilèges qui nous scnibl
FraM(,'ais, une nmiisti-uositi
par-.
•onli
s en
eut.
lossus le
tons les
■al.
\ oyant
(les pri-
,'i nous
Niu
ÉVÉNEMENTS GEOGRAPHIQUES
ET COLONIAUX
I,o 2i jivril (Icrnior, U' bras do mer r|iii
(lorl iMiIro la colc luiiisiciiiic de Sfux el la
li{;m" dos îlos Korkoniiah, olail ploiii dos
cluniours joyoïisos ol do ra|i|iaicil d'uiio
l'ôlo.
ïaoholaiU l'a/.ur moiio ot luillanl do la
moi-, lotides, larlanes ot earèhe», los doux
millo haniiios do pôolio korkonnioniios
oloiidaionl los ailes hlanohos do loui's
voilos; ol sur ohaouno dos oitiharoalions,
dosdolonalioiis hrovos ciopilaiont, dos lain-
l)ours baltaieiil sourdonionl, tandis qu'au
soleil élincclaienl les étendards des asso-
ciations religieuses des zaouias. Mainte-
nant los taniliours, los coups do fusil,
pailanl, Ijallanl do tous les côtés, ne font
jilws (pi'un i()ulon\ont continu : l'escadrille
dos pécheurs salue le Marcchal-Buijeaud,
qui va inauf;uror le port de Sfax. Le pre-
mier, le pa(|uel)ot pénètre dans le chenal,
pénètre dans le bassin, accoste au mur du
quai; et là, les personnages ofûciels, mi-
nistres venus do Paris, représentants de
la Krancc à Tunis, représentants du boy,
proclament solonncilemont : le port de
Sfax est ouvert à la navigation.
Dans le môme toni])S, était promulguée
au Journal officiel tunisien toute une série
do conventions, conclues avec l'AUemagno,
l'Autiicho-Ilongrio , le Danemark, l'Es-
l)agno, l'Italie, la Russie, la Suisse, de
juillet 189G à février 1897. Par ces conven-
tions, pour la première fois, la situation
prépondérante do la France et son privi-
lège commercial en Tunisie sont recon-
nus par les grandes puissances, d'une
manière explicite. Au point de vue poli-
tique, les agents de la République sont
désormais chargés, dans les jîays étran-
gers, de la protection des Tunisiens. Au
point de vue commercial, il est « entendu
que le traitement de la nation la plus favo-
risée ne donne pas droit aux puissances
au régime douanier qui pourrait être insti-
tué entre la France et la Tunisie ».
Los délibérations du Parlement sur les
conventions tunisiennes et l'éclat des fêles
de Sfax ont commandé, pour un instant,
l'attention générale : on pensait si peu à
la Tunisie ! Comme elle était tranquille et
prospère, elle n'avait plus d'histoire ; et
cependant elle accomplissait de grands
progrès. L'heure est propice, puisque son
nom a reparu dans les journaux, pour vous
donner de ses nouvelles, |iour énuniorer
ces progrès.
Le fait le plus remarquable qui se soit
pro<luit, au cours de l'an IIS'.K), on Tunisie,
est l'impulsion donnéi- ini i)eu partout aux
travaux publics <■!, d'une fa(;oii particulière,
à la construction dos routes, des chemins
de fer, des ports.
Cette année, furent construits 2i;8 kilo-
mètres de routes, si bien qu'à l'heure
actuelle, la longueur du réseau empierré
tunisien dépasse 1,400 kilomètres. Celte
année, également, fut inaugurée, le 7 no-
vembre, la ligne do Tunis à Soussc
iV.'M kilomètres), ainsi que ses embranche-
ments do .VIenzol-Bou-Zalfa et de Nabeul ;
furent commencées les lignes de Tunis à
Zaghouan ((H kilomètres), de Sous.sc h
Kairouan (ii.'i kilomètres) et à Mokninc ;
fut concédée, onlin, la ligne du Sud : de
Sfax h Gaf/.a iVO kilomètres). Tout récem-
ment, en avril, il était procédé solennelle-
ment à la pose de la première |)ierre de la
gare de Sfax. Dans le mémo temps, les
ports de Bizerte et de Tunis étaient ache-
vés, et une Société commençait les travaux
des ports de Sousse et de Sfax. Nous avons
raconté l'inauguralion toute récente de ce
dernier; le chenal, dragué à 6'",!)0 au-des-
sous des basses eaux, est large do 22 mètres
au plafond, long de 2,î)00 mètres; le bassin
occupe dix hectares. Le port de Sousse, en
pleine période de construction, sera essen-
tiellement composé, comme ceux de Sfax
et de Tunis, par un bassin d'une douzaine
d'hectares, bordé do quais; il comprendra,
do plus, une jotéo-aliri de 500 mt'tros de
longueur. Des ports de pèche et de refuge
pour los embarcations calant de deux à
trois mètres d'eau vont êtrecréés à Tabarca,
Hammamet, Mahedia et Zarzis.
En quinze années, le Protectorat a doté
les régions peuplées de la Tunisie de l'ou-
tillage public que possèdent aujourd'hui
les nations civilisées, et pour la constitu-
tion de cet outillage, — qui représente un
capital de plus de cent millions, — il n'a
eu recours ni à la mère patrie, ni à un
emprunt. La France ne contribue aux
dépenses de la Tunisie que pour l'entretien
de son ministre-résident (!>0,000 fr.) et de
la division d'occupation .(.'i, 847, 870 fr.), et
pour les garanties d'intérêt de la Jigne
Tunis-Ghardimaou (1,918,000 fr. en t89o) :
au total, 7,453,870 francs. N'est-ce point
payer à bas prix les avantages que
nous rapporte l'occupation de la Tunisie"?
Ces avantages sont grands.
La Tunisie est une des rares possessions
françaises oii les Français puissent vivre.
Ils étaient, en 188t, quelques centaines;
ils sont, à cette heure, sans compter les
E V EN EM ENTS GEO G H A PU I Q V ES
hommes de troupe et les protég^és français
non lanisiens, H),000 : ils se sont accrus
d'im millier par an. Aussi l'inlluence de
la population framaise l'st-elle, surtout
dans le Nord, considi ralilc : ce sont nos
nationaux — l'ail cxcepliouuel dans nos
colonies — qui sont à la tète des princi-
pales entreprises agricoles, industrielles,
commerciales.
La viticulture fut l'occupation préférée
des premiers Français c[ui vinrent en
Tunisie, ("était répo([ue où le pliylloxera
tunisien, un hénélice certain. Voici un
petit calcul fait, sur les données foiu-nics
par des colons, par un économiste : une
concession de iiO hectares, qui exigerait
pour l'achat du sol, l'organisation de l'eu-
îreprise et sa mise en fonctionnement une
avance de 20,000 francs, rapporterait, tons
frais payés, 2,700 francs par an.
L'industrie minière est fort peu dc'vc-
loppée en Tunisie. Avant IHSI , ileux conces-
sions et, depuis cette date, sept autres oui
seules été accordées, Sin- ces neuf coiices-
T r N I s 1 E : r N E ii r i n k ik i m a i x K
niinail \v midi (!■■ la FraM.-c. lui \SW>. . sinus d.iiil riiiq seulement loul.-s les
!;,i:i'.l heclarcs ,!,• \i;;iii-s éLiicul p.iss,.(lés cin.i.dc niiurs <lr/.iMc —soûl arlucllement
par d<-s ICuL-npéeMs, cl |ii-esi|uc cxrlusi- j m ('Npioilal ion. si'pl sont françaises, liieii
vemeiil |)ar des Franrais, I ,lls:i srulemenl
l)ar des indigènes. 1 .a culhnr de i'oli
vier, rauliqM<' richesse di' la Tunisie
tenla ég.alcnu'iil , in.iis plus l.ird, le;
colons IVançais, Des :,'.!, S2:) lieclarc
plus iinpcirlauls que les gisemeuls de zinc
el de plond>S()ul l.'s gisein. Mils. déc(>u\ . Mis
en IKM.",. <le pliosplia'h-, de chaux. Ils c.ni-
nuMiC(Mil à l'ouesl de Cal/a cl -<■ .nul iuueul ,
durant une i-iuquaulanH- de kdonu'l ic-.
<'(>n(erl('s, rhnaul les cinq dernières .nuii'es, l jusipie dans l'.\urès algérien. Par cnin eu-
dans 1,1 r.'gidu de Sfax , ;):'),:(l)l'i le fureul .à '. liiiii du 1 :i aoùl IS'.lll. une coiiqi.i^nic Iran
(les l'iMiirais. l,2:)ll il des iiidjnènes. 201 à caisc a reçu la coneession de ces -iscmculs ;
des l'hanun.,. Mais, plus i-iicorc .|ne la pa f c. uil ir, clic s'esl cil-a-é,' à cnilslruire
laliiMMlInii ,!,■ rinnl,- ,1 du \iii, pr.,.lni*- le rlH-niiii .!.■ l'cr Ar (lalVa à Slax. Celle
doiil 1 r\pr,ilalinii allniidia loi cciuciil un c. .ii\ ciili. m , ipu \ a fiiie d.qieiiscr au pi'olil
nia\iniiiiii .]ii'cllc iir sanr.iil liauclin-, l.i d iiuc c.lnnie l'ianç.iis,- \ in- 1 uilllious cr,ir-
cilllllle de> iiri-alr-, ai. lie pal r.'lr\r du i;cill IVançais. esl un lail assez, larc dans
iH'Iail, .lui (Ml esl liialispiMisalilc .■..iiiplc ii.ili,. liisloirc c.iloiiialc pour èlre cité (Ml
niiMil, .issm.M'a à nos iialioiiaux . sur le sol .'x.Miii.le,
i; V KS KM KNTS (J Kl Mi li A l'Il I g f KS
I.ii |)iirl (le In !• ranco, (liins li" conimei'ce
cxliTiour de la Tunisie, est Ofjalcmciit la
plus f;iaiuli\ Ku ISiKi, sur 44 niillioiis de
iVancs (le inaicliandises importées, 24 mil-
lions et demi venaient de France et
tl'Alj^érie; sur 41 millions de francs de
marchandises exportées, 'M) millions et
demi allaient en France et en Algérie.
Il faut se contenterdes résultats obtenus
el son réjouir. Fn matière coloniale —
n'csl-ce qu'en matière coloniale? — nous
stuninr^ lonjmirs pressés ;'i Texcès, A peine
était appelée à nouveau sur les choses de
Tunisie, viennent de nous rappeler el
l'existence «le la f;rand(' ile française el
l'entreprise du {;énéral Gallicni.
Le 27 février au soir la reine liova
Hanavalo était déposée el dirigée, dans la
nuit même (pii suivit, vers Tamatave cl la
Héunion. Le résident général, dans la
proclamation «pii annonçail « au peuple
d' myrne » celte déposition el ce départ,
disait : La France est désormais la seule
soui'friiinp à Mnihr/nxrrtr rt rlle nVpfTid
r X E n r E de k a i r o r a x
occupons-nous une colonie, nous la vou-
drions devenue tout à fait française, et
nous nous indignons. Le meilleur agent
colonisateur est le temps. « Souvenons-
nous, disait un jour M. Gaston Boissier,
cju'en Afrique les Romains, malgré leur
expérience et leur habileté, ont mis plus
de deux siècles pour accomplir leur œuvre :
nous avons donc cent cinquante ans pour
les rattraper. »
La Tunisie n'est qu'au début de sa
renaissance.
Madagascar n'en est qu'à son premier
jour.
Deux événements qui sont d'hier, dans
le même temps que l'attention publique
partager sa souveraineté avec personne. Elle
seule est maîtresse dans l'île entière. Ces pa-
roles, on le peut dire, étaient adressées
urhi et orhi. Elles furent entendues au delà
des limites de l'ile et comprises. A la
suite du vote unanime par lequel la
Chambre des députés approuva, le 3 avril,
la politique suivie à Madagascar, il se
passa à' Tananarive un petit fait d'une
grande importance. Le consul anglais fit
connaître au résident général que les su-
jets britanniques accepteraient désormais
à Madagascar la juridiction des tribunaux
français, qu'ils s'étaient jusqu'alors refusés
à admettre. La France était réellement la
maîtresse de l'île.
La démarche du consul anglais a suivi
d'assez près le départ de l'ancienne reine
KV km: M EXT s (
pour qu'il soit permis d'établir entre les
deux événements une relation de cause à
ell'et. l.a bonne volonté des Ang-lais a
tté la [iremière consé([ueiK-e de l'aett'éni'r-
(;i(|ue du f>énéral Gallieni.
Cet acte, le général l'expliiiue, dans sa
|)roelamation, ainsi ". " l.a royauté est de-
venue inutile en Eniyrne. ■> Elle y était
devenue nuisible. Depuis la vietoire des
Français la noldesse liova s'était orga-
nisée pour préparer la levanche, et la
reine avait prêté secrètement à ce parti
de la guerre son inlluence et son nom. Le
plan était double : dans la capitale même,
se débarrasser par un heureux complot du
chef de la bourgeoisie, devenu le chef du
parti français, Rasanjy, et du résident gé-
néral; dans les provinces, et jusque dans
les abords immédiats do la capitale, en-
tretenir la rébellion, la faire renaître
clnupie jour et partout, afin de disperser,
de faliguer et de décimer les soldats de
l'envahisseur. On se doutait de la paît
ell'ective de Ranavalo dans la rébellion
des provinces et dans le complot de la
cour. Lorsqu'on l'eut exilée, on eut do
cette part la preuve. Dans son palais du
Rova , des copies linciil trouvées des
lettres et des proclain.ilimis qu'elle avait
adressées en juillel, ac.nl et décendire
derniers aux chefs ipii Icnaunl la cam-
liagne. L'intermédiaire ciilre ces chefs et
leur reine était le pasleui- de l.i cdui-,
Andrianaivoravi'lona ; Il ,1 ('■(('• e\il('' avec
Ranavalo. Dès (pie la nouvelle du départ
de la reine eut été répandue, plusiiMirs
rebelles vinrent rendre aux autorilés fran-
çaises leurs armes ; ils élaienl Iraliis,
disaient-ils. Même, che/, ceux cpii lutlaienl
encore perçait un ceilain d(''coiiiageriienl .
et de loulcs p.irls ntis Irnupcs icpjc^iiaienl
l',-.vanlauv.
L'Kinvinr élail cr.dicud d,-b,n r^is>,-,.
d'ennemis. Du colé du N'oid. !,■ .-..Imii,.!
Combes refoulait liabozalia dans 1,- pa s s
sakalave; du i-A(é du Sud, les .apil.niirs
Deleuzi' el l'iclM.i, icfoulaieiil liaiiiilM-l si-
misaraKa dans U- pas s lai, al;,. |),.s Irs ,!,•,■
niers ii),,is ilc i,,,iiv, >i lUj, <-\(i'p|f (pirl-
,|„.-s |„ll, .,„•>, ,. |„,„„.es a„sMlol par la
inilire ri 1rs Mlla-,-,,is anins, rEmvrne
él.iil Iraucpnlle. ll.enlnl.uMe ligne iniùler-
rompiie de posles en inlerdir.a renlré-e ;,
tout rebelle. Dans le même leiups, la cèle
saUalav.- élail oceupéi^. Les i^shiaiivs lavo-
rables à l.a (-(inlrebaiHle des aii,,es .^l <pil
se succêd.'iil ,\r i'il,- Nossi-Ilc au c;q. Sainl-
Amlré : baies de lialv, de Marambilsy, de
la Maliajamba, de la Lo/.a, de Port-lia-
<lama, recevai<'nl des douanieis el <les
soldais. Celle dnuble si'iie , I opérai i(ms
lenniiiée. le pl.,ii <bi -enr.al (iallieui se
<lessinad nellem.-ril : cl,-, de,i\ bases d',,-
péralions. Ini luees pal> !,■ lilh.lal ,-l p.-,|-
KOdli APIIIQUES
121
les frontières de l'Emyrue, envoyer des
expéditions qui mareberalent les unes vers
les autres, cxploreiaieni par degrés le
pays et l'occuperai, 'iil. C'esl ainsi ,[u'eu
avril les avaiit-]iosl,'s ,-l.,iiiil |Hi,,ssés, vers
le Sud, jusfiu'à Ivolube ,'l Ihnsy, ipii esl ii
'200 kilomètres an sud de Fianarantsoa ;
vers l'Ouest, jus,|u'à Kenoarivo et Tsiroa-
mandidv, occupation qui amenait la sou-
mission de la \ill,' d'A.d^axandra. ,pii esl
.'i 100 kilomètre-, <lr I., r.M,- \,'is le Nor.l,
jus.in'à Vohilen.,. l'ai 1,'s vallées ,1e la
Maliajamba, ,1e la ll,tsil.,,ka, de la Maiiam-
bolo. nos tin,ip,'s lies, ■en lent leiitemeni,
il travers le pa\s sakalave, vers la mer de
l'ouest. Aux dernières nouvelles, la situation
était si satisfaisante, ipie le général Gallieni
venait de (]uitter Tananarive, pour entre-
prendre une longue tournée d'inspection.
Ainsi, avec le départ de la reine, la |M'e-
mière période de l'histoire de l'occupation
française à Madagascar, la période de la
guerre a été close. Notre conquête nous
est reconnue par rEuro|ie; la pacilieation
s'achève; l'œuvre de la mise en valeur ,■!
en civilisation de la grande ile \a pi>ii\,iir
êlre abordée, eiilin : dans , pu-Iles i-ondi-
lioiis. il rheun- achu-lle. s,- pr,-s,-nt,- <ctle
o-uvre?
L'idée eu l.iiiuclh- s,- résume la poli-
liipie français,- ailii,-ll,- à Madagascar est
simple : faire ,1,- I'il,-. sous la direction
elVecllv.- ,1,- la Lrame, une ,-, .nlV-.l.-iat i,m
d'Étals, régis par di-s ,li,-ls ii,ili,,iiau\.
Considèr,-e dans s,.i, .-iis.-nibh- , Mada-
gascar est une cohiii'n' /'nnifdisi . il u'v a
d'autre autorilé -,-11,-1 al,- ,lans lile ,|iie
e,-ll,- (1,1 r,-pr,-s,-iilaiil ,1,- la fiance. La
Lraiic- V c-l la -„-,ilc ^..nx.-ianu-. Mais 1,-s
di\(-rs Liai-, ,l(,iil (-11.- I suit i, c-tt,-
b(-uic l.-i pacilieation. c-liii d,-, S.ikabn.-v,
ri-;in\riie. le Delsib-c, etc. ser,.nl. ((uisi-
(lrl(-s cli.iclln en part i.iilici . de veiilables
/,n,lfrl,irfils. Des ,-li,-|s 1 nd ii;,-ll,-s. appll-
,p,alil 1,-s l,.is l,.,:il,-s, 1,-s r,-L;in.nl. mais
s,,ns I,- ,-,,nlr..l,- uiilnclial des résidents
hancais. C'(-sl ainsi ,pi,- T Ijil v me. ,l,-p,lls
laboliti le l.a nixanle, est a,l min ist r,-e
par un -(iiix eriK-iii -ei„-ial iii.lit;(-ne. Ra-
sanjy, s, .IIS r.iutcril,- (In icsi.l,-ut général.
Ne recoiin.iil-on pas ici 1,- princi].e si
lëcoiid du prolectoral, l(-l (pi'il a éle
appliipu- d'abord en rnnisie'.'
Il V a trop peu de U-iiips .pie l'el.il -^'é-
iiérai de Madagasc-ar était l'état de guerre,
pour (|U(- la mise en valeur du p.ivs .lit pu
êlre eiu-.u'c sérieuseiiieiit entrepris,-, l'our
l'd-uvre éeon(uui(pie accomplie, on ne sau-
rait établir de (-ompai-.iisoii eiilre celle
eompiêle réceiiti- el la ■iiinisi,-. pai-iliée
depuis (piin/i- ans. Celle .iinre, pour Ma-
dagasear, ne se compose (|m- de c.nuillell-
c,-m.-iits, de pr,.|,-ls,.t (resperances.
l.a cohmis.ih.m du sol de Madagascar
122
kvkni:mi:nts choc h a I'Imqi t.s
ne sera, en auenn point, oriiciclle. I.e rési-
lient {général s'est piononcé, dans sa cir-
culaire — vraiment remarquable — du
H aviil dernier, ponr la niétliode de colo-
nisation lilire a|i|ili(|née avec succès au
(Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande,
el qui consiste en ceci : certains lerri-
Ic plunU'iM', pour te pelit a^nciilluur, pour
ri>uvriei' d'art. I^c climat tempi>ré dos pla-
teaux appelle ta petite rotonisaiion qui dun-
neru l'aisance il de nomhreux agrieutleurs
français, A l'étroit dans lu mère patrie ; les
vastes pAtui'aKcs du Nord assureront une
grande extension à l'industrie de l'élevage,
déjà prospère ; les climats chauds de la c6tc
i T H K U It A 1, K DE T A X V
toiros, d'une superficie comprise entre
une centaine et plusieurs milliers d'hec-
tares , judicieusement choisis près des
centres habités ou sur les grandes voies
de communication, reconnus fertiles et
salubres, seront déclarés « ouverts à la
colonisation >i ; chacun d'eux, au préalable
arpenté , sera divisé en lots , dont les
titres définitifs de propriété seront éta-
blis d'avance : ainsi, l'acquéreur pourra
entrer immédiatement en possession de
sa concession. Une proposition, dont l'au-
teur est M. Brunet, député de la Réunion,
met à la disposition des Alsaciens-Lorrains
et des créoles des colonies françaises des
concessions de 100 hectares, situées, pour
ceux - là , sur le plateau central ; pour
ceux-ci, dans la zone cotière. Que feront,
sur le sol de Madagascar, ces futurs colons?
Le général Gallieni répond lui-même :
Par sa conformation même, l'ile oITre les
ressources les plus variées ; à coté du com-
merçant, il .V a place pour lindustriel, pour
sont propres à toutes les cultures coloniales ;
sur bien des points, l'industrie minière peut
se développer ; enfin, partout, le commerçant
et l'ouvrier d'art peuvent trouver une juste
rémunération de leur travail.
L'or, à côté de l'élevage et de l'agricul-
ture, semble devoir être un des éléments
principaux de la prospérité de notre colo-
nie. Il était exploité, dans ces dernières
années déjà , au Belsileo , au Vakinanka-
ratra , dans la région d'Ankavandra , à
Suberbieville, chez les Maroftsy, du côté
de Mandritsara; depuis ISOo, le Betsiriry
est deveiui un nouveau centre de produc-
tion. Ces diverses exploitations, sauf peut-
être celle de Suberbieville, en sont encore
à la période du placer, du lavage des allu-
vions ; on n'a pas trouvé jusqu'ici de filon
de quartz aurifère. Il serait heureux, pour
l'avenir de Madagascar, que le phénomène
se produisit ici, qui enrichit et peupla
presque subitement la Californie et l'Aus-
tralie : que l'or attirât une population
K\"KN i: ME NT S «'iKOC. H A IMl lUUKS
nomhrouse, .lux besoins nomlnoux, dont
les filés demeureront, alors i[uo seront
épuisés les filons el les placers, et que les
chercheurs d'or fissent souche de colons.
A l'heure présente, ce (]u'il fnut avant
tout à Madagascar, ce sont les voies de
communication. La capitale elle-même est
reliée à la côte par une route, qu'abo-
minent, à chnijue courrier, les colons.
("ei)endant , alin de remédier à l'insulli-
çaise d'études et d'exploration à }[iidii<jaficar,
avec la concession de ;)20,()OU hectares de
terre, la concession, pour quatre-vingt-
dix-neuf ans, d'un chemin de fer de Tana-
narive à la mer, et, s'il y a lieu, d'un
port à établir soit sur l'iaroka, soit sur
une des lagunes ou sur un des lacs qui
bordent la terre, soit sur la mer. Un autre
[irojet^ de loi accorde à la Société mtxiliaire
de la cohmisotion franqaige à Madagascar
l'I A X A U 1 NlVl'l A . I \ !■ I '
sauce des liiiurjanrx , porteurs indigéiu'S,
inu» |)isle Miulcliérc a éli' (■(iTishiiilc |iai- le
corps du ;^.-nl.', ciilic Tan.uiarive el Tama-
lave; loul iricniiiicnl , le -éru'ral (ialliéui
all'erlail à l'iunclH.!;,! inn .le celle pisie un
crédil de SOII.dOll li;nH-,. Ces saciillces
nOnl poinl fail ..■■^sci 1,-s lanu'iilal ions,
l.a -.ilu.ili.ij., |Mi:iil-il, ,-sl iiilcIciMlilr. 1 ,e
h-ans|M,rl d niir ioin;r ,lr m.nvIl.llM I isrs, (!,•
'l'aiiKilaM' à 1 ,iii:iiiarl\c, i-.iiili' J.IMIII |i:iih-s ;
les pcirleurs. ipii se payaieiil jadis \'.\ fiaucs,
ne mai'cluMil plus aninui'd'luii ii moins de
•V:; Irancs; la roule ruuirlicre. aliiinée par
les pinirs, ,.sl impialical.le le plus son-
\rril ; lirrf, j ,•,„■ ,■! ;, ,-,i, ,,n nTlaun- le
clii-iniii dr 1er -,invcMi-. Il seniM,' que l'on
snil ,',diu a la veille de f, ■ver, il ion. lu
projel de loi accorde à la S^rivtr fraii-
la conslnielioii d'une roule .'i péai;e île l.i
enle à l 'ia lia i .iliKo.i .
.\pivs plus de d,.,i\ sir.-le^ d iiilerveu-
lioiis ^iie,-essi\e> et dellnils iii leniiil I enl s.
voiei qu'^uiciin olisl.iele ne s'opposi' plus à
la colonisalion française d.' Madagascar. Il
<'st permis d'espi'-rer (pie la l''ranee mèiuuM
à bonne lin son enlrepri->e el que lous si>^
représeiil.iiils dans la grandi' de s'inspire-
ronl des belles parolesdii lésidenl général
aelnel : •• SuivanI moi, le meilliMir admi-
uislraleiir sera eelui qui aura ri''ii->si pu- sou
iidelligenle sollicilude ^ favoris,.,, dans
sa province , l'inslallalion du plus grand
luimbi'c d'enlriquises ai,rieoles , commer-
ciales ou indusirielles.
( i .ï > 1 O N Hor V 1 111.
LK MOUVEMENT LITTEllAIUE
Le xviii' siècle, qui fui bien des choses,
mais qui fut surtout le siècle de l'es^prit et
de lu fiiiKe. a été en ces derniers temps
robjcl de (iuel<|ues l)ous travaux. L'abbé
Le Sueur a ])ublié un lot important do
lettres inédites do Maupertuis, — celui
que Voltaire ai)pelail le docteur A kakia,
et qu'il roula clans la saumure du ridicule.
Le volume contient un prand nombre de
lettres de ses correspondants : le grand
l-'rédéric, le président Ilénault, Euler, Con-
dillac, etc. Tout ce lot a été trouvé dans
un diâteau de la Somme. Il avait été réuni
autrefois par La Beaumelle, pour une
f;;iande vie de Maupertuis. La préface de
l'abbé Le Sueur est une excellente biogra-
])hie raisonnée du fameux savant, et il
faudra désormais y recourir pour parler
de lui. (Juant aux lettres, elles sont cu-
rieuses, sans plus. Elles ne nous révèlent
rien de très capital ipii ne fût connu, et
elles ne font pas aimei- davantage ce sa-
vant intelligent et fat, qui eut le mérite
de mesurer le méridien de la terre et le
tort d'en concevoir une morgue outrée.
Aussi Voltaire, qui était son commensal
chez le roi de Prusse, le grand Frédéric,
lui fit-il payer cher sa renommée tapa-
geuse en se moquant de ses projets dont
quelcpies-uns étaient bizarres, d'un moder-
nisme précoce : ne voulait-il pas percer
la terre d'un grand trou qui ressortirait
par les antipodes? Cela se fera peut-être
quelque jour. 11 \oulait aussi fonder une
ville latine où l'on ne parlerait que le latin,
afin de permettre aux élèves des collèges
de mieux apprendre cette langue. Il vou-
lait encore qu'on disséquât les cadavres
des condamnés à mort au lieu de les jeter,
pour que ce fût utile à la science ; il pro-
posait même ipi'on les disséquât vivants
pour mieux surprendre le secret de la vie.
Il avait pressenti les phénomènes de l'hyp-
notisme et de ce qu'il appelait l'état
d'exaltation de l'âme. Voltaire la verte-
ment plaisanté sur tout cela dans sa Dia-
tribe, qui est désopilante à lire. Maupertuis
le provoqua en duel. Voltaire déclina
l'offre en prétextant qu'il était bien faible,
au lit, et qu'il ne pourrait que lui jeter à la
tête « ma seringue et mon pot de chambre».
La publication de l'abbé Lesueur est une
intéressante contribution à l'histoire litté-
raire. Nous ne pouvons ici que la signaler,
car ce serait trop nous étendre que de
retracer cette curieuse figure de Mauper-
tuis, et la place nous est mesurée.
Une contemporaine de Maupertuis, la
délicieuse M'"" Ueoffrin , vient également
d'avoir les honneurs de deux bonnes études
pres(|ue simultanées : Le Salon de M (Uof-
j'rin, par Torne/.y (chez LEi:fe\Ei,et le livr(^
plus considérable du comte Pierre de
Ségur : Le Royaume de la rue Saint I/mioré,
Madame Geoffrin et sa fille (chez (Ialm.vnn
Lévy). 11 était difficile d'apporter des traits
nouveaux à une figure bien souvent étu-
diée, bien connue. Et cependant ces deux
livres sont utiles et agréables encore après
tant d'autres sur le même sujet, après les
études de Sainte-Beuve, de Goncourl, de
Bonhomme, de Colombcy, de Lescure, du
comte de Mouy.
Oui, cette figure est connue, et par les
excellentes études qu'on fit d'elle, el par
les beaux portraits (pie les artistes nous
ont laissés. Elle était jolie. Son portrait,
peint par Naltier, a grand air et donne
l'impression d'une grande, belle et jolie
femme avec des traits réguliers, un visage
en ovale parfait, les cheveux rebroussés
droit au-dessus du front, le nez grec, les
yeux beaux et grands, la poitrine plas-
tique. Ne songez plus à la vieille M"" Geof-
frin, la seule que Goncourl ail connue dans
son \\\Tc La Femme au wiw" siècle, la vieille
M™" Geoffrin gravée par Miger, l'air pensif,
la figure allongée par les joues autrefois si
fraîches, aujourd'hui tombantes; c'est la
vieille femme, gravée aussi par Robileau,
peinte par Chardin (musée de Montpellier),
peinte par Hubert Robert dans une série
de panneaux qu'elle commanda elle-même
et qui figurent des scènes de son existence
intime : M""' GeoiTrin dans sa chambre à
coucher, dégustant une tasse de chocolat ;
W" Geoffrin déjeunant avec les religieuses
de l'abbaye de Saint-Antoine de Paris. Elle
soignait sa postérité.
M. de Ségur nous a révélé une M"" Geof-
frin jeune, orpheline, élevée singulièrement
par une singulière grand'mère, grand'-
maman Cheniineau.
11 est admirablement documenté, ayant
dépouillé les sept grands cahiers reliés en
maroquin vert, écrits de la main de
M'""" Geoffrin, et qui sont actuellement chez
la marquise d'Etampes. Il a connu aussi les
papiers manuscrits de la fille de M""" Geof-
frin, M"' de la Ferté-Imbault, et encore
une collection de lettres adressées à
M""' GeoiTrin par l'impératrice Catherine.
Il a eu en mains également les lettres do
M""' GeoiTrin à Hume, qui sont à la Société
L E M n u y K M 1-: x t l i t r i: n a i u k
125
rovalo d'Edimbourg. Ce soiil là de précieux
et nouveaux documents pour mener un
supplément d'enquête.
M""' GeofTrin est l'une des ])lus brilhinles
parmi ces charmantes figures de femmes
du xviii'' siècle, M""" de Lambert, deTencin,
d'Epinay, de Lafayette, du Defl'aud, du
Châtelet, de Slaal-Launay, du Maine, de
Staël, etc. Regardez ce joli portrait que fit
Horace Walpole de cette illustre })our-
geoisc <( d'une roture infinie ». U dit d'elle :
Mme GeofTrin est une femme extraordinaire
qui possède plus de sens commun que je n'en
ai jamais rencontré pour découvrir les carac-
tères et les pénétrer jusqu'aux derniers replis,
et un crayon qui n'a jamais manqué un por-
trait, iirilinairement peu flatté; elle exige et
elle conserve, en dépit de sa naissance et des
préjugés absurdes d'ici sur la noblesse, une
véritable cour et beaucoup d'attentions. Elle
y réussit par mille petites manœuvres et par
des services d'amitié, en même temps que par
une franchise et une sévérité qui semblent,
être son seul moyen pour attirer chez elle un
concours de monde : car elle ne cesse de
gronder ceux qu'elle veut s'a'tacher. Elle a
peu de goùl et encore moins de savoir, mais
elle protège les artistes et les auteurs, et elle
courtise un petit nombre de personnes pour
avoir le créclit nécessaire à ses protégés. Elle
a fait son éducation sous la fameuse M"" de
Tencin, qui lui a conseillé de ne jamais
rebuter aucim homme, parce que, disait son
institutrice, quand même neuf sur dix ne se
soueiei'aient pas plus i^le vous cpTun sol, le
dixième peiil di-vi-uir lui ami ulile.
Ah! la délicieuse femme! On m- la con-
naît, on ne la voil que vieille cl célèbre,
parce ipie sa jeunesse fut obscure. M. de
Ségur a éclaii'é celte jeunessi". Il nous
montre M"" Hodel, baliilant rue des l'iou-
vaires, chez son |irre, un commissaire con-
trôleur juré, mouleur de bois de la ville
do Paris. Devenue orplieline, elle b.ibita
chez la grand'nière (ibeniine.iu, iiie S.iiiil-
Ilonoré, — une femme <1(^ tèle solide, qui
prisait plus le jugement que le savoir. Elle
disait : << Si ma petite-fille est une bête,
le savoir l.-i remlrail conli.inle el insuppor-
table; si elle a rie Irspril el de l.-i sensi-
bilité, elle supph'eia par son adresse :i ce
(pi'elle ne saura pas. m 11 est curieux de
voir (pie M'"" (jeolïrin, qui devait plus tard
tenir nu salon lilléraire et obtenir un
grade élevé dans le corps des bas-bleus,
n'a pas reçu d'instruclion dans sa jeu-
nesse. Même U? niailre ;i danser fui con-
gé'dié. i< Quand cette enfani, disait la
grand'mère, vomira sauter, elle saillera ;
elle n'a que faire d'être? une d.iuseuse. »
C'esl un Ivpc. icllc gr.indmère Cl li-
teau , .l'espiil .lr.,il , sididr . résolu el
simple. ICIle lil apprendre ii Thérèse
(M'"" (ieolTrin, jeune fille, s'appelait Thé-
rèse Hodel) le chant, mais sans accompa-
gnemenl d'inslriiinenls; elle n'en voulait
à aucun [irix : •• Cela l'ait trop ■le bruit. .1
Thérèse se jeta d'abord dans la dévotion
et le mysticisme. A quatorze ans, on par-
lait d'elle dans le quartier, et Diderot lui-
même avait remarqué cette fillette •< en
cornette plate, en mince et légère Sia-
moise. " Elle songeait aux ordres. L'an
d'après, elle épousait un vieux veuf riche,
M. Geoffrin, fabricant de glaces et miroirs.
Il avait cinquante ans; elle en avait quinze.
Ce ménage bizarrement assorti logea
dans cet hôtel de la rue Saint -Honoré
dont la façade existe encore, au n" 372, et
qui allait devenir le royaume du bel es-
prit.
Les premiers temps furent calmes,
M. Geoffrin avait tout lieu de s'estimer
heureux d'avoir trouvé une jeune femme
modeste, rangée, économe. H comptait
sans la littérature. Sa femme connut cette
gredine intelligente qui fut la marquise de
■Tencin, femme supérieure en tout, en es-
prit et en vice. (Test elle cpii déposa un
soir son enfant sur les marches de Saint-
Roch pour s'en débarrasser. Le petit fut
recueilli et élevé par d'honnêtes vitriers.
Il devint le fameux savant d'Alembert.
Alors, comme il se couvrait de gloire,
M"'" de Tencin lui proposa de le recon-
naître pour son fils. D'Alembert refusa,
chassa cette mère indigne, et ne reconnut
que sa mère d'adoption, la vitrière. M""' Le
Rond. Ce trait l'honore, comme il désho-
nore la Tencin. Ce fut |)ourtanl ctdle-ci
ipii servit de marraine ."1 M""' (ieolfrin dans
le monde des lettres. Elle r.illira d.nis son
salon. M'^"' (ieotl'riu v lit s,--. ,,rges. Elle
pliil à tous les habitués, et elle les en-
traîna tous dans ses salons ii idle, ipielle
ouvrit en son hôtel de la rue Sainl-llonoré.
Ce fut grand émoi; iM. CieotTriu, qui
s'était arrangé une petite vie si IranquiUe,
poussa les hauts cris devant cette invasicui
de beaux esprits et de gros a|)pétits. Ce
furent des (pierelles, des dispules ii l'occa-
sion de chacpie diner. Il finit par céder en
maugréant, et se n'sign.i .'1 se rencogner
i.laus sou faiiteiiil, d.iiis un coin du salon
rempli de (■i''l('bi iti'>.. silencieux, solennel
et ennuyé, lu jour sa place demeura vide.
On ne le remar(|ua pas. Plus tard, lorsipi'uu
habitué s'avisa de ri''clamer ce vieux mon-
sieur ((non voyait toujours l,à et qui ne
disait mot, la maîtresse; de inaisori ré-
pondit ; Il C'était mon mari. Il est mort. "
Et ce bit tout. On lie parla plus de
M. (leollriii. el |iersoiine n'en ,nail plus
parlé jusqu'à M. 1'. de Sé-iir.
L'originalité de ce salon. <;• bit de voir
cette femme sans iiaissame. sans litre,
vivant avec ((uaraute mille li\ 1 l's de renies,
prendre le haut pas sur l,i société mon-
daine et lettrée; ci' salon bourgeois brillait
devant les plus arislocraliques salons de
I.K MOl'VKMK.NT I, ITTKH Al 11 K
Piiris, cl (IcvciMil le ciMilic, le loyer ili-s
Ici lies IVançaiscs, sans noblesse et sans
liclicssc, car Marmonld nous confie (|u'on
Y dinail le plus souvent d'une omelette,
(l'un poulet cl d'uii plat d'cpinanls. Klle
(Hait secondée par sa Idlc, d'une j^^aîlê in-
tarissable, d'une {;ait»'; ininioitelle, disait
Maupeiluis, rieuse et folle, la future
M'"'' la l''ertc-Iml)aull, (jui devait plus lard
faire succéder au salon académicjuc de sa
mère les réunions, sur sa terrasse, de
l'ordre dont elle avait la grande maîtrise,
l'ordre des Lanturelus et des Lampons. Sa
mère se fût voilé la face si elle les eût en-
tendus chanter. I,es salons se suivent et
ne se ressembleni pas.
M. Jacques Normand publie, chez Le-
MiiHiu:, un charmant livre de vers, Soleil»
d'hiver, notes d'un l'arisien en Provence.
i( Imageriechantante >■, nousdisaitrécern-
nienl Catulle Mendès dans son recueil,
pour marquer le souci d'harmonie et de
prose cadencée qu'il apporta à l'œuvre.
Jacques Normand a fait , lui aussi , de
l'image ;> la plume, des peintures écrites
et chantées dans le mode des Muses.
Les arls sont frères, et les artistes ont
une tâche commune malgré la diversité des
procédés et des formes. Tous concourent
à l'expression des sentiments que font
naître en nous les communications du
monde extérieur. L'instrument seul dif-
fère. Kt l'idée doit venir aussi au poète
de faire œuvre de peintre, d'avoir son al-
bum, ses croquis, ses types, ses paysages,
puisqu'il a son pinceau, qui est sa plume
et aussi sa palette sur laquelle se jouent
tous les tons, tous les ors, tous les rayons,
toutes les richesses de son imagination.
Ainsi a pensé et ainsi a fait le délicat
poêle Jacques Normand. Il a emporté son
Kodak , et il a illuminé de poésie les
épreuves des plaques.
Et voici l'album. Feuilletez. C'est le
journal poétique du voyage. Nous partons
par le rapide :
Dans l'immense gare
Résonne et s'égare
Un coup de sifflet.
Nous flânons sur la Canebière, au nom
retentissant ainsi qu'une fanfare, sur le
Prado, sur la tlorniche, à Toulon, à Cannes,
à Ilyères, à Nice, à Monte-Carlo, et le ca-
lepin s'emplit de vues, de types, un porte-
faix, l'escadre, une sauvageonne, un type
d'Anglaise, la Promenade des Anglais, la
Bataille des fleurs, le Casino, chez Rou-
bion, les aloès, les roses. C'est un défilé
pittoresque. A mesure que tournent les
pages, on aime celte musique des vers qui
accompagne les vues, comme un orchestre
en sourdine derrière un cinématographe.
Ce sont de jolis panneaux bons à regar-
der. Voyez cette vieille jeteuse de sorts,
qui vous vise aux yeux de son long doigt
maigre et luisant :
Comme nous regardions, à l'Iieure du couchaiil
La mer Iragique avec flcs lueurs d'incendie,
La vieille Ilalicnnc en haillons, l'air mCchant,
Parut ei vint à nous d'une marche hardie.
Son long doigt d<^charnâ nous visant, droit aux yeux,
Elle dit, d'une voix de sibylle sauvage,
D'étranges mots sur un rythme mystérieux...
Puis disparut dans l'ombre grise du rivage.
C'était le mauvais sort qu'elle lançait ainsi
Sur nos deux fronts voisins. la sombre jetlature;
D'autres, à notre place, en auraient pris souci...
Nous, cliêre, nous avons souri de l'aventure.
Contre nos cœurs unis que peut le mauvais sort?
Va ! je la bénirais plutôt, l'horrible femme,
Car ton bras s'attachait à mon bras bien plus fort
Tandis qu'elle parlait, — et ton âme à mon àme !
Vous n'avez pas oublié les pages remar-
(juables de Paul Bourget sur le casino de
Monte-Carlo, et vous vous les rappellerez
devant le tableau de Jacques Normand
qui a la touche plus large et l'impression
plus philosophique, grâce au prestige de
la poésie :
On songe à quelque étrange et beau Palais du mal
Où le démon du jeu, fantastique animal
A la griffe d'argent et d'or, bien acérée
Saisit le pauvre humain aussitôt son entrée,
Et sous ces hauts lambris d'un luxe éclaboussant
Lui déchire le cœur et lui suce le sang...
Ainsi va ce livre, cet album coloré et
poudroyant, chaud de soleil, avec des
rellels d'azur et des souvenirs vibrants,
des impressions vécues ; c'est un joli
voyage avec un charmant compagnon.
M"" Jane Dieulafoy, dans son roman
Déchéance, paru chez Li:.MEiinE, conte un
récit dramatique, niouvementé, bien mo-
derne, dans un style pur et ferme. Elle y
défend la thèse de la foi et du sacrifice à
l'Idée, au mépris des compromissions
mondaines. M'" de Deyme s'épiend d'un
jeune officier; mais son frère, qui est dé-
puté de la droite, s'oppose au mariage
parce que le jeune homme est protestant.
Quant à lui, M. de Deyme, il s'éprend
d'une jeune personne qu'il voit chez
M""" de Rodeloze, dont elle est la protégée.
Mais sa S(eur, à son tour, s'oppose à ce
mariage parce que la jeune personne est
divorcée. Ainsi des deux parts il y a
obstacle et impossibilité pour des raisons
de foi et de principes, divorce et protes-
tantisme.
l.K MdlVKMKNT M TT Kli A I li K
Mais des deux paris le sacrifice et l'hé-
roïsme ne sont pas les mêmes. M"" de
Deyme a tous les courages et ne faillit
pas. Elle se réfugie au couvent. Toute la
cérémonie de la prise de voile est un ta-
bleau frais, blanc et gracieux.
Le frère n'a pas cette vertu, et il des-
cend tous les degrés de la déchéance; il
devient infidèle à tout : 5 ses opinions, à
son parti, à son honneur; la divorcée de-
vient sa maîtresse, sa sieur en meurt de
chagrin. Tout cela est fortement vécu et
analysé, avec de perspicaces analyses, des
caractères bien vus et nettement tracés et
de-ci de-là d'agréables paysages :
Le soleil se levait derrière les bois de peu-
pliers dont les troncs se miraient dans les eau.\
du Lot. 11 jeta ses rayons pales sur les saules
jaunis déjà ; il fit briller, à travers les chaumes,
les coquelicots lents à s'ouvrir; il colora les
vis^nobles qui ruisselaient du haut en bas des
coteaux. Le pays, fertile par places, aride
dans d'autres, rappelait l'Orient, où l'oasis
confine sans transition au désert. A travers
les fenêtres couraient, entrevus à peine, des
fermes d'aspect rustique, des meules de blé,
des champs de ma'is aux panaches orfjueilleux,
des guérets remués par des bicufs puissants.
Les scènes sont mouvementées, les dia-
logues pressés, le développement régulier
et pourtant pathétique. L'étude de l'ar-
chéologie et de l'humanité' dans son passé
n'est pas une gène pour la connaissance
de l'Ame moderne, au contraire ; l'intré-
pide exploratrice des palais de Xerxès en
est la preuve. Les sentiments humains ne
sont-ils pas élernellement les mêmes'?
Il V :< un livre lU- KoHlmelIc (pi'ou ne
1,1 |,|,,s -iiérc, - ce virux cl i;;daiit Koii-
Irncllc, si rhaiiii.inl crrg..ïs,nr spirihicl.
Ce livre s'appelle la riiiraUt, ,l.s .l/,»/,/,.v,
(l'esl lin eiiiirs d'aslronniiiie |iniM il.iiiies,
le soir, ;i|.iés dincr, dans le p.n.' el mii Ij
len;isse du elKileaii. ( l'csl un IJM c e\i|uis ;
il iiieriLiil un nieilh'iir sori ipie eeliii ipie
nous lui faisons; mais les pins belles
choses oui le jiire desliii,
■ t^amille Klammai-iou, dans scm riini.in de
Sirl/a, nous l'ail penser m l'inileiielle, C'esl
d.' l., MllL;;ili^;ilioil .inle;il,le inelee à lin
rniiuin M'nliliienl.il dune belle .'le\,ilinli
el .Il leli.Mie ;ili;,lyMV Ce <pie ,-e
SI rniiline-,, , l;,sl r, ,ii, un ie p. .pu l;il le. e'esi
une pari iinpoiliinle di' plnloseplne . île
cosniogonii' , de nnslieisine iiiênie, .le
glisse rapideinenl sur les .•iinonrs siipia-
sensiielle^ de Slell:i el de l'iisl roiionie
Daigil.iii ; ee .pii en esl |j inile (lonii-
n.-inle, e'esl l;i l'.ii. rainnnr pi.ui- l..s asires,
l'iillir.inee ipiils eNeieenI, le besoin ipi'ils
imposent de s'abimi'r eu eux et do les
posséder. Ce n'est plus de la vulgarisa-
tion, ceci, c'est une observation person-
nello et frappante que le ciel attire et
séduit, fascine et domine. Le roman se
termine par une mysliipie ascension des
deux âmes enlacées vers les planètes su-
périeures, vers un degré de vie plus par-
faite, et c'est une iissez belle image de
l'espoir dans l'avenir meilleur, et le [iro-
grès constant di' l'Iiiiin.inili' en iiiarelie
vers le bonheur.
Ce livre intéressera eeii\ .pii \eiilenl
qu'on les fasse rélh^'cbir el eeu\ :iiissi
qui aiment la diseus-,icin, e.n- li.ul y esl
matière à re%isiiiii, ;i e\:iineu. ;'i eeiilia-
diction. Ce ne seul p:.s de ees -.iijeK sur
lesquels il sc.il peiiui-~ .{'.ippiiiler des
solutions délinili\es. .les .• Iiisii.iis s:iiis
recours. On m. us \ e\pli.pie l.ien .pie la
vie a coninieiiee sur !:i l.ure p;ii nue e.un-
binaisoil illl e:iib.iue ,i\ er I li\ ilii.i;èiie el
l'azote, mais ne \ .iii.lrie/.-\ . .ils pus niissi
([u'on vous dil, pi. 111 Mins li\er Imit a lail.
qui donc avail nus l,i d.' I a/i.le l'I du car-
bone, el comiueiil lisse I ii.in .ilelll la?
Tout le volume .'sl pl.uu lie ees pn. blê-
mes dont les solul i..us .l.mn.-es p,ir l:i libre
|iensée ne nous s,il isli.ul pus pins .pie eidles
propos(''es p,ii les leligimis. Mais il legne
sur binl eelii un air d''élé-\ al ion . .le siiieé-
rilé. de -iMii.l.-ui ipii se déga-e .les en-
Ir.iilles iiieiu.- .lu suj,.|. le.piel esl -riiud
el r.,iiipoile une li.lle p,irl de pi.esie, ,\h!
eninnii- il esl pfiis.iul, .piali.l i.li a e,.iileiii-
ple riiiilneusile .les ,-ieil\ .1 l:i p..ussièle
eelesie, . 1 (■,■,, ni er, .■..iiiiiie le fa 1 1 lauleur
pai- un conlrasli- inali.ieiix. les .. liiiuisl.'-
ri<.s svbillisles - <lii p.iel.' .piil appelle
Klieunc niiMiaiiiH' ! Des pa-.'s s. .ul j.ilies.
c.miiie eelle-.l, sur la peu. lui.' si. lei al,- ipii
lliai.pie.li\-s.-pl lieui.s, .ai l.s.isli ii.-s
\iselil .'Il .leheis des li.Mlr.'s Mil-aires.
\.,iis,issislous; .■.■vpiil.ui.-.-.l.'Ia.pielle
il ivss.irl (pi'eli IS|-.:i, ..u a\all .-..nslale,
.lalis un laps .1.- l.-inps. une se. .,11, le <le
plus, i;i \oiei les eonsé.pienees bien <li'-
diiiles el insleinenl comprises il.' .•«•Ile
simple .■oiislalali..n .l'Iiorle-erie ; .-ar e'esl
le eaïa.lére de la sei.ul. .■ .!.■ lirer de gros
ellels de pelil.'s .1 i-e, .iisl a mes ; el c'est
paie., .pu- I,' Mil^aiie ne ^•n^ pas ee rap-
pel I ,lu pi'lil an ^laii.l. .pi il luee.Hill.all le
sens el 1,1 p..rl,a'<li's in..in.li.'s opéra I i. ms.
D.ilie, .111 a .■..iiipl.- eelleann.-.- une se.-.mde
,l,- pins; el u.K-i «a- .pi.- ..la m. il ilii.- :
Il la.i.li-a ,v.-.,iii,„.Mu-.M- f..l.-erva(i..ii un
Hiaii.l ii.iniliiv il.- r..is p.. m- assurer si, préci-
si„ii, sii|.|...s.,Ms ,|ii,. ;;;;^';';';")^;;';;;'';;,.'^!;;;;;'
mù''''sV.-.u.'.'l.-' ' i:l'ri'i.ii' .''.-'l ''en'. nue: ('.ellJ
(lillVreiie,- 11.. us a|.|.i .■n.li-.iil i|il.' ramas, .111
IVL.il.- V..ISIII,., .,11 les .leuv peiil .'■Ire, s,. s..nt
,|,|,la,a'-s .lans !.. ilir.-el jeu esl ,,u.-sl. Kl avec
1-2
MO MOL'VKMKNT I, Il T i:H A I II K
des oli'imMiU siiHis^mls df laliul, nous Irou-
vci'ions siins doute là mi iiioovcment considé-
rable, non pas seiiU'nienl de cent mille kilo-
mètres A riieure, lonnne la Terre dans sa
Iranslalion annuelle aulotn' du Soleil, mais de
deux cent, trois cent, quatre cent mille kilo-
mètres à I heure et davantage. I.a mesure en
elle-même parait un peu prosakpie. Compter
un, deux, trois, quatre, n'est pas une opéra-
tion transcendante. Mais combien le résultai
est intéressant lorsqu'il nous montre ainsi
tous ces soleils lancés dans l'espace avec une
vitesse verti(;ineuse.
Quel soudain cou|) d'aile ! Comme l'cx-
|)i'rience grandit tout à coup et nous
emporte à travers les espaces dans le tour-
noiement fantasli(iiic et vertigineux des
mondes !
Louis Knaull, le charmant romancier qui
a écrit Stella, Nadéje, l'Amour en voyage,
la Rose blanche, la Vierge du L^han, Uer-
mina, Alba, Christine, tous ces romans dont
le titre évoi]ue un passé de vogue et d'éclat,
— Louis Knaull vient de se remettre à
l'œuvre et de publier un roman nouveau,
Pour un! (chez IIacuette). On y retrouve
ses qualités niaitrcsses, qui sont l'analyse
fine et perspicace, le style aisé, le tact qui
excelle à exprimer avec une grâce fleurie
et souple les ténuités, les déiicjU'ssc^ .les
sentiments féminins, des inipi . ---i. iii-~ l.ii-
dres, des galanteries voilées, dr^ |i.i>si(>iis
discrètes, avec une louable préciosité.
Ajoutez à ces mérites du mouvement, du
pathétique, et vous voudrez lire ce récit
dramatique où deux sœurs aiment le même
homme, — les Sceurs rivales, de Rotrou.
Mais l'aînée est plus coupable que sa cadette,
car Valérie est mariée avec un autre, et se
donne pourtant à cet Herbert, aimé aussi
d'Angèle sa sœur. Le mari surprend l'épouse
infidèle; Angèle était là; elle sacrifie son
honneur à son amour, et déclare que Her-
bert était venu pour elle. Mais comme cette
même nuit un vol avec effraction a été
commis au château , le mari fait arrêter
l'amant comme voleur. On voit combien
l'action est violente. Tout s'arrange d'ail-
leurs à la lin, comme il sied.
Une des plus jolies parties du roman,
est l'histoire de l'ascendant qu'Herbert
exerce sur la jeune Angèle, qui l'aime, l'ad-
mire, oriente toute sa vie vers lui, et
découvre en même temps son cœur et son
amour.
Il y a là une fine et jolie étude de l'amour
naissant et grandissant au cœur d'une pure
jeune fille capable de tous les dévouements
et de tous les héro'ismes pour celui qu'elle
aime et admire; c'est du plus délicat
talent.
Aimez-vous les reconslitulions histo-
riques? Vous savez combien on en a fail
de belles et d'intéressantes (pielipiefois,
le Voyage du jeune Anacliarsis de Itarlhé-
Icmy, la Rome nu siècle d'Auguste de Dezo-
liry, les Récit» des temps Mérovingiens d'Au-
gustin Thierry, la Ligue de Vilel. Crest
un genre agréable et souvent heureux. Kn
voici un nouveau et bon spécimen, Tolla
la Courtisane, par E. Hodocanachi (chez
Fla.mmaiiion). Appelez cela, si vous voulez,
Rome en 1700. C'est un tableau de mœurs
et coutumes curieux et varié. On y trouve
les aventures galantes avec le récit scru-
puleusement historique des amours de la
folla Boccadileone (Bouche de Lion? quel
nom brutal pour une femme!) de don
Gaetano Cesarini et du prince Constantin
Sobieski. Cela, c'est de la petite histoire,
tirée des archives, et c'est un roman vécu
bien captivant. A côté de cette intrigue
mouvementée, vous discernerez les élé-
ments d'un vivant et complet tableau de
la vie à Rome, avec les menus faits et les
menus détails de chaque jour. Vous trou-
verez enfin la description très complète
et très documentée des solennités du ju-
bilé de 1700. Tous ces grands panneaux
.se complètent et s'avivent l'un par l'autre.
Parcourez les rues :
Des places très petites, décorées de gigan-
tesques obélisques ou de fontaines monumen-
tales, des palais imposants, liautains, d'archi-
tecture un peu monotone, flanqués de masures ;
des maisons allant à la débandade; puis des
grands espaces vides et plantés de vignes ou
couverts de joncs; des églises, des chapelles,
des oratoires sans nombre, de toute forme,
dédiés à tous les saints du paradis, mais sur-
tout à la Vierge; le beau et le laid, le sublime
et le baroque, le somptueux et le misérable jux-
taposés, superposés, confondus dans le désor-
dre le plus troublant. Partout on admire des
eaux limpides et jaillissantes ; il n'y a presque
pas de place ou de maison qui ne soit ornée
d'une fontaine d'où l'eau coule en abondance.
Quand la reine de Suède vit celle profusion,
elle pensa que c'était un jeu qui ne devait
durer que quelques heures, comme à Versailles,
el qu'on faisait en son honneur, et elle pria
qu'on le fit cesser par économie. On lui fit lire
l'inscription que portent certaines fontaines ;
Aquée perennes, (Eaux élernelles), et qui
convient à toutes.
Ajoutez, pour avoir l'aspect des rues, que
les boutiques, je devrais dire les échoppes,
car elles sont toutes le plus pauvrement gar-
nies du monde, sont en plein vent; l'étalage
se fail en partie dans la rue; l'on y vend de
tout : les charcutiers débitent de la ficelle ;
les cartonniers, du tabac; les tailleurs, des
images saintes; les épiciers du fil de fer.
La place me manquerait pour évoquer
seulement le grand tableau des fêtes du
I, K MdlXKMKNT LITTÉRAIRE
jubilé, le cortège, l'ouverture de la Porte
Sainte, les costumes, les livrées; tout cela
est chatoyant et grouillant. Et que de dé-
tails typiques sur la société, sur les cour-
tisanes fastueuses, sur les courtiers de
paris mutuels <c sur le sexe des enfants à
naître ». Voilà une industrie h laquelle nos
bookmakers négligent de songer. Dans ce
cadre se déroule le drame galant de Tolla,
qui relie et anime ces pittoresques et vé-
ritables panneaux.
Les Féeries de Jean Rameau (chez Ollen-
dorff) sont un excellent recueil de trente-
cinq poèmes où le charme d'une élocution
choisie et harmonieuse se joint à l'intérêt
des récits pathétiques et mouvementés.
On l'a dit avec justesse, ces poèmes fan-
tastiques sont lumineux comme dos vitraux
du moyen âge. C'est poétique, élevé, sa-
vant et ingénieux, d'une fantaisie ex<|uise
(pii se joue parmi des personnages fabu-
leux, médiéviques, rois et bergères, fées
et jongleurs, parmi les orangers et les
étoiles, emmi les mélodies des musettes
et des violes. Le goût du jour est à ce
genre-là, à ce moyen âge (jui a cessé d'être
romantique pour s'estomper dans des
vagues lointains wagnériens. Mais Jean
Rameau a res[)rit trop net pour nous lais-
ser dans les nuages d'une Hrocéliande, cl
ses récils sont vivants, attrayants. Parmi
leur murmurant essaim, soufl'rez <[ue j'aie
naturelle tendresse do coeur pour le Afiracle
d'Oliran (|ui m'est dédié, et dont je vous
veux livrer quelques beaux vers :
Arômes de la menthe et de la mariolaine,
N'ètes-vous pas son soufHe épandu sur la plaine?
Vous sur qui Mellida s'est mîrce, ô ruisseaux.
Ne racontez-vous point sa grâce à vos roseaux?
Ciel si pur, n'es-tu pas un peu de son sourire?
Et vous, prés verdoyants et mois où le zépliyre
Fait dclore aujourd'hui des liserons menus.
Ne fûtes-vous pas, hier, fouk-s par ses pieds nus ?
Ellecsi jeune, elle cstbelle, elle m'aim.-! oh! vertiges!
S'(;criait Oliran. Et, balançant leurs tigos,
Tous les arbres semblaient heureux de son bonheur.
Et les cloches des tours chantaient en sou honneur
« Vive Oliran ! » criaient les femmes attroupiies,
Et les vieillards baisaient ses deux longues (îpies
Dont le fil s'ébriicha sur des fronts d'ennemis;
El les vierges aux traits suaves, ayaru mis
Des Heurs dans leurs cheveux, des rul)ans à leurs tailles,
Chantaient l'hymne de paix aux hiros des batailles. »
A noter aussi la Blonde Zii/imé cpie con-
naissent déjà les lecteurs du Manile itindi'rtu',
le Savant Z'KM~.td,\o lutin liant d'mi pouce
et demi, l'Eglise .s
c'est une fanlas
féerique.
A les aulr
lélodieusç
.le ne puis ipie vous signaler. l'aiiU' d'cs-
pac(>, les délicates Notes sur Londres de
M""" Alphonse Daudet en une petite pla-
([uette entoilée h la mode anglaise, pour
laquelle Fasquelle a apporté une ingénio-
sité artisli([ue et charmante. Et tenez,
voici encore un bon livre dont il scr.iit
intéressant de vous parler, mais lisez-le,
Foreats et Proscrits, de Paul Miniande
(C. LévvI. Vous y trouverez de pin(irc^(|iii's
paysages de Cayenne, de Kniiicm, de d.ule
la Guyane, les mœurs el (■iiulunu's du
bagne, des légendes locales, des crociuis
de types, des scènes amusantes et des
scènes horribles, du Camp de la Mort à la
forêt vierge, où l'évadé tombe épuisé de
fatigue, et où son crâne blanchit dans
l'ombre, poli par les myriades de fourmis
qui, en quel<[ues instaids, l'envahissent et
le déchiquètent. 11 sort de ces pages des
appels stridents à la pitié pour ces vilains
gas déportés là-bas. (l'est une mauvaise
cause. On y (larle aussi de Dreyfus, in-
juste objet d'une clémence irrégulière. Il
y a, parmi ces éloipientes horreurs, des
notes gaies, comme l'histoire de ce .lides
Gros (pii s'inslalla rlans le leiiiloire (^)n-
Icsli', sv lit élire |,rcsidciil de la Répu-
blique, y irislalla une ( ihanil.ic .lr>. députés,
et se lil expid^-rr pan e ipie sou iniiiistre
de l'instruction publicpic elail un piicliaril.
Ce .hdesGros \il a piCM'al n-hr,- à Cliehy-
Levallois, comme ui\ ri.i eu exil.
Enfin, aux am.aleurs d'émolions tories et
vibrantes, signalons lliabili- récit d'un
maître du roman populaire, lleini Ihuncsse,
La Fleuriste des liallis. lal.leaii vivant el
curieux ili' ce milii'U m di\cis cl si agile
(h'S vcM.lians des halles.
V.Mis sa\r/ aussi qu'.X 1 pla.Mse Haiiilel
vieni (l,T,Miiiii(Mi ni! voluiiu' de (■harmanles
luisia'llaiices, iioim-llcs el souvenirs, im-
pressions du r.ul .le Monlrouge.de la Sal-
pèlrière, d'un cliel' de <-al.iiiel, du phare
des Sanguinaires, di-jà \u dans les contes.
(Test un précieux ramassis, ri lilluslral ion
en est toute gracieuse, .le ne \(jiis dis rien
de La bataille dl'lide, de Paul .\dani : le
livre vaul la peine d'v riiM'iiir à hasn- l.\
fois |, roi-haine.
ClIUONIQUE THÉÂTRALE
Le nioi.s (|ui vionl de s'i'coiilor mo fail
relTel tic CCS menus de table illiôlc trop
cliargp<?s, dans losnuels il faut choisir un
plat ou deux seulement et négliger le l'cslc.
Malgré la saison, cl comptant sans doulc
sur vuie série de jours |)luvieux que sainl
Médard permettait de craindre et que saint
Barnabe a sécliés, prescpie tous les théâtres
ont renouvelé lem- affiche.
L'Opéra a enlin compris <pie la Maladetta
ne pouvait s'éterniser cl a hospitalisé un
ballet nouveau, l'Etoile, dont le livret, dû
à l'imagination charmante cl pittoresque
de ce pauvre Camille do Roddaz, qui fut
mon collaborateur et mon ami, un écrivain
d'une fantaisie extrême et d'un esprit acéré
auquel les directeurs ont si longtemps
fait faire antichambre qu'il a fini par mou-
rir sans s'être réellement fait connaître du
public. Comme il senilile impossible qu'une
pièce apportée par un jeune auteur, (de
Roddaz avait près de cinquante ans cepen-
dant), puisse marcher sans tripatouillages,
on lui adjoignit comme collaborateur
M. .\d. Adorer. M. André Wormser, prix
(le Rome, <pii avait reçu la commande d'un
ballet à l'Opéra, fut imposé comme musi-
cien ; on élaya l'œuvre des inspirations
chorégraj)hi(pies de M. Hansen, et j'ima-
gine que l'auteur très joué de la Maladeita,
M. Gailhard, ne fut pas avare de conseils.
Il y eut ensuite à ménager les susceptibi-
lités de tel premier sujet qui voulait un
pas, à satisfaire les exigences de tel dan-
seur, qui demandait ime scène, à satisfaire
le goût d'un chef de claque qui réclamait
un effet, à flatter les désirs d'un certain
nombre d'abonnés qui souhaitaient un ra-
jeunissement des quadrilles. On prit encore
l'avis des machinistes, celui dos mamans
(le ces demoiselles, et on ne négligea pas
de consulter le lampiste, le balayeur et le
concierge. Le résultat do cette collabora-
tion multiple fut le ballet qu'on nous a
offert au commencement du mois. Camille
de Roddaz n'était plus là pour donner son
avis, et la version définitive ne ressemble
que de loin au scénario primitif que je
connaissais depuis longtemps. N'en dé-
plaise à tous, j'aimais beaucoup mieux la
première manière que la dix-septième.
Mais en France, il est entendu qu'une idée
ne paraît jamais devant le public telle
qu'elle est éclose dans l'esprit de l'auteur,
et qu'il est beaucoup plus habile et beau-
coup plus lucratif d'être intermédiaire que
producteur. Quoi qu'il en soit, il reste en-
core dans VEloile assez d'attractions pour
justifier le succès, cl il faut se féliciter,
somme toute, de voir un peu diminuer la
prépondérance des chorégraphes, qui ne
savent et ne peuvent savoir tpi'inventer
des ;>a« cl régler des ensembles. Quant h
construire une pièce, quant à avoir une de
ces idées poétiques ou philosophiques sans
lesquelles pantomime ou ballet ne sauraient
vivre, où veul-on qu'ils la prennent? C'est
comme si, dans un théâtre de comédie, on
demandait au régisseur chargé de la mise
en scène d'écrire un acte. Il faut que cha-
cun reste à sa place et que les calculateurs
ne soient pas toujours, comme du temps de
Beaumarchais, évincés par les danseurs. A
ce titre donc, VEtoile datera dans l'histoire
de la chorégraphie, et marquera peut-être
le commencement d'une ère nouvelle.
Ainsi soit-il !
Dans ma dernière chronique j'avais pro-
mis de parler de Frédéffonde, la tragédie
ou plutôt le mélodrame en vers que la
Comédie-Française venait de représenter.
Bien que la pièce ait déjà disparu de
l'affiche je liens parole. On a été très dur
pour Frédégonde. L'ouvrage de M. Alfred
Dubout n'a pas trouvé grâce devant la
critique, qui l'a exécuté en un tour de
plume. Je crois que le plus gros reproche
qu'on puisse faire à l'auteur, c'est sa for-
tune. Un homme qui n'a pas besoin de ça
pour vivre ne saurait, paraît-il, être qu'un
amateur, et l'on sait la haine de la critique
pour l'amateur. Il faut déjà avoir les reins
bien solides pour résister à une honnête
aisance, mais quand le poète ou le drama-
turge se mêle d'écrire avec une plume en
or, gare! M. de Buffon y laisserait aujour-
d'hui ses manchettes de dentelles et
M. Ed. Rostand aurait succombé à la peine
s'il n'avait trouvé en M"" Sarah Bernhardt
une interprète géniale et une amie à toute
épreuve. M. Alfred Dubout a succombé.
Mon Dieu, je ne prétends pas que Fré-
dégonde soit un chef-d'oeuvre, non, mais on
a eu si souvent des indulgences extrava-
gantes pour d'autres pièces, qu'il est à bon
droit permis de s'étonner des sévérités
qu'on a montrées pour celle-ci.
L'œuvre, très bien montée, comme cos-
C H H O y I Q VE THÉ A T H A L K
tûmes et décors, a élé Iden légèrement
distribuée. Sauf Paul Mounot, parfait dans
le rôle de l'évèque Prétextai, personne ne
semblait à sa place. Le sujet par lui-même
n'étant pas très récréatif et le style n'ayant
rien de la forme cornéliemie, la malheu-
reuse i)ièce a coulé à |iic. Requicsrat in pace.
L'Opéra-Comique est un peu comme le
chien du jardinier. Chaque fois (pi'on veut
loucher à un os quelconque il ffroojno et
montre les dents, mais n'y touche jamais
lui-môme. Un jour l'Opéra annonce qu'il
veut monter LoheMjrin. « Touchez pas,
crie l'Opéra-Comifjue, cet os est à moi ! »
On passe outre et Wagner entre à l'Opéra...
Il est queslion, disent un matin les com-
muniqués officiels envoyés à la presse, de
reprendre Orphée h l'Académie nationale
de lUMsiquc. " Touchez pas, crie l'Opéra-
Coniiiiue, cet os est à moi! ><... Et Gluck
parait place du Chàtelet... L'Opéra prépare
une reprise de D(yn Juan, annoncent les
feuilles. « Moi aussi, riposte l'Opéra-Co-
mi(]ue! »... Et nous avons deux i^onJ^»an en
même temps!... MiM. Bertrand et Gailhard
songent à monter le Vaisseau fantôme avant
les Maîtres chanteurs, insiiuient les courrié-
ristes. « Pardon, gémit l'Opéra-t^omique,
toute cette réjouissance nu'dullaire est de
mou garde-manger...» Et il donne le Vais-
seau fantôme en attendant les prochainc^s
batailles sur les Maitres chanteurs... f/esl
là une noble et belle émulation et la con-
currence pi'ouve une fois de plus cpi'eili'
est l'âme du commerce. SeiilemenI , pciidaMl
ce tenq)S-là, nos nuisiciens marcpieni le p;is
et nous assistons à des exhumations peut-
être imililes, en tous cas bien tardives.
Mais si li's ou\ r.ii;i's nniinie celui-là jiarais-
seid démodés cl \icillis, la fuite (M1 est à
l'oslracisme dont ils <>nl v[r IVjppi'S sotle-
nUMil pendaiil si l.)n-h-iii|,s. Ah! I.'s nuir-
mitons de M. Déroiilèd.- aiunnl cii mii l'^irl
musical de ces vingt .In im,m fs ;imiu-cs une
bien (l.-|,lr>inl>lr i nllncM.c. i:,, dépit de
r. ■.!-., uriu, ■ni du publie |HMir .c Wagn.'r
ipi.' nous .■■li.Mis SI |,,.n à d.-leinlie il v a
(pduze ans ri <,ni -.y lini pai sn„|„,.,., à
l'éclectisme .ju au sM.ibisin,. de j.-i luiilr,
MOUS sommes i'n<ii[-e bu'ji <'n relard
ave(- le grand g.-nie allemand. Il v a loul
un stock dont la plus pclile bourgade
d'Alleiuagric ri .l'jhdir ne veut déjà plus,
(pie nous il.'ripuvi nus juj.iiird'hiii riiiiiiiii'
uiir nciiiM'julr. Crsl iiiir Inpiidalion ipir
nous (IrMMis Ijiir :n;iul d rirr ;iii p;iir iivre
les autres sieurs rUK.pirllIlrs, Il f.iiil SI-
l-ésiiiiiei- cl .ilirudic.
nos murs. Ceci est un événement. La ré-
clame dont, paraît-il, l'artiste a une sainte
horreur, ne l'a pas épargnée grâce aux
soins de son imprésario. Si elle lit les
journaux. M™" Duse a dû bien soulTrir.
On n'aurait pas joué de la grosse caisse
avec plus d'énergie s'il se fût agi d'un
mouton à cinq pattes ou d'une femme à
barbe. Le résultat a été de présenter an
public une vraie et grande artiste comme
un phénomène. Si l'on a voulu battre mon-
naie en même temps que peau d'âne, le
but a été atteint, mais ce sont des j>r()ré-
dés de « tournée » dont il y a (piel([ues
années encore on se fut sans doute fiffusipié
à Pap'is. Aujourd'hui, c'est à peine si on a
sourcillé. Demain, ce tam-tam snnblna
naturel.
Le nom d'Eleonora Dusr est (■(■Irbir
dans le monde entier et sa répulalion est
universelle, elle a dans les deux hémis-
phères des partisans enthousiastes qui la
proclament la première tragédienne des
temps modernes. Quand une artiste excite
de tels emballements, il faut croire qu'elle a
quelque chose. M°" Duse a beaucoup, mais
(piant à justifier le beau tilir i\v liagi'-
dienne, cela c'est une aulrr all'aiir. Oui
dit tragédie, dit poésie, en\.ilér, au <lrlà,
.souffle, puiss.n.rr, liénusuir: , u- M""' Ouse
a tout cr que I ou \rul ,'\r.'pl.' rida. S.ui
jeu, tout dr siiiqilirili', - mais d'iuu! siiii-
plirilé r\l iMi>rdinairr , iuvraisendilable,
alfrrti'r uiniir, piiiirrail-ou dii'e, si les deux
mots ne formaiiuit antinomie, — bn inter-
dit les sublimités tragi.pies. M"- Duse c'est
la prose druis toute sa nelleté, son exac-
titiidr, r'rst la \ ir lidrlemrul - prescpi.'
srivilriurul rrpr. .du 1 1 r, .■'.■si \r Irrrr à
trrrr, .-rsl I,- , t.. us 1rs j,.urs .. pli.>l..
graplii.', .■m.-iu.il..-i-aphié, c'est l'art du
Tliéàlrr Id.iv |,...issé à son extrême degré
de perf.-rlM.ii, .'rsl le dranu-, r'<'sl le nié-
lo.liMm.' iial.ir,-, mais (■,■ nCst p;is, ua
jamais (•h-, u.' sria jamais l;i I i-.ir.Mlie. ^)\u•
rrllr niaiiiriv ..il un.- val.'ur i-i-la iir îail
au.-.iu .l.i.il.'; .pu- la.-hi.-i' s, .il nu.- ail isir.
il r.nil
Maiairnaiil pailoiis de choses sérieus.
La tragédirnn.. f'.JeoiKU'.a l)us(- est da
•mire siii- le
.•li..i\ .l.-s m, ,1s ri ir,-piiit;I.T iiur rii. pu-Ile
Par un srllliuirlil d.' rnuil.iisie dont
ii.iiis .IrM.Ms lui s;iV.Hr.lautanl plus .le gré
ipi'il (■.•iiliiplail 1rs .lini.-ullés inhérentes à
loiit .Irbul laiil par l.'s .-..mparalsous i|u'il
pr(.Miipiait .pie [)ar ramoncellemi'nt .1.'
iraditions i-t de routines .pi'il oppi.s.iil à
la réussili- finale. M"'" Duse. paiaiss:iiil poiii-
la premièri! fois sur une scène l'iancaise, a
voulu s'y montrer .lans un r.'.h' tiuiila-
luental de notre école ilraïual i.pic moilerne.
l'MIe a .-hnisi la Dame iiii.r Onnéliits.
l.'('-pnMi\.' n'a pas l'Ié concluante. 11 sei'ait
absnnlr .1.- l'aii-r.l.'s .•omparaisons el d'op-
poser au j.'ii <!.■ Irlli' .■.iiué.liriuu' le jeu île
IMIlKlNIQUr: TIIKATII AI.K
telle ou toile nuire. (Test uu [H'oeédt'
tr<)|) eommodo d'aillcuis cl <|ui ne peut
donner (|uo dos idées fausses. Or on est
tro|) poilé h sulisliluei' rinloii)rète à Pau-
tour i/ui xr«/ com/ilr, l'ailiste n'étant ol ne
pouvant être (pi'un insliuniont. 11 no s'af;it
donc pas de savoir si M"" Duse a rendu la
Marguerite Gauthier de M""" X, Y ou /.,
mais si clic a rendu l'héroïne d'Alexandre
Dumas. Kh bien non, non, et non ! Klle a
ou dos efïets très curieux, elle a soulevé
d'unanimes applaudissements, elle a laissé
le pulilie sous le coup d'une émotion très
violente, mais elle a joué une iMarguorite
(iauthier do fantaisie, une Marguerite
<ia\Uhicr de la Duse, et non riiéro'i'nc de
Dumas. Que celle autre chose soit égale-
ment très bien, je n'en disconviens pas,
mais c'est autre chose, et voilà le tort...
Dans un personnage déformé par les
siècles, où la pensée même de l'auteur
n'est pas là pour guider sûrement lintor-
prèto, ([ue l'artiste crée do lui-même, et
se taille un rolc sur mesure, s'il a du
génie, soit! Bien malin, on eirct,qui pour-
rait dire comment Shakespeare compre-
nait I.ady Macbeth. Mais la pensée de
Dumas lui survit et tant que la pièce est
debout, c'est à ce modèle qu'il faut avant
tout se conformer. Dans un siècle ou deux,
(|ue les Duse de l'avenir accommodent le
rôle — s'il subsiste encore, ce qui est plus
que douteux — à leur sauce particulière,
libre à elles, mais notre temps se contente
de la sauce Alexandre : c'est déjà bien
assez qu'on ait carnavalisé le drame en
Traviaia sans que, sans l'excuse de la mu-
sique, on lui mette en simple prose un
faux nez.
Toutes ces réserves faites, il n'en de-
meure pas moins que Eleonora Duse est
une grande artiste, et notre époque n'est
pas déjà si fertile en ce genre de produc-
tion pour qu'on méconnaisse ou qu'on dé-
daigne celle que notre bonne fortune nous
permet d'entendre.
L'événement dramatique le plus consi-
dérable du mois qui vient de s'écouler est,
sans contredit, cette Rosine, que M. Alfred
Capus vient de faire représenter au Gym-
nase et qui a obtenu à la première repré-
sentation un succès indiscutable.
Rosine est l'histoire toute simple et très
simplement racontée d'une pauvre fdle
séduite, abandonnée par son amant, expo-
sée à toutes les tentations, on but à toutes
les vexations de l'étroitesse et de la mé-
chanceté desprit dos petites villes qui,
d'une vertu revèche, se vengent sur les
irréguliers des amertumes et des tristesses
de leur existence monotone, et qui (c'est
Hosine cpie je veux diroi, après mille et
une humiliations supportées avec une rési-
gnation (piasi héroi(iiio, linit par s'évader
de <'el enfer et va clu'rclicr le ropos sinon
le bonheur aux côtés d'mi brave gardon
(|ui se passe do l'intervention d'un notaire
|)our être heureux. Si, ce rpi'à Dieu no
plaise, nous en étions encore aux pièces
à thèse, ce serait la thèse de l'union libr<!
soutenue victorieusement par un honnête
homme de lettres qui a prouvé que le
théâtre no vivait pas exclusivement d'elTels
et <|u'on pouvait, pondant trois heures
d'horloge, tenir on haleine une salle de
première, sceptique, railleuse et futile,
rien que par le développement logique et
l'étude CJ)nscioncieuse dos caractères.
Mon Dieu! la bonne soirée reposant do
tout ce (pie le théâtre contemporain nous
offre de complications et tarabiscotage.
Ici rien de semblable. Une langue claire,
précise, mise au service d'une cause aussi
hardie que possible sous son aspect inof-
fensif; des personnages bien posés, des
caractères bien dessinés, une action juste
assez pimentée pour n'êtie point fadasse,
mais se tenant heureusement très loin des
condiments épicés dont on a si souvent
abusé; enfin une idée! <c une idée! », c'est-
à-dire ce qui manque actuellement aux
neuf dixièmes des productions théâtrales.
Certes, il y aurait, si l'on voulait être
grinchu, des critiques do détail à faire ;
mais à quoi bon ? Pounpioi chicaner .son
plaisir. Voilà un jeune auteur — celui-là
dans toute l'acception du mot — qui a pro-
duit une œuvre intéressante. C'est fort
bien. Los défauts '? M. Capus les connaît
aussi bien que qui que ce soit, ce sont des
vérités (|ui n'apparaissent éclatantes qu'a-
près l'épreuve décisive du public. Dans sa
prochaine pièce, il se corrigera de quel-
ques-uns ; dans la suivante il fora mieux
encore, jusqu'au jour, certain, oii il fera
tout à fait bien et prendra une des nom-
breuses places laissées vacantes depuis la
disparition des grands auteurs comme Du-
mas, Augier et quelques autres. Féli-
citons-le donc et félicitons-nous, c'est ce
qu'il y a de mieux à faire, et souhaitons
que cet exemple donne aux directeurs un
peu plus de confiance et d'audace. Ils ont
sous la main tout ce qu il faut pour réussir.
Qu'ils osent faire de la jeune génération
un essai franc et loyal. Elle est vaillante,
instruite, rélléchie. Une lui manque que l'ha-
bitude de la bataille ; qu'on la conduise au
fou le plus souvent possible. En peu de-
temps elle constituera une armée solide.
Tandis que si on la laisse s'étioler dans-
l'inaction, se consumer dans des tentatives
vaines, se décourager dans une attente
indéfinie, on marche à un krack inévitable
ot nous perdons un des plus beaux fleu-
rons de notre couronne.
C II U O X I (,U' !•: T II E A T H A I, !•:
Si Rosine, ;iu lieu lif xfiiir en lin do sai-
son avec la mine [)ileuse d'un qualorzième
à table, invité à la dernière minute, avait
été donnée en plein hiver, c'eût été un
f;ros succès d'argent. ,Je regrette d'avoir à
«mployer de tels arguments pour défendre
la cause, mais ce sont ceux qui frappent
le plus et séduisent davantage le com-
merce directorial. Oui, Ronine eut fait de
l'argent! La pièce, liien lancée, soutenue
par une puljlicilé adroite, se fût imposée
à l'irréflexion de la masse du public comme
elle s'est imposée à l'estime et au jugement
des spectateurs de la première et peut-être
que le mot de la révolution eût alors été
dit, peut-être que ce fiât lux eût dissipé
les ténèbres qui enveloppent l'art drama-
tique depuis la dévastation apportée dans
l'édifice par les canonnades du Théâtre-
Libre. Mais pour cela il fallait y croire, la
présenter hardiment, en connaissance de
cause, et non l'offrir avec un air de deman-
der pardon de la liberté grande!
Quoi (juil en soil, c'est déjà fort bien
de ne l'avoir pas jjlackboulée sans la lire,
comme il est ariivi- si souvent à d'autres
qui avaient peul-èhc uiu' valeur aussi
grande, comme il csl .iilvcnu pendant dix
ans h mon pauvjc- .inii dr lîciddnz, dont je
parlais au ilrbul ilr itIIc iludniijur. d qui
était lui aus'-i lui .inlcui- ilr;i]n.il iquc ori-
ginal, aili-oit, li.irdi, mais qui a succombé
dans celle lullc du pot de terre contre le
pot de fer et qui est moit .'i la peine sans
avoir pu <liiniirrs:i inesiiic. l'nuvre gai\'on!
condiien lie l'oi^ lai-jr \u |i.iilir pliMU d'es-
poir, un iii.iiin^ri il cil iiiM-lir ii|iirs avoir
obtenu nni' lecture < au |iii\ dr quelles
démarches! et grâce ii qnclli's ruses di'
guerrier apache ! i et c-.unbien de lois esl-il
revenu cassi' eu iIimin, ileses|i(''ri' iioii p.is
seulement d :i\eir eehinn-, mais de n'innir
pas niêiue l'Ii'' eeniile.
l'n exemple. C'est une seeiie ii l.upielle
j'ai assisté. Ilans un tliealre du lMiiile\ard,
il vient lire nue eliannaiil e el e^ij,. eouu'-
di(,> lyriipie. I .e diicelem — je ne le noin-
menii pas : il est ri. |,;ii\ ii ses eeudies!
— s'installe .1 s,. Il l.iiie.Mi, s,. e;de dans son
fauteuil et se |uV'|.^iiv ii ,.|ilendie. Kodda/.
comiueMee irniie \oi\ elaire, joyeuse (il
lisait à 1 M\ ir
— La seeue se p.isse s.. Us l.uuis MX',
dil-il eu uiaiiuTe d'.i \ erl isseinenl .
Le dij'eetelir bunei' le s.uirell, agili'
sileneieuseuicnt ses levies el se tient coi,
se sentant suiveille.
Le leeteiii- enntiuiie et se pieiiant Ini-
mêine à son action, jonc sa pii'ee avec une
verve irrésislible. ï.e iireniier acte fini.
nous regardons le directeur, qui, inq)as-
sible, dit :
— N'oyons le deux !
Le deuxième acte se déroule. .Même si-
lence !
A la lin du troisième el dernier, nous
levons les yeux : le directeur dormait!
Je sais bien, comme dirait l'autre, que
le sommeil est une opinion, et nous nous
levions pour partir sur la pointe du pied,
mais voilà que notre homme s'éveille cl
du ton le plus entendu :
— Ça n'est pas mal, mon cher, dit-il,
mais, voyez-vous, Louis XIV à la scène,
peuh! c'est bien risqué! Et puis, ajoute-
t-il péremptoirement, je n'ai personne dans
ma troupe pour jouer cet emploi...
— Mais, interrompt de Roddaz, il n'y
a pas de Louis XIV dans ma pièce! On en
parle, mais il ne parait pas!
— Oh! alors, reprend le directeur sans
se déconcerter, c'est une autre atl'aiie. l)u
moment qu'on en parle tout le temps et
qu'il ne parait jamais, c'est itliot!...
J'interviens alors :
— Mais et VArlésienne, el le Uni l'a dit,
ce sont des pièces aussi où l'on parle d'un
personnage qui ne se voit point.
— Permettez, permellez, re|)re!nl ledru-
meur éveillé, mon théâtre n'est ni l'Odi-oii,
ni r(.)péra-Conii((ne. et votre ami n'est m
Daudet ni Gondini't.
Devant des arguments [khiuIs il n'y
avait ipi'à s'incliner, e Csl le ipie nous
finies en réprimant diriieilenieni nue co-
lossale en\ je di' lire.
Hire!oui, en elVel. nous .ivions quinze
ans de moins el le long a\cnir s'ouvrait
devant nous...
L'avenir est le passe' rnainlenanl el rien
ou piesc|iie II a iliiingi'. l!spi''i-oiis mieux du
piéseiil el i-epreiHins eouliance. En somme
I année lliealrale tinil bien, elle a été .sa-
tisfaisaiile : la Loi de llioinme, l'Evasion,
le Cheiiiitieaii, la Doitloiireitse, la Siimari-
tiiliie, Ji'oxiii'', d'.auli'es encoi-e que j'omets
pour ne point alloimcr oui re uiesnrc l'énu-
niérali.Hi, voilà ,|iii r;i,-iiele l.ieii des... cl
bien des... que (e Lusse h m, 's lecteurs le
soin (le i|i'sit;ner eu \-iiieiues.
Le beau s,,leil d,-l,. n .1 fjire ,,àlir les
bistres, ,-est lli,-iiie du rceuci IlemenI .
l'iiisseiil les dieux lueiiv.ùllants inspirer
les ilispeiis.ileiiis de la joie parisienne et
leur laiie (Iccouvnr dans la plaine il api.a-
leiiee aride du Transv.ial drainai i. pie des
liions et des veines qui leur doiiueiil à eu\
la l'oitiiuc qu'ils rêvent, el ii nous la ri-
chesse artistique à laipielle nous aspirons
el en larpiellc, mal-ré loiil , nous a\ 011s une
foi in.'branlable:
M .> r 11 I c E L li 1 1; V II B.
CAUSERI1-: SCIENTIFIQUE
On s'()ccu[ic ho.'iiicoiip en ce ninniciil de
la |)liolofira|iliio des couloiiis. On a IroiivO,
nous assui('-(-on, un procédé nouveau qui
donnoniil d'cxcoUeids résultais; nous avons
pu voir en ciret des épreuves ol)lenuos par
l'invenleur el elles olVront un réel inlérét
au point do vue de la vérité des couleurs
rcj)roduiles, mais nous ne saurions dire
s'il s'agit d'aquarelles, comme certain soi-
disant inventeur nous en a déjà montré,
ou si réolleniont l'elVet est produit automa-
ti(|UOmcnt. Il plane là-dessus un mystère
([ui s'éclaircira pcul-être un jour; quoi qu'il
en soit, les propriétaires de la méthode
n'ont pas jugé à propos de l'exposer à
aucune société savante compétente pour
en juger la valeur. Les queUpies explica-
tions qu'on donne sont au moins assez
étranges. Voici ce (|u'on nous dit : le cliché
est fait sur une |)laque spécialement pré-
paréo, mais une fois développé il ne pré-
sente aucune couleur; on le tire sur un
papier spécial, mais une fois le tirage ter-
miné il n'y a pas non plus trace de cou-
leurs; alors on le trempe successivement
dans trois bains spéciaux, dont la compo-
sition est tenue secrète, cl toutes les cou-
leurs du modèle vont se placer là où elles
doivent être. Nous ne dirons pas que cela
est impossible, mais nous voudrions seu-
lement qu'on nous indique sur quelles
bases scientifiques s'appuie le procédé.
Actuellement nous ne connaissons que
deux moyens de reproduire les couleurs à
l'aide de l'objectif photographique. L'un,
le seul qui les donne toutes directement et
d'un seul coup est celui de M. Lippmann,
c'est la méthode interférenlielle dont le
|irincipo a été exposé ici même de main
de maître par M. Berget, le collaborateur
de l'inventeur. Si ce procédé n'est pas
entré jusqu'à présent dans la pratique cou-
rante ce n'est pas ([ue le temps do pose
soit trop long, car on a pu obtenir des
portraits avec des modèles restant immo-
biles environ une minute; pour le paysage
inie pose plus longue n'aurait du reste pas
grand inconvénient. Mais la préparation
des plaques présente beaucoup de diffi-
culté; en outre, on obtient une épreuve
unique qu'on ne peut pas tirer comme im
cliché ordinaire. L'image possède des cou-
leurs b'ès brillantes, mais l'œil ne les per-
çoit pas sous toutes les incidences, il faut
incliner la plaque sous un certain angle
pour bien les voir; enfin on ne peut guère
dépasser le format de 8 centimètres de
côté. C'est pour toutes ces raisons que le
procédé, qui est une véritable merveille au
point lie vue scient ifi(|ue, n'a pu |>reiidrc
jusqu'à présent plus d'extension.
Le second moyen, dû à M. Ducos du
Ilauron, est bien antérieur à celui de
M. Lippmann, il reinoiite à trente ans!
mais il commence seulement à entrer dans
le domaine de la pralitpio et à être employé
induslriellemenl. ("est un procédé indirect,
c'est-à-dire qui ne donne de résultats qu'en
passant par plusieurs transformations. Il
est basé sur la sélection des couleurs ;
toutes les teintes de la nature peuvent se
réduire à trois : le jaune, le bleu el le
rouge. D'un autre côté les procédés photo-
graphiques permettent de préparer des
plaques de telle fac^on qu'elles sont sen-
sibles seulement pour lune de ces trois
couleurs, à l'exclusion des autres. Si on
photographie, par exemple, un bouquet de
lleurs avec une plaipic préi)aréc pour le
jaune, on aura au développement du cliché
une image (non colorée) des lleurs jaunes
seulement; on fera un second cliché avec
une plaque préparée pour la couleur bleue
cl un troisième pour le rouge. Quant aux
teintes intermédiaires la plaque photogra-
phique prend sur chacune d'elles ce qui
lui convient ; pour le vert, par exemple, la
plaque bleue sera légèrement impressionnée
et la plaque jaune aussi ; l'une ou l'autre
prédominera suivant que le vert sera plus
ou moins bleu, plus ou moins jaune; il en
sera de même pour le violet composé de
rouge et de bleu et pour toutes les couleurs
composées. Si, avec chacun de ces trois
clichés, qui ont été faits naturellement du
même point et dans des conditions iden-
tiques de grandeur, on tire trois images
positives transparentes, que l'on colore
l'une en jaune, l'autre en bleu, la troisième
en rouge et que l'on superpose les trois
images on obtient la reproduction fidèle de
l'original avec toutes ses teintes.
La difficulté de la méthode consiste
d'abord dans le choix de la substance qui
doit entrer dans la préparation des plaques
destinées à l'aire la sélection des couleurs;
ensuite dans le choix des trois couleurs
qui doivent teindre les trois images, car
il y a bien des sortes de jaune, de bleu et
de rouge.
Mais ce qui est un grand avantage, c'est
qu'on peut tirer des épreuves sur papier
el en très grand nombre; aussi beaucoup
de chercheurs se sont-ils occupés de
rendre le procédé pratique.
Les trois épreuves dont nous avons
parlé et que nous avons supposées trans-
parentes peuvent en effet être imprimées
c A r s E lu !■; s c I p: N T I v i q u e
sur papier pourvu (|u'oii ciioisisse des
encres suffisamment transparentes; on sait,
d'autre part, qu'il est facile aujourd'hui de
transformer un cliché photographique on
cliché (ypographique; la plupart des illus-
trations de ce journal sont faites par ce
procédé sur lequel nous leviendrons un
jour.
Lorsqu'on a ol)l('iui les trois clichés
fondamentaux, on en fait donc des clichés
typographiques sur cuivre ou sur zinc et
on fait les trois tirages superposés; le
repérage n'est pas très difficile, c'est lo
choix des couleurs et la transparence des
encres employées qui offre le plus grand
obstacle. Quoi qu'il en soit, plusieurs in-
dustriels sont arrivés déjà à se servir
d'une façon courante de ce procédé.
Dans l'invention dont nous parlions plus
haut, on a vu (|u'on se sert aussi de trois
couleurs, mais on a un seul cliché et c'est
là qu'est le mystère; du reste, jusqu'à
présent du moins, nous no croyons pas
qu'en France ou à l'étranger elle soit en
exploitation; nous y reviendrons s'il y a
lieu, c'est-à-dire s'il y a réellement une
inveulion nouvelle.
I.a Suisse, ]);u' sa conligiiraliou plutôt
bosselée, ne |)araissait pas devoir êhe la
terre classique des chemins de fer et
cependant ils s'y développent tous les
jours davanlage en donnant li(Mi ;
travaux exlraordinaïres. I.o Highi, I
late, le mont Salève sont aujourd'hu
avant-projet, car le capilal esl souscrit et
les travaux .sont commencés.
M. Guyer-Zeller, ingénieur suisse, a ob-
tenu l'approbation du Conseil fédéral [jour
cette vaste entreprise. Le point de dépail
est situé à la Petite-Schcideck sur la ligiu!
de Grundelwald à Lauterbrûnuen (lig. 1);
cet embranchemenl aura un dévelo|ipe-
ment de 12 kilomèlres et coulera environ
dix millions. Afin d'assurer à la voie une
stabilité suffisante on sera obligé de passer
en tunnel sous les gl.iciers pour trouver la
terre ferme ou le rocber; il y aura cepen-
dant de temps en Icinps une échappée sur
le panorama. Après les deux premiers
kilomètres la ligne pénètre sous la mon-
tagne pour n'en sortir (|u'à quatre kilo-
mètres plus loin, nn-<lessus du glacier de
l'Eiger, à :i,L'2ll iiièlics d'jlliludr, non loin
de la cabane consliiiilc à cel cjulroit |)ar
le Olub alpin. La pente est de 2:i centi-
mètres par mètre, ce (jui n'a rien d'exagéré
pour un chemin de fer à crémaillère,
ainsi que l'expérience l'a prouvé dans les
exploitalions précédentes. Après cette
station on rentre en tunnel pour passer
sous le sommet du M(">nch et on sort à la
hauteur de .3,4(10 mètres. A partir de là
on péiu"'tre directement <lans le mas>ir de
la Jungfrau pour aboutir au-di'ssous <bi
sommet, à 4,100 mètres
de (•>(■. mètres d
sm- I
ascenseur
alors les voy;
nant (fig. 2;.
En raison
il ne
d'altitud,
haut iu(
point i
ulmi-
C A IJ s K H I IC S f : I !•; N T 1 1' 1 1.) I • E
au voyiijçcur de jouir du piinoi-aiiia; elles
seiont très louroilaMeinenl iiislallées et
poiUTont liébeif^er les voyaj^euis ()ui vou-
voudraient s'y reposer. La dernière sta-
tion fllf"'. 2), située sous le soinniel même de
la montagne, sera naturellement la plus
Fig 2 — Ascensem uv.io ut- n.cu. .i..,iu
sue teimiuu'ï ii sommet de la montairne.
Spacieuse el la plus confortable, car elle
sera vraisemblablement la plus fréquentée;
c'est là que fonctionnera l'ascenseur qui
déposera le touriste au point culminant.
Il se composera d'un tube en acier de
60 mètres de haut dans lequel deux cages
mues par un treuil électrique monteront et
descendront simultanément. On ne sera
pas forcé d'employer ce mode de locomo-
tion et ceux qui préfèrent aller à pied au-
ront à leur disposition un escalier circu-
laire s'enroulant en hélice autour du tube;
du reste toute la voie, depuis son point de
départ, sera rendue accessible aux piétons,
grâce à un chemin spécial qui permettra
de la suivre d'un bout à l'autre; on fera
ainsi l'ascensioEi à pied en profitant des
tunnels qui seront du reste éclairés à la
lumière électri<pu' ; on ne nous dit pas si
le chemin sera inlei'dit aux bicyclettes.
Il est clair ()ue la station terminus sera
reliée par télé|)hone » la Pclile-Scheidecli
el (|u'on pourra ne faire l'ascension que si
on est averti d'avance que l'atmosphère
est pure et qu'on peut jouir du
j)anorama dans tonte .sa splendeur.
De tels travaux ne sont pas à
l'heure (pi'il est au-dessus des
forces de l'ingénieur, les moyens
dont il dispose lui permettent de
les alTronter avec confiance et de
les mener à bien.
Depuis que la bactériologie nous
a prouvé clairement que la plupart
du tem|)S les épidémies se pro-
pagent par l'eau, on a adopté
|)resque partout l'usage du filtre,
surtout ijuand on n'est pas sûr de
la provenance des eaux qu'on a à
sa disposition, comme cela arrive
dans certaines grandes villes, à
Paris notamment, où pendant une
|)arlie de l'été on distribue de l'eau
de Seine aux habitants, l'eau de
source faisant défaut.
Quel que soit le filtre employé,
il arrive, au bout d'un certain
temps, qu'il s'encrasse et ne débile
plus suffisamment; d'un autre
côté, une partie de cet encras-
sement provient de microbes qui
sont engagés dans les pores du
filtre el finissent par le traverser;
il faut donc procéder à des net-
toyages fréquents, et M. Vincent a
i indiqué quelles sont les précau-
ia 1 lions à prendre, principalement au
, sujet du filtre Chamberland, qui
est l'un des plus connus. Nous rap-
pellerons seulement, pour ceux
qui ne le connaiti-aient pas encore,
que son principal organe est un cylindre
creux en porcelaine poreuse ayant la
forme d'une bougie; l'eau passe de l'exté-
rieur à l'intérieur, et les impuretés se
trouvant sur la paroi externe sont faciles
à enlever; il faut compter cependant avec
celles qui restent dans les pores de la
porcelaine et qui diminuent le débit du
filtre assez rapidement. Les expériences
de M. Vincent avaient pour but de déter-
miner le meilleur moyen de stérilisation
et en même temps de régénération, c'est-
à-dire de suppression de l'engorgement
des pores. 11 a reconnu qu'il ne faut pas
compter sur une stérilisation complète
pendant plus de cinq à sept jours, et que
le débit diminue de plus de moitié au bout
I du troisième jour; mais dans la pratique
c A u s 1-: un-: s i ; i e x t i i- 1 i.n' i-;
couranle, le (lél)il, en sniniiu', imporlorait
moins, c'est surtout la stérilisation qui est
intéressante; du reste, l'un est un peu so-
lidaire de l'antre. L'essentiel est de savoir
quand il faut nettoyer son fdtre; cela dé-
pend naturellement du plus ou moins
grand degré d'impureté de l'eau qu'on
emploie, et on ne saurait jioser de règle
fixe à cet égard; mais on peut dire cepen-
dant qu'il est bon de faire ce nettoyage
tous les huit jours en temps ordinaire, et
tous les trois ou quatre jours en temps
d'épidémie. D'après les expériences de
M. Vincent, le meilleur moyen de stérili-
sation est la chaleur sèche; si on ne peut
pas l'utiliser, on emploie les moyens chi-
miques. Il y en a plusieurs; nous indi-
querons comme le plus sûr l'immersion
de la bougie pendant une demi-heure dans
une solution de permanganate de potasse
à 5 pour 100 et dans une solution de
bisulfite de soude à 1 pour 20 pendant
une seconde demi-heure. Mais il est bien
rare qu'on ne dispose pas d'une source de
chaleur, et il suffirait de s'entendre avec
son boulanger pourqu'il mette les bougies
au foui- au moment où il défourne son
pain, il y a là 280 ou ^iOO degrés qui cui-
sent le microbe en moins d'une demi-
heure.
Le four de la cuisinière, au niomi'iil du
diuer, est aussi suflisant; eudn, si l'on a
un réchaud à gaz, ou passera la bougie
dans la flammo, pendant un (piart d'Iieure
ou vingt minutes, en la faisant tourner
sur ell(;-niême et en lui donnant un mou-
vement de va-et-vient dans le sens île la
longueur, de façon à échaulTer à peu pi-ès
en même temps tous les [)oinls de la sui-
face, ce <pii l'empêchera de se fendre. A
défaut d'autre inoyi'M. on >e eonlenlera de
faire bouillir peiidaiil une demi-heure sa
bougie dans une suhilinri s.ilurée de car-
bonate de soude, eonnue on en a dans
toutes les cuisines; un(! marmite très
allongée, comme celle ipii sert à cuire le
[loisson, esl très comnioile dans ce cas.
Hien qu'indiipié h- (leruier, ce procédé,
qui n'est eerli's pas parfait, suflira la plu-
pari du temps el vaudra, cl:ins |,,us les cas,
mieux que ririi. (Jiiel (pie s, .il le uioven
employé, on fei-a bien da\oir<>n double
la ou les bougies nécess;nr-<'s .au lillre,
.'din de [)ouvoii' preiulre son lenqis pour
opérer l.a siérilisalion.
Dans pres<|ue lous les élablisseiuents
d'une eerlaine inqioilaiH-e, on possède uiu'
pelite ponq»' h iueeudi<' ipii permel <le
parer aux pia'Uiiers se<*r)Ui's. si toutefois
elle esl en état de l'oncliouju'r, ce qui n'est
|ias lonjoiu-s le cas. Nous voyons .aussi se
i-épandie l'usage de grenades en verre
<|u'on doit jeter sur le foyer et qui, en se
brisant, laissent échapper un liquide chargé
de gaz incombustible. En principe, ces
grenades ont certainement du bon; mais
encore faut-il qu'elles se brisent immédia-
tement et qu'elles tombent au bonendroil.
Dans le môme ordre d'idées, c'est-à-dire
par l'emploi de liquide chargé de gaz non
combustible, on a combiné d'autres appa-
reils qui permettent de diriger le jet au
moyen d'une lance comme avec une pompe,
ce qui nous paraît plus siir. On comprend
<[ue, dans tous les cas, dès qu'un li(juide
de cette nature arrive sur le foyer de l'in-
cendie, le gaz se dégage en abondance et
|irend la place de l'air; l'oxygène faisant
défaut, les flammes disparaissent rapidi'-
ment.
On peut employer l'acide sidfin'eux ou
l'acide carbonique qui, lous deux, sont
gazeux et se dissolvent bien dans l'eau ;
mais le second est préférable à plusieurs
points de vue; c'est, du reste, le plus
facile à fabriquer et le siphon d'eau de
seltz qu'on sert sur nos tables est un excel-
lent extincteur d'incendie; son seul défaut
est d'être d'une contenance trop faible.
Aussi plusieurs inventeurs ont-ils eu l'idée
de l'utiliser sous une forme plus a]i])ro-
priée à son nouvel enijjloi. Parmi ces ap-
pareils, l'un des plus ])rati(pu's est celui
lie MM. Tabouët et Regnard, parce (pi'il
est d'une grande simplicité de consli-ue-
lion et, par conséquent, d'un fonclit>n-
nemenl sûr. On sait <pie, pour préparer
l'acide carbonitiue, il suffit de mettre un
acide en présence d'un carbonate; toid le
monde a employé les pa(|nels préparés
chez le pharniaeien pour faire l'eau de
seltz sur la table : l'un contient du bicar-
bonate de soude, l'aulre de l'acide tar-
lri([ue; ce sont aussi ces deux sels cpii
sont enqiloyés dans l'extincleur l'abouèl,
ils ne présenlent aucun danger et n'alla-
(pienl pas le nu'lal. Daiis un réci[)ient en
lole 1 lig. :(, n" 1 ; contenant une trentaine de
lilri's, on introduit par l.i tubulure H nue
soluliou de bie.irbonale de soud<' qui peul
rester l.'i indéliniineut. .\n milieu de celle
soluliou, pal' une l.'iige ouverlure, ou in-
troduit une bnnli-llle eu grès A conlcmanl
l'acide larl liipie el bernu'l iipu'ment fermée
.aux deux e\ I ifniib'-s par di's bouelimis
réunis par une nuMue lige nu'l al li<|ue. Onand
l'appareil ainsi disposé est co]n|ilèU'iueMl
fernu'', celle lige vient s'engager dans la
vis V qu'il suflira de lonriu'r pour nii'llre
l'appareil en marche; c.-ll<- \is lera lelVet
d'un lir<'-bouehon et l.i Ixiuleille l'u grès
glissera ]<• long de l;i lige p.'u- sou propre
poids, comme on K- xoil lig. .'!, n" :!: à
«Iroite de noire dessin. L'aeid.- larlriquo
se lrou\anl immedialenu'nl inél.angé à la
c. A r s i: Il 1 1: s c. 1 1-: n t i i' i y i • ic
Sdlulidii (lo caihoiuili", il se pioduit dans
ra|i|i:iicil un vil' (l(''<;aj;omciil de jra/. acide
tarl)(mii|ue dont une partie se dissout dans
Fig. 3. — Extincteur d'incendie
Tabouët et Regnard, au moyen
d'eau chargée d'acide carbonique.
l'eau, tandis que l'autre se comprime à la
partie supérieure du réservoir et chasse le
liquide dans un tube T qui descend jus-
<iu'au fond et à l'extrémité supérieure du-
quel est branchée la lance: en tournant le
robinet L de celle-ci, le liquide chargé de
gaz incombustible se trouve projeté à une
grande distance. Il résidte des nombreuses
expériences déjà faites avec cet extincteur
qu'en vingt secondes on arrête les flammes
d"un bûcher composé de copeaux arrosés
<le pétrole et en deux minutes on l'éteint
complètement.
Lorsque la foudre tombe, on dit souvent
qu'elle laisse une odeur de soufre ; il se
dégage, en efîet, une odeur très caracté-
ristique après une décharge électrique,
mais ce n'est pas le soufre qui la pro-
duit, c'est l'ozone. Lorsqu'on se sert d'une
machine d'électricité statique ou d'une
bobine d'induction, on constate immé-
diatement cette odeur. On a longtemps
discuté sur la composition de l'ozone,
qu'on considère comme de l'oxygène élcc-
trisé, mais on n'est pas encore bien fixé
à cet égard. (Juoi qu'il en soit, on con-
naît ses propriétés, dont plusieurs sont
appelées 5 rendre des services importants
dans l'industrie et l'hygiène. Tout récem-
ment le Conseil municipal de Paris a
accordé, pour la stérilisation en grand de
l'eau au moyen de l'ozone, une concession
provisoire qui deviendra délinilive si les
essais réussissent. Les appareils employés
sont de construction toute spéciale, sur
laquelle nous reviendrons plus tard. De-
puis qucl(|ues années on a imaginé de
riombreux systèmes producteurs d'ozone,
soit pour le vieillissement artificiel des
vins et des eaux-de-vie, soil pour le blan-
chiment des fécules ou des étoffes, soit
[)Our le traitement des maladies. Voici,
entre autres, un petit appareil, construit
par M. Seguy, qui donnera une idée géné-
rale sur les ozoniseurs. Il se compose
(fig. 4) d'une pile P, renfermée dans une
boite, actionnant une bobine d'induction B
dont les décharges se produisent sur des
électrodes en métal, en forme de spirales,
afin de présenter plus de surface; ces
électrodes sont enfermées dans un tube en
verre C et on
y envoie de
l'air par en
bas au moyen
d'une souflle-
rie en caout-
chouc ; cet
air sort ozo-
nisé par lii
partie supé-
rieure ou-
verte en en-
tonnoir.
L'emploi
de l'ozone
constitue une
méthode de
désinfection
rapide et éco-
nomique , il
détruit en
quelques minutes les bacilles des maladies
les plus graves. Les docteurs Labbé et
Oudin en ont fait une application spéciale
à la tuberculose et obtiennent des résultats
qui rendent incontestable son action cu-
rative. Le docteur Frolich, de Berlin, a
fait de son côté, sur la purification de l'eau,
de nombreuses expériences qui paraissent
concluantes , et nous aurons à revenir
bientôt sur cette application spéciale.
Depuis le mois d'avril dernier, on voit
circuler régulièrement entre Paris et Co-
4. — Petit appareil pou
produire l'o
P pile, B bobine d'iDdoction, C tube
(le verre dans lequel circule l'air
en passant sur les électrt)des à
grande surface.
s I ; ii: N T I F I y u e
lombes un omnibus à vapeur. ].:i Irnclion
mécanique sur route ordinaire, sans rails,
a déjà fourni une brillante carrière avec
les voitures automobiles à pétrole; mais,
pour un service public consistant à faire
le transport d'un assez grand nombre de
voyageurs, les voitures à pétrole parais-
sent jus(ju"à présent impraticables. C'est
aux moteurs à vapeur, présentant beaucoup
plus de souplesse dans leur fonctionne-
ment, c'est-à-dire permettant par la simple
manœuvre d'un robinet de diminuer la
force, ou de l'augmenter dans des propor-
tions très considérables pour un i:ottp de
coUier, qu'on a dû s'adresser pour obtenir
charbon pour quatre heures de marche.
Cette première voiture en remonjue une
seconde pouvant contenir vingt-quatre per-
sonnes. Les premières expériences pra-
tiques eurent lieu dans le département de
la Manche, puis dans la Meuse, les Vosges,
et enfin actuellement aux environs de
Paris. Le résultat parait satisfaisant au
point de vue de la traction; il s'agit main-
tenant, au point de vue de l'exploitation,
de choisir des trajets qui soient rémuné-
rateurs au point de vue du mouvement des
voyageurs et des marchandises. Il ne
manque pas de localités, éloignées des
lignes ferrées, telles que bon nombre de
stations bal-
ani—
Fig. b. —Train Scotte faisant le tran.«imrt de qu
ordinaire, sans rail?, au moyeu d'un moteur jY v:
voiture.
un bon résultat. Les premiers essais ne
sont pas d'hier; ils précèdent tous ceux
qu'on a faits, d'une façon générale, dans la
traction mécanique , et c'est un de nos
compatriotes, l'ingénieur Cugnol, qui con-
struisit, en 1700, la première voiture mue
par la vapeur; on peut la voir encore au
Conservatoire des arts et métiers. C'est
plutôt un fardier qu'une voiture, car,
dans l'esprit de son auteur il s'agissait
surtout de transporter des marchandises.
Les résultats de <-cttc tentative furent
du reste mauvais, ce qui n'a rien d'éton-
nant, vu l'état rudimentaire où se trouvait
à celte époque l'élude de la machine à
vapeur. Depuis, de nombreux essais ont été
faits et on a réussi , depuis une dizaine
d'années, à construire des voitures auto-
mobiles à vapeur donnant des résultats
satisfaisanls, mais n'ayant qu'un nombre
de places restreint. M. Scotte, d'Ilpernay,
.•1 réussi à établir une sorte de petit train
(fig. ■.>} qui se compose d'une voiture con-
Unanl (piatorze places, portant à l'avant
une machine verticale, comme celle des
bateaux, et une chaudière tubulairc tim-
brée à 12 atmosphères. Le mouvement est
communiqué aux roues d'arrière au moyen
d'une chaîne et les roues d'avant servent
à donner la direction; à l'avant de la ma-
chine et sous les banquettes des voya-
geurs se trouvent les réserves d'eau et de
arante voyageurs
peur placé sur la
neaires, qui pour-
ront ainsi être
reliées à la gare
la plus voisine.
La vieille dili-
gence , pittores-
que, mais incom-
mode,est de plus
en plus menacée.
Un jeune mé-
'•^ decin qui s'est
"' consacré tout
spécialement à
l'étude des ma-
ladies de la peau, M. le docteur Sabouraud,
a mis dernièrement en émoi le monde des
coiffeurs et des chauves. Il a découvert le
microbe de la calvitie.
Tout le monde connaît les petits points
noirs qui se forment plus spécialomenl sur
le nez et qui sous une faible pression pro-
duisent un petit fil blanchâtre de matière
grasse, c'est la séborrlu'e ; quand elle
s'accumule ainsi sur certains points, c'est
qu'il y a excès de sécrétion, et M. Sabou-
raud a reconnu dans ce cas la présence
de microbes, dont (piel([ues-uns don-
nent lieu à dillV'rentes alTections, telles
(pie les clous, furoncles, etc.
H a en outre reconnu que certains de
ces microbes sont les pires ennemis du
cheveu, du poil en gc'nérai, et que, si un
amas de séborrhée se trouve près de la
racine, il ne larde pas à mourir.
Il a pu isoler et cultiver ce dernier mi-
crobe, et en l'injeelant à un lapin, il a
eonslaté que, sans se porlei' pour e<'la
plus mal, l'animal était devenu roiiiplèle-
ment chauve au bout de si\ -eniaiues.
Voilà donc un fait qui [lar.iil bien établi,
on peut l'eiulre les gens cIkuucs à vo-
lonlé; mais combien il seiail plus intéres-
sant de pouvoir faire le contraire ! Il ne faut
pas désespéi'er, nos baetéi-iologues en ont
trouvé bien d'autres.
G. M A m; s en AL.
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
Mai 1897.
Murl (le M. Birè. sùvitour monnrelilsto do In Vonilùc
dopuU 1887. — La journée (1" mai) c»t tria cilnic il
Pari;. Miiiiitcstatioiis il Ciirmimx. — A In Chambre
grecque, déclaration du nouveau niir.wtère Itilli; 11
deniando la suspension des séance» en attendant lc3 rap-
ports dos ministres de la guerre et do rintérieur. partis
pour Pliarsale.
2 - M. Darlan préside à rinnugurallon du monument
élevé au président Carnet, A AngnuWme. - Al'aris,
place Denrert-Kocheroau, inauguration du monument de
Charlet, iruvr.- du statuaire Alexandre Charpentier. —
Election sénatoriale dans le Jura; au deuxième
t.nir. M. VuiUo.l i-st élu par 483 voix, contre M. Labor-
3. — M. F.Faure visitel'cxpositiondcsBquarolIistts
fiiinçiis. — M. Touny, connuissairc divisionnaire, rem-
place M. Gaillot, comme directeur de la police munici-
l)alo A Paris. — Los mineurs grévistes de la Grand'-
Combe, après une réunion présidée par MM. les députés
Coûtant et Dejeante, décident de continuer la grève. —
Le prince héritier de Monténégro reçoit le roi de
Serbie h. Autivari et l'accompagne à Cettigne. — Arri-
vée il Vienne de la reine des Pn.vs-Bas et de la reine-
mère régente. — 15,000 Grecs se sont repliés sur
Domokos, en arriére de Pliarsale; les Turcs ont concentré
par différeutcs routes leur année devant Pharsalc.
4. — Mort de M. Tolaln, sénateur de la Seine, âgé
de soixaute-linit ans. Ancien ouvrier cUcleur, fondateur
de VMmialiomle, i Londres, député en 1871, séna-
teur depuis 1876. Il était que-tcur depuis 1893. —
Incendie du Bazar de la Charité, ouvert dcpui.^
deux jours, et édifié dans un terrain vague de la rue
Jean-Goujon, sous la direction de M. de Mackau. Il com-
prenait vingt-trois comptoirs installés dans un décor en
toile représentant une rue du vieux Paris. Un accident à
la lampe du cinématographe allume le vélum un quart
d'heure après le départ du nonce. Tout est consumé en
quelques minutes. Horrible affolement de la foule; nom
l>reux sauvetages opérés par un jour do souffrance des
cuisines de VlIO/fl du Palais donnant sur le terrun
Les cadavres sont transportés au Palais de l'Industrie
Douze cadavres sont, le soir même, reconnus, apparte
nant pour la p'.upart à la p'.us haute aristocratie fran-
çaise ; parmi eux : baronne de Saint-Martin, comtesse de
Bomiéval, M"" Jacques Haussmann, baronne de Saint
Didier, etc.
5_ _ Arrivée A Paris de l'ambassadeur extraordinaire
du shah de Perse, Mouzafler ed Dine, chargé de notifier
au président l'avènement de son souverain. Il est reçu
par M. Hanotaux. — Pendant la nuit, on continue de
déblayer le terrain du Bazar de la Charité ; tons les
objets trouvés sont invcnuiries. — Au palais de 1 In
dustrie, soixante-dix cadavres environ sont reconnus et
emportés par les familles. Parmi eux : M"« de Carayou
la Tour (60 ans); M™« de Varanval (25 ans); M»"^ la
comtesse d'IIuuolstein, née à'Vzés (59 ans). M™ la
duchesse d'Alençon, horriblement défigurée, a été recon-
nue par son dentiste. E!le était sœur de l'impératrice
d'Autriche, mère du duc de Vendôme, be!le-mèro du
prince Louis-ïcrdinand de Bavière. — Le Conseil des
ministres décide qu'une cérémonie aura lieu le 8, il
Notre-Dame, pour les obsèques des victimes du Bazar
de la Charité. Des dépêches de condoléance arri-
vent de toutes parts à l'E ysée : do la reine Victoria, de
l'empereur Guillaume (celui-ci s'est rendu en personne
à l'ambassade frauçiise à Beriin) ; d.' la reine Amélie de
Portugal, de l'empîreur d'Autriche, du roi de Portugal.
6. - Au palai. de l'Indostrle, une dizaine de ca-lavre»
sont encore rcconiius parmi lesquels ceux de M'"« Mo-
roiu-Nélaton, M"- de Clievilly. Il reste encore 7 à
8 corps il rocoiiniiltre qui «cront tronsiiortés h la
Morgue; ce sont des débrU presque méconnaissable».
Ace jour, le nombre des morts est de 113. Plusieurs
AM,orLhME ; MONUMENT A CAKNOT
(M. Verlet, statuaire.)
personnes ont succombé à leurs terribles brûlures :
telles M. le général Munier (né en 18'28, dont la cM-
rière était superbe. II était ii la retr.aite depms 1893),
M"'» la vicomtesse d'Avenel, M"" de Florès, etc. — La
Russie et les autres puissances informent le gouver-
nement heUène qu'elles sont toutes disposées à
intervenir en faveur de la Grèce, pourvu que celle-ci en
exprime le désir formel. - Consécration de la cathé-
drale de Marseille.
7 — Mort du duc d'Aumale à Zucco, près Pa-
lerme (Sicile), à l'âge de 75 ans, 4« fils de Louis-Phi-
lippe ■ il commence sa carrière militaire en Algérie,
comme capitaine (1839); sert sous Bugeaud (1811);
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
in
prend la smula .l"Ab.l-el-Ka(ler (1^43), c-t ce dic-f lui-
même (1847); après la Révolution «le 1848, proscrit, se
réfugie eu Angleterre ; en 1870. il demande du service
qu'on lui refuse; élu de l'Académie fraiiçuise et -X la dé-
putation (1871); préside le conseil de guerre de Ba-
z.iine (1873) ayant été réintégré à l'armée cumme gé-
néral de division; rayé des cadres de l'armée (1883),
puis expulsé (1886). La même année, donation à l'Insti-
tut de France du domaine de Chantilly; il rentre en
France en 1889. Ouvrage principal : Histoire des princes
lie Confie. — Obsèques d'une trentaine do victimes île
l'incendie d.- l;i rue Jean-Goujou. — M. Faure reçoit
en audience solennelle l'envoyé du shah île Perse. —
Incident de frontière sur les frontières de Turquie
et de pensées, de justice 6t d'apaisement. — Au Journal
officiel, parait im décret décernant des récompenses (mé-
dailles, mentions, etc.) aux sauveteurs qui se sont dis-
tingués rue Jean-Goujon; en tête, le cuisinier Gaumery
et ses aides, le cocher Georges. — Mort de M. Pazat,
sénateur des Landes, secrétaire du Sénat. Né en 1839, il
siégeait depuis 1888 à la gauche républicaine.
9. — Le discours du Père Olivier, à Notre-Dame,
est sévèrement apprécié en tuus lieux, même par le
clergé. — Election d'un député à Brest (ballottage).
M. Pichnn, repub!. lih., est élu par 4,833 voix. — Le
cabinet hellénique remet aux ambassadeurs des
jmissances a Athtnos une note écrite sollicitant la mé-
diation de l'Europe pour la tenniniison île la guerre.
LES RESTES DU R A Z A R DE LA CHARITE
(d'aprc-s une phutograpliic in.
t;.N' yU A RT D'il E IM! K
de hi
et de -Serbie; des gi-ndarmos sorbes ont été attaqués et
tués p,i,r des Turcs, — Los ambassadeurs des puissances
Bf réunissent à Athènes pour arrêter loR bases de la
médiation prévue.
8. — Le journal le Fiijaro ouvre une souscription
pitur venir en aide à toutes les œuvres charitables pri-
vées de leurs subsides par l'ineendic du Bazar.
A Notre-Dame, cérémonie en l'hoiuieur des victimes du
Bazar de la Charité ; y assistent le Président et le
Gouvernement. le coriïs dii>îomatique ati grand complet,
h- lord-maire venu spécialement, le duc de Leueliten-
berg, représentant la Ru^wie, le prince Radziwill, envoyé
HiKfcial de rem])ereur Guillaume, et tous les corps oon-
stitué*. Discours du Père Olivier : l'orateur voit dans
cette catastrophe <( tuio manifestation de la justice
divine; en punition do sea fautes, la Franco a déjà été
frapp('K; cruellement, mais il fallait que les femmes
aussi, lef» plus nobles, les plus pieuses, eussent à do)nier
leur vie ». Discours de M. Barthou, plein d'émotion
nelle
10. — Le baron de Mackau annonce qu'il a nvu un
don anonyme de 937,438 francs qui, avec les 45,UUU fr.
recueillis le premier jour de vente, rci)roduit lo total
obtenu l'an dernier. — Le cardinal Richard adresse
au Président de la Républiriue une lettre très élevée au
sujet de la cérémuuio de Notre-Dame. — Au Conseil
icipa!, on décide de recevoir en une séance solen-
les personnes qui se sont signalées par leur çi.u-
iige ft l'ooeasion de l'incendie du 4 mai, et de pninlrc
désormais des mesures sévères dans les théâtn-', lon-
certs, etc. Le jiréfet de police se défeml viveuu-nt de
toute espèce do responsabilité djins la o.tta-^tri']>lH- ; la
police n'avait rien ù voir au Bazar. — \ l'HiM-l
Drouot, commencement de la vl-iu- ri. ->y - U.-lliére
(tableaux franç-ais et hoUandiiis). — A Bruxelles,
inauguration utUt iello de l'Kxp'-sition. plusieurs fois
retardée.
11. — L*emi«reur d'Allemagne envole x\ la souserip-
tiou du ri'jnro une w>mnie de 10,000 francs, par l'entre-
1\2
MKMKNTO KNCYCI.01MU)IQUK
nitrtO du conilc MuiiMter. — A Athènes, lus niiibjH^u-
deurs remcltetit une iioto au gouverneraent, où lU
déuluronl quo log imi8saiic(.-s uctîepteiit U uiédiation à
la condition do l'autonomie do la Crète.
12. — lie iH)Uvu:tu mintrttro du Chili rcmot acs lottrc»
do (Ti-aïun! i\ M. Fauro. — A Pa'.ormo, obsèquia du due
d'Aumale; lo due d'Ork^ana conduit lu dooll; lo eur-
cuell a 6t(^ nu's en wagon pour McmhIuo d'où il Ira ^
Ronio. — Ix! ooiiHoil municipal voto 6,U00 franos pour
les familles den grévistes do la Grand'Combe. — M. de
MohronluMm romot au 3'résidont uno lettre do condo-
léances, autographe do l'omporour do Russio. ii projms
do l'incondio du Baxar de la Charité. — A Constan-
tinople, los aml)assiideurH ont romirt uno note h lu
Pt>rtt\ appelant ^on attontion sur t'opportunitô d'un
armistice.
13. — T,' ir-iMTi' Porter, nn.,v*.i ,-..1.,.. ./-ir .h»«
do Niiples. 1.! c.miLr d'iiu, les dm:»* de l'entliù.-vro. d^3
MontpoMHiiîr. di- MaKenta. otc. — Mort du ««"'nt-ra! Poîl-
loûe de Saint-Mars, ancien coninuindant du 12' corixt.
No il Cuadé on IHZ'2, lioutenant-oolonol en 1875, général
do division on 16U3. .Surnommé a lo p^'re du Holdat ».
bien connu |xiur fies ordres du jour ùeritM dans un style
particulièrement Inmgè et fumilicr. — M. F. Faure
reçoit M. l^igurdn, de rotour de misHlon auprès do H6né-
lilc, — Lo proHidunt Mac-Kinlej inaugure une stutU4
do Wusliington h Pliilarlolphic. — Kn prijsonce do» nou-
veHes oi>èratiuim offenHircs tentées jmr le» GrecB en
Kpirc, la Porte déclare aux i>ui88ttnco8 qu'elle ne peut
renoncer imuiéi!iat<!mcnt aux hostilités engagées.
16. — Lo total recuoiili par la souscriptifjn du Figaro
se monte à 1,^18,016 francs dont 8MUU i>t)ur les sauve-
teurs, 41.000 p>mr la famille Jullian ot 13.000 pour la
f.unilip )l:.viii — I- fï'irw'l li r.-.-ii.itli )7ii.n. fr,M--
I, A NOUVELLE C A T H fc D U A L E D K 31 A R 3 K I L L E
Etats-Unis, arrive à Paris. — La commission du budget
s'occupe de l'aliénation des terrains de la Cour des
Comptes pour établir sur son emplacement la nouvelle
gare d'Orléans. — M. de Mackau a reçu de la com-
tesse de Castellane, née Gould, un don de 1 million, des-
tiné à la construction d'tm local qtû servira désormais
aux ventes et aux fêtes de charité et de bienfaisance. —
A l'Elysée, diner en l'honneur de l'ambassadeur du
shah de Perse.
14. — A Féglise Saint-Philippe-du-Roule, célébration
des obsèques delà duchesse d'Alençon ; 3,000 invités
appartenant à la plus haute noblesse d'Europe ; le prince
de Joinville représente le due d'Orléans. Me' Richard
donne l'absoute. — M. le D"" Chantemesse est nommé
professeur de pathologie cxpirinientiilc a la Faculté de
médecine. — Le train ramenant le corps du duc d'Au-
znale arrive à la gare de Lyon à neuf heures et
demie du soir. Le cercueil a été transporté à la Madeleine.
— A I Kcole des beaux-arts, les élèves manifestent
bruyamment et grossièrement contre les femmes admises
aux cours; les ateliers seront fermés jusqu'au 15 juiu.
15. — Inhumation de la duchesse d'Alençon dans la
crypte de la cUipelle de Dreux ; sont présents : la reine
pour les sauveteurs. — L'ambassadeur de Perse quitte
Paris par la gare de Lyon. — Séance aimuelle de l'Union
de ia Jeunesse républicaine; discours de M. Berthelot,
de l'Institut, sur les rapports de la science avec les
institutions sociales et le gouvernement des États et de
M. Bourgeois sur « l'éducation sociale ». — Inauguration,
rue Saint-Antoine, de la statue de Beaumarchais;
discours très documenté île M. Lintilbar. — Murt du
général de division Geoffre de Ghahrignac. né en
1830 à Savasse (Drôme). — Élection d'un député
à Saint-Gaudens (Haute - Garomie) ; ballottage entre
MM. Ruau, radical, et Claverie, républicain progressiste.
— A Valence, discours politique important de M. Mé-
line présidant la distribution des prix du Concours
agricole. — L'empereur d'Autriche quitte Vienne pour
aller passer quelques semaines à Budapest ; la situation
du comte Badeui devient de plus en plus critique devant
les Chambres. — La Grèce rejette la responsabilité des
nouvelles opérations sur les Turcs qui se préparent à
attaquer Arta. Du reste, les Grecs sont encore battus
autour de cette ville. — Les aidœ de camp du diadoque,
rappelés de Thessalie, sont hués au Pirée. — Les puis-
sances discutent les modalités de la levée du blocus cré-
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
tois. La Porte consente cesser la guerro. pourvu rjue la
Grèce consente : l'imnesiou do la Thessalie, une iiideni-
iiité de 230 millions, la conclusion d'un traité d'extradi-
tion, etc. Les ambissadeurs jugent, dans une note remise
HU sultan, la premi^Te de ces conditions inadmissible.
17. — M. Faure visite l'exposition nationa'e de
céramique. — Obsèques imposantes du duc d'Aumale
cents personnes ?ont venues en train spécial. — Ai)pari-
tioM du premier tramway de la nouvelle ligne des
Champs-Elysées; il est salué par des huées. — M. le
D-^ Rendu e-t. ehi de l'Académie de médecine en rem-
placement du docteur Strauss. — Rentrée des Cham-
bres à deux heures. M. Cocliery dépose À la rhuiuhre le
builset projeté pour 18!ïfi. M. Brisson pri]nnii<e au disniurs
où il preud a intrti le l'ère
(; H A N T I L h Y
lie isyr.)
pa-
Olivier à prop.is d
l'olesà Notre-Dame; l'affi
chage est vote â nmiui
levées. — An Sénat, or
s'occupe de la réforme ih
l'instruction judiciaire. —
Mo
de la pr
• ■r--r Isabelle de Bour-
bon-Bourbon, sœiir du
l'âge de soixante -seize ans,
— M. Faure reçoit le
iluc d'Aoste. — Les puis-
sances sont unanimes à
regarder comme inaccep-
tables les conditions que
met la Turquie j'i un
armistice; elles préparent
une réponse collective. —
Le sultan, devant l'insis-
tance des puissances
et en particulier celle
nettement exprimée du
tsar, donne Tordre de né-
gocier un armistice avec
la Grèce.
19. — A Mostagaiicm,
rixes entre Arabes et
Juifs. — M. Faure
visite l'exposition canine.
— M. Hanotaux reçoit
le prince de Bulparic. —
Départ de Paris de la du-
chesse d'Orléans. —
A (.lliatellerault, baptême
de i:i cloche Alezan-
dre-Nicolas nilVrtc par
Sai
,-]'l->
otiii
l'.eiiie on présence de prince-
maisons royales d'Rurope, d
. -M. Faure s'est fait représente
■. ïa: corp-i part pnur Dreux
desCr
et de prînccssL'S de
L!s aTnba>*sadeur3, de
r. C'est M^'ïlichard
Kn Epire, les
i-nnsid.rablcs (2,(JO0 hommes) autour
d'Arta. — L'armée turque i»pére un inouvement tour-
nant û Dfmiokos et marelie sur cette position forte
de 30,000 hommes. L'aile droite des Urées lleciiit et, crai-
gnant d'être coupée, se retire eu arrière sur Lnnna.
18. — A Dr(;ux. ons,.veIiH«ement du dUC d'Aumale
dans \a crypte de la chajio'Ie de Louis-Pliilipiie : quatre
veinr de l'aeeueil fait uux
officiers chargés de sur-
veiller la fabrication des
fiOO.OOO fusils coniman.lès
)iour lîi Russie. Le baron
l-'reedcricksz ipprésente
Xico'ius II. — L'armis-
tice est signé en Tlies-
salie entre Edhcni pacha
et le diadiHiuo ; la guerre
durait depuis le M avril;
elle a couipté quatre ba-
tailles inqjortantes : celles
de Mati, de Pliai-sa!e, de
Velcstinos et de Dui!i..kus.
remise de la barrette :ui\ . ar-
ct J-ab(
assisté des nui
~ M. de Mu
le |.t
et .bi
Plu
devait lias, dit-il, ten
est ameJiée
■il hniL'age ». Cette lettre
eaux du Loin^ a 1';
Louise Michel conl<
des ChamiH-KlVH.-e-.. hi i
à M. Harpignies;
lii
MEMKNTO KNCYCLOPKDIQUK
thurin Moreau; pour lu KTiivun-, i\ M. Siroux.
21. Kti AlKcrlo, cxtciihion tlo. l'agitation antisé-
mîtique II ËnkcriiiiitDi ; ti Cran, trouble» grave'»*, coti|M
i\v U-\i. - An niinÎHtère «le rintérieiir, M. Louîb Bartliou
reçoit les sauvcti-urs de lu nie Jcan-Qoiijon et leur (ifs-
tribue Xhwxa ri-coinpen.ses, âpre,'* titi petit discours. Le
cocher Eugène Georges \\ la croix de clioTiiIk-r de
la L<''Kion d'IiûniRnir ; lea autres, îles nn^*daiUc« ou des
mentions. — L'armistice a une durée de dix-sept
juurs ; il cHt renouveluhle. ~ Le curé do Wœreslmfcn
(lïavirre), Sébastien Kneipp, <:(?lèbre par «ou appli-
cation hydrotlunipHpie i^ la (.rinTigon do toutes les uiula-
22. — L'ambassade marocaine arrive à Mnr-
Kcilîc sur le croiï^iMir Alger. — Lj conseil munieifNvI de
liiuibiiix vi)te i,uOO francs jjour les mineurs de la
Grand'Gombe. — A la nonciature, itfeniière rùceiHiou
iliploniatifiue el olllciflle ; les dames pont nombreuses;
elles )i'otit [)as Ht invitées ji la nonciature depuis 1870.
23. — L'agitation continue ^ Oran et dans tous
le^ environs ; les troupes battent le pays ; des synago-
gues sont pillées ; les juifs se sauvent et se caclicut. —
A Longjunieau, inaugumtion du monument éîevé à
Adolphe Adam, auteur du Postillon de Longjume^iu.
— A Bourges, M. Boacher préside la distribution des
réeoni|ieiises du ooncours agricole.
24. — rreniiere audience de Taffaire Grégoire,
iiieuljH- avec sa mère et la femme Desliayes du martyre
et lie la mort du petit Pierre. — Arrivée A Paris de
l'ambassade marocaine, qui s'y arrête avant d'at-
teindre Londres. I^ sultîui envoie hnit étalons sui>erbes
à M. Faure. — Le prince de Sagan est frappé d'une
attaque d'apoplexie qui met s;» vie en danger. — A Ber-
lin, commencement des débats du procès que le ministère
public fait au chef de la jKt'.ice politique de Tausch
arrêté A une audience du procès de LUtzov. — Le général
Manos, de l'armée d'Epîre, rentré h Athènes les me-
nottes aux mains, essaye de se tuer dans sa prison. —
Li reine Victoria entre <lans sa soixante -dix -neuvième
année de vie et cinqimnte-ueuvième de règne.
25. — Le général Tournier, secrétaire de la pré-
sidence, est nommé divisionnaire ; il est remplacé auprès
(in président pjvr le général Hagron, commandant à
Constautîiie. — A la Chambre, première délibération sur
le j>ri'i<t de loi portant prorogation du privilège de la
Banque de France. M. Vivian! parle contre. —
L'ambassade marocaine e^t reçue au ministère des
iiffiiires étran^ens. — A Athènes, on ouneentre des
troupes, eu prévision d"un m-aivement antidynastique ; les
irréguliers italiens sont embarqués pour Brindisi. Amil-
care Cipriani a été blessé à la jambe grièvement.
26- — Le général Porter, ambassadeur des États-
Unis, présente ses lettres de créance à, M. Faure. —
Fin du procès Grégoire : lux est condamné aux travaux
forcés à perpétuité (la peine de mort ne pouvant être
appliquée), les deux femmes à cinq ans de travaux.
27. — Le cabinet hellénique adresse aux puis-
sances un mémorandum détaillé, espèce de plaidoyer
en fiLveur de la Grèce, contenant deà indications pour les
négociations.
28. — Mort du paysagiste Louis Français, mem-
bre de l'Institut, doyen de nos peintres, à quatre-vingt-
deux ans. Né à Plombières. Dernier représentant de
l'école de 1830. Première médaille en 1848. Tableaux
célèbres : Duphnis et ChJoé. Orphée, Sois s'.icré, Uic de
yénii. — Fin du procès de la catastrophe de Bouzey;
les ingénieurs poursuivis sont tous reconnus innocents.
— A Rome, première audience du procès Acciarito,
auteur de l'attentat contre le roi d'Italie.
29. — Un décret crée une nouvel'e médaille dite des
Travaux publics, qui récompense les agents dépendant de
ce ministère. — M. Gabriel Monod est élu de l'Aca-
démie de* sciencen morales et politiqncit. — La coniniis-
Hion do rannée, réunie kouh M. Mtv.ièrcM, termine l'oxiimen
de la question iia haut commandement. — A la
Chambre, M. G. Berry interpelle sur \m rcH{>onKabllitéH
dans l'incendie du Bazar de la Charité, a I>e préfet de
police est coupable et wa thenrie Inacceptiible. » M. Vallé
mêle à la question le diKcnur** du f»ère Olivier; u U
aurait dû en communiquer le texte au gouvcnicnient ».
Ensuite, interpellation de M. Dclca««é sur la politique
l'abbé kneipp
générale du gouvernement. — Acciarito est condamné
à la détention perpétuelle. Il quitte la salle en criant :
« Vive l'anarchie I »
30. — A Chantilly. le Derby est gagnée par /^n/rnw^tf.
à M. le baron de Scbikler. — A Bruxelles, le grand prix
vélocipédique est gagné par Bourillon, coureur fran-
çiis. — Elections sénatoriales : dans i'Aube, M. Re-
nandin, républicain, est élu au deuxième tour; dans le
Doubs, M. le D' Saillard, républicain, est élu. — Elec-
tion dhin député dans les Côtes-du-Nord (Lamiion),
M. Derrieu, monarchiste, élu par 7.615 voix; dans la
Haute-Garonne (Saint-Gaudens), M. Ruau, radical, élu
par 10,225 voix. — Mort, à soixante-dix -huit ans, de
la célèbre comédienne M"** Amould-Plessis, née
à Metz en 1819, ex -sociétaire de la Comédie-Française où
l'on ne l'a pas remplacée dans les rôles de grandes
coquettes. — L'armée grecque continue à organiser
la défense des Thermopyles ; les puissances et la Porte
n'aboutissent pas encore dans leurs négociations.
31. — Le gouvernement prend des mesures contre
certains maires qui se sniit refuses à afficher le discours
jirutiutirf }p,,r M. Kri--nii .i li mitrée des Chambres. —
M. Faure u--i^t'. a A îiillimio^ a la course pour le a prix
du Président i-. — Un crédit de 172,000 francs est demandé
pour travaux contre l'incendie à l'Opéra. — Le Temps
a recueilli 37,000 francs pour les familles des soixante-
deux marins morts d.ins le nau&age du Vaillant, sans
compter ceux de la Mésange et du Saint-Pierre. — La
Porte consent à renouveler l'armistice de quinze jeurs,
si, à sa terminaison, les pourparlers n'ont pas abouti.
CARNET FEMININ
DENTELLI'S ET HIÎODERIES
Un carnet féminin sérail incomplet s'il ne
parlait une fois des dentelles et des broderies
crét5es par les femmes, pour la femme.
La dentelle est très aristocrate. On la ré-
partit par classes et par degrés comme pour
les quartiers de noblesse.
Il y a la dentelle à l'aiguille et la dentelle
aux fuseaux. Je ne parle pas des dentelles
faites à la mécanique, Vimitalihn étant une
industrie, mais non point de l'art.
On commença par tirer des fils sur de la
toile blanche et à broder à poinls cuupàs cette
trame légère; puis on élargit la trame qui
devint une espèce de mousseline appelée
quintin: ensuite on broda sur lacets, ce qui
donna le lacis. Les carrés brodés sur filet,
dont les jeunes filles modernes sont si juste-
ment lîères, datent du .wi"^ siècle. Catherine
de Médicis protégeait beaucoup ce genre de
dentelles. Ses suivantes y étaient occupées
constamment et l'on trouva dans l'inventaire
de ses effets et de ses dentelles plus de huit
cents carrés brodés qu'on n'avait pas encore
utilisés.
Peu à peu on festonna, on dentela un des
cotés de ces broderies aériennes, d'où vint dé-
finitivement le nom de dentelle. Ces dentelles
ornèrent les fraises des belles dames, et des
seigneurs, leurs manchettes...
De ces manches qu'à table on voit tâtcr les sauces...
Le fil blanc eut bientôt la concurrence de
la soie, de l'or et de l'argent; on fit des den-
telles polychromes; mais ces dernières n'eu-
rent pas le succès des dentelles de lin que
l'on pouvait blanchir. Les belles guipures de
Venise, les points de Sedan et d'Argentan
garnirent les l'ochets des prélats.
Les siècles s'écoulaient et la vogue des den-
telles cioissait avec eux. Les dames portaient
des n engageantes " à leurs manches courtes,
des (. pagodes » à leurs manches longues. Les
jupes avaient des dentelles « volantes >< et des
" quilles >.. On appelait ■■ tournantes '■ les
cascades et les coquilles.
Sous Louis XV le luxe des dentelles était i\
son apogée. On garnissait de dentelles i\ l'ai-
guille <• points de lîurano, Colbert ou d'.lr-
gentan >. les dessus de lit, les draps, les
oreillers, les tables de toilette.
Les dentelles aux fuseaux, inventées dit-on
par les sœurs Sl'oiv.a \'isconli, de Milan,
furent bientôt imitées par d'habiles ouvrières
franvaises. Chaque pays se glorifia d'un point
nouveau et le baptisa. C'est ainsi que nous
est resté le /)o//i; tl'Alençon. le Cliantilh/, le
point de lirur/es, la la/enci'enue.v et la .l/,i/i/ies.
La Malines, la guipure, la Valenciennes vien-
nent ensuite. Le point de Haycux — (Chan-
tilly noir — est ce qu'on fait de plus beau en
dentelle noire; elle surpasse même les anciens
modèles de ce genre.
La dentelle du Puy s'emploie comme la
Valenciennes, pour la lingerie : les broderies
Colbert. à même la toile, se reproduisent
d'après des dessins anciens et garnissent les
draps et les taies d'oreillers. On en l'ait aussi
des dessus de lits fort riches, entourés d'entre-
VL — 10.
deux brodés sur filet, genre Renaissance ; on
les pose sur un transparent de satin clair. Les
u toilettes marquise » en satin, recouvertes
de mousseline, et ornées de belles dentelles,
se font maintenant dans toutes les chambres
à coucher un peu élégantes. Ces tables, où
s'appuie une glace de A'enise, et un fronton-
pelote à rideaux de msusseline et de dentelle
permettent d'étaler les flacons d'odeur et les
accessoires d'un nécessaire d'argent ou d'é-
caiUe à chilTre de vermeil.
On a trouvé dans les tombeaux Égyptiens
des tapisseries assez bien rnnsepv.''('s pour
donner une idée du travail J^s 1. imiiws à
cette époque reculée. Les li\ /.ml m- m. rus-
tèrent de pierreries leurs broclfi us supiThes.
Le moyen Age est l'âge d'or de la broderie.
Les châtelaines et leurs vassales ont laissé
des travaux merveilleux. Charlemagne encou-
rageait les princesses de sa cour à broder des
habits ainsi que l'aiVirme un chroniqueur du
temps :
Les fîUes«fist bien doctrincr
Et aijprendre keudre et itler.
Sainte Gisèle, sœur du grand monarque,
fonda des monastères en Aquitaine et en Pro-
vence où elle enseignait aux nonnes tous les
travaux d'aiguille.
Judith, mère de Charles le Chauve et mar-
raine d'Harold, roi de Danemark, lui donna,
à l'occasion de son baptême, une robe qu'elle
avait brodée elle-même et enrichie de jjicr-
reries.
Bien peu de marraines peuvent en dire au-
tant, aujourd'hui.
Adhéla'is, femme de Hugues Capct, offrit
à l'église Saint-Martin, de Tours, une cha|ie
qu'elle avait brodée en or.
Eniin la reine Mathilde, femme de Cuillaume
le Conquérant, tirait l'aiguille tandis que son
époux faisait la conquête de l'Angleterre. Le
nmsée de Hayeux possède une toile brodée
par elle que jamais personne ne parvint à
imiter. Eh bien ce travail d'une aiguille fine
existe encore, tandis que les hauts faits de
l'épée de Guillaume demeurent i'i l'étal de
souvenirs!...
La broderie, d'ailleurs, esl le domaine de la
femme. Ne voyons-nous jias la reine Gisclle
de Hongrie établir près de son palais des
ateliers de tissage où fui créé le fameux /joi'/i/
de Honf/rie ?
Les étoffes sur lesquelles on a brodé au
moyen âge sont des toiles, du drap d'or ou
d'argent, du baudequin, du samit, du cendal.
ou velours etc., etc. Les têtes des pei'son-
nages étaient parfois peintes sur satin ou
brodées au petit point et r.'ijoutées ensuile.
Ceux-ci étaient placés en relief el sorlaioni
pour ainsi dire du fond brodé sur lequel ils
reposaient. On faisait ainsi des lable.uix
brodés. Marguerite d'Aulriclie en possédait
plusieurs qu'elle transportait dans ses voyages.
En somme, les xvi'' el xvir siècles ont marqué
la splendeur de la broderie. On l'a depuis
imitée sans jamais la surpasser.
LiTioi.r.
LA MODE DU MOIS
Juillet donne le signal des départs. La mer, les
montagnes, la campagne en général, sont dans
toute leur beauté; les citadins, au contraire, com-
mencent à souffrir de la chaleur, de l'étroitesse de
leur demeure, et du manque d'air respirable.
C'est donc le moment de songer aux costumes
& la taille par une ceintnrc. Cette jupe est ornée,
comme les jupes de robes modernes, de galons
cousus en rond, et aVjaissant sur le devant, en
tablier de lavandière. Les manches sont courtes;
et sur le bonnet de toile cirée est gracieusement
noué le foulard & la paysanne qu'avec ce costume
de bains de mer, aux toilettes d'excursion, et aux
robes de voyage.
En fait de costumes de bain, on est moins
simple qu'autrefois : ou crée aujourd'hui de co-
quettes et charmantes fant.iisies, dont mon ami
Félix Fournerj- est, la plupart du temps, nn des
créateurs les plus heureux, tels, par exemple, les
deux modèles que nous oiïrons aujourd'hui aux
lectrices du Monde mothrne.
Le premier est en serge bleu foncé, avec dra-
])eries découpées en serge blanche. Des tresses,
également blanches, eu achèvent l'ornement. Ce
costume se compose d'un pantalon droit s'arrêtant
aux genoux, et d'une blouse formant jupe, serrée
on peut choisir rouge uni, bleu et blanc, ou bleu
uni.
Le second costume est encore en serge, mais
d'un bleu plus clair. H est également orné de
blanc; mais il se compose d'un pantalon de
zouave serré aux genoux par des jarretières blanches
desquelles s'échappent des bas noirs, ce qui est, en
ce moment, le dernier cri de la mode. On se jette
à l'eau presque aussi habillée que pour aller au Bois.
La jupe de ce costume est détachée dix corsage.
Elle est plus ample que celle du premier, et les
galons qui l'ornent sont cousus en bordure sur
l'ourlet. Le corsage-blouse, genre Doucet, est éga-
lement rayé en travers; il est à revers et légè-
LA MODE DU MOIS
117
rement ouvert. Les mauches sout toutes composées
de bouillons courts, avec ou sans jockeys. Un
bonnet en toile cirée, très joliment orné de galons
de laine blancs et bleus, posés en ailes de moulin,
achève ce costume que complètent, comme le pré-
cédent, des espadrilles de toile blanche.
Le petit costume d'excursion (n" 3) est tout à
fait Louis XV. Jupe courte en mohair gris tour-
terelle, ornée de galous assortis cousus sur
l'ourlet, et formant quilles, de chaque côté du
tablier, boutonné à gauche et à droite par des
gros boutons en passementerie. La veste droite
est légèrement fendue sur le côté. Elle est fermée
devant par des boutons invisibles sous une patte
sanglier noir, avec galons de laine mate, et cravate
de crêpe. Les bottes sout moutantes et lacées
dessus, jusqu'à mi-jambes.
Quand on prend du galon, on n'en saurait trop
prendre. C'est le cas de la mode actuelle. Elle eu
met partout et sur tout. Témoin la robe soleil, en
toile de soie glacée vert et bleu, que nous don-
nons comme costume de lawn-tennis ou de prome-
nade. Entièrement plissée, jupe et blouse, l'une et
l'autre sont coupées par trois gros galons blancs,
que l'on pourrait au besoin remplacer par des
entre-deux de broderie ou de grosse guipure.
Manches collantes, boutonnées aux poignets, légè-
rement froncées à la saignée et rayées de galous
piquée. Deux iiochcs et une i)ochette A mouchoirs
en composent l'ornement ainsi qu'un col et des
revers en velours blanc quadrillé par des raies
grises. Les mêmes revers, mais arrondis, se répè-
tent aux manches. En dessous de la veste, che-
mi.sette de batiste A, col droit et A m.anchettes
plates, avec grosse cravate de soie noire ou de
couleur, terminée en rabat petit abbé par un
pU8.sé de dentelle. Comme chapeau, tricorne en
crin, OH en feutre léger, noir ou gris, avec petit
panache de jil unies posé en cache-peigne. Bien
entendu, de même que les costumes de bain,
celui-lA peut se faire en tout autre nu.ance. Pour
une personne en deuil, il pourrait se répéter en
sur le boulllcuiné se trouvant A l'emnianchure.
Ceinture ronde, en galon d'argent, fermée par uiu;
boucle armoriée en argent ciselé ou en strass.
Grosse cravate de tulle ou de mo\isseline de soie
blanche et chapeau Marie-Antoinette, sur cheveux
coiffés également A la reine martyre, moins la
poudre. Le chapeau est assez ]ilat, A fond mou, ou
gaze de soie blanche, cravaté de velours noir .avec
boucle. La passe, gondolée, est eu paille de riz,
ourlée de velours. Pigeon l>lauc sur le côté gauche,
et souliers de cuir jaune avec gants de Suède
blancs.
liKUTHE Dit rnft.siLLT.
LA CUISINE DU MOIS
Œufs Jeannette. — (Vcsl une 1res agi'iable
siirpiix- il laiiv aux convives que de leur
servir à ilùjouner des œufs Jeannette. Quoique
ce soit la même préparation que les œufs en
cocotte, ils ont un charme d'autant plus im-
prévu que les convives se croient obligés de
manger des ])ommes de terre, tandis que c'est
un icuf exquis.
Oi'RHATiON. — Brosser et laver G pommes de
lerre de Hollande, oblongues et bien choisies,
pesant ISO grammes chaque environ. Les poser
sur une plaque de tôle un peu forte et les
cuiri' au four une liciu'e.
l'cndanl celte cuisson on prépare la bé-
chamel liés délicate que voici : fondre
20 grammes de beurre, y mélanger 10 gi-ammes
(le farine, mouiller avec un décilitre de lait
bouillant, ajouter sel, poivre et un soupçon
de muscade, 60 grammes de beurre ou i cuil-
lerées de crème un peu épaisse. Cerner les
pommes de lerre pour obtenir un couvercle
lie ^ cculimctres de long cl 2 centimètres de
large, les vider complètement avec une cuiller
à calé sans les ])ercer; mettre dans le fond
deux cuillers de sauce, un peu de sel, casser
Iccuf. recouvrir de sauce cl du couvercle, faire
cuire au finu-:i miuulcs et servir.
Sole frite Colbert. — Couper les na-
geoires et un tiers de queue à une sole de
■100 grammes environ, enlever la peau noire
et la tète, ratisser la peau blanche, la vider
entièrement et la laver : faire une incision
longitudinale sur l'aréle du côté où la peau
est enlevée, inciser à droite et à gauche sur
toute la longueur, en biais et sous le filet,
à peu près 1 centimètre. Saler, tremper la sole
dans un peu de lait, la passer dans la farine:
la tremper dans un œuf battu et la couvrir
complètement de mie de pain rassis, passée
au tamis ou dans une passoire fine.
La cuire dans une friture abondante et
assez chaude, dix minutes. La retirer, l'essuyer,
casser l'arête à 2 centimètres de la queue avec
la pointe du couteau, enlever larète sans
abîmer la sole. Garnir ce vide avec 60 grammes
de beurre fin, salé, poivré, allongé d'une
cuiller à café de persil haché et de quelques
gouttes de citron. La servir retournée sur un
])lat long un peu chaud avant que le beurre
soil fondu.
Paille de pigeons. — Délayer 250 gr. de
farine avec un peu de sel. un décilitre d'eau
fraîche et 120 grammes de beurre. Laisser re-
poser au frais trente minutes. Donner deux
tours, c'est-à-dire étendre la pâte en long et
la plier en trois; recommencer l'opération
dans le sens inverse et laisser reposer vingt
minutes avant de recommencer les deux autres
tours.
Les PIGEONS. — Xettoyerdeux ou trois pigeons
tendres et gras, les découper en quatre morceaux
chaque; les sauter avec un peu de beurre
et 60 grammes de petits lardons taillés dans
le maigre. Saupoudrer d'une cuiller à café de
farine, mouiller avec 2 décilitres de très bon
jus et un de vin blanc sec; assaisonner un peu
relevé et laisser cuire 30 minutes. Couper deux
a'ufs durs en quatre, les ajouter aux pigeons,
quelques têtes de champignons crus etvei-ser le
tout dans une jolie terrine de forme ovale.
Mouiller le bord supérieur de la terrine et la
recouvrir avec de la pâte tirée un peu mince.
Souder autour en appuyant avec le pouce et
l'index, dorer la surface avec un peu d'œuf
battu et cuire au four doux une bonne heure.
Servir tel que, dans un plal ovale garni d'une
serviette, avec des assiettes bien chaudes.
Côtes de pré-salé grillées. — Choisir
des colcletles de luowloii pas trop grasses et
bien rosées de l.iO grauimes chaque, les ma-
riner dans de l'huile d'olives une heure. Les
poser sur le gril très chaud, sans les saler ni
les poivrer; que la braise soil amortie et le
tirage sous le gril un peu actif. .\près 6 mi-
nutes on les retourne avec une fourchette en
les soulevant sans les piquer; après 6 autres
minutes elles sont cuites; les enlever sur une
assiette pour les assaisonner, les dresser en
couronne sur un plat rond chaud ; garnir le
milieu avec du cresson et orner les os de
manchelles en pa])ier fiisé.
Purée de pommes de terre. — 300 gr.
de pommes de lerre moyennes entières, mon-
dées et lavées. 120 "grammes de beurre,
10 grammes de sel, â décilitres d'eau fraîche.
2 décilitres de lait bouillant, une pincée de
sucre en poudre, un peu de muscade.
OpÉii.iTioN. — Mettre les pommes dans une
casserole un peu épaisse avec le sel et l'eau,
couvrir et faire bouillir 25 minutes : si l'eau
n'est pas évaporée, l'égoutter et sauter un peu
les pommes sur le feu pour les sécher, ou les
mettre 3 minutes au four. Étaler un torchon
propre sur la table et le tamis en crin dessus:
poser sur le tamis une pomme et avec le cham-
pignon en bois ou passe-purée appuyer en
glissant vers soi, la pomme doit passer à
chaque coup, si on retourne en arrière la
purée fait une corde et le résultat est mau-
vais. Les pommes étant passées rapidement,
on vei"se la purée dans la casserole, on ajoute
le sucre, la muscade, une pincée de sel et le
beurre: il faut travailler fortement avec une
cuiller de bois afin de la rendre blanche,
légère et cotonneuse; on additionne un quart
de lait dès que le beurre est fondu et absorbé,
puis un autre quart après avoir travaillé la
purée et successivement les deux autres.
La purée doit être fine, légère et onctueuse.
Verser dans un légumier chaud et servir en
même temps que les côtelettes.
Tarte à la rhubarbe. — Pelez 1 kil. 500
de rhubarbe bien mûre et grosse: coupez les
côtes en travers en rondelles de 2 centimètres
d'épaisseur, recueillez ces rondelles dans un
saladier et saupoudrez avec 250 grammes de
sucre semoule, arrosez d'un verre à madère
de vieux rhum ; laissez reposer au frais et
couvert 2 heures. Beurrez l'intérieur d'un
cercle à tarte de 20 centimètres de diamètre
et garnissez-le avec la pâle qui reste des
pailles de pigeons: rangez dans l'intérieur, en
les chevauchant légèrement, les rondelles de
la rhubarbe, chaque rangée posée en sens
contraire, poussez au four pas trop chaud et
laissez cuire environ une heure. Réduisez à
moitié le jus qu'a rendu la rhubarbe et, aus-
sitôt la tarte sortie du four, arrosez-la avec.
Cette tarte est très hygiénique et peu coû-
teuse ; il faut la servir" froide et du sucre en
poudre en même temps,
A. Colombie.
Jeux et Récréations, par m. g. Beidin.
N" 149. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
^ '^M '<^3^ '
i^
i^ ^ &j^ mm
Les blancs jouent et gagnent.
N"150. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
N" 154.
DOMINOS
Lss blancs jouent et gagnent.
N" 151. - NA/HIST
l'.iurricz-vims .l.mii.r v,.tn- avi- sur I.- iru suivant
ùcliu A Est.
4f -
» 3.
4- n. T. 11. •! (ato\it).
^ A. R. D. V. S. 7. 5. -i.
Le trois do trèfle a ^ti"^ retourné par Nord. Quelle est
la meilleure façon ile dtl'buter avec cette main.
N° 152. — Curiosités arithmétiques
1" rriiuver nue 19 - 1 — •!».
■s IThuv.t ipie l:i ITioitit' de li est 7.
N" 153. — DEVINETTE
Cuinuient peut-on, d'an seul trait .le plume, faire dn
vin avec le eldn're H.
A'in'sser Irn cnmminticnlinna pimr cfHc pnffe <i. M. lit.'
I>isposer les 28 dominos d'un jeu île manière â cons-
truire un rectangle {huit ilemi-doniiuos sur sept) sur la
gauche duquel il y aura une bamle large du septième de
la longueur dudit rectangle (bande qui ne comptera pas ).
11 restera donc un ca'rrè dont toutes les lignes horizon-
tales et verticales devront donner la somme 21 pour l'ad-
dition des points; et de plus la diagonale nord-ouest
sud-est ne devra contenir que des 4. (Pour faciliter les
recherches de nos lecteurs, nous leur donnons la rangée
du huit du rectangle.)
N" 155. — CHARADE, |i:ir A. li.
lion premier envoyé par Rome
Se voit dans plus d'une cité,
Et par l'ordre du maître il somme
D'éviter une iniquité.
Certain jour mon tleur sert jY battre.
Ou bien c'e-st encore un des lieux
où certain oiseau vient s'abattre
Quand il a plané dans les eicux.
Trop souvent l'aveugle fortune
Au four accorde des trésors.
Kt comme résultat la rancune
Peut se manifester alors.
Mais une chose le console
Kt vient adoucir son malheur.
Il répète cette parole :
L'argent ne fait pas le bi.nheur.
N" 156. — Cryptographie de deux en deux.
. L. .S. X. V. r. V. o. V. II. V. 1.
SOLUTIONS
2!l
J. — l. F 8 C D
2. T I F D
3. T « F D éclici'
N» 144.
311 34 2H 23 27_
îû 2â 2» IN 2i>
1. H pr. C
2. Il 1 TD
IH 41) 4U
N" 145. — lluste ; Buse.
N 146- l<m vrut la/,i»;i, veut les moyens.
Hjo 147. _ Me trouvant en villégiature dans \aS:irllte
il quarante-quatre kilomètres du Mims, j'eus le plaisir
d'admirer Lu Fliche de l'église de S,iin!-C«lai.< oft fut
N' 148. -
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V 1 C II
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Les lieux mots
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LE MOIS COMIQUE
l'Ait MO LOCH
— Ilirr un ours mi l«.is .!,■ Itmi- — •'^"" i; ; ' ■ ■ ' .;u'iiK;iite — l'an-.- qur j"jii fïii rinceiiilie
logne; avant-liicr un tigre au bois ^^ î^ '*"''^ tt.-siuui.- .i i-miiruiiteurs ! du baz:ir. je ft-mis taclie à la fête
de Meudoii. — ^" tante, j'ai dit partout que des Fleurs ?
Les jeunesses sont bien expost-es ! vous ^-tiez la mystérieuse donatrice — Sans doute, puisque c'est pour
<!■■< fi:ï7,iiu(ifmn<'«. 1*^ virtitru^ .lu .iev-.ir.
— Y T;i tout a'mêine un jieu
loin, le révérend père Ollivier :
voilà qu'il avoue avoir un fils et
renvoie se Ixittre eu duel aTee
Victor Hugo !
LE PRINCE OE GALLKS
— Ma mère, c'est avec la plus
vive impatience que j'attends les
fêtes de votre prochain jubilé.
— Gand savant anglais, li touvé
moyeu de blanchi bon nègue. Main-
tenant, nous tous paeils aux blancs î
■Comment, il s'arrête?
ez doue, c'est le grand pri
- Aoh ! no, je avé le sple
r rUiJ K T DE T A I' I s s E U 1 E
DES GOBELIXS
L'été fait son entrée dans l'anm
1897, couduit par saint Médard.
— Voila ttue je derieus ventri-
potent, à présent I Je ne vais pins
être assez léger pour pouvoir at-
traper Félix à sou passage !
BIBLIOGRAPHIE
La librairie Cliailley vient d'éditer Inno-
cencia, roman brésilien par le vicomte de
Taunay, traduit du portugais par Olivier du
Chaste!. C'est un ouvrage célèbre d'outre-mer,
qui a été traduit dans toutes les langues, et
sur lequel nous désirons attirer particulière-
ment l'attention de nos lecteurs.
Les scènes, d'une simplicité biblique, se
déroulent dans le serlAo. c'est-à-dire dans ces
immensités sans limites qui forment le terri-
toire du Brésil. On pénètre dans une habita-
tion de planteur, non point une luxueuse ha-
cienda du Mexique, mais une modeste ferme.
Les mœurs y sont d'une incroyable rusticité,
d'une naïveté morale et jîhysique saisissante.
Une mélancolique histoire d'amour s'y dé-
roule, triste épisode de l'état de servitude où
les préjugés et l'ignorance maintiennent encore
la femme.
Le récit doit sa saveur à son extrême so-
briété et à l'absence de toute déclamation.
Il y a telles scènes comme celle où un lépreux
se condamne lui-même, qui sont dune beauté
antique. Un grand sentiment d'humanité con-
tenue fermente dans ce livre d'une belle santé
littéraire.
Il est appelé à demeurer classique dans la
littérature portugaise contemporaine, encore
le mot portugais n'est-il ici que pour exprimer
l'idiome, (^est bien une œuvre brésilienne
qui ne pouvait naître qu'au souffle des grands
espaces.
Elle repose de notre littérature décadente
et il en nait tout d'abord une haute commu-
nion d'estime avec l'auteur.
Un jeune d/ipcnsé, qui signe Fér.i Brugiére,
vient de publier chez Delugrave un charmant
volume. Dans le Rang, plein d'entrain et de
bonne humeur. Chez lui les préventions contre
le service, même celui d'un an, se sont vite
dissipées; il s'est mis à aimer la caserne et il
le dit franchement. Il a été empoigné par son
capitaine, un chic capitaine comme l'armée
française en compte en nombre, et il l'avoue
sans réticence, ("est un ouvrage A classer, non
loin du Journal d'un volontaire d'un an,
de VAi.i.iiiiY Hadot. Il repose des tristes dia-
tribes contre l'état militaire où il n'y a pas
servitude, quand on le comprend, mais
grandeur et patriotisme.
Ce volume est illustré de spirituels croquis
de Draner, qui donnent une amusante image
de la vie au régiment.
M. Albert Lîivignac. j>rofessein' d'harmonii?
au Conservatoire, vient de publier l'i la même
librairie un Voyage artistique à Bayreuthqui
est le manuel le plus [UMtiqiie (|iu puisse être
recommandé aux amateurs de Wagner, aux
adeptes comme aux néophytes.
Il eût été facile à l'auteur d'y faire étalage
d'une profonde érudition musicale; il a préféré
être clair. Il lui étjiit permis de faire retentir
une fois de plus les trompettes d'un lyrisme
intransigeant; il a trouvé plus convenable de
démontrer les raisons de l'admiration wagné-
lierme. (^'cst un livre de conscience et de pon-
dération, substantiel et complet, qui mettra
de l'ordre dans les idées, parfois toulTues, des
ijiitiés et qui prend par la main, en guide sur
et sans morgue, ceux qui sont encore .'i la porte
du temple.
La vie à Bayreuth pendant les représenta-
tions et les moyens pratiques de s'y installer
sont décrits dans les premiers chapitres. Une
parfaite biographie de Wagner raconte ce
qu'il convient de retenir de la vie du maître.
L'analyse des œuvres se divise en deux parties,
le poème et la musique, et cette division est
des plus heureuses pour donner la clarté.
L'analyse musicale s'appuie sur de très nom-
breuses citations qui, bien amenées, en disent
plus que de longues phrases.
Quelques mots sur l'interprétation des œu-
vres et l'organisation du théâtre complètent
ce volume parfait. Il dit tout ce qu'il y a à
dire, cela seulement et il le dit bien.
Edouard Drumont doit sa renommée à son
redoutable et grand talent de polémiste, mais
les lettrés connaissent depuis longtemps son
àme d'artiste, fine et avisée. Son Vieux Paris,
dont la librairie Flammarion vient de donner
une nouvelle édition avec de jolies vignettes
de Gaston Ceindre, est un de ces volumes qui
prouvent quels charmants aspects peuvent re-
vêtir les choses quand elles sont décrites par
un délicat. L'artiste est ici doublé de l'historien
qui évoque à l'endroit voulu les événements
du passé. Les pierres elles-mêmes ont ainsi
leur langage. Paris, tant de fois décrit, laisse
toujours quelque chose de nouveau à prendre
à ceux qui, l'aimant, savent le faire aimer.
La même librairie a mis en vente un
volume de .Iules Simon intitulé : Derniers Mé-
moires des Autres. Cet ouvrage posthume fait
suite aux deux volumes qui ont paru il y a
quelques années sous le titre de : Mémoires
des Autres et Nouveaux Mémoires des Autres.
Le titre n'est pas bien exact, car ce sont des
souvenirs très personnels.
Les admirateurs de .Iules Simon retrouve-
ront dans ce livre tout le charme et l'exquise
délicatesse qui ont valu à ses deux aînés un
si grand succès. Ils admireront le merveilleux
talent d'écrivain et de conteur de l'homme qui
a laissé une si grande place dans l'histoire
contemporaine comme philosophe et comme
homme d'Ktat.
Les Derniers Mémoires des Autres sont
illustrés par Lcrwitz, encore qu'une illustra-
tion ne semble pas ici bien nécessaire.
Pour faire suite aux albums sur In liérohi-
linn et l'Empire, M. Armand Dayot publie,
également chez Flammarion, une série sur les
Journées révolutionnaires ls;!0-l»lXi qui
est aussi intéressante <pie ses devancières,
(^es feuillets sont suggestifs; ils donnent l'il-
lusion d'avoir vécu soi-même ces journées
encore peu lointaines.
M. .Iules Martin poursuit, chez IMauMii.irion,
ses séries de biographies illuslrêes. Celte fois
le volume, qui sera suivi d'un seconil tome,
est consacré aux artistes peintres et sculp-
teurs. C'est toujours la même niétliude (pii
est suivie, heureusement, <ai elle est bonne:
le portrait, des dale-^ biographi>iues et la
nomenclatures îles (cuvres.
1 :>•.>
III iii.iDcn.M'iiii':
l'ii liviv pi-ul (lirikiloiiu'iil piii'aihc iivuc
plus ir<ippoi'liiiiitt' ipie la Jeune Grèce, de
M'i' M. -A. .Il' Hnvi-I, puhlii- à la lihiuiiie
Mny. Iticii «luil siik''""- ilétmk'S fiiitfs sur
pin'co il y a quoiques mi)is, elles sont dune
acUialilé volniiliers propliéliquc.
C'est un eliarnic de suivre l'aulcur dans
ses excursiiins. ni'i sim (i-il arlisle pcr<,-i)il les
choses présentes en les enveloppant de l'at-
mosjilière du passé. Ses descriptions sont des
évocations, et ce|)cndanl rien ne lui éeluippe
de l'acluelle niodernilé.
La jeune Orèce a vu ses espérances trahies.
Ne reclicrclions poinl ici les responsabilités.
Mais il ne lui convient pas d'accuser l'Europe
qui seule, en fin de compte, a arrêté le Turc
victorieux. Qu'elle se recueille, qu'elle se
niélie des rhéteurs, et qu'elle sache qu'elle a
des amis en France. Le succès de ce livre en
est une preuve. Les livres valent les fusils
et les derniers événements sont une preuve
de la vanité de la poudre.
La même librairie vient d'auj^menter d'un
nouveau volume la bibliothèque d'histoire
illustrée qui forme déjà une collection impor-
tante et classée dans les bonnes bibliothèques.
Cotte l'ois M. IVou trace le tableau de La
Gaule mérovingienne. Après avoir e.xposé
les formes multiples de l'Ktablissement des
barbares, il décrit le {.-ouvernement des Francs
et fait ressortir le rôle prépondérant de l'Église.
La vie morale lui a paru digne d'attention et
nous V retrouvons, non sans émotion, les
croyances de nos ancêtres. C'est un livre
d'érudition agréable, et la réunion de l'agré-
ment et de la science est un mérite assez rare
pour que nous ayons plaisir à le signaler ici.
La même librairie édite La Crète en images,
choi.v de caricatures étrangères réunies avec
discernement par M. John (irand-Carteret et
précédées d'une curieuse étude rétrospective
sur les images inspirées par la Grèce depuis
1S21. Ce n'est pas seulement un livre oppor-
tun, c'est aussi une petite école de philosophie,
véritablement et assez tristement humaine.
M. Pierre de Coubertin a réuni chez Ha-
chette ses Souvenirs d'Amérique et de Grèce.
Les lecteurs du Monde moderne, qui n'ont pas
oublié son récent article sur Corfou. connais-
sent le style net et vibrant de pensées conte-
nues qui' est propre à l'auteur. Les notes
athéniennes publiées dans ce volume, pleines
de foi dans le peuple hellène, paraîtront d'une
douloureuse opportunité. Mais la pensée survit
aux batailles: elle est immortelle et ne réside
point dans la brutalité.
C'est aussi la pensée américaine que M. de
Coubertin a dégagée de ses excursions dans le
nouveau monde. Il ne décrit ni ses richesses
ni son tumulte, mais il découvre la formation
déjà perceptible d'un idéal nouveau. En un
siècle, les Américains ont étonné le monde
par leur croissance matérielle. Un siècle ne
s'écoulera pas qu'ils le rempliront d'admiration
par l'expansion d'une humanité meilleure.
Les Parisiens qui n'ont point encore voyagé
et qui désireiil se procurer la plus violente
impression de changement dans les mn.-urs
des hommes, si ce n'est dans les formes de lu
nature, n'ont besoin que d'un trajet de sept
heures ])our éprouver cette émotion. A Lon-
dres, ils se sentiront dans une atmosphère
morale où tout sera nouveau pour eux. Or, le
génie de Ruskin est essentiellement anglais.
ICn Angleterre sa |)o|)ularité fut prodigieuse.
Il y a vécu en demi-dieu. Il est à peine mort,
après une vie de soixante-seize ans, que ses
doctrines ont pris le caractère dune religion.
Il est radicalement ignoré en France; il n'y
sera jamais connu. L'esprit français est inca-
pable de supporter pendant deux heures la
lecture des doctrines de Huskin.
Quelles sont-elles donc'? — La nature et la
beauté.
C'est bien simple : deux mots. Mais, autant
ces deux mots sont clairs, autant ils devien-
nent complexes chez le philosophe.
M. Hobcit de la Si/.Lianne vient de lui con-
sacrer, cluv. Ilachilte.un livre qui est l'œuvre
d'un apôtre ! Le jeune et brillant écrivain est
un pur Français qui voit net et clair; il en a
donné maintes fois la preuve. Il a apporté un
extrême elTort et comme un ardent amour ù
démêler les écheveaux d'une intelligence supé-
rieure, mais prétentieuse.
La simplicité de Huskin n'est qu'apparente,
et ses découvertes morales ne sont des nou-
veautés que par le tour qu'il s'elTorcc de leur
donner. Il n'émeut pas le cœur français parce
qu'il est prodigieusement personnel et, à l'op-
po.sé de la grande maxime, toujours présent
dans son œuvre.
Que cela soit dit sans irrévérence. On peut
être un grand homme en Angleterre sans l'être
pour tous les pays. Une des plus fortes objec-
tions, malheureusement, contre les États-Unis
d'Europe, est cette affirmation volontiers
croissante du génie particulier à chaque peuple.
Par ce livre de foi, M. Robert de la Sizeranne
aura travaillé à rapprocher les distances ; il
I faut lui en savoir grand gré.
Les Villégiatures d'artistes, que M. Mau-
rice Guillemot a léunies en un volume chez
Flammarion, seront un document intéressant
pour ceux qui écriront plus tard l'histoire
de la littérature contemporaine. Daudet à
Champrosay, Coppée à La Fraisière, Ludo-
vic Halévy à Sucy-Bonneuil, Victorien Sar-
dou à Marly, et beaucoup d'autres, sont
surpris chez eux dans le déshabillé de la
campagne. Si l'habit ne fait pas le moine,
l'homme se trahit tout au moins dans le
choi.x de son habitation. Son originalité
propre s'y dévoile mieux que dans la bana-
lité obligatoire des logis parisiens. Des pho-
tographies exactes documentent ce livre
spirituel, malgré son caractère d'enquête.
Signalons enfin le nouvel Annuaire de Paris,
publié par la maison Hachette, dans le type
de son almanach. C'est le même tra\"ail géant,
la même intelligence dans le groupement des
renseignements. On y sent la main de l'homme
si complètement documenté qu'est M. Tissot.
L' Editeur-Gérant : A. Qr.vXTlx.
13231. — Lib.-Imp.
e>. MOTTEROZ, D''.
Siiiiit-Beuoit, Pa;
LE HOLLANDAIS VOLANT (Fliegende Holliender)
Le Vaisseau -F an tome
L'action se passe au xvii» siècle, en Norvège.
Poème et Misiqui: de RICHARD WAGNER
Né II Ltipzig le 22 mai 1813, mort à Veuise le 13 février l«a3.
Opéra en 3 actes représente pour la première fois :
A Dresde, le 21 janvier lsi3; à Bruxelles, le 6 avril ls-2; à Paris, le 17 mai ISOT.
C'est un signal iVcspoir que lo génie allemaml
bientAt d'être éternellement ballotté sur les flots de la
musique étrangère et trouvera définitivement en terre
allemande un port lio?pitalier.
E. ScHnMASN, la A'ouielle Omette de Musique.
La genèse du Vais»eau-Fantôine est assez
curieuse, assez édifiante pour être racontée.
En 1841, Wagner, incessamment en quête des
expédients de la vie d'artiste, ce calvaire de
l'illusion ! luttait à Paris contre l'adversité.
Econduit, comme auteur, à l'Opéra où il avait
été présenté par Moyorbeer , il était refusé,
comme choriste, moins heureux en cela que
Berlioz, dans un petit théâtre des boulevards
où, las, découragé, la misère l'avait conduit.
Ayant appris que Léon PiUet, le diroclour de
l'Opéra, à qui il avait lu lo scénario du Vais-
seau-Fantôme et qui, le trouvant à son goût,
voulait bien acheter l'idée, mais non recevoir
l'ouvrage, avait divulgué son sujet, Wagner,
h bout de ressources, et pour ne pas tout
perdre, se décida, à contrc-canir, à vendre,
pour la France, moyennanl .'iOO francs, le sujet
du Vaimeau-FantoMe .
Avec cotte ])elite somme il se réfugia à
Mcudon, dans une maison isolée, près des bois.
S'étant procuré un piano, il se demandait
anxieusement, assis devant le clavier que
depuis de longs mois il n'avait pu [jarcourir, si
les difficultés do la lutte pour la vie n'avaient
pas tari la soui'ce de ses inspirations arlis-
ti<pies. Timidement , il ébaucha quelcpies
accords, s'enhardit cl, improvisant tout h coup
avec joie, avec transport, constata <pie la
misère, ayant trempé son àmi^ n'avait, au
contraire, qu'affiné son goùl ailisliipic !
En (|ucl((ues semaines les Irois nc-lcs du
Va'mwau-Fantûme élaienl, poème et musique,
achevés. Celle même année, lo 0 novembre 18'i-2,
l'opéra en deux actes que M. l'aul Koucher
avait écrit d'a|)rès le livret que Wagner avait
vendu au directeurdc l'Opéra, et dont M. Dieiscli
avait composé la niusii|iio, rlail jnui'' nn/.e fois
sans aucun succès.
Wagner connut lo sujet du Vdinxiiiii-Fniilnia)'
il'une façon émouvante : en IH.'i'.i, vcu.uil de
liiga où il était alors directeur musical du
théâtre, il allait, pour la première fois, en
France. Le navire sur lequel il s'était embarqué
fut assailli au cours de la traversée par une
effroyable tempête qui dura plusieurs jours,
forcé de chercher un refuge sur les côtes de
la Norvège. Impressionné par le merveilleux
et terrifiant spectacle dos vagues en furie,
Wagner ne quittait pas le pont du navire, et,
entre deux manœuvres, pendant de brèves
accalmies, se faisait conter par les matelots la
légende du Vaissoau-P'antômo, qu'il connaissait
d'ailleurs d'après l'article qu'Henri Heine avait
fait sur l'œuvre de Fitzball, auteur dramatique
anglais — qui, inspiré par le roman du capitaine
Marryat, avait écrit un mélodrame sur ce sujet.
Dans son Dictionnaire infernal, Collin do Plancy
mentionne et décrit cette légende qui a pris
naissance à l'épocpie dos grands voyages mari-
times du xvi'' siècle. Ruvant des yeux et de
l'esprit le cnpIivajH siioclaclo dos éléments en
courroux, Wagner ri'sohil de Iraduiro par une
œuvre d'art ses iin|uessii)n-^ île passager. Cette
œuvre d'arl, (■'e^l l'cnn crlure ecUèbre ol gran-
diose doni l'oi-ehesh-Mlidn es| si bien 0(]ui-
libréo, (pioi qu'en disenl corlains. l'^lle fut
e\éculée pour la première fois, à Paris, sous la
direction de Wagner, lo 2ii janvier 18(i0, aux
concerts du théâtre dos Ilaliens.
Fuyant la tempête, le navire de Haland
(M. iiolhommo) jette lanere dans un fjord.
Après avoir reconnu lo pays où il s'abrite, il
v.i se reposer, conli.int dans la vigilance de son
pilote (M. ("arbonnol, (pii, exténué do titigue,
s'endort en rêvant h sa belle. Peu apiès, un
immense vaisseau jolie bruyammoni son ancre,
amenant avec lui, de nouveau, la lonipolo.
Les agrès se nianaMivrenl, les voiles se car-
gui'iil, l'équipage s'agilo sans bruit, tandis que
lo Hollandais (M. nouvel), capitaine do ce vais-
seau,unissant sa voix aux ruini-urs dos Ilots, se
lanienle el, dans un superbe monologue
lyri(|MO, d('peint son désespoir.
VAISSEAU-FANTOMK
s'écric-l-il avec ferveur. Mais le doute élrcinl
son âme. L'iiicxoi'al)le fatalité pèse sui' lui ! De
son supplice rien n'a pu le délivrer !
Daland sort de sa cabine, raille la vigilance de
son pilote, et, abordant le Hollandais, engage la
conversation, le questionne et parvient faci-
lement Ji connaître le plus cher de ses vœux.
En échange des richesses que le Hollandais
lui offre, Daland donnera la main de sa fille
Senta. Ce marché conclu, ils appareillent cl se
remettent en roule.
Chantent au deuxième acte les jeunes fdlcs
(|ue Marie (M"" Delorn) gourmande. Senta
(M"" Marcy), qui reste des heures entières à
rêver, les yeux fixés avec attendrissement sur
le portrait d'un marin dont on lui a conté les
infortunes, est raillée pour sa paresse.
Pressée par ses compagnes, Senta chante une
ballade qui n'est que la légende du Vaisseau-
Fantôme. Ayant fait serment, un jour d'orage,
do dompter les Ilots, dût-il lutter à jamais, le
Hollandais fut condamné par Satan à errer
éternellement. Dieu eut pitié de lui et lui fil
espérer la fin de sa peine le jour où, abordant
la terre une fois tous les sept ans, il trouverait
un cœur fidèle. S'exaltant, Senta se suggestionne
et s'écrie, toute vibrante d'amour :
\l è
=^=P
r-=—
f-
-f
=
— r—^
^f=
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C't"?! moi ,
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'
'1
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^■é
Los jeunes filles s'effrayent et son fiancé Erik
(M. Jérôme) lui demande désespérément si elle
l'aime toujours et si au retour du père il peut
espérer sa main. Senta ne désavoue pas ses
promesses passées, mais elle lui avoue que son
amour est plus faible que sa pitié pour ce Hol-
landais. Hallucinée par ce portrait, elle s'écrie :
Il vient à moi! je dois le voir! Erik s'enfuit épou-
vanté tandis que Daland et le Hollandais en-
trent : saisie, fascinée, Senta ne songe même
pas à se jeter au cou de son père à qui elle de-
mande instantanément : Que! est cet étranger?
LK VAISSEAU-FANTOME
133
répond-il ù so fille : cl, à mi-vnix, il (IciiKinde avi
Hollandais ijui conlemple Srula ; L'ai-Je dé-
peinte trop charmante? de tant d'attraits cs-ta
contait?
Les laissant seuls, il se relire discrètement,
après avoir dit à sa lille ; (Jti'il soit, si ton irrur
(.'npoco meno soslenuto. ^'s
le désire, ton Jiancé ce soir, et demain, ton époux.
Émus, doutant, lui, de la promesse divine
accomplie, elle, de la réalité de son rêve, ils se
causent avec un mutuel embarras.
Peu à peu, la conversation s'anime, et frai;-
chemenl, le Hollandais demande à Seula ;
PIAXO
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eux
tu d'ill.
UT
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L !•; \ A I s s IC A U - !■• A N ï O M E
rc-pos qiio j'es - pè - rr, Puis-je comp.ter sur la fî.di; . li
re Que ton des . tin te ton . damne à ^u
LE VAISSEAU-FANTOME
coeur! "^ De f*^ lour.nniits (pjVn . fin j
L K \' A I S S !•: A L' - 1" A N T O M K
avec émotion.
LK \" A I S S i: A u - F A N T ( j M i;;
Senla est certaine de son incliranlaljle fidé-
lité, le Hollandais entrevoit le salut prochain,
et Daland revient pour savoir ce qu'ils ont dé-
cidé. En présence de son père, Senta avec
une solennelle résolution jure, jus([u"à la mort,
fidélité au Hollandais qui s'écrie triomphale-
ment : Ah! Venfir est le moins fort !
Le troisième acte nous montre les deux na-
vires mouillés l'un à côté de l'autre dans un
)ietit port norvégien. D'un côté, la maison de
l)aland; de l'autre, des rochers. Cet acte débute
])ar un choral-duo entre le gai équipage norvégien
et les sinistres matelots du Vaisseau-Fantôme
qui raillent, au grand elTroi des jeunes filles,
les éphémères amours du Hollandais.
La terreur, l'épouvante s'empare des Norvé-
giens ; partout la mer est calme, excepté le
long des flancs du navire maudit où elle est en
furie. Peu à peu, les uns s'étant enfuis, les
autres s'étant tus, le calme revient, les flots
s'apaisent.
Senta entre eu scène poursuivie par Erik ipii
la conjure de lui dire s'il doit ajouter foi à la
nouvelle de son mariage avec le Hollandais.
Douloureusement émue, Senta regrette le dés-
espoir d'Erik; mais entre le bonheur de celui
qu'elle aime et la rédemption de celui auquel
elle se dévoue fatalement, elle n'hésite pas.
Ayant tout entendu, le Hollandais désespéré
siffle son équipage qui chantait tout à l'heure :
Que mugissent vents et flots,
Pour nos voiles nul repos!
Satan même les tissa.
Nul orase n'y mordra!
11 veut, renonçant à jamais à la réalisation de
son espoir, quitter la terre. Peiu--ta douter d'un
cœiir sincère! s'écrie désespéi'émcMl Senta.
Se souvenant de l'arrêt falal du (Irsliu ;
Seule dt' me ^.■ïu. Vit ujir ff-niniec^t <
murmure le Ilolland.iis ; puis il ajoute : Apprends
quel est Vliorrihle eliàtiiiient ijue le destin réserve à
l'infididc ! Damnation éternelle !
Je te connais, je connaissais tcm -.m-l, :
Je savais tout (piand je l'ai vu iralicinl;
De ti-i lonrrnents voiri la lin!
Oui, ma liilrl]l(> IV. 1.1 l.m Naliil cvrlaiii!
lui répond Senla avec une l'uni' siirrial urcllc.
Erik aflolé .apprllr .111 sr.niiis Dalaiiil, Marie,
tout le mondr! MajrsInruN, Ir Huila inia is, vou-
lant relever Senla de son miii, lui ilil :
Non! lu ne sais i-ii-n, iiicui soit l'i-sl iiii-innui!
Demande aux llols, dun p.Mi- .'1 lanljc,
Au nialeliit vieilli qui |iai|..iil navigua ,'
Ils le dininl quel navire est le iiùli-e;
et d'un superbe geste de défi il !,'écrie, on
montant rapidement sur son bord qui s'éloigne
au milieu des hurlemeids de joie victorieuse
de ses infernaux nautonicrs:
Le Vaisseau fan . tù . me
d.fil
Senta veut le suivre. Daland, Erik, Marie la
retiennent. Mais, se dégageant, elle leur
échappe; et gravissant le rocher ([ui s'avance
dans la mer, elle lui répond avec enthousiasme :
Gloire à ton ange! gloire à sa loi!
jus. qu'à la mort — je
et se précipite follement dans les flots.
Comme si un charme magique eût été rompu
instantanément, le Vaisseau-Fantôme s'abîme
dans les flots et, montant vers l'infini, Senla,
dans les bras du Hollandais, lui montre le ciel
clément réserve aux bienheureux!
Certains disciples wagnériens, ridicules par
leurs excès de zèle, ont trouvé celle repré-
sentation inutile. Estiinaid que, lorsqu'il s'agit
d'une géniale personnalilé arlistiipu' comme
Wagner, il n'est rien (pi 'on ne doive connaître,
enlendre et approfondir, tant dans la vie que
dans r(ouvre du M.aitre, je suis loin d'élre de
leur avis.
Le Vaisseau-Funtôiue esl, dans l'ieuvre et la
vie de Wagner, une dalr qu'il esl Ixin de
médiler, le commenecnieiil ilHiir évidulion
(pi'il serait ridicule de nier; cui y di-eouvrc à
ehaipic iiislaiil les b(''i;ayeiuenls d'um' gigan-
losipir fiiiiiiule arlislique que nous retrou-
verons, spleiiiliil.'ineid iqiaiiouie, dans l'arsi/a!,
dans Tris/, m ri Ysni/t.
J y (-(inslalc 1111 ]iiiissanl riieuiiiMgemeiit pour
les ji'uues luusirieus qui, iic\isaul pas au génie
subit, (l.iii;ni'raiciil (liiiuu'r eiuisrieucieusement
et progressi\ciui'ul, cnuiine Wagner, ni plus ni
moins, la iiicsiur approximalive de leur talent,
(le leiii- génie, ilaiis le cas où ils seraieul gra-
liliés de ce derniiT ddii.
De son vivaiil. W.i^uer, persuadé que M. Car-
valhn élail cl ser.iil le direelcur de ses lèves,
lui faisail enlendre ses ,1 uvres, M. A. de (!as-
periiii mais raeoiile dans un de ses l'euillelons
luusie.iux ces mémorables audil ions où Wagner,
de sDii uu''diocre talent de pianiste, du chant
de sa \i)i\ arehifausse, éner\ail. deeourageail ,
imp:
sion qu il (I.
it de
ses iiiivres, M. Carvalho. Les plus graves re-
prcielies que l'dn .lil Iroiné à faire à cet (cuvrc
siml ; les répi'dilinus de mots, \cs r/rujipelli, les
fins de phrases eadeueees à l'ilalieune:
I. !•: V A I s s i: AL'- !•• A N T 0 M V.
de son se . le elle est
et, f;uit-il l'avouer aussi, la signature ilo l'au-
Icur de la tétralogie au bas des pages d'une par-
tition romanticpio.
Les sévères critiques qui ont accueilli la pre-
mière du Vaisseau-Fantôme sont dues à la dé-
ception que le monde artistique a éprouvée en
voyant la façon dont cet ouvrage a été monté,
exécuté. Qui ne se souvenait alors des belles
interprétations du 13 janvier 18G7 et du 0 fé-
vrier 1881 : ^lles comptent parmi les plus purs
titres de gloire du regretté Pasdeloup.
Cotte pièce au sujet fantastique n'a rien de
fantastique ni dans ses décors, ni dans ses cos-
tumes. L'art tbéàtral, cette illusion fictive de
l'irréalisable, n'a donné à l'Opéra-Comique
qu'une impressipn mesipiine. C'est le navire
d'Haydée cl le bateau de Si jetais roi, retapés,
rafistolés, accouplés; mais c'est loin, bien loin
d'èlre un vaisseau fantasti<[ue, surnaturel!
Les artistes qui cbanlent cette œuvre ont l'air,
en exagérant l'appui vocal des rares dissonances
qui s'y trouvent, de criti<|uer Wagner de n'en
avoir p.is mis plus. Il eût été désirable que le
Vaisseau-Fantôme (ùl chanlé tel qu'il a été écrit,
et que les passages de facture italienne fussent
chantés, franchement, à l'italienne. A l'orchestre,
les rythmes n'en sont plus : ou c'est trop lent,
ou c'est trop hàtif; en un mot, c'est une exé-
cution bâclée. Heureusement que la palette
chromatique des sons cl des rythmes musicaux
<|ui, majestueusement, se déroule dans l'ouver-
ture, a été suffisante pour nous donner l'illusion,
la vision de ce navire, œuvre de l'homme et
jouet des éléments! Cette magistrale évocation
précèdect met on lumière le drame, non, l'épopée
du dévouement rédempteur! Car il ne faut pas
l'oublier, la rédemi)tion de l'homme coupable
par l'amour dévoué d'une femme pure : telle est
la portée philosophique et occulte de cet opéra.
Quand je pense rpie le chœur des fileuses, ce
bijou, est tombé à plat, lui qui est et a été bissé
partout! Cette délicieuse page musicale si fine,
si spirituelle, est prise dans un mouvement si
vif, (pie ce n'est plus un rouet <iui bourdonne,
mais une machine à coudre qui travaille aux
pièces. G profane négligence artistique, tu nous
prouves que le plus clair des soucis de la direc-
tion a été de présenter l'ouvrage n'importe com-
ment, assurée et certaine que le nom de Wagner
serait, sur l'affiche, un pavillon suffisant.
Espérons que le Vaisseau-Fantôme, comme
Roméo et Juliette, reviendra un jour à l'Opéra
où dans M°" R. Caron il eût trouvé une Senta
idéale. Ce n'est pas que M"" Marcy ne soit une
bonne artiste; mais je la vois mieux à son af-
faire, à tous les points de vue, dans le rôle de
Nicolte du Pré-aux-Ckrcs. M. Jérôme, qui ne
semble pas se douter que, comme Wagner le
dit dans ses Notes et observations, Erik le chas-
sant ne doit pas être un pleurard sentimental,
mais, au contraire, un impétueux, véhément et
sombre, tel que doit l'être un solitaire, chante
avec un goût beaucoup trop exquis la cavatine
du deuxième acte :
r lY I' r~r \^ ^^ \- Mf ^
tou . jours
dont la formule italienne est plus mélancolique
que désespérée : on dirait une fleur d'Italie
éclose, loin du soleil, dans une serre, en un
pays brumeux.
" Celui qui chanterait la cavatine du troisième
acte d'une façon douceâtre, dit toujours Wagner
dans ses Notes et observations, me rendrait un
mauvais service » ; et le Maître qu'on a tant
accusé d'intransigeance pousse la condescen-
dance si loin envers l'artiste interprète, qu'il
lui permet de changer ou de supprimer à sa
guise, et selon ses moyens vocaux, les traits et
cadences qui pourraient le gêner.
Si le feu purifie tout, l'amour rénove l'âme!
Tel est le dogme enseigné dans les collèges sa-
crés de l'Inde : telle est l'épigraphe que Wagner
eût pu écrire sur la première page de cette belle
et symbolique partition, qu'il écrivit, comme
on a pu le voir, avec une rapidité pour ainsi
dire inimitable, mais bien compréhensible, si
l'on songe que pour une nature aussi ardente
la procréation artistiaue de cette œuvre fut
comme un délassement béni des travaux fasti-
dieux auxquels il avait dû jusqu'alors, pour du
pain, sacrifier son temps.
Guillaume D.\nvebs.
LE MONDE MODERNE
Août 1897
LE DISPARU
Peu à peu, les groupes devinrenl
compacts. Un b.ruit de voix contenues
s'élevait, pareil à celui qui anime les
rues aux jours de grand marché. Bré-
cliard, qui servait un client, cria :
— Hé I Silvain, ne vas-tu point goûter
de ce vin? Il y a le temps encore : on
ne connaîtra pas les résultats avant une
demi-heure !
Silvain, sans approcher, examina les
tables couvertes de verres. L'ombre
tombanl des tonnelles tigrait de verts
et de jaunes les visages des buveurs.
— Honne journée, n'est-ce pas? Tu
voudrais des élections chaque dimanche.
Indilléreul en ap|)arence, le caliarelieE-
répondit :
— Bah ! je ne tiens pas au ballottage :
pourvu que le pays marche, que la
récolte doinie.. .
Il parlil ensuile d'un celai de rii'e
sournois ;
— Voilà le caridichil qui va clierclier
ses bulletins I...
Tous les yen\ se dirigri'eiil d'un
même côté. .M. Bnisleni arrlvail imi
cll'rl. Il marchail à pas lenis, eseorlé
par l'insliluleiir. Il scmlilall a\ nir omI>II('
ce compagnon de hasard. Seules, des
afliclies ronges el pnrlanl :
liliOST KM
C.MiKliihil (In Cnn-L-il tc.-Tiéi-^l
ahsdi'h.iient son allenlion. \',n a\'anl
d'elles, 1rs blouses bleues des pavsans
mellaicnl des lâches luisanles sur la
poussière de la place. Le soleil cares-
sait aussi de rellels roses les loils en
luiles. 1,'inslitulenr, qui se picpiail d'art,
montra ce spectacle.
-- llein-eux présagi\ monsieur \ti dé-
|)ulé; ce soii-, le pays e>l tricolore.
M. lîrosten haussa légèrement les
épaules ;
— Vous êtes poète, monsieur Dro-
mol ?
— A mes heures; c'est de mon étal.
L n sourire bonhomme erra sur les
lèvres de M. Dromol, qui continua :
— X'ous ne croyez pas aux présages :
vous avez raison. Mieux vaut compter
sur soi; si j'étais de vous, je me défie-
rais même de mes amis. Nous vivons
dans une époque agitée. Tel qui semble
tenir un pays dans sa main et com-
mander à l'opinion disparait tout à
coup. On se trouve compromis avant
de l'avoir seulement soupçonné.
M. Brosleni interrompit sèchement la
tirade :
— C'est bien, n'insistez pas.
El comme l'anxiélé le rendait ner-
veux, il exhala sa mauvaise humeur.
— \'ous jouez, mon cher Dromol, un
jeu dangereux. Loin d'aider les pouvoirs
publics, vous enireteiiez ici nu état de
réaclion... regrettable. Hier encore,
M. C.avaroc me coidiail avoir à se
plaindi-e de \ous. C.'esl un lort. Quelles
que siiienl les l'aisons, l'hostilité entre
l'oiiclionnaii-cs l't mandataires du peuple
n'csl |)as suppcii-lalile.
M. Dromol s'était arrêté.
-M. le maire désire, je le sais, mon
changement, lit-il d'un ton ironique.
Il attendit une dén(''galion (pii ne vint
|)oinl. Ses lè\ res lines semblèrent en-
suile s'aunrulr : un IVisson courut sur
I ('■|iidei-nu' de sou visage rasé. Il dé-
tourna brns(pu'ment la tèle et, s'adi'CS-
sanl au groupe le plus \oisiu, il cria
d'une voix sonore :
— N'avez-vous pas \u M. C.avaroc?
M. le député réclame M. Cavaroc!...
(Jiielipi ini répondit aussitôt :
].i: 1)1 s l'A m
— Il est sans doute ii la mairie.
Agacé, AI. Urosteni dul serrer des
mains, répondre à des saluts. Ce métier
de candidat lui semblait absurde : il
regrettait d'être venu.
Cependant la phrase de M. Dromol
passait de bouche en bouche :
— Où est Cavaroc? Chi réclame
Cavaroc...
L'annonce que l'instituteur cherchait
le maire amenait des clignements d'yeux
entendus. IJréchard murmura :
— Pour sûr, l'instituteur médite un
coup !
Certains esliniaient ([uc le conllit aigu
qui, depuis un an, séparait l'école et la
mairie, allait enfin se liquider : on
pariait en faveur de Dromol. Une bouf-
fée d'air balaya la place. l>a poussière,
s'élevant, couvrit les blouses d'un duvet
fin; les deux lauriers qui décoraient
l'auberge plièrent comme des ressorts.
L'impatience d'attendre avait saisi les
choses elles-mêmes, lùilin la porte de la
mairie s'ouvrit : Cavaroc apparut.
Il était grand et maigre. Des yeux
bleus tirant sur le gris ef des moustaches
très blanches éclairaient son visage. Il
était vêtu sans recherche ; mais on de-
vinait aisément son désir d'être pris
pour un gentilhomme campagnard. Ses
gestes provoquaient de même une im-
pression double : ils étaient à la fois
pleins de bonhomie et géométriques.
S'étant arrêté sur le perron qui précé-
dait la mairie, il enveloppa la place d'un
coup d'œil circulaire et dit :
— Il y a trois cent neuf \oix contre
sept...
Les trois cent neuf voix appartenaient
à son candidat : l'ajouter lui eût semblé
superflu.
Des murmures, un bruit d'étonne-
ment, accueillirent la nouvelle. Sans
aucun doute, le résultat était prévu :
cependant une pareille majorité dépas-
sait les attentes.
Bréchard déclara, en tapant dans ses
mains :
- — C'est un rude homme que Cavaroc.
Un paysan répliqua :
— M. Dromol aura le dessous.
Beaucoup approuvèrent, trouvant
mauvais celle fois le cas de l'instituleur.
M. Brosleni, avanvanl à la rencontre
de Cavaroc, le salua d'un geste rapide :
— Mon cher Cavaroc, combien je
suis heureux de ce succès qui est le
votre...
Il balbutia ensuite des remerciements.
Suivant toute probabilité, l'énorme ma-
jorité obtenue à Bauilhac assurait l'élec-
tion. Le pays, d'ailleurs, n'aurait pas à
s'en repentir...
Cavaroc écoulait, sans interrompre.
Les phrases du député le caressaient
délicieusement, mais il demeurait impas-
sible. Puis, cette musique de gloire
s' arrêtant :
— Allons diner, dit-il, le télégraphe
nous renseignera plus tard.
Il traversa la foule, traînant à son
bras le député. Tous les regards étaient
fixés sur lui. C'était bien le roi de Pauil-
hac qui passait là, roi dont aucune con-
stitution n'atténuait l'autocratie. De
temps à autre, il s'adressait à des pas-
sants privilégiés :
— Ça va bien?... Ah ! le sol nian()ue
de pluie... mauvaise année...
Apercevant au bout de la place
M. Dromol qui l'examinait mécham-
ment, il serra plus fort le bras du dé-
puté et eut un rire muet.
M. Brosteni murmura :
— Je lui ai fait la leçon : il a promis
d'être plus sage.
Cavaroc répliqua sèchement :
— Je sais ce que valent ses promesses.
Tous deux sortirent du village.
Le chemin montait doucement entre
des lisières de bois, escorté par la ligne
souple des ombres mouvantes. La
marché était enveloppée d'odeurs tièdes
que répandaient çà et là les grappes des
acacias. M. Brosteni prit son chapeau à
la main et avança tête nue. Cavaroc,
inattentif en apparence, suivait d'un pas
régulier. Une porte aux vantaux dis-
joints apparut. Un chien aboya derrière
elle. Cavaroc cria :
LE DISPARU
— Tais-toi, Scijîion I
Et s'eiraçant, il invita M. Brosteni
pénétrer dans la cour.
Ils étaient arrivés.
la jeunesse n'a pas lleurie, dont la vieil-
lesse même ne parvient pas à elTacer la
disgrâce.
Cavaroc coupa court à ses révérences.
.M Cavai'oc accourut. Sa hiulcur
était singulière. V.Uc avait dos cheveux
crépus enfermés dans une résille, des
lèvres épaisses, des yeux ipie gnnll.iit la
myopie. Rien no subsislail en elle de la
grâci' l'éuiuiiue. l'allé i-lail ili' celles (pie
iuer est il ])rèt ? nous avons
Elle rougit, promil (piavaul un rpiarl
d'heure toutes chose-; seraieni prèles, et
s'éloigna [leureusenieul.
M. Brosteni la suivit des yeii\.
(Jnelles raisons avaient guid.' Cavaroc
en répoiisanl.'lls'élonnail qu'un homme
de celle amhition eùl pu s'accommoder
d'un tel voisinage. I^llc était trop laide
i.i; iiisi'Aitr
pour avoir jamais rempli le rôle de scr-
vanle mailrcsso. Ou l'assurail de mince
l'orluno. 11 (Tul remarquer aussi (|uc ses
gestes élaieul trop soumis; leur ellace-
mcnl semblait dii à une volonté attentive.
Il dit enfin avec un sourire de conve-
nance :
— M""' Cavaroc est toujours la ména-
gère excellente que j'ai connue.
Cavaroc haussa les épaules.
— Il faut laisser les femmes à leur
cuisine.
l''t il proposa, pour tuer le temps, un
lour de jardin.
De celui-ci, on apercevait l'ensemble
de la colline dévalant vers le villaffc.
Les sillons en s'éloignant dessinaient les
arêtes d'un éventail lleuri par la ver-
dure des blés nouveaux. ÇU et là, les
sainfoins et les colzas faisaient des taches
rouges ou jaunes. Une haie géante de
peupliers fermait l'horizon.
M. Brosteiii, que la campagne en-
nuyait, demanda pour prendre une con-
tenance :
— Ce sont là vos terres, sans doute?
Cavaroc, étendant les bras, parut ba-
layer l'espace.
— Tout est à moi. J'ai aussi acheté
une vigne, mais vous ne pouvez l'aper-
cevoir d'ici. Mauvaise aifaire. d'ailleui-s.
Même avec de bons champs, le proprié-
taire exploite à perte.
— Pourquoi, dans ce cas, agrandir
votre domaine? interrompit M. Bros-
teni.
— Eh ! demandez-moi aussi pourquoi
je suis maire, pourquoi je m'occupe de
politique et de...
Cavaroc s'arrêta; mais le député com-
prit ce qu'il taisait. Il éprouvait un
brusque ennui d'être le débiteur de ce
rustre.
— Sept heures, dit-il en tirant sa
montre. Je m'étonne de n'avoir pas en-
core de nouvelles : il n'est pas certain,
après tout, que Pauilhac m'assure le
siège.
Cavaroc eut un sourire de mépris :
il allait répondre, mais il fut surpris par
la voix de M'"* Cavaroc.
Celle-ci, venue sans bruit, disait :
— La table est servie...
En même temps elle tendit une dépê-
che à son mari : il y avait quarante-deux
voix à Saint-Î^ever.
Ils retournèrent lentement vers la
maison.
Dîner de province. Les mets étaient
comme les hôtes, solides et rustauds. La
liste en fut interminable. De temps à
autre, de nouvelles dépêches arrivaient.
L'élection s'affirmait. L'âme légère,
M. Brosteni fit sonner ses amitiés minis-
térielles :
— Je lui ai dit : « Mon cher ministre,
ce que vous me demandez là est impos-
sible. » Il m'a répondu : «■ Cependant,
mon ami... »
Il s'étendit ensuite sur des aventures
de couloirs. Le bruit vain des papotages
parlementaires étourdissait les convives.
Cavaroc répliqua par des histoires de
chasse. Il dénombrail les perdreau.x qu'il
avait tués. Le lièvre, hélas! disparais-
sait. Une loi nouvelle sur le braconnage
serait seule capable d'arrêter cette dé-
population d'un nouveau genre. En réa-
lité, l'élection du jour occupait unique-
ment leurs deux pensées.
Assise à l'extrémité de la table. M™* Ca-
varoc demeurait silencieuse. Elle sur-
veillait le service fait par une paysanne,
ou, la tête basse, disparaissait dans son
assiette. A une ou deux reprises, M. Bros-
teni surprit son regard arrêté sur Cava-
roc : il crut y lire une ironie. L'éclair
ensuite s'évanouissait, faisant place à
une expression résignée de bête de
somme.
— Cette ombre aurait-elle une vo-
lonté? songea M. Brosteni; mais il sou-
rit de cette idée comme d'un enfantil-
lage. Depuis qu'il venait dans la maison,
M'"" Cavaroc était semblable. On la disait
malheureuse : la plupart, cependant,
assuraient qu'elle était incapable d'en
soulTrir. Aucun ne l'aurait soupçonnée
méchante.
LE DISPARU
— Où diable vais-je mettre des ro-
mans ? (it encore le député, et se tour-
nant vers elle, il la complimenta sur la
crème.
M""' Cavaroc rouyit. La servante in-
terrompit ses remerciements. Elle ap-
portait enfin un papier bleu résumant
les scrutins. Cavaroc l'ouvrit :
— Vous êtes élu, dit-il.
M. Brosteni soupira : il éprouvait un
plaisir indicible.
— Un paysbien administré, répondit-
il, vote toujours dans l'intérêt de la Ré-
publique. Celle-ci vous sera reconnais-
sante, — je vous 1 assure.
Un silence suivit, comme si Cavaroc
eût voulu donner pi us de solennité à cette
promesse banale.
Cavaroc reprit ensuite d'une voix
tranquille ;
— Je ne vous cacherai pas, mon cher
député, que je compte sur cette recon-
naissance.
M. Brosteni lit un geste équivoc^ue :
réclamer aussitôt le payement des ser-
vices rendus lui semblait de mauvais
goût.
— l'y a six ans déjà que je suis à la
tète de la municipalité, continua Cava-
roc, oui, six ans... Si je ne me trompe,
c'est la troisième bataille que nous
livrons ensemble... .le me sens fatigué.
D'ailleurs, il est temps de renoncer à
des prérogatives dont aucun plaisir ne
compense les ennuis.
M. Brosteni interrompil avec Inquié-
tude :
— SongejMC/.-vous à (piilter le pays?
— Oui et non. ,1e ré\'e une silualion
plus stable...
D'une voix calme tpii ne supposait
aucune contradiction, (Cavaroc exposa
sa requête. Il désii'ait être nommé juge
de paix dans l'arroEidisscmenl . Il |)(iMr-
rail auisi re-lcr ciicin-e ,i l'aiulliac ri
sin'vcillcr ses propriétés.
Ce que vous demanilez esl bien
difficile... commenta M. Brosteni.
Cavaroc l'arrêta net :
— Il n'y a rien de difficile ici-bas.
-- Des litres sont nécessaires...
— J'ai fait jadis mon droit : quant
aux titres politiques, vous savez mieux
que personne ce qu'il en est.
La phrase, dite rudement, sonna comme
une mise en demeure. AL Brosteni baissa
la tête. 11 acquiesçait. Un éclair de triom-
phe illumina les yeux gris de Cavaroc.
— Ce n'est pas tout : je réclame le
déplacement immédiat de Dromol.
M. Brosteni sursauta ;
— Cavaroc, c'est de la folie !
Cavaroc donna un coup de poing sur
la table :
— Je vous répète que j'exige ce dé-
part 1
— Mais enfin quel motif...
— Le motif?...
Subitement, les lèvres de Cavaroc
s'étaient décolorées; une fureur le se-
coua :
— Il y en a mille. N'a-t-il j)as osé
prétendre que j'étais ruiné! .Ah! ah!
ai-je donc l'air d'un gars ruiné? Ave/.-
vous par hasard dîné chez un homme
sans le sou! Pour un peu plus, on
jurerait que je vole la caisse munici-
pale !
AL Brosteni haussa doucement les
épaules :
— Des niaiseries...
Et il chercha du secours au hasard.
— \'ovons, madame, aidez-moi donc
à le persuader.
.Mais il s'arrêta nel. M""' Cavaroc cou-
vrail (le nou\f,iu Sdu mari du même ro-
gaiil ii'<inl(pie ili''|à sui-pris. TimiI eiilière
à uiu' joii' eonlenue, elle n'avait pas
enlendii.
f'inpiirh'' ])ar sa colère, Cavai'oc cnn-
liinia :
Le voleur, c'est lui!... lui qui l'ail
payer ses meubles sur les fonds de la
coninnine, sous prétexte de réparei-
l'écdle. l'',l ces jonrs-ci encore...
l'ai-eilles au\ maillons d'une cliaiiie.
il dél.iilla les péripélics de celle rivalilê
(le villa-e : (•(iinine la pluparl (lc~ haines,
celle-ci reposail moins sur des faits pré-
cis (pie sur des seul imeiils. A mesure
(pie Cavaroc s'exallail, ses joues s'em-
pourpraienl de colère. Parfois, il frap-
I,K DIS l'A HT
pail la table et la lampe semblait tres-
sauter (le frayeur. Attentive, M'"" Ca-
varoc marquait son assentiment.
Soudain la (lomesli<|ue entra :
— M. Droniol ileinaïule à parler ù
M. le maire.
Cavaroc étouira un juron et se rctour-
nanl vers M. lirosteni :
\()us entendez I cria-t-il. Je ne suis
même plus chez moi : il vous savait ici
et il vient... à dix heures du soir...
Son corps se détendit comme un arc;
il se leva cl poursuivit d'une voix ton-
nante ;
— Je vais lui dire que c'est chose faite,
que vous l'avez promis, qu'il partira!...
— Cavaroc, vous vous excitez inuti-
lement, répliqua M. Brosteni, cherchant
à l'arrêter; mais déjà Cavaroc avait
quitté la salle. On l'entendit descendre
dans la cour. M Cavaroc, assise à sa
place, ciinliiuiail de sourii'e.
Dehors, il faisait une nuit sereine. Le
ciel étincelail comme une chasuble de-
vant les cierges du chœur. Cependant
le brusque passage de la lumière à l'ob-
scurité aveugla Cavaroc. Il s'arrêta sur
le seuil de la maison. L'idée que
^L Brosteni ferait droit à ses demandes
enchantait son orgueil. 11 aspira à pleins
poumons la brise fraîche, et songeant
que cet air, pour arriver jusqu'à lui,
avait dû balayer ses champs, que le pays
tout entier était devenu son bien non
disputé, il eut un rire silencieux. Le
monde devait être heureux puisque lui-
même 1 était... Au même instant, un
corps se détacha de l'ombre. Cavaroc
reconnut la silhouette mince de l'insti-
tuteur; il demanda sèchement :
— Est-ce vous, Dromol?
— Moi-même, monsieur le maire.
Leurs voix contrastaient étrangement :
l'une très sonore, gontlée par un reste
de colère; l'autre mince, d'une légèreté
afTectée et sournoise.
— On ne dérange pas les gens à pa-
reille heure, vous devriez le savoir.
— J'espère bien aussi n'être pas venu
inutilement.
M. Uromol lit mine de chercher dans
sa poche et en tira des papiers.
— Je viens, reprit-il, pour êlre payé.
J'ai besoin d'argent : non pas que j'a-
chète comme vous des terres, mais les
temps sont durs el j'ai des échéances.
Cavaroc avait fait un haut-le-corps :
— ■ Ah va! vous êtes fou! je ne vous
dois rien.
— Je vous demande pardon : j'ai là
trois billets à votre nom ; (i,(K)0 francs;
une misère |)our vous...
M. Di'omol s'avança vers la porte :
— Nous ferions mieux d'entrer, mon-
sieur le maire, vous pourriez vérifier.
D'un geste violent, Cavaroc lui saisit
le bras pour l'arrêter:
— Tu mens, balbulia-t-il, ce n'est pas
possible... c'est un chantage...
L'n Ilot de sang avait incendié ses
joues : une envie brusque d'écraser cet
homme rétouHait. .Merle, et sans émo-
tion apparente, M. Dromol se dégagea :
— • Ah ! monsieur le maire, dit-il avec
un rire sardonique, si c'est ainsi que
vous parlez all'aires!...
11 lit ensuite craquer une allumette,
l'approcha de ses papiers :
— Nous disions : trois billets, 1 un de
.'jOO francs que m'a cédé Chaplou, l'autre
de '2, .')(((( francs que m"a cédé Bréchard,
et un dernier de 3,000 francs qui me
vient de l'adjoint. Ils sont payables de-
puis déjà quatre mois.
Il soupira :
— Dame, on a confiance en vous. J'ai
pris votre nom pour de l'argent comp-
tant. Tout le monde jusqu'ici a fait
comme moi. Quand vous achetiez des
terres sans même donner d'acompte, on
se disait : « M. le maire est solide;
mieux vaut loucher des intérêts régu-
liers qu'une somme ronde, c'est plus
commode et aussi sûr. « Ah! par exem-
ple, si l'on venait à apprendre que vous
avez failli m'étrangler tout à l'heure et
pour quelle raison...
M. Dromol jeta par terre l'allumette
enllammée, laissa passer une seconde,
puis conclut :
— Le crédit, vous le savez, est une
LK DISPARU
Ix'te qui vil longtemps; mais elle meurt j porter sa fortune. Un souflle d'air Tétei-
aii premier coup. I f^nit. Il se lit un silence.
l)MUcenient 1 allunic'llc Cdiil iiiiiail de
llaud)er, uiell.inl uni- pehie laelie de lu-
mière sur le saille de la cdur. (',a\aroe,
sans ri'piindre. la regardait, cnninie si
- lié l)ien.' demanda M. I»rnni.>l.
Cavaroc sendila sortir <l un i-é\e ; il
il eiilin d'une \(ii\ saeeadee :
.le ne veu\ na> vous paver .mjoiM--
eetle linnir vacillante <m'iI nu'naeé dem- ' d'Iuii... non pas ipie |e sois ou pei
I.K DISl'Alll-
d'ar^'enl , mais parce qu'il s'agit de
vous. J'aurais l'air de céder à vos me-
naces...
De nouveau, M. Dronidl |)artil d'un
éclat de rire sonore :
— Des menaces! Je voudrais bien
savoir quel est ici le plus menacé? Rien
n'assure au contraire qu'une partie de
cet argent n'acquittera pas les frais d'un
déménagement... dont je vous serai re-
devable.
Les yeux de Cavaroc flambèrent;
peut-être l'instituteur n'avait-il eu qu'un
but : s'épargner la disgrâce attendue.
— Vous vous trompez, Dromol... dit-il
brusquement. Je voulais même vous
l'aire pari d'un projet : nous devrions
être amis...
M. Dromol haussa les épaules :
— La politique n'est pas de mon goût ;
je vous ai déjà dit que nous parlions
aiïaires...
— Soit, reprit Cavaroc, parlons af-
faires : peut-être pourrons-nous encore
nous entendre. Vous connaissez ma
vigne. Elle vaut , je n'exagère pas,
7,000 francs.
Mais Dromol l'interrompit :
— Non, monsieur le maire, pas de
vigne en payement. Je ne suis pas un
propriétaire, moi, je ne sais pas cultiver.
Yous avez promis de l'argent liquide :
c'est de l'argent que je veux.
Cavaroc releva sa haute taille d'un
mouvement farouche :
— Dans ce cas, vous avez ma réponse :
je ne paye pas aujourd'hui.
— Est-ce votre dernier mot ?
— Le dernier.
M. Dromol eut un sourire méchant :
— Je regrette... je regrette... Je serai
forcé demain matin de me procurer cet
argent comme je pourrai. Il y a des
moyens, mais quand on saura...
D'un geste large, il parut évoquer la
légion de créanciers qui allait surgir à
son appel : puis, s'étant incliné brusque-
ment, il partit.
Cavaroc, immobile, regarda s'éloigner
l'ombre mince : une seconde, elle s'ef-
fara dans le noir, reparut ensuite briève-
ment sur le fond blanc de la muraille:
elle s'évanouit enfin. Alors seulement il
secoua ses épaules furieusement, comme
pour les décharger du poids de la cata-
strophe qui arrivait. Il rentra ensuite,
très calme, dans la salle à manger.
— Rien de nouveau? demanda M'"" Ca-
varoc d'une voix éteinte.
— Rien, répondit-il.
Les coudes sur la table, .M. Mrosleni
achevait un cifrare.
Ayant allumé une simple bougie,
M""' Cavaroc éteignit la lampe qui avait
éclairé le repas. Immobile devant la
fenêtre, Cavaroc la suivait du regard.
L'une après l'autre, les boites en vieux
maroquin furent remplies par les cuil-
lers et les fourchettes. Au moment où
l'on tournait la clef, la serrure cédait
avec un bruit sec et l'écrin secoué son-
nait le métal. Ce fut ensuite le tour des
couteaux, du sucrier. Méthodiquement
M"" Cavaroc faisait disparaître ces us-
tensiles somptueux, décoration des
grands jours.
Elle dit enfin :
— J'ai fini.
Puis, se tournant vers son mari, elle
demanda :
— Viens-tu te coucher?
— Non, laisse une lumière...
M""^ Cavaroc reprit :
— Tout à l'heure, en te quittant,
M. Brosteni n'a plus parlé de la justice
de paix. J'ai peur qu'il ne tienne pas sa
promesse. Quant à Dromol, il restera...
On n'aurait pu deviner au ton ambigu
dont la phrase était dite, s'il s'agissait
d'une simple crainte ou d'une certitude.
— Les femmes n'y entendent rien,
mêle-toi de ce qui te regarde.
— Bonsoir...
— Bonsoir...
Elle sortit à pas lents. Il resta seul...
D'abord il épia les bruits possibles,
et le silence que la nuit mettait sur la
maison. Il évitait de penser, ne s' occu-
pant que de puérilités, repoussant une
LE DISPARU
chaise, ramenant un rideau ou portant
la bougie sur le secrétaire qui ornait un
coin de la salle. Il avait conscience d'un
poids énorme pesant sur lui, mais n'es-
sayait pas de se dégay^er : l'heure de
la chute avait sonné , il s'y résignait
sans révolte apparente, presque sans
colère...
D'un geste rude, il ouvrit le secré-
taire, saisit au milieu des papiers un
compte griffonné, puis le rejeta : à quoi
bon lire? Les noms de ses créanciers
étaient. Dieu merci ! dans sa mémoire :
également le montant de ses dettes, —
chiffre formidable pour lui, 70,000 fr.
environ. Quoi qu'il essayât, l'aventure
était sans issue. Comme l'avait annoncé
Uromol, tous, dès le lendemain, allaient
accourir et provoquer la faillite.
— La faillite I
Il eut un geste elVaré et murmura :
— Que d'efforts perdus!.,.
Seul, son orgueil souil'rait à eu crier.
Cet orgueil avait été sa vie même : par
lui et pour lui, il avait agi, lutté, souf-
fert. Dès sa venue au pays, quand, avocat
envieu.x et pauvre, il avait pris posses-
sion de la maison palernelle, il rêvait
déjà de devenir le maître du pays. Tous
ses actes avaient depuis lors tendu vers
ce but : autoritaire et égoïste, il avait
masqué sou visage de bonhomie scr-
viable; couvraul le |i,iysan d'un indi-
cible mépris, il axait jniu' ,iu paxsan,
parlant, vêtu cnmnic lui: sachant cntiii
que la Içri'e seule appcii-ti- du icspi't-t, il
avait, pour coiu|uérir cette terre, ('puisr'
tous les arlilices du crédit...
En rêve, il parcourut ce domaine
qu'une heure auparavant il cioyail en-
core sien. ('Jia([ue nouveau t'hamp, h3'p<)-
lliéqiK' avant même (pie d être, \- avait
servi à L;a;;er les sui\-ants. Ce|)endanl
eonnni' il l'annait ! I,a ])(isses>iiiii du sul
lui iinpiirtail |icu; mais par elle, rien
que par elle, il avait pu graiulir son cré-
dit, devenir (îavaroc — Cavaroc grand
êlccleiir du ])ays — Cavaroc ami du dê-
[)iiti' (-avaroc maire... Une seule l'ois,
tant (le lortiine a\ail failli s'évanouir.
IJrêeliard, dans un aee('s de ni(''liaiiec.
était venu, comme Dromol, réclamer un
payementj)resqueimmédiat. Pour échap-
per à la catastrophe, Cavaroc s'était
marié. Mari-ige de hasard, opération
commerciale de médiocre bénélice, et
souvent regrettée. Mais depuis ! rien qui
eût arrêté son essor : tout à l'heure,
même, l'élection Brosteni consacrait sa
puissance... Soudain, pour une somme
infime, une misère — pouvoir, grandeur,
tout s'écroulait !
Lu long frisson agita Cavaroc. Des
injures lui vinrent aux lèvres. Et son-
geant à Dromol, il s'étonna : quelle pres-
cience éclairait cet homme? Durant leur
longue lutte, il avait toujours frappé
juste. Cette fois encore, sa demande ar-
rivait au lendemain d'échéances lourdes,
quand il n'y avait ni argent ni rentrées
prévues dans la maison.
Cavaroc eut tout à coup l'inluition
d'une police mystérieuse faite autour de
sa personne. Le pays, dont il s'était cru
maître, lui apparaissait hostile. Peut-
être, à cette heure même, des yeux sur-
veillaient-ils sa solitude. Une peur irrai-
sonnée l'eijvahit. Il éteignit brusquement
la lumière, descendit à tâtons et revint
dans la cour.
Quelle nuit claire! On entendait un
murmure à travers les branches et des
chuchotements lointains. Les feuilles
d'un platane dressé près de la porte
brillaient, comme des vers luisants, sous
les rayons de lune. In repos inliiil avait
absorbé l(uites les force> vivantes et les
ber(;ait.
I.ciitcmcnl Cavaroc se dirigea vers le
jardin. La (pieslion (pi'il s'était ell'orcé
jusque-là d'éviter se posait enlin devant
lui. Que faire? Tieudrail-il tête à l'orage?
Kallail-il escompter un impossible salut
on céder à la fatalité?
Il regarda autour de lui : les silbouedes
des fourrés, les pla.pics violctt.- des
champs, la maison ibuit la toiture était
arrondie en l'orme de meule, toutes ces
choses — et elles seulement '. lui te-
naient au eieui-. Ce[ieii(laul eond)ien
maintenant il les sentait moins à lui :
(laiis(pi('l(pie> jours, des iiieoii il us choisis
LK 1)1 S l'A au
au hasard des enclières en prendraient i lit tout de suite sa résolution fut ar-
à leur leur possession. Ne semblait-il pas rêtée; il partirait. Il avait ici joué et
déjà qu'elles l'eussent abandonné ? perdu : .lilletirs. I;i cIkiuci' sei\iil plus
m"
Il selForça d'imaginer sa vie, s'il res-
tait. Quelle revanche! Tous ceux-là qui
s'étaient aplatis devant son pouvoir
viendraient à la curée.
Il se vit haï, vaincu, traqué... Son
orgueil eut un cri :
— Mieux vaut disparaître I...
clémente. Il n'éprouva même au-
cune anxiété à la pensée de l'ave-
nir: il se sentait assez fort pour le domi-
ner, quel qu'il fut.
D'un pas ferme, Cavaroc retourna
vers la maison. Point de bagages à
prendre — ils sont un embarras — mais
de l'argent. Dans la salle, il ouvrit de
nouveau le secrétaire, retira d'un tiroir
un billet de cent francs et de la menue
monnaie — toute l'encaisse. Il eut ensuite
un rire muet :
— Quel étonnement demain!
Et il songea :
— Ce sera ma femme, sans doute, qui
s'en apercevra la première...
Sa femme! Pas une seconde il n'avait
pensé à elle. Une occasion avait été né-
cessaire pour en évoquer le souvenir.
Mais aussi, à dire vrai, avait-elle jamais
compté dans sa vie? Qu'il regrettât
l'existence passée, ses champs, sa de-
LE DISPARU
meure, c'était naturel et logique ; mais
elle! à quoi bon? Elle avait été une façon
de servante probe et inintelligente,
propre aux achats ou à la surveillance
de la basse-cour : rien de plus. L'avait-
elle aimé, qui le sait?...
— Bah! elle sera bien débarrassée...
Il saisit une plume et écrivit sur une
feuille de papier :
« Je disparais. Les affaires allaient
mal. Tu n'es pas obligée de payer, mais
il t'appartient de t'en tirer, comme je le
fais moi-même. »
Et il relut, coûtent du style. l»es
adieux compliqués et seulimenlaux eus-
sent été ridicules? Ce billet ne laissait
rien ignorer, pas même le lourd fardeau
des complications linancières laissées
pour compte. 11 suffisait. Cavaroc le
mit en évidence sur une table, puis len-
tement cette fois, descendit...
Aucun émoi n'agitait son cn-ur; nul
remords; la l'aillite, l'abandon de sa
fenmic n avaient aucune valeur morale
à ses yeux. Dans l'escalier, il huma
l'odeur singulière de blé germé qui y ré-
gnait et la trouva détestable. l<]n arrivant
dans la cour, d cul seulement un court
regret :
— Si j'emmenais Scipion ? songea-t-il.
Mais il réiléchit que le chien serait
une dépense. Il approcha de la niche,
voulant au moins donner une caresse à
la bêle. Scipion, réveillé en sursaut, se
mit à aboyer.
— \'eux-lu te laire! cria (Cavaroc
sin'pris, cl il le frappa d'un coup de
pied.
Au même instant, niic Icncire s cui-
vril; iinpiiétée sans ddulc par le bruit,
M""' Cavaroc demanda il ;
— Qui est là?
— (Test moi, dit Cavaroc. .\e te tour-
mcnle |)as. .le me |)romène...
— Oui, promène-toi, (u as raison...
L'ironie, certainement involontaire,
de la ré|)onse lit tressaillir (lavaroc.
.Après une dernière hésitation, il se
dirigea vers le jardin. Immobile, M'"" Ca-
varoc restait ;'i la l'enélre et surveillait
celle fuite...
11 mena une vie errante et désolée.
Tour à tour répétiteur de baccalauréal,
jardinier, débardeur, puis mendiant, il
connut les incertitudes du lendemain,
les jours sans pain, les nuits sans gite.
Ses cheveux blanchirent, et parfois ses
bras étaient si alourdis qu'il craignait de
ne les pouvoir soulever.
Il eut des colères farouches contre la
société, sans éprouver pourtant des re-
mords au souvenir des gens de Pauilhac
qu'il avait ruinés, et la haine de la vie,
sans jamais désirer le suicide.
Ses joies furent rares et singulières.
U racontait aux gueux, ses pareils, qu'il
avait été jadis riche et redouté. Sa voix
montait alors comme pour un récit d'épo-
pée. U finissait par des injures, criant à
ces misérables qu'il n'était point de leur
race et qu il les méprisait.
D'autres fois, il errail dans la cam-
pagne. Les jiaysans, élonni'S par son
regard inquiet et ci'ait;nanl les incen-
diaires, le chassaienl. Lui, n éprnuvait
que l'ivresse de rcNoii' des arbres, des
champs, tout ce qu il ne posséilerait plus
jamais... Quelle que fût sa misère, il ne
se plaignit pas. Son orgueil, unique sur-
vivant du naufrage, l'avait l'ail sloïque.
(^inci années passèrent.
Tout à coup, ses volontés furent mo-
dilii'cs. Il eul des icgrcis. Le passé qu'il
axail cru jeler dans l'oiilili envahil sa
pensée. Dès ipi il l'erniail li's veux, il
aperce\ail un aulre (Cavaroc, le (!avaicic
de jadis, et des désirs aigus de re\oir
Pauilhac l'agitaient de frissons.
Un soir, comme on l'inlerrogeail, il
répondit brusquemenl.
— J'ai été marié; j avais uni' bonne
fenunc.
I'"t son cu'ur s amollit, .laniais l'iicore
il n'avait parh' d'elle; peut-être même
l'avail-il tout à l'ail oubliée; mais cette
fois des souvenirs l'inondaienl. Comme
il était heureux avec elle! Les repas
claienl réguliers, .\ucune domestique ne
l'aurait soigné ainsi. Il se rappela le
I. !•; DisrAiir
calé qu'elle préparait. Il n'en avait plus
revu, avant la mêinc couleur, le même
arôme... Son éf;oïsme identifiait cette
l'emnie avec les bonheurs perdus. Il la
ref; relia...
Dès lors, une curiosité maladive le
prit de savoir quels événements avaient
suivi son départ. Obstinément il imagi-
nait une scène toujours semblable. Deux
paysans se rcncontraienl devant la mai-
rie.
— Pas de nouvelles de Cavaroc? de-
mandait l'un.
L'aulre répondait :
— Tout de même, c'était un rude
homme !
Ces mots chantaient en Cavaroc. Les
pavsans ajoutaient :
— Mais aussi pourquoi a-l-il disparu?
Il a eu tort...
Et Cavaroc répétait :
— Pourquoi ai-je dis[)aru?
Il en était arrivé à oublier la raison.
Cette chose — une faillite — était si
minime, si insignifiante dans' la marche
du monde, ([uc le temps avait dû en ba-
layer jusqu'il la mémoire. En revanche,
le mot « disparu » l'épouvantait. Il évo-
quait l'image d'une chute dans un trou
de mine. Rapide, une benne remonte à
la surface ; les ouvriers qu'elle emporte
sont tout joyeux de l'air plus frais, de
la lumière qui grandit. Soudain, un bruit
sec de c;\ble qui se déchire, puis une
course vers le vide... on enfonce, on dis-
paraît...
Enfin, une irrésistible force l'entraîna.
Il résolut de retourner — ne fût-ce que
durant une heure — dans le pays qui
i-ésumait ses désirs. Quelle raison déci-
sive le poussait à cette aventure? Tout
y paraissait dangereux ou inutile. Cava-
roc pouvait être reconnu et arrêté. En
cas d'alerte, oùdemanderasile?Safemme
elle-même avait dû vendre la maison
et quitter le pays...
Il fut saisi à l'idée de sa femme errante
comme lui, puis revint à l'obsession,
n'y résista plus. Toute prudence était
oubliée. Il partit.
On était en mai. Parée de rameaux
neufs, la nature avait des sourires de
jeune vierge. Aux coins des mares, des
iris tournaient leur face jaune du coté
du vovageur et le regardaient passer.
Pour plus de sécurité, Cavaroc marcha
la nuit; le jour, il dormait dans les
fossés. Marche et sommeil enchantés. II
croyait aller vers un édcn. A mesure
qu'il approchait, les arbres parlaient au-
dessus de sa tête une langue nouvelle et
familière. Reconnaissant un chemin qu'il
avait parcouru jadis, il éprouva une
telle allégresse c(u'il pensa défaillir. Et
lorsqu'il atteignit enfin la route qui relie
PauilhacàSaint-Sever, ce fut une ivresse.
.Angoisses, misères, fatigues, tout s'éva-
nouit; seul le passé l'inonda de fraîcheur
sereine. Ce malin-là, le soleil se levait
radieux comme pour un triomphe. Cava-
roc se jeta dans un bois pour attendre
la nuit.
— Ce soir, songeail-il. je rentrerai
chez moi...
Il s'étendit, trouvant douces les feuilles
mortes, ferma les yeux. Il se promettait
une félicité, dormit d'un sommeil pro-
fond...
Au réveil, leboisavaildisparu, l'obscu-
rité confondait le ciel avec les branches,
le sol lui-même s'effaçait mystérieuse-
ment. Cavaroc se leva.
— Où suis-je? se demanda-t-il..
Ensuite un mouvement de joie presque
enfantine le souleva ; il courut vers la
route.
Par un singulier phénomène, il n'é-
prouvait aucune crainte. Le pays lui
semblait encore sien. Point de bruit
d ailleurs, pour le troubler. Seuls des
feux isolés et lointains animaient l'ho-
rizon.
Tout à coup, des lignes blanches se
dessinèrent : le parapet d'un pont, un
clocher en forme de triangle et percé de
trous dans lesquels descloches pendaient,
pareilles à des grelots, puis des meules,
des murailles grises. Le village apparais-
sait.
I.IO DISl'AIîU
175
Cavaroc se hâta : il allait droit à la
mairie. Cette mairie avait été sa vraie
demeure, résumait ses affections, six
années de pouvoir, sa ^-randeur éva-
Une envie désordonnée de s'enl'uir
l'avait saisi. 11 écouta cependant, immo-
bile, cloué au sol.
Les voix étaient confuses, nombreuses.
Le silence d'a-
lentour les gran-
dissait, ^lainlc-
nnuie. Celait elle ([u'il
voulait revf)ir la première,
comme si un peu du bon-
heur fl'antan s'était accro
ché à ses murailles; vers
elle qu'il se dirigeait, tel-
lement enivié qu'il n'était
plus sur vraiment de ne point
trouver !<■ nom île Cavaroc in-
scrit en Iclli-es d'cii'sur son fronton.
Il iMiIra (lan>ia rue, d'une allure
délibéri'e. Mais a peine engagé
ci"lle-(i, sa joic tomba. Les maisons,
étrangement rapprochées, semblaient K
vouloir étonifci'. ('.<'nl mèlies à p
séparaient de la place ; la rue, poinManl,
s'alloiigeail, dexenait indélinie. Le si-
lence même ('lait soni'nois. (iavaroc
(Mil |iciir cl ralciilil son pas.
Il désirait mainlenanl des passants,
une vie a[)pai'eulo, (|i[el(pie chose dill'é-
ranl de l'innnobililé menaçante qui l'en-
lourait. Des voix soudain s'élevèrent :
elles venaient du cabaret de J5récharil.
Cavaroc s'arrêta.
nant Cavaroc élail certain qu'il n'ose-
rait plus aller jusqu'à la place. Com-
menl passer devant les fenélres du ca-
baret? Son cieur se serra de dés<^spoir.
Il avait désiré si peu de chose, en somme!
approcher de la Miairic, moins (pic
i.K insi'Ani;
cela, pouvoir la regarder à distance!...
Ce rien lui élail refusé. Une idée
l'agi la :
<( Qui est maire? .le ne saurai même
pas ([ui est maire! »
D'un coup d'u'il égaré il inspecta les
murailles : point d'affiches blanches,
rien qui put lui livrer lo secret de la vie
nouvelle animant la commune. Et tout
à cou[) un homme apparut au coin de la
place. C'était un paysan sortant de chez
Hréchard. II aper(,"ut Cavaroc.
— Ile! là-bas, cria-t-il, qu'est-ce que
tu fais? Attends-moi donc!
Alors ce fui une panique. Cavaroc
prit son élan, s'enfuil comme un vo-
leur; sur la route seulement il retrouva
l'espace, l'horizon, les arbres protec-
teurs et, s'élant arrêté, respira comme
s'il avait échappé à un elFroyable dan-
ger.
De nouveau le silence planait. Des
nuages duvetés et lumineux cachaient
la lune; on aurait dit des écrans de pa-
])icr lin. (-avaroc murmura :
— Je suis absurde... Qui songe à moi
puisque j'ai disparu?...
Il passa la main sur son front pour
en écarter la sueur et dit aussitôt :
— Allons plutôt chez moi en passant
par les champs... ce sera plus facile.
Il aurait suivi le chemin les yeux
fermés : il suffisait de tourner à droite,
de longer des luzernes en remontant la
colline. On atteignait ensuite le jardin.
Un plaisir nouveau et singulier avait
succédé à la frayeur de Cavaroc. Ici, du
moins, les choses demeurées pareilles
semblaient le reconnaître.
A la traversée du fossé il y avait au-
trefois deux pierres facilitant le passage.
L'une d'elles était restée en place, mais
l'autre, entraînée par une pluie d'orage,
avait roulé plus bas. Cavaroc la chercha,
puis l'ayant retrouvée, sourit de bon-
heur.
En marchant, il se rappelait certains
arbres ; un vieux saule étêté dont le
trognon noueux semblait une face de
diable ; un noyer, dont la fourche par-
tait au ras du sol; il était surpris de re-
trouver dans sa mémoire des formes si
précises. Il songeait ensuite :
" Peut-être n'y sont-ils plus! ..
.Mais, en cherchant, il les découvrait
tout de suite, et son plaisir grandis-
sait.
Dans un champ la moisson levait,
maigrioteet clairsemée. Il dit :
— (.^a ne m'étonne pas : je n'ai jamais
eu rien de bon ici.
liln [)énétraiit dans le jardin, il éprouva
enfin un bien-être délicieux. Jamais, au-
trefois, il n'avait accordé son attention
aux parfums s'exhalanl des géraniums
ou des rosiers. Mais, celle fois, les
odeurs l'enveloppaient; il s'en grisa.
Celle d'un tilleul dominail toutes les
autres, d'une finesse à la fois légère
et savoureuse. Des pétales blancs tom-
baient aussi comme dc-s goulles, lente-
ment, sous un buisson d'acacias.
Cavaroc murmura, extasié :
— I{ien n'est changé, rien...
Seuls les habitants de la maison ne
devaient plus être les mêmes, et il re-
garda celle-ci. Une lumière brillait au
rez-de-chaussée, derrière la fenêtre de
la cuisine. Cavaroc s'absorba dans la
contemplation de cette tache claire,
symbolisant les maîtres nouveaux du
domaine. Plus il la regardait, plus
celle-ci devenait lumineuse : peu à peu
elle devenait comme un phare, semblait
l'appeler, dire :
" \'iens, tu es chez loi. Il suffit d'en-
trer : plus de nuits sans lit, plus de repas
de hasard, le passé va ressusciter! »
Fasciné, Cavaroc approcha, colla son
visage contre la vitre; puis, blême,
craignant de ne vivre qu'un rêve, il
courut à la porte. La lumière n'avait
pas menti : dans la cuisine, M"* Cava-
roc tricotait, au coin de l'âtrc.
Il entra presque paisible, faisant son-
ner son pas, et dit :
— C'est moi...
Au premier bruit. M'"' Cavaroc avait
dressé la tête. Une tragique épouvante
éclaira son visage.
Cavaroc répéta :
Lli DISPARU
— C'est moi; je reviens...
Les lèvres de M""' Cavaroc s"aj;i-
tèrent ; mais elle restait muette, frappée
de stupeur.
— Kh bien 1 Xe me reconnais-tu
pas ?
11 souriait méchamment. Leurs re-
j^-^ards se rencontrèrent : regards d'une
seconde, mais qui suffirent pour mesu-
rer les changements survenus dans leurs
êtres.
l*"lle, presque pareille, ni plus laide
ni moins, portant encore la même robe;
seules, les boucles raides de ses cheveux
avaient grisonné. Lui, déguenillé, vieilli,
le dos courbé, la face flétrie.
Les yeux de M""* Cavaroc trahirent
une hésitation; une flamme ensuite les
éclaira ; elle répondit d'une voix sourde ;
— Que viens-tu faire ici?
— Ce que je viens faire?... Je rentre
chez moi... Voilà.
Chose étrange, la veille encore il
songeait à celte femme avec attendris-
sement; il lui avait suffi de se retrouver
près d'elle pour que d'instinct il revint
aux intonations rudes. Il avança d'un
pas ;
— Tu ne m embrasses pas?
lirusquement. M""' Cavaroc recula.
— Tu es fou !
lOlle ajouta d'un ton résolu qu'il ne lui
connaissait pas ;
— Tu vas partir.
— Partir 1
Cavaroc eut un geste stupéfait.
— Quelle plaisanterie ! J'arrive all'amé,
fourbu, la bourse vide ; je te croyais
comme moi, errant au hasard; j'arrive;
la maison est en ordre, on y trouve la
lumière, le pain, tout ce qui, depuis cinq
ans, m'a fait di'-fauf, et lu voudrais...
Il se lui ; ses yeux venaient de ren-
contrer encore les yeux de .M""' Cavaroc;
pour la j)rcmière fois, ceux-ci décou-
vraient leur secret et disaient tant de
haine qu un frisson le secoua.
Très calme. M""' Cavaroc répliqua ;
Tu le trompes; tu u es plus ici
elle/ loi. La maison m'apparlienl, je l'ai
rachelée, j'en suis la maiircsse, le pos-
VI, — l'J.
sesseur unique. Aucune volonté au
monde ne fera que lu puisses y rester si
je ne veux pas de toi, et je n'en veux
pas...
A mesure qu'elle parlait, sa voix de-
venait encore plus sourde et plus dé-
cidée ; elle articula enfin pi-esque bas :
— Recommencer! jamais! jamais!...
Cavaroc répéta :
— Recommencer?...
II hésitait, ne se rendant jikis un
compte exact des mots qu'il venait d'en-
tendre, puis éclata d'un rire sonore ;
— Ma parole? où as-tu l'esprit? As-tu
déjà oublié que je suis ton mari? Ima-
gines-tu que je ne sache plus le code?
Le mari doit être où se trouve sa femme.
Quant aux économies que tu m'annonces,
mes compliments! J'avoue que je ne
m'y attendais pas. J'aurais même dû te
confier plus tôt le soin de mes affaires;
je me serais évité un voyage que je ne
tiens pas à poursuivre.
Délibérément, il prit une chaise, posa
son chapeau sur la table; il semblait
prendre possession de son nouveau bien-
être et conclut :
— Quant à déloger, non! n'y compte
pas!...
D'un geste brusque, M Cavaroc prit
le chapeau et le jeta sur le sol.
— Tu vas partir cependant, dit-elle
les lèvres serrées, partir tout de suite,
ou sinon...
Cavaroc se leva, étouH'anl un juron.
— .\h çà ! quelle comédie joues-tu?
Il est temps d'en finir...
— - Il n'y a pas de comédie. Tu par-
tiras!
— VA c'est toi...
— Oui, c'est moi : je le chasse !...
Le mol cingla Cavaroc comme un
coup de fouet; il poussa un cri de rage.
— Pasde bruit, dit froidement .\I""t>a-
varoc, ou j'a[)pelle.
I"]lle eul ensuite un sourire de triom-
phe. Montrant la porte d'une chambre
voisine :
— Le maître valet courbe là ; à tout
hasard j'ai pris mes pn^cautidus...
|-",l un silence sui\il. (!a\aroc passa
LI-: DISl'Alil'
la main sur ses yeux comme pour en
écarler une vision. Mcvail-ii? I*-lail-ce
l)ien sa femme (|ui parlait de le chasser ?
Si loin ([u'il remuntàt dans ses souve-
nirs, il lavait toujours connue muette,
exécuteur passif de ses moindres désirs.
Soudain, tclue, menaçante, elle se
dressait entre le bonheur et lui! Un Ilot
de san;^ lui monta au\ joues. II reprit :
— Il se passe quelque chose que je
ne comprends pas, ou plutôt c'est toi
qui ne comprends pas! Rci,'arde, c'est
moi, moi ton mari ! voilà cinq ans que je
roule comme un chcmineau. Je vais,
j'erre, j"ai froid! — la nuit dernière, j'ai
dû encore coucher dans un taillis. Kt
j'ai vieilli ! Point de bras pour travail-
ler; vois mes vêtements! des loques...
et puis...
Il balbutiait, partafré entre le désir de
l'allendrir et une colère le serrant à la
jiorge. M""' Cavaroc écoutait impassible.
— Va puis, tandis que tu te chaufTes,
que lu jouis de la maison, que lu manges
à ton aise, tu prétends que je retourne
à celle misère, que je...
Il s'interrompit. L'idée lui était venue
tout à coup que celle femme, peut-être,
avait aidé à i)rovoquer son malheur.
— Misérable! Tu auras beau faire,
j'ai le droit de rester, je veux rester !...
D'un bond, M""' Cavaroc recula jus-
qu'à la porte.
• — Jamais !
Ses lèvres blêmirent. La haine que
tout à l'heure Cavaroc avait lue dans
ses veux Iransligurait son visage. Elle
reprit :
— Tu n'as pas compris, dis -lu.
Ecoute : pendant onzeans,j'ai été moins
que ta domestique, moins que ton chien,
ta femme... Pendant onze ans, j'ai subi
ton égo'i'sme, tes colères, Ion contact.
Pas un acte de loi qui ne m'ait blessée,
pas un mot qui n'ait envenimé la bles-
sure. Avais-je seulement le droit d'agir,
de désirer? Bonne pour laisser prendre
mon argent, pour soigner la basse-cour,
mais pour être la femme, allons donc!
Et lorsque lu es parti, qi;and tu as volé
la caisse de la maison, l"es-tu même
soucié de cequc jedeviendrais .'IJu'élais-
je auprès d'un (Cavaroc !
A mesure qu'elle repassait le martyre
de sa vie de ménage, elle oubliait toute
prudence.
— Imbécile! qui n'a rien vu; qui,
parce que je me taisais, me croyait ré-
signée ! Les bavards comme toi font du
bruit, sonnent des grelots. Mais moi,
avec quelle patience ai-je guetté l'heure,
suscité les occasions, préparé celte fuite
par la(|uelle tu [)ensais me surprendre !
Enfin lu disparais; ma vie recommence,
tout rentre dans l'ordre, devient uni,
confortable, calme. Soudain, te voici, et
na'if, tu t'imagines qu'après ai'oir recon-
quis mon bonheur, je vais te le laisser
détruire, qu'après l'avoir chassé une
première fois, j'hésiterais à recommen-
cer!
— .\insi, interrompit Cavaroc, c'était
toi!...
Il était pris de vertige, éprouvait le
besoin de s'assurer encore de la chose
abominable que celte femme osait dire.
M""' Cavaroc ouvrit les bras: elle aurait
maintenant voulu crier sa vengeance
devant une foule. La détailler ainsi la
rendait encore plus complète. Elle eut
un rire égaré :
— Oui, c'est moi, tu l'as dit! moi
seule! j'ai tout fait! Tu croyais à une
police te surveillant. Ah ! ah! la police,
c'était moi! Les billets de Dromol, c'est
moi, toujours moi qui les avais ra-
chetés !...
Elle s'arrêla. Pareil à un halluciné,
Cavaroc approchait d'elle, disant d'une
voix étranglée :
— Tu vas payer... payer...
Elle le regarda venir, effarée, certaine
qu'il la tuerait, résolue malgré tout à
ne point céder.
Il avait serré les poings, avançait pe-
samment comme un homme alourdi par
l'ivresse. Elle sentit son haleine effleurer
ses joues, voila son visage, et, brusque-
ment reprise par l'envie folle de vivre,
poussa un cri terrible :
— A moi ! au secours !
Un bruit de lutte, des mots inarticulés.
LE DISPARU
une chaise renversée el qui se brise sur | Elle regarda autour d'elle, éprouvant
le sol; ensuite un calme eirrayant, deux | un soulagement immense, puis souril :
i7iiiiu(r> (|ul p;irui-(Mil démesurées...
.M ( !,i\',iripr r.iu\i'il les \fux.
IJucii ! lieu n'('l,iil arrivé? (Jel événe-
mriil lra;;i(pie ddul elle avait senti l'ap-
|)r(icli(' Irrrilianic, s'était donc éjoigui' .'
l'ih' vivait:
(la\aror mainlenanl élail .ii-cuK' dans
un aii,:;le <le la pièce ; devant lui
M. hrnniol, les bras croise-, l'aisail
Donne lia ri
M. Ilrouiol partit d'un éclat de
ndciit :
I.K 1)1 S l'A HT
— Ah! monsieur Cavaroc, c'est donc
chez vous une iiabitude que de vouloir
6Lran{jler les gens!
Le sourire de M""' Cavaroc s'éclaira
d'ironie.
— J'avais ouJjlié de le prévenir, lil-
ellc. M. Dromol a alTermé la terre et
c'était lui qui couchait là. Il n'est plus
à l'école, mais on l'a nommé maire. Tu
es remplacé...
Le corps de Cavaroc cul une délcnle
brutale. l)'un geste rapide, ^L Uromol
arrêta cet élan.
— Allons, cria-t-il, du calme! vous
n'êtes plus de force.
Il prit ensuite les mains de Cavaroc
dans les siennes ; son étreinte, souple
d'abord, était devenue de fer. En vain
Cavaroc tentait d'y échapper.
— Inutile, n'est-ce pas, de recourir à
de nouveaux arguments pour vous in-
viter à partir? \'enez, c'est moi qui vous
reconduis.
Il l'entraîna vers la porte.
Alors, au milieu de la pièce, Cavaroc
apparut en pleine lumière. On n'aurait
pu savoir s'il était un être vivant ou un
cadavre en marche. Un mince filet de
sang, partant du coin de la tempe, avait
glissé sur une pommette, accentuait de
son trait d'écarlale la rage d'impuissance
dont ses traits étaient convulsés.
A cette vue M""' Cavaroc eut un fris-
son de joie :
— Oui, dehors! dehors tout de suite!
Jamais peut-être elle n'avait entrevu
dans ses rêves un plaisir de vengeance
si aigu. Elle saisit la lumière, suivit les
deu.x hommes comme pour les éclairer.
Toute peur était évanouie en elle. La
lutte cependant recommençait sur le
seuil, lutte silencieuse, exaspérée; on
entendit enfin le bruit d'un elfort brus-
que, il sembla qu'un des deux corps
était jeté dans le vide; la porte se ferma
violemment, les verrous grincèrent,
Cavaroc était dehors.
Il resta une seconde immobile et re-
garda la maison. Celle-ci élait rede-
venuc paisible. Comme à son arrivée,
la lumière avait réapparu derrière la fe-
nêtre de la cuisine. Mellant sur l'ombre
de la muraille une tache claire, elle sem-
blait de nouveau sourire, l'appeler. Fas-
ciné, Cavaroc approcha...
Soudain il rencontra une pierre et
trébucha. La conscience des faits lui
revint; il n'aurait pu crier les fureurs
dont son cœur éclatait, mais tremblait
de tout son corps. Lentement il ra-
massa la pierre, la soupesa, puis, ajus-
tant avec soin, la lança: un cri aigu
traversa l'air.
Cavaroc eut un rire de fou.
— Je t'ai touchée! cria-t-il d'une voix
éclatante, et, bondissant, il disparut dans
l'ombre...
On le retrouva mort, le lendemain,
dans un fossé de la roule menant à
Saint-Sever. M. Dromol le fit inscrire
au registre des décès avec la mention :
V3f/<i/;o7i(/ inconnu.
E. EsT.\lMÉ.
UNE
SOIRÉE CHEZ LX AMATEUR D'AEFICIIES
,1 M'iusieur flcuc Lohrun, nnlaire,
;i Fonlenatj-aii.v-Iioses.
Mon cher ami,
Réglons d'abord le passé. Quand vous
êtes venu visiter l'Exposition d'Affiches
à laquelle vous avez si généreusement
collaboré, puis(|ue
vous m'avez laissé
puiser dans vos car-
tons pour complé-
ter la monographie
que j'entreprenais
de présenter au pu-
blic, vous m'avez
suggéré de conser-
ver le souvenir de
cet elFort par la pho-
tographie. Le con-
seil m'a paru excel-
lent, et je ne ferai qu'acquitter une
dette en vous envoyant les épreuves que
j'ai pu obtenir. Elles sont presque toutes
IM-. 1. — Lv Tli.
ce fabricant avait vraiment un pres-
sentiment de ce qu'on demanderait
plus lard à l'industrie; sa hardiesse l'a
ruiné, nous raconte-t-on, mais c'est bien
lui cependant l'ancêtre de nos impri-
meurs modernes Chaix, \'erne;ui, (Cham-
penois, Camis et autres, et il est utile
d'en fixer le souvenir, ne fût-ce que pour
nous apprendre à
savoir être modes-
tes. Vous retrouve-
rez sans doute avec
plaisH' un des pan-
neaux consacrés à
Chéret où j'avais
réuni comme en un
éblouissemeul les
doiilisses (le l'Opc-
r;i. I;i Terre, les
'J' ri lis .\/ous</iiel;ti-
res, etc., toutes les
belles pages faisant la gloire de nos
collections.
Passons maintenant au présent et
1.1;.
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Fil.'. 2. — Le Théâtre. I.i fiice, vue île hi >Mlle
l'ilJ. 3. - I.e TlhVitl-e. I.n f'.v
bien venues, mais je vous reconnnande 1 parlons un peu de voire absence à notre
surtout celle du |)aimeau cpai conte- soirée de ces jours derniers. \'ous
uait les ;i /pelles de llouehon. île ISi5 | m'avez causé là un fort désonchante-
// \>>'ri . p.ir le jinieé(l('' ilii pnpier jietnl : \ meiil: j'a\ais espéré que, laissaul de
I,a leUri! ci dessus, iuli-css
(loiinons il nos lecteurs iiveo
Irnilc d'une l'a(;on imprévue.
A
.le 11.. s ,iiiii<, n'.'hi
isali.,11 de r.mleur.
( pas ,
le suj
lesliil,-.-
■1 I1..US
1 la ,.i,l.l,e
ivanl p.u-i
l.-; M..MS la
nomeau cl
UNK SOUtÉK CIIKZ UN AMAÏKI'll I) A l' l'IC II IJS
Cûlé les graves
occupai ions
professio n-
nclles, vous
pourriez être
des nôtres, cl
je me faisais
une fêle de
vous avoir
comme juge
de noire ti-
mide essai.
Aujourd'hui
que la perfor-
mance a eu
lieu, les rej,'i"cts que me causait votre
absence ont doublé et vous pouvez joindre,
ajuste raison, les vôtres aux miens, car
vous avez perdu une bonne soirée. \'os
cliers dossiers ne vous consoleront ja-
mais de nous avoir fait faux bond ce
jour-U^i, surtout quand vous saurez tout
ce qui a été fait en l'honneur de notre
amie coninuiiu". 1' .( .Affiche moderne ».
Lf Théâtre. Vue de profil.
fkv Ctrou
t 'RciC9S
L'hiver der-
nier, nous
avions réuni
no.s amis et,
tanl bien que
mal, nous les
avions dis-
traits avec
une Yvette
Gnilbert que
nous avait si
drôlement mi-
mée, avec son
accent étran-
ger, ce grand
jour sans fin de Suédois qui élail de
passage ici; — de jeunes cochons
mes fils), vêtus de satin rose, avaient
été présentés en liberté par leur oncle,
un clown superbe d'allure et de convic-
tion, habillé de satin blanc décoré de
merveilleux tournesols, etc. Celte année,
nous voulions l.nisser à nos hôtes un sou-
\^ _ ■ ' iifitre réunion, et nous
Fi?. 8.
u]K sur M N (flg:. 1).
F. X P 0 S I T I O N D A F F I C H E S A R T I à T IV ïï E S. — AFFICHE l
UNE SOIRKK CHEZ UN AMATEUK I)' A l' FI C II ES
nous clions mis en quèle d'une idée. Je
.pensais depuis longtemps qu'il pourrait
être intéressant de chercher à inter-
préter l'affiche par des tahleaux vivants,
et j'avais le pressentiment qu'il pouvait
y avoir quelque chose à faire dans ce
voyais,
e pas la
Ce touchant accord devait nous per-
mettre d'exécuter notre prof;ramme com-
plet, cela huit jours plus lard, mais au
prix de quels ell'orts et de quelle per-
plexité, grands Dieux ! mes cheveux
blanchissent cpiand j'y pense.
, r, I i; Il [) r m a ;
sens. L'idée était donc là. Je
je la tenais et j'étais décidi' à
lâcher.
)'".lle fut siMUnisr au cciiitrole de uia
femme et de ma helle-sccur, mes com-
plices habituelles ])Ourla mise en scène,
et je dois dire qu'il y eut apjjrobation
sur toute la ligne.
Il fut décidé que nous inslallericius le
théâtre au bout de la bibliolhrtpu'. Ou
pi-eudrait sur la longueur "i"',,')!» de pro-
fdudciM-; ]l niiiis resterait encori' une
salle de (i"',jO nu nous poin-rioiis asseoii'
environ quarante dames : le sexe laid se
tiendrait debout et eucondirerail la porte
du salon (lui, lieiireiiseinent , est dans
UNI': soiuKK (;iii:z in amatimmi daki^mciiics
le prolonj^cmciit. Non-
avions une poutre Iran-
versale qui nous permcl
lail d'appuyer les mon
lanls (le droite c[ <li
gauche de la scène, 'l'uni
allait bien ainsi : il n v
avait plus qu'à l'aire vil^
et simple. Suivez-moi < i
vous allez voir comment
nous avons enlevé cela
en un tour de main.
Deux planches perpen-
diculaires de '2'2 en A el H
à 1 '" , 80 d'écarlemenl
{i\g. 1). Deux autres
planches C et D, à droite
et à gauche de la pièce,
sur la même ligne, pour
former plus tard nos cou-
lisses. La profondeur de
la scène ne sera que de
1"',50, sans quoi nous
risquons que nos invités
ne voient que partie du
tableau. Deux planche>
assemblées à angles droite
sont posées en E et en 1
à 2°', 20 d'écarlemenl.
Nous relions par des tra-
verses A à E, B à F, à
une hauteur laissant en-
core un passage suflisant
pour que l'acteur entre en scène, nous
relions de même E à F, mais nous conso-
lidons cette ligne par deux ou trois tra-
verses parallèles. Montons un peu notre
scène: G"", 45 suffiront fig. 2); vite un
terre-plein qui nous relève d'autant et
une bonne traverse H reliant les pieds des
montants A et B; la hauteur de l'ouver-
ture de la scène est fixée l'",80; clouons
donc une traverse G, c'est sur elle ou
sur la travei-se parallèle G G que nous
établirons la paire de rideaux sombres
qui s'ouvriront par un tirage, lequel
sera facilement commandé de la cou-
lisse.
Il ne reste plus qu'à décorer notre
façade. Arrivés à ce point, il nous a
fallu sacrifier nos tendances à une orne-
Fig. S.
OTHL' ET DORH. — AFFICHE STEINLEN
L'ori pillai.
mentation artistique, car nous avons
compris que toute tentative de couleur
ou de dessin nuirait à l'illusion d'op-
tique que nous avions comme but. La
simple toile vert foncé, avec laquelle
les tapissiers enveloppent leurs outils et
qu'ils se bouclent si élégamment comme
tablier, fait bien notre affaire. Deux lés
tombant à droite, deux lés tombant à
gauche, un bandeau sur les traverses G
et G G, un autre sur la traverse H ; voilà
pour la face. Deux lés pour le fond,
deux lés de chaque côté de la scène, le
tout non assemblé, mais croisé et for-
mant ainsi une boîte noire : voilà notre
théâtre garni de portants qui ne ris-
queront pas d'égarer l'œil.
L'éclairage maintenant 'fig. 3 el 5),
u.Ni: soiiîKK cin;z u.\ amatelh d afiichks
MOTHU ET DOItlA. — AFFICHE DE STEINLEN
oh 1 combien simple. Derrière la Irn-
vcrse (], une denii-[)lancho l'ormant
tabletle, sur laquelle huit (l('mi-houy:ies
sont fixées chacune entre (rois clous, et
dont les lumières sont renvoyées vers le
fond de lu scène pai- une feuille de zinc
légèrement recourbée. I^errière chacun
de nos montants A et IJ, sur des encoi-
gnures, deux lamjies basses à pétrole
avec un réflecteur forme d'une feuille de
zinc pliée à angles droits, l'un des cotés
prolongé recourbé en fumivore; notre
rampe du bas est coinnie celle du haut,
mais posée sur le sol avec un réilecleur
(|ui mas(pic la llanime aux S[)ectaleurs
cl relève la lumière vers le centre du
loiid : cnlin, pour garantir nos acteurs
contre le l'eu, un joli grillage à lapins
de 0"',6(> de large qui
enferme notre ligne de
bougies dans un tunnel
protecteur.
Me suis-je bien expli-
qué, mon cher ami ? et
avez-vous vu combien tout
cela est dépourvu de com-
plication. Oui, n'est-ce
pas ? et vous vous propo-
sez, le cas échéant, de
donner de bons conseils à
vos amis qui voudraient
se faire, sans grands frais,
un petit théâtre répondant
à toutes les exigences scé-
niques pour tableaux \i-
vants.
En même temps que
cette construction élémen-
taire s'élevait, nous pous-
sions les autres chapitres.
Le choix des affiches à re-
présenter nous a fortement
divisés. Que de choses à
considérer quand il faut
arriver à concilier les
goûts et les couleurs. Nos
acteurs avaient naturelle-
ment leurs préférences,
nos actrices en avaient de
très arrêtées, le collection-
neur avait également les
siennes, et non moins vives; la scène
nous interdisait certains sujets, nous en
conseillait d'autres. Enfin, après une
bonne soirée de discussions très mou-
vementées, que votre expérience peut
aisément reconstituer, nous nous sommes
arrêtés à se])t d'entre elles pour lesfiuelles
nous trouvions des exécutants de bonne
volonté et qui nous paraissaient consti-
tuer un programme d'un ensemble sulli-
samment varié.
Nous nous mimes à peindre K> tonds:
cjuand Je dis nous, je me donne des
gants, car vous le savez, bien (|u'ania-
leur forcené de tout ce cpn es! art, je
n'ai jamais tenu un pinceau, (.esl ma
bcllc-sieur qui, elle, lait ses délices de
lacpiiiier la eouleui', cpii brossa b'S fonds
UNK soiiii':u cm:/, cn amatkiii dai ricirns
sur les ilimtiisions que je lui donnai;
CCS mesures remettaient les arrière-
plans (les aniches aux proportions né-
cessaires pour que les personnes qui de-
vaient se placer en avant donnassent le
même elTel que sur l'original. Les toiles
avaient de r",HO à 2 mètres de haut et
de 1"',-J(> à l'",80 de large; tout ce qui
dépassait ces mesures ù droite ou à
gauche, en haut ou en bas, fui peint
d'un noir pur. Les toiles liinanl, les
plus ordinaires, qu'on peut peindre des
deux côtés pour réaliser une petite éco-
nomie sul'lirenl à cet clFet.
Une fois ce travail de 28 mètres
carrés terminé et séché grâce à un abus
judicieux de siccatif, chaque pièce fut
lixée sur une tringle L. L. L. L. qui
dépassa des deux côtés d'environ 0"',20,
et nous fîmes nos essais sur la scène
|)our la mana'u\ re de ces décors au
montage rudimenlaire. La tringle de
suspension s'appuyait à droite et à
gauche sur les barres de liaison A. E.
et B. F. (lig. 4) contre les points E. F.
Un petit ponceau établi derrière la
scène au fond de la pièce à 1"',50 du sol
permit à notre machiniste, en se cour-
bant, de faire les changements par le
haut sans difliculté, comme aussi de
manœuvrer le ciel qui était composé
d'une toile verte clouée à deux tringles,
l'une fixe en I et l'autre mobile en J, et
qu'on pouvait ainsi avancer ou reculer
suivant le besoin.
Tout allait bien et nous poussions les
préparatifs. Nos acteurs marchaient à
souhait. Les costumes avançaient et un
air de confiance commençait à régner.
Cependant un fond d'hésitation existait
encore, et ce n'est pas sans appréhension
que les convocations furent envoyées
pour la répétition générale. Celle-ci fut
excellente; un point seulement sembla
demander une légère modification. La
lumière trop brutale avait d'abord dû
être diminuée de quatre bougies, et
malgré cela le fond ne se liait pas à la
figure : nos personnages ne paraissaient
pas faire corps avec l'affiche; ils avaient
l'air d'être des gens quelconques immo-
bilisés,on ne savait pourtiuoi, devant un
mur idiolemenl multicolore. Cf)mment
jeter sur tout cela un glacis enveloiJ-
pant ? par (|uel artifice de luniiiTi' rju
autre se tirer de là ?
Fûl-ce un éclair de génie ou simple-
ment une vague réminiscence? toujours
est-il que l'idée d'interposer entre le spec-
tateur cl le tableau une gaze bleuâtre
surgit à mon esprit, et (|ue ce Iruc
aussitôt essayé fit merveille. Le tableau
s'assouplit, se fondit, s'harmonisa, et
tout fut sauvé; nous pouvions risquer les
plus éblouissantes affiches sans craindre
un cU'et trop cru : et, tranquillisés, nous
attendîmes le grand jour.
Ah ! mon cher, quel battement de
cœur, qu'allaient dire nos amis? Nous
leur avions déjà, avec trop de désinvol-
ture, imposé une Exposition d'Affiches.
Leur esthétique habituelle avait été effa-
rouchée par cette débauche de couleurs
toute pleine d'harmonies non encore
codifiées. Beaucoup avaient résisté à la
séduction de seize cents des plus belles
affiches produites dans ces vingt der-
nières années. (Ju'allaient-ils penser de
notre aplomb de les déranger pour leur
montrer sept d'entre elles, interprétées
tant bien que mal?
L'heure fatale arriva en même temps
que les invités, et il fallut s'exécuter.
Vous voyez d'ici ce parterre d'amis, dont
la plupart vous sont connus, garnissant
les banquettes, et vous vous rendez
compte do son état d'âme fait d'indul-
gente condescendance et de scepticisme
spirituel.
Le piano prélude par un morceau
d'une harmonie subtile et enveloppante,
du Grieq dans lequel le Icitinotiv, à
peine indiqué, est répété avec persévé-
rance jusqu'à amener l'énervement; puis
il chavire dans le Fausl, de Gounod,
pour entamer le Laisse-moi coitlempler
ton l'isnqe: le rideau se tire et dé-
couvre (lig. 6 et G bis] cette affiche ma-
cabre et cynique tout à la fois, qui ser-
vit à annoncer l'Exposition d'Affiches,
en novembre dernier. Le voilà bien,
comme l'ajoute l'instrument en sour-
UNii soiiii':i; ciiKZ r\ amatkcu d'aff iciiiis ivt
,UnoJcp.-i,rrcnu;rn,rnl,sc;u-J-luuuhlc \ cIl. peuple I Le rideau se ferme sur le
hcn,^ ihiiH- /u'i/re, victime de raHiche i vieil air comique : « Ah quel ne/,! (his',
à iet continu, le prolétaire abruti par le I tout le monde en est étonné. ., De fait,
métier; c'est son seau rou^-e, son ! les bouches sont muettes, on chuchote.
fUNCH AL iiEoF MADERE
I! h A X 1) Y . —
A F K If II E IIK MAURICE 11 fc A L I B II - n U M A .-
r/iiiterpri-tntinn.
échelle verle el sa brosse de même cou- | on se croil devaiil une afliche que par
leur; il ne se rase ([irniie lois par se- | un savant procédé d"oplir[ue on a ina-
luaiiie, ne peigne sa rouf<e crinière 1 j^nilié et on craint la mystilication. I iii-
(|u'iiiie l'ois [lar mois, ne la coupe que ' quiétude est manifeste,
semestriellement et jamais son (cil, à la i Mais voici trois nouveaux coups :
paupière bridée, ne s'ouvre à l'azur du ; « Ah 1 verse cnctn-e I >< .( ,;iliillici- <iv^-
cicl. l'-l, [)ourlant, c'est par ses mains },'èrc le [)iano. ■• l.e vin, le \in, Iresor
cpie passent tous les chefs-d'icuvro qui, | d'\y\n'. "i Ralicrl le l>i;i l'If ,c(Mitiiiue-t-il,
(le nos jours, orneiil à prorusi.in le salon ' et c'est ce délicat morceau de lU'Mlier-
L'NK soiHKi-; cm;/, un amateuu dakimciiks
Dumas pour lo (!/i;iiii/t;ii/iic .Iule
qui nous a|)pariiîl lig. 7 et
Qu'elle esl char-
manie dans sa sim-
ple tunique violelle
sur ce fond blou
pâle, celte jeune
blonde qui, les yeux
mi-clos, d'un ■,'este
bien équilibre^, boil
lentement une cou[)e
du jus divin. Hreu
vage exquis, blon(
poison chéri des
femmes, mélange de
fraîcheur et de feu,
irénérateur de sensa-
( M II III m
7 l,is .
vin français élég;i
t'a jamais mieux
ni et in
incarné
imilah
aux y
le! Qui
eux des
LA LIBRAIRIE lî 0 M A N T IIJ C E
iFFICHE DE E. GKASSET
lions
toute;
inanalysa
; nos joie
blés, compagnon mêlé à
à tous nos succès, cher
hommes que cette svelle
fille d'Eve, comme toi,
pleine de mystère et de
grâce ?
L'auditoire reste perplexe,
mais mollit visiblement, cé-
dant à la séduction prévue
par les rédacteurs du pro-
gramme. On se dit qu'il y a
quelque chose là. Oh femme !
voilà de les coups, murmure
un acteur philosophe qui
croit distinguer un mouve-
ment sympathique par devant la rampe.
Mais nous retombons dans la réalité :
UNE SOIliKI- GIIKZ IW AMATETI! D'A F FI G II KS
la musique nous
en avertit, car elle
attaque les ritour-
nelles des Civili-
sons de hi Hue. de
Bruant, el nous eui-
mène à Montpar-
nasse ou à Mén
montant. C'est
Steinlen qui, dans
sa belle estampe Je
Molhii et Donn
(fig. 8et8/jw),ale
mieux fixé l'esprit à
la fois désabusé et
poseur de notre lin
Fiff. I 1 /,/.<. - I.KS CIXCKI; I - ,
A I riiri K iJi; Il KNiii M K r N 1 i:
l.intrr,„-..l,ti,m.
(le sièele. A la lueur des pâles rêver
bères, le jiMiiie V(.nuu, i^ibier dr
eorrcclionnelle ou héros, siiixaul
occasion qui passe, allume d'un
f,'esle méthodi(|ue son bout de ci-
.i^arolle, ramassé à la terrasse du
café du coin, au suave « Béi^alia ->
le lui tend sans liésilalion, mais
Il nu air de nir'pris suprême, ce
beau ;'.7,s7.7. A-l-il payé son élciur-
dissanl mackinlosli et sa paire de
i^anls lsif^n\, sa cravat<> et son
iinpecealile devant de chemise oii
irillcnt deux perles j^'-rosses comme
des pois? Le préfet de pd
pourrait le dire; m.ais imus. qui
11 avons plus conliaiice el qui sa-
vons que 11' lailieui- ne l'.nl pas
riiomme. nmis i s cleiiiandons si
ce maigre reliut xu-ial qui l'accosle. de-
UNI-: SOlliKK ClIliZ LN AMATKL'K I) A K l"l C II |;S
main, par le jeu naturel des lorccs vi-
cieuses qui l'ermonlenl dans la jurande
ville, ne deviendra pas ce jeune dieu, cl
si ce dernier, déchu, ne sera pas obligé
de se contenter du [Kinliilon r;j|)(-. de l.i
cravate rouge et de la
casquette écrasée de
son crapuleux sollici-
teur.
Notre public sent
bien celte afiiclie et
son haut enseignement,
il commence à s'ccliauf-
fer; nous sommes sau-
vés maintenant, si nous
marchons bon train et
soutenons bien le mou-
vement. D'abord repo-
sons-le de son émotion
un peu triste par un
spectacle plus gai, plus
riant : c'est notre ami
Réaiier-Dumas qui va
s'en charger encore.
Madères Blandi/, dit le
programme. Sur un
haut plateau (tig. y et
y bis], une Madéroise
à la peau brune, coill'ée
d'un bonnet de drap
noir à la corne mena-
çant le ciel — une sin-
gulière coilTure pour un
climat où la tempéra-
ture atteint pendant six
mois 35 degrés à l'om-
bre — nous apparaît.
Sa robe rayée rouge,
vert et blanc, son cor-
sage et sa pèlerine d'un
rouge-feu se détachent
en vigueur sur la mer
bleu l'once qui baigne
les cotes de l'île volcanique. Le soleil a
doré la beauté implacablement calme de
la nature et de la femme, en même
temps qu'il a mûri les plantureuses
grappes qui débordent du panier. Ce
n'est plus le Champagne discret et pâle
du Nord, c'est le Madère brûlant, le feu
liquide, la douceur dans la force, le vin
ambré des tropiques. Sa chanson sera
endiablée et c'est le tambourin et les
castagnettes qui en scanderont les gais
refrains, lorsque, à l'ombre des véran-
da-. ur,\vr lirllr 1 iirli -c' lie quittera pour
i1£RAU DES QSASEfcf BAW!
RAGE J.\CQrOÏ.
— AFFICHE DE LTCIEX
L'oTÎgiual.
son galant sa souple attitude de statue
de bronze jaune.
Vous savez, mon cher, le prestige de
tout cef qui dans nos froids climats
évoque les pays du soleil; et vous jugez
de l'enthousiasme qui accueillit cette
affiche. Mais vous, vous êtes de ceux
qui résistent à ces entraînements de
UNK SOIREK CIIi:Z UX AMATKUU D'AFFICHES
neurasthéniques; un peu de classicisme
ferait mieux votre airaire. On y a pensé :
voici venir •• Mimi Pinson ><; du moins,
c'est ce que nous dit l'orchestre et en
cela il a Inrl; ne serait-ce pas plutôt ht
i'iu'. li /.i.ï,
L i; eiiiArii; .lACynciT. — ai'ficiik de r, rcnoN i, ekèvue
LiiitiTjiivtatic.M.
Feiiinic ilr Irciile ;ui.s (1(> 15al/.ac, cette , rouler. C'est I.
hruiic an l'iiriie prniil de la Librairie (îouiiod, nous
r(iiii:iiilii/iif ilif;. Kl cl 1(1 his) (|ui, au
dei'jiirr (■iiii>,sanl de la lune, s'ahsnrhe , ,','/", ''
...... ... Dclii'iil SI
dans le- iii-lolios. Que j aime à la re- | j,. ^„i,; j.
troiivci- celte ancienne cliarmcrcsse qui l I.e cliar i
a inspiré vin^^t ans de bonne et suhstau- l W-iuis su
ticlle lilli'ratiire, et (Mii nous a valu les . . . .
chefs-d'œuvre du livre et de l'estampe.
Celte robe de soie noire, ce col brodé,
ce ridsan de velours hardiment déchi-
queté sur le ciel, et cette coilTure dé-
couvrant la nuque que les femmes d'au-
jourd'hui cachent sous
de si vilains collets : c'est
toute l'époque romanti-
que synthétisée par un
artiste de talent sous la
direction de ce iMonnier,
l'éditeur disparu trop lot
de la librairie parisienne,
cl à qui nous devons,
nous autres amateurs,
tant de beaux livres ca-
chés dans les coins de
nos bibliothèques. Kles-
\ous content mainte-
nant? Je crois bien que
vous auriez applaudi à
cette reproduction du
chef-d'd'uvre de Grasset,
comme nu simple pro-
\'incial tpie vous êtes.
\ ous aimiez bien aussi
celle afiiche de l'artiste
belge Henri Meunier,
pour les Concerts )'.saye
tîg. 11 et 11 his]. « Sans
doute, disiez-vous, elle
n'est pas exemjite de ré-
miniscences : mais elle a
de la noblesse, du si vie
et de la couleur. •> N'ous
aviez raison et l'expé-
rience l'aile //( /icrsnn.i
m'a convaincu.
l'.coule/ dans les cou-
lisses ce beau chant dont
les larj^es périodes vous
font pressentir la poésie
du spectacle qui va se de-
amai'tinefpii, par la vnix de
ditsur un rythme prnl'i.uil :
l'Ii.iri/.nii :
UNK SOIUKK CIIKZ UN AMATlHlt 1) A IFI C. Il KS
I,c rideau Icnlcmenl entrouvert nous
laisse voir sur la scène une femme en
tunique jaune, debout sur un rocher
dominant la mer à peine frôlée jiar la
brise et rellélanl les calmes rayons de
l'astre du soir; de sa double llûte, elle
interprète l'harmonie de la nalure par
rharmonie de la musique. Que dis-je?
c'est la musique elle-même naissant de
l'harmonie de runi\crs et omettant ses
premiers chants, (]uo la voix nous tra-
duit ainsi :
Doux rcflcl d'un globe de flamme,
Cliarmant rayon que me vcux-tu ?
\'iens-tu dans mon sein abattu
Porter la lumière à mon àme.
Viens-tu dévoiler l'avenir
Au cœur fatigué qui t'implore?
Kayon divin es-tu l'aurore
Du jour qui ne doit pas finir'?
Quand sur cette dernière note le
rideau se rejoignit, nous n'avons pas été
étonnes de n'entendre qu'un murmure;
la parole ou les applaudissements eus-
sent donné une fausse note après ce
parfait accord des trois plus sublimes
formes que la pensée peut revêtir : la
poésie, la peinture et la musique; mais
nous avons senti que l'auditoire était à
l'unisson de notre émotion.
Pour nous remettre de cette capiteuse
évocation, voici vivement des airs de
cirque, éternelles ritournelles qu'un
siècle de tradition a laissées toujours
les mêmes. C'est le Cirage Jacquot de
Lucien Lefèvre (fig. 1:2 et 12 bis) qui
nous sert de prétexte. Vous connaissez
cette entrée de clowns spirituellement
exécutée par cet artiste dont l'ceuvre a
de si élégantes pages. Est-il pas gentil,
ce Pierrot na'if sur le point de partir
avec Arlequin et qui, avant la mise en
route, fait compléter sa figure par le
terrible farceur'.' L'immortel dupé est
transformé en nègre grâce au cirage dont
Arlequin dissimule la boîte derrière son
dos; il est seul dans le vaste cirque à
ne pas comprendre qu'il est berné,
cependant qu'un rire homérique éclate
dans les galeries supérieures, rire qui
dans son esprit nargue la maladresse de
son bourreau. Qu'Arlequin lin de siècle
est chatoyant dans son vêtement jaune,
rouge et vert; que tout cela est gai et
quel joyeux poème de verve et de cou-
leur! Le maître Chéret eîil pu le signer
des deux mains, et cette tête de clown
narquois qui se tord au fond ne pourrait
être désavouée par lui.
Enfin, le rideau tombe et nos ap-
préhensions disparaissent, quand nous
entendons les applaudissements joyeux
soulevés par l'apothéose : Arlequin
mange les raisins de Madère, le colleur
d'affiches brosse les vêtements de Mothu,
Doria demande du feu au Champagne
Jules Mumm, Pierrot fait des déclara-
tions d'amour à la Librairie romantique
qui parait tout émue, etc.
Telle a été, mon cher ami, cette
soirée à laquelle vous auriez dû venir
contre vents et marée, si vous aviez pu
vous détacher des sombres grimoires.
\'ous savez désormais comment on peut
interpréter l'affiche, et vous voyez que
les bons morceaux ne sont pas aussi
conventionnels qu'on le croirait, puis-
qu'ils supportent si bien l'épreuve de la
mise au point par la réalité. Comme
vous l'aviez souhaité pour l'Exposition,
j'en ai conservé le souvenir par la pho-
tographie et je puis ainsi, votre imagi-
nation aidant, vous faire presque sentir
ce que ça a été, heureux de vous offrir
cette consolation, bien que vous ne la
méritiez guère.
Quand vous verrai-je pour mettre à
jour nos échanges et causer des derniers
chefs-d'œuvre qui ont surgi de toutes
parts? Sans doute en mai avec les hiron-
delles et les feuilles vertes des marron-
niers. Laissez-moi du moins l'espérer,
affreux paperassier chez lequel l'amour
de l'acte sur timbre finira, si vous n'y
prenez garde, par étouffer les goijts
artistiques. Je ne vous en aime pas
moins et, tout en vous plaignant amè-
rement,
\'ous serre cordialement la main.
Alkx.xmire Henriot.
Hfims, le 10 janvier 18117.
f;R I N'DEL W AL 11, .-, U K Ij 14 s K 1 S M E K It
L'ALPINISME
Et Vt)US, montagnes, pourquoi y a-t-il en
tant (le beauté !...
Kii tk'|)i( ilfs eiiliMiiiciiUMits ilii cy-
clisme, |iniii' (|ui ^^()lll chères :i\aiil liiiit
les roules |)lMiies el l'nciles, iloiices iiii
c[ue, (111 iiii ressenti cl mis en aclioii,
ccimme dans ce su'cie, la passion indixi-
(liielle ou collective îles ascensions de
jeu des pédales comme des chemins de monta;;nes. ( ]h,ii|iie aniii'c, aussitôt (|iie
velours, elle n'est pas morte au cn'iir le |ierniet le icnonvean, des inillieis iK-
des vrais amants de la nature, la |)assion touristes s'élancent de la |)laine \ers les
|)arlies les plus célèhres des Aljiesel des
l'yrénées. Pour nue foule d'entre eux,
lescalade des points ahrnpls est une
véritable volupté.
.lailis les peuples ailoi.iienl les luoii-
taf;ues. ()n ne sacritie plus sur ces
I. liants lieux ■, (Ui ii \ hn'ile plus des
holociiisles. Mais ceux ipii on! une t'ois
f^oi'iti' I al inosphére de \ le ipi on y res-
pire les aiiucnl d'un amour profond.
l'A n'en sont-ils |)as assez réciunpensés'.'
Les monts n-suineiit, dan-, nu (''troit
espaci-, tonti-s les nchcss.'s de la terre.
Ou \ peut einhrasser d'un seul coup
des moiita},nies ! Quand revient la
l'avorahle. luen des fervents du sport
iioineaii sont li's premiers a di'daisser
nioiiientaiM'iueiil leur uiontiire d'acier
|iour se mettre à ;;ra\ir les sentiers
rudes, ipii mènent I homme au-dessus
des miaules, |)onr aller en haut, 1res
haut chercher cet ensemble de sensations
éuer;,'i(pies cl pures, où se |)erd jusipran
souvenir des vulgarités de la \ le.
Sans doute, la fascination ipi'exi'rce
sur notre iiilelli:;ence la \ lie des som-
mets l'sl an^^i piiniiti\ e que le seiitiinenl
même de la nature. Mais. ; Ile /•po-
VI. — 1,1.
191 I. Al riMSMi-;
d'u'il les cultures, les l'orèls, les pHiirics, I Ion ! Kii haut esl l'impressirm la pfus
les rocs ardus, les cluiles lorrenlueuses ' coMiplète de force el de liberté. A ses
opposant à la (ière sérénité des cimes i pieds est l'abîme. .Au-dessus est l'ava-
leUr fracas, leur mouvement, leur écume, î lanche. I,a poitrine se }fonfle. L'esprit,
cl les places, les neiges, où, chaque soir, ! lui aussi, s'exhau.sse. I-a pensée ne stafjne
la lueur nunn-antedu soleil promène ses j plus dans les bas-fonds de noire com-
plus merveilleuses culoralinns... I mune existence sociale. Il send)lc alors
L'action seule de nuMiki- ol iiu acte 1 que l'àme veuille se nicllre a IuiiI^mim
GLACIER DE TRIENT ;TALAIS)
qui plaît à 1 énergie humaine. Descen-
dre, au contraire, a dit une femme
illustre, c est obéir aux lois qui alour-
dissent les choses, c'est courir, poussé,
entraîné, livré aux hasards des cailloux,
c'est être inquiet de la moindre pierre
qui roule, c'est s'abandonner aux exi-
gences pesantes des corps. Lorsqu'on
monte, on se mène, on s'enlève, on se
porte, Il on se gouverne, on se veut ».
Et cela plaît à l'homme, quand le mus-
cle joue bien, quand on se sent du cou-
rage au cœur et du nerf au jarret. Qu'il
aille, qu'il gravisse courageusement,
qu'il parvienne jusqu au dernier éche-
des grands objets qui l'entourent. Hélas!
si beau qu'en soit le spectacle, l'homme
n'est pas fait pour posséder longtemps
l'objet de sa jouissance. Les heures du
retour sont comptées. L'instant vient
trop vite où il faut s'arracher aux con-
templations sublimes et reprendre la
route accidentée, qui rejettera le voya-
geur aux habitudes et aux soucis de la
terre. A peine a-t-on regagné le chemin
de la plaine, c'est une subite réaction,
un sentiment de regret et de mélancolie
à laisser derrière soi ces hauteurs où les
organes transmettent si vivement à l'in-
tellect les pures émotions des sens. Et
I.AI.l'IMSME
puis, les heures du jour (iiil cluinf^'é.
Tantôt, c'était l'aurore, c'était le soleil
matinal dorant de ses premiers feux les
roches aiguës ou les croupes gazonnées.
Maintenant, ce sont les ombres blafardes
descendant des cimes comme de gigan-
tesques coups de pinceau et faisant
succéder presque sans transition aux
sereine, industrieuse, harmonisée par le
travail, alternant avec grâce les ondula-
tions des coteaux, les champs, les prai-
ries, les blés, les frais bouquets d'arbres
et les riantes maisons blanches. Nul
écrivain avant ,lean-Jacf|ues Rousseau
ne leur avait poétiquement r('V('li' les
beautés majeslueuses des ;;raiicls hics.
ULACIKI! DUS mus
s|ili'nilcMrs a\'lv('Ts du coiu'haiil ces
Iciiilc^ froides et li\ idi'S, oii l'àine s'ahi-
niei'ail de Irislessc, si la |icns('i' des
biens el des bcaulc's du Iciidrniaiii ne
venait point la xisilcr coinnir un puis-
sant réconfort .
l>es l'"ran(,'ais, en géni'Tal, l'Iaicnl de-
meurés justpi'au Wlll'' siècle a^^iv l.irdlis
à comprendre l'invincible alliaciion qui
enh-aiiic laiil de loiiri^les ani^lais vers
les ccirniclii'v des rochers on les couloirs
des avalanches. Leur idc'.d ne planait
pas sur ces plateaux vdrnrirux ipj all'ec-
linrnienl les aigles; il s('-garail de pivIV-
icnrc dans li's conloui'- dune n.iliiiT
des forêts libres, des perspectives
allières. Kniin s'est déchiri' le rideau
(pu leur voilai! les vastes horizons. Ils
n'uni plu-- \oulu laisser à l'étranger le
monopole des excursions éniouvanles.
Désormais, nous axons nos (-{UH'eurs île
montagnes, dont l'ardeur el l'endurance
ne le cèdent en rien à l'enlraineineiil
ries gravisseurs anglais ou germain'-.
C'est aux .\uglais que n'vienl llion-
neur d'avoir doniM' rini|iiilMiiii .1 loiil le
mouvement d'expl.iiMlion d.'^ sommets,
coin|)lètemeMl eiilie d.-oiniais dans les
lois et le- haluludi- Am prdrstrianisme.
Col parla foiidalh.n du pieinicr M/iinc
I. A l.rIMSM K
Cliili <|iie les .\ii^;lais oui t:iit surt,'ir, i\
leur exemple, un f^iMinl iKiiiihre tie
sociétés du même };eiiie d.iiis les'dill'é-
rcntcs coiilrécs de riùironc.
R E F U C; E SUR LE S O X X E X B 1. I I ' K , l' Il K S
(Dessin original commnniquè pir le Cenfral-Ausscht
Les Allemands, sans égaler en fougue
et en témérité leurs rivaux de la race
anglo-saxonne, ont toujours eu le sens
bien prononcé de la poésie des monta-
gnes. Us ascendent aussi très volontiers,
sinon pour le plaisir physique de l'esca-
lade, du moins pour apprendre et voir,
pour étudier, pour surprendre au point
de leur formation les mystères de la
nature. On sait combien sont nom-
breuses les sociétés de gymnastique,
(•liai-g(''cs de l'édu-
calioii de leurs
niuscli's ; on
n'ignore pas
(|uel les précieuses
c o M l r i b u t i o n s
leurs géologues,
leurs naturalistes,
les Teodebald ou
les V'ogt, ont
ajoutées ù la
science des Alpes,
(^esl cnlin le
club allemand-
aulrichicn qui
comprend, avec
ses cent cinquante
sections, la plus
forte armée de
volontaires. Ils
sont au nombre
de vingt mille,
pour témoigner
de la force expan-
^ive de leur asso-
' iation.
\'enus après les
Vnglais, les Alle-
mands, les Suis-
ses, les Italiens,
nos alpinistes ont
lait du chemin,
depuis le "2 avril
1874, date de la
fondation du Club
français. Quatre
années seulement
avaient suivi que
déjà près de deux
mille cinq cents
recrues s'étaient ralliées sous saj ban-
nière. Le chiffre bientôt doubla. U a dé-
passé six mille à présent, sans compter
l'appoint des troupes de montagnes ou
bataillons alpins, qui s'adjoignent, à titre
de membres honoraires, aux [latrio-
tiques sections du sud-est.
) E S A L /, li I i r 1! (
f lies Alpefuereins )
I/AIPINISMK
Do prime abord, 1 objet el le pro-
gramme complet de cette importante
association avaient été nettement mar-
qués. On devait procurer aux excur-
sionnistes, par la voie des journaux et
par un annuaire spécial, la publicité et
les moyens d'émulation que les sociétés
étrangères ne ménagent point à leurs
nationaux. On se donnerait à tâche
les marques de son initiative féconde,
au moyen dune forte organisation rece-
vant de Paris l'impulsion centrale et se
ramifiant, au dehors, en plus de cin-
quante sections, indépendantes el unies,
pareilles aux canaux d'un lleuve puissant,
qui en partagent le cours sans le rompre
ni l'affaiblir. Il a provoqué et rendu
possililes des excursions mémorables.
MlUillKN. — VVK DU .M O N C H ET 1) K I, ' K [ (! R 11 ( () R E I! ], A N D )
d'exercer, à l'instar des .Anglais, un mi-
nutieux contrôle sur les guides, les
refuges de montagnes, pour |)révenir les
accidents et [)rotéger les persoinies.
Avec les ressources croissantes de l'en-
trepri.sc, on ferait (cuvrc d niililc publi-
que en facilitant aux tmiiislcs ! accès
des plus belles cimes [)ar des créations
de routes, d'abris el d'hôtels, l'aitin,
nul elfort ne serait épargné alin d'aider
aux recherches scientiliipjcs cl de vul-
gariser la connaissance de nos belles
montagnes françaises.
Le (]lub alpin a rempli , au delà
même de ce ([u'elles anudiicaicnl , les
promesses de la première liiiirc. Il a
disliibué sin- les points les plus variés
fourni aux populations des montagnes
le conc<iurs le plus effectif, grâce à des
subventions locales sagement réparties;
frayé des chemins, établi de nombreux
refuges, des chalets-hotels, des observa-
toires, des tables d'orientation sur les
sommets; coo])éré très activement au dé-
velo[)|)eineiit |)hysique et à 1 instruction
de la jeunesse par I licurcusc conduile
des caravanes scolaires; gi-oupé, dans
des expositions particulières, coiniiu'
celle qu'avait imaginée, en IS'.tJ. la m'C-
lion de l'Isère, tout ce (|ui inlciesse
ral[)inisnie, et réuni, |)(>ur smi propre
avantage, d'admirables éh'inenis délu-
(les. I,a bibliollièciue (lu (ilub j<nirnelle-
niciil s'i'iirirhil d'ouvraiies écrits dans
I. Al.lMNISMi:
])i'cs(|iic Inulus k's l;m;j:iies cl i<e r;ip|)oi-
liiiil à la •;raji(lf j-ciciiif de la iiadire.
Eiifm, il s'oiiorj;iifillit à bon droit du
ses belles colleelioiis carlographiques et
de tant de vues saisies à la plume, au
crayon ou par rohjectif, les unes sépa-
rées, les autres rassemblées en albums, et
qui sont d'une aide fort précieuse pour
les conférences de ses orateurs. Qui ne
ne connaît, en ellel, ces altravanles
conférences? (Combien d'entre nous,
auditeurs impressionnés, mais tran-
quilles, la pensée ouverte à tous les
périls, à toutes les menaces des éléments
conjurés, mais n'ayant aucune peine à
les vaincre, ne se sont-ils pas vus tour
à tour allant au mont Blanc sur les pas
de M. Durier ou de M. \'allot, au Ca-
nada a\ec MM. Darnault et Gailly deTou-
rines, franchissant l'Oural avec M. Ra-
bot, plonjîeant avec M. Martel dans les
{fOulTres des Cévennes, ou, sans quitter
le fauteuil confortable, s'élançant en
imag^ination par-dessus les abîmes à la
conquête tles plus tiers sommets !
Le Club alpin, par ses ascensions
seules comme i)ar les travaux qui en
résultent, ne cesse d'accroître, chaque
année, la somme des connaissances
humaines dans le champ de Torographie.
En dehors des ascensions isolées et
d'objet purement individuel, l'alpinisme
français a rassemblé sur une foule de
points des résultats pleins d'importance
pour le progrès scientitîque. On sait la
valeurdes observations spectroscopiques
de M. Janssen au plus haut étage du
mont Blanc, le mérite des rapports du
prince Roland sur les variations pério-
diques des glaciers des Alpes, et le prix
de tant de documents spéciaux ajoutés
à la physique du globe.
Il nous serait bien difficile de résumer
ici, dans un espace forcément restreint,
toutes les excursions d'importance ac-
complies, depuis 1874, par les vaillants
du Club alpin, ou seulement de relater
quelques-uns des épisodes pathétiques
de ces continuelles batailles livrées à
des géants de pierre et de glace. A
peine si nous pourrions signaler, au
hasard de nu-, souvenirs, sans juvoccu-
|)atii)n très grande de l'exactitude des
dates ni de l'ordre géographique, quel-
ques-unes de ces belles aventures ayant
un caractère spécial de hardiesse. Je
rappellerais, ])ar exemple, M. Hoileau
de Casieinau surmontant pour la pre-
mière fois, le 10 août 1877, l'orgueil de
la Meije, la terrible, l'inexpugnable
iMeije, à la fois l'attrait et la terreur des
alpinistes, et (|u'oii ne saurait comparer,
pour ses dangers multi])les, à aucune
autre cime, ni au Rolh-horn, ni à la
Dent-Blanche, ni même au Bielsch-
horn ; M. Sirven escaladant à nouveau,
en 188G, ses murailles à pic et maints
autres encore iCoolidge, miss Brevoorl,
M""' Richardson et Paillon, MM. Duha-
mel et Regaudj assaillant tour à tour les
trois sommets principaux de ce sévère
massif: le pic occidental, puis l'étrange,
le sans pareil pic central, grandio-sement
soulevé au-dessus de la vallée des Etan-
çons, comme s'il allait lécraser, et le pic
oriental aux larges vues panoramiques;
— MM. Beaumont et \\'agnon, de la sec-
tion de Paris, gravissant la dernière
pointe vierge de la Dent du Midi et lui
donnant, par un juste hommage, le nom
de pointe Durier; — M. Maître, en 1887,
renouvelant les exploits de l'ascension
du Cervin, qui fut longtemps, comme
la superbe pyramide de l'Eiger, réputé
inaccessible, tant ses parois, des diffé-
rents points d'où on l'examine, parais-
sent abruptes et escarpées ; attaquant
le colosse par le côté italien où il faut
s'attendre à rencontrer deux des chemi-
nées les plus hautes et les plus complè-
tement verticales qui existent dans les
Alpes entières, et réalisant, en combi-
nant son ascension avec la descente par
le versant de Zermatt, l'une des courses
les plus grandioses qu'on puisse rêver;
— et, si nous avions à parler des étran-
gers, la presque légendaire miss Richard-
son franchissant en col des pics tels que
l'aiguille du Chardonnet, la Jungfrau et
le Lyskamm, et assaillant avec le même
succès l'Aiguille noire de Peuteret, cet
obélisque à juste raison faut redouté. Je
I, AL IMMSMK
voiulniis encore, avec AJM. (Jh;imbreleiil
cl Puiseux, suivre en dclnil le parcours
de leurs belles expédilions valaisanues
et oberlandaises. ,1 en dirais d'autres, des
Français surtoul. all'ninlaul les aspects
les roches mal équilibrées, jiar-dessus les
crevasses noires et les séracs fjif^antes-
ques, jusqu'au cujnien du Grand-Bec de
Fralof,''nan, mi d abnrder de face la for-
midable cliaiiie lie la \auoise se dressant
1) i: s c K N T !■: IM
11. ll'ArVlVK (MASSII- 1)1- l'K.I. VII r X )
farouches el sauvages de l'Oisuns, l'im- haute et droite de la terre juscpi'au ciel,
niensité de ses chaos rocheux et l'imi- I)e|)uis (|uel(pies années, les asccii-
pleur de ses formes, qui conlraslenl sionnisles ont parliculièrcmeul l'echer-
d'une maiilrir s.ii^is^.mlr a\ci- l'audace clié les .Mpcs dauphinoises, qui l.ii>sen(
de ses mille aij;iiille- siiuri'illru>es ; ou '. à l'âme l'impression d'un irn'-si^tible
révélant .aux visiteurs de la Tareiilai^e allr.nl, et surloiil 1rs inq>ii>anls massifs
(|uelsspeclaclesfécriqueslesallrudiaieiil de la ii'';;ion laiiiir, la partie pittoresque
s'ils a\aieiil le coui-a^'c d'aller a tr.ixers ! par excellence de la Sa\oie, le \-éri-
I. Al.l'IMSMi;
lal)lc' ()l)c'rl,iii(l IVanfai». Il y :i moins
<run sicc'le, on ne snv.iil rien nu peu
«le i-liosL' (li's n|)[)ositions infinies de
celte :i(lniiiiil)le réf^ion, dont les monts
escarpés portent à leurs lianes tant de
vi},'nobles, de carrières, de mines opu-
lentes ou de forteresses ruinées. Une
inconcevable obscurité lloltait autour
calmes et reposants forment un déli-
cieux coin de terre pour la villéf;iature
estivale, justprau cirtpie de monla};nes
cpii enveloppe Pralo^'nan, on ne saurait
concevoir un j)lus majestueux décor. Ce
sont en première ligne les f;laciers su-
perbes de la Vanoise et la blanche
silhouette de la (îrande-Casse se dres-
GLACIER D ALETSCH.
des délicieux vallonnements de Brides
et voilait au reste de la terre les cimes
éblouissantes, qui en ferment l'horizon.
Les temps ont bien changé. Quel excur-
sionniste, aujourd'hui, ne se laisserait
tenter par la classique et facile ascension
du Petit-Saint-Bernard ? Quel alpiniste
digne de ce nom voudrait oublier désor-
mais les cols si beaux de la \'anoise et
de Chavière, ou le superbe dôme de
Chasseforêt, d'où l'œil peut embrasser
les plaines de l'Italie et les Apennins, la
boursouflure gigantesque du mont Blanc,
le lointain des Alpes suisses, les massifs
du Dauphiné et, au nord, à l'est, au
sud, de toutes parts, une infinité de val-
lées et de montagnes secondaires? De la
riante vallée de Brides, dont les paysages
I. i: M \ T T K l; H M 1;
sant entre les Aiguilles de la Glière;
plus loin, les glaciers de la Grande-
Motte, tandis que, dans le prolongement
du panorama vu de haut, s élève au
nord, à une extrémité de la Thiaupe,
l'Aiguille du Midi et, derrière elle, le
mont Pourri, dominé à son tour par le
mont Blanc et le mont Rose.
Le meilleur de leur culte se partage
entre les beautés pyrénéennes et les
alpestres. Que ces dernières soient l'objet
essentiel de la faveur des alpinistes, la
chose s'indique d'elle-même. Encore
leurs prédilections sont-elles loin de s'y
limiter. Tout ce qui se rattache à la
montagne est de leur ressort, que ce soit
l'Etna ou le Pic du Midi, F.Atlas ou la
Junsl'rau, le Faulhorn ou IHinialava.
LAI.PIMSMK
Ils vont et rayonnent en mille direc-
tions, |)artout où reste une cime à
vaincre, un obélisque à surmonter, une
pointe inconnue encore à conquérir, et
— ce qui vaut davantage — une obser-
vation scientifique à recueillir dans les
hautes altitudes. Tel d'enlre eux fran-
chira rAll,iiili(nir poiu- 'a\oi[- la noiidn
aérien très redoutable, voilà le désir de
tous, et presque l'unique objet de leur
émulation ardente. Il me semble les voir
pendant les longues soirées d'hiver, ces
l'ervcnts clubistes de France, de Suisse,
d'Allemagne, d'Angleterre, cherchant,
parmi l'immense enchevêtrement des
llrches de granil et des créles (h'cluque-
T. 1! Il A TU Al'. — VITK 1' H I S K III
exacte du Niagara ou des moiilagncs
Hoclieuses. D'autres se laisseront sé-
diiiic [lar le charme projjre du Nordland,
interrogeront les mystères de l'Oural cl
du (Caucase, alterneront entre des tem-
pératures sahariennes et I iinnieiisilc
glacée des paysages norvr'giciis, (i(in\i'-
ront enlin jus(pie sous 1<> bii'ilaiil soleil
de Madaga.scar mi des Aiilillcs l'énergie
nécessaire pour loul \oir, tout relever
et nous l'aire profiler de leur expérience.
Découvrir (piehpie .huiglrau nouvelle
et niéritanl sa r(''pu(alion d'immaculée,
ce serait rambilion su])rém('. .\l Iciiidre,
loucher a\aiil les aulres (|uehpii' l'aile
lées, (piehjue dernière pyramide laissée
en oubli. Malheureusement, les cimes
inviolées se l'ont de plus en plus rares.
I)ej)uis la première ascension des frères
Meyer en ISI I, celle fameuse .lungfraii,
ddiil nous \cii(ins de ra|i|ieler le virginal
siiiiveiiir, semble s'i'-lre i\'iidiic> d'une
huiiieiir bien aeenniincKlaiile, l'ai alleil-
daiil le eheiniii de l'er à crans, ipii ralial-
Ira pour jamais sa lierlé, les |irogrès de
lalpinismc aumnl slngulii-renu'iil mis à
mal sa reiiumnii'e d'iiiaeeessible. De
même, li's priiieipaiix belv i''(lères de
l'Oberland el ilii \alais aiir.uil elédécrils
sons (dus les aspeels de li'iir imposante
1. AI.I'IMSMh:
el (fiTili;iiitf miijcsU'. I,c nioiil lilanc,
iii;ilf;i('- It's <iur;if^:ans Icrrihles qu'il (!('-
chaiiiL' e( les ai-cideiils l'uncsk's qui s v
rt'|)clenl, esl ck'vcnu, pour les autlaciuux,
toinniL' un [)aysa^'e l'amilier. On pourrait
(lire (|ue la valli'c de Cliaiiiounix esl
vraiment aujourd'liui la capitale de
l'alpinisme. Ni les ahimcs sans lin, ni les
crevasses perlides (jui défendent le géant
de granit, ni la rareté de 1 air au sommet,
ni la crainte des a\alanches n'arrêtent
plus le courage des ascensionnistes, pas
même les glaciales tem])ératures. Car,
dc])uis quelques années, les rigueurs de
l'hiver ne sauraient refroidir 1 élan des
gi-impeurs convaincus. On dirait, selon
le mol de M. .Iules Forni, que ces der-
niers metlenl je ne sais quelle coquet-
terie à poudrer à frimas les ascensions.
En ces dernières années, on trou-
vait encore dans les Alpes dolomitiques,
dont l'exploration fui inaugurée en 1799
par le j)rince-évèquc de Salms, lors de
la première ascension du Gross-Glokner,
oiiy trouvait encore quelques dents «assez
respectables ■> et que n'avait pas foulées le
pied de l'homme. Aujourd'hui, aucune
cime notable de l'.Autriche ne reste à dé-
couvrir; et l'on a pu raconter, massif
par massif, l'histoire détaillée de la con-
quête des Alpes orientales. Sans reparler
des altitudes souveraines de l'Himalaya,
— le paradis des alpinistes, nous dit
Conway, et dont la possession définitive
n'est plus qu'une alFaire de temps... et
d'argent, — on n'ignore pas que Frehs-
lield et Maurice de Déchy ont escaladé,
au Caucase, des pics de 5,000 mètres.
M. Luco, du A'al d'Aoste, et membre du
Club italien, a gravi, pareillement au Cau-
case, 1 Elbrouz qui culmine à 5,640 mè-
tres. En Australie, on a surmonté les
deux pics dominateurs de la Nouvelle-
Guinée. Et, dans l'Afrique orientale, hier
encore inconnue, il s'en est fallu de peu
(une misère seulement, 250 mètres !i
pour que le docteur Hans Meyer, venu
après van der Dekken, New, Johnston,
Ehlers, ait maté définitivement l'énorme
Kilimandjaro.
Que la période des grandes conquêtes
alpines soit close, il faut bien le recoii-
nailre. Mais, pour des amoureux de la
montagne, les .Alpes ne cessent point
d êli-e nouvelles. l,a Dent du .Midi, que
Javelle appelait pour sa beauté simple,
harmonieuse, classique, le Farlhénondes
Alpes; les Graies méi-idionales, avec
l'étendue el les splendeurs de leurs pa-
noramas, les chaînes glaronnaises, gri-
sonnes, tyroliennes, moins connues de
nos ascensionnistes franvais, sont loin
d'avoir épuisé leurs révélations. La
montagne se renouvelle perpétuelle-
ment. Chaque saison offre à ses ama-
teurs des émotions dilférenles. Au prin-
temps, quand les avalanches labourent
les pentes blanches et rapides, que les
entassements de la glace s'écroulent et
tombent en poussière humide dans les
couloirs el les ravines, c est le moment
des excursions charmantes dans la zone
des préalpes. En été, c'est la grande
circulation de l'alpinisme. La vie pénètre
jusque dans ces hautes vallées reculées,
où tout semble n'être qu'image de chaos,
de désolation et de mort. L'automne,
c'est le temps des ciels purs, des hori-
zons limpides et des vues illimitées.
Jamais le crépuscule du soir ne fait se
succéder avec une variété plus impres-
sionnante qu'aux mois de septembre ou
d'octobre, sur le couchant en feu, la
gamme de ses tons attendris et ses pâ-
lissantes agonies de couleurs. L'hiver
enfin, c'est le monde polaire, plus massif
et plus lumineux. La montagne alors a
revêtu toute l'ampleur, toute la majesté
de son décor silencieux et grandiose.
Comme nous le disions tout à 1 heure,
de chances il n'en reste plus guère, pour
nos ascensionnistes, de découvrir, en
pleines Alpes surtout, parmi tant de
hauteurs déflorées, ce qu'ils appelleraient
des cimes quasi rosières. Mais ils savent
chercher d'autre manière et trouver la
sensation originale. Quelques-uns pen-
sent l'éprouver en pratiquant, après une
période suffisante d entraînement, les
courses sans guides. Ils trouvent là le
charme et l'imprévu de l'exploration
vierge ; pour eux, c'est vraiment l'intérêt
I. ALPIMSMK
dune première, avec des molils d éinn- | \oloiilé propre, ils apprcnnenl à discer-
tion plus puissaiils. (Test aller à la ren- ner les objets eu détail, à acquérir le
coutre [d'une jiMiissance souveraine, i llair, à jireudre d'instinct le hou ]iassane,
M'')
TllAl. 1>K I. A MKI.IK, A 1' 1' K I. fc IIANS 1, H rAYS I, F, DiilKT
conipai aille a ci'lli' du sa\aiil i|ui ri'alisc a ihcii^n- coinnu' p,ir <li\ iu.il mu l,i lionne
une di'con\crlc. l'ciil linuMaMuc du rnnlc. Ils v j^oùlcnl de- iiupre-Mnns
^;(-uie (•ri'alcui-, (|ui se ic\éleà lui-uuMue d'aulanl jiliis \ i\c-s (|u elles ru' snul pas
après nulle l'aliynes el nillle làlnune- ! sans uic-lani;i' de crainle ; cai-, dès (pi'ou
nienis. Sans en eiri' re<le\aliles (pj'a leur a d('passi'' l'Mlldiule de trois niille nu''-
1. A 1,1'IMSMi:
1res, alors commencent les sérieuses
diflicullés. Que dis-jc! C'est l'attrait
mystérieux, (|ui justeiiienl les slinuile
et les pousse en av;iiil.
Il y a là (lu piquant, en ell'el. Seule-
ment, il faut savoir d'avance qu'on se
risque à en iiayer cher les émolions.
de ne pas s'abuser. Le Hotliorn, dont
la face orientale est une ellrayante paroi
j)encliée sur le vide, [jrojetle encore
en ses mauvaises heures de certaines
avalanches de pierres. Le (k'rvin, mal{jré
les crampons et les chaînes de fer dont
on l'a muni, et le monl Pourri ne sont
(MONT BLANC,
Sans doute, depuis un certain nombre
d'années, la découverte de nouveaux
itinéraires, l'augmentation des refuges
et des ressources d'ascension, les cordes,
les chaînes et les échelles, que l'on a
placées dans les pas les plus exposés,
en Suisse principalement, ont rendu
praticables des sites très farouches,
cuirassés de glaces, bordés de préci-
pices et d'abîmes, mais offrant, au terme
de l'escalade, des panoramas célèbres
par leur magnificence. Encore est-il bon
pas plus commodes lorsqu'ils font gron-
der leur artillerie. La Dent du Géant,
dont les parois ont souvent 90° de pente,
c'est-à-dire la perpendicularité absolue,
est bien cataloguée dans le nombre de
ces montagnes drapées de cordes, selon
l'expression des Climber's Guides, oii
n'importe quel " gymnaste » peut mon-
ter. Toutefois, est-il au moins nécessaire
là de n'être pas sensible au vertige, ni
affligé d'un commencement d'obésité.
Enfin, le Weisshorn, le Schreckhorn, la
I. AMMMSME
Deiil-Blaiiche, ^Aij,'uille-^'erte, le Coin-
biii, le Dom des Mischnbels, le Trient
cl sa i< sinistre géhenne «, toutes ces
gloires des Alpes, bien que plusieurs
l'ois vaincues, réservent encore de péni-
bles surprises aux assaillants du présent
et de l'avenir. On n'en peut sortir
(lu'avec beaucoup de courage, d'adresse
et de santr-froid. Ne l'oublions ])as, la
ne les sauverait pas — au hasard de
certaines catastrophes et aux brusques
elFels de certaines perturbations atmo-
sphéi'iques. Les amateurs de courses
ardues, sans guide, n'ignorent rien de
cela; mais, sans provoquer inutilement
le danger, ils ressentent une volupté
âpre, et qui les entraîne, à voir, à juger
dans la pleine liberté de leurs actes et à
MdNT iir, ^^•
T I! A V Kits f:n D'INK CUK
montagne est âpre à la délense. Souvent
elle prend de terribles revanches sur
l'homme assez audacieux pour violer
ses sommets, scruter ses entrailles, son-
der ses abîmes, interroger de trop près
le mystère de ses gl.iciiTs. lùdin, il n'y
a pas à se dissinnili'r qu'en des ('pi-i'uvcs
f)ù li'ii|) souvent succond)ent les guides
les plus e\|iciiinentés, les |)rofessif>nnels
les plus r('sislanl,s et les |)lus sûrs d'eux-
mêmes, r.ivenlurc est aulremenl péril-
leuse pour des touristes s'ex[)os:nil seuls,
avec une dose de courage moral, - qui
engager celli^ lutte hasardeuse contre
les forces de la nature.
Certes, l'amour-jn'opre a sa large ré-
tribution dans les jouissances de l'alpi-
nisme. Kacilement, l'homme s'exalle et
se sent grandir à liilée qu'il sera lecoii-
i|uéran( d iiii pic redoutable ou d'une
cime iii\ aiiicue. Il espère, sans loii|i>urs
se raxciiici- a liii-iiirme, cxciIitI adiiui'a-
I ion jalouse, sinon I en\ieiles as<'eiision-
iiisles moins favorisés, qui ne \iendront
(in'aprèsel sur ses traces. (v)iiel |>iédes(al
a (■(•Ile gloire d un moinenl I .Vinsi, il y
I.AI.I'IMSMi:
il iiiu' ciiH|iiiicil;iine il'annécs, un des
plus illuslrcs piomiiors de l'alpinisme,
le jirofesseur 'IVndall, jKirveiiait seul
au soinniel du nionl Hose. Oublianl
soudain à la vue des splendeurs dérou-
lées devant lui les peines et les faliffues
([u'il venait d'endurer, il s'étonnait de
n'avoir plus à s'elForcer, à vaincre; il
regretlail que la main de quelque Titan
n'eût pas échal'audé un second pie sur
le premier.
Quoi qu'il en soit des mobiles inté-
rieurs qui les fjouvernent, excitation
particulière de l'amour-propre, recher-
che aiguë de l'originalité, amour sincère
de la science, les alpinistes, certaine-
ment, cultivent une noble et salutaire
passion. Ne travaillent-ils pas tous, à
leur manière, à la renaissance plastique
de nos générations alFaiblies ? La force
de volonté, la persévérance qu'ils appor-
tent à leur éducation corporelle, le ré-
gime d'abstinence et de fatigues auquel
ils se condamnent en maintes circon-
stances, l'habitude qu'ils prennent né-
cessairement de n'avoir guère à compter
que sur eux-mêmes quand il s'agit de
braver le danger, le besoin, la lassitude,
sont, en vérité, le meilleur exemple
d'entraînement pour les jeunes gens et
les hommes faits, afin de se développer
en vigueur, en adresse, en courage. L'a-
mour de la nature pousse beaucoup
d'entre eux à des explorations non moins
difficiles que périlleuses. Il nous semble
les voir, arrivant d'un pas pressé, les
vaillants du Club alpin. Ils sont impa-
tients d'entrer en campagne, de pointer
le fer de leur hergstock contre la rude
écorce de granit, de franchir les abîmes
et de s'avancer en troupe à la conquête
des Alpes — nos Alpes françaises ! Ils
ne voudront laisser inconnue aucune
aiguille, aucune dentelure, aucune cre-
vasse de nos glaciers !
En dépit des tartarinades d'un roman-
cier frileux, il n'est pas toujours aussi
simple qu'on voudrait le croire de choi-
sir pour plate-forme de ses contempla-
tions l'arête sommitale d'un pic aux
pentes verglassées. S'il vous plait d'en
juger, M vous n avez connu p.ii m.u-—
même le rude elfort et la pénible lâche,
lisez seulement le récit p.ithélique tpie
nous a laissé ^^'llymper, de la funeste
victoire (|u il rein])orla, le 1 (juillet IHti.'i,
sur l'orgueil du Cervin, et <pie paya si
chcrenient la perte de ses trois compa-
gnons et du guide. Lisez dans les Sou-
venirs, de Javelle, I histoire d'une
certaine glissade le long des glaces noires
du Galenstock; celle d'une marche de
nuit, dans l'angoisse et les ténèbres, à
la descente de la Tour-Salière, sur l'alpe
d'Emmaney; ou de lénorme avalanche
qui le surprit, aux flancs de la l)ent-du-
Midi, l'entraîna dans son tourbillon et
lui lit faire, en peu de secondes, le
voyage du Plan-Névé aux pâturages de
Salanfe, c est-à-dire près de cinq cents
mètres en chute verticale. Et, plus près
de nous, revoyez en vos souvenirs les
détails de la terrible aventure du lieu-
tenant Messimyà la Grande-Casse; par-
courez l'émouvante description par
M. Th. Camus d'une ascension fort
accidentée de l'Aiguille de Charmoz;
interrogez enfin les annales de tant
d'excursions sensationnelles que nous
pourrions signaler encore, et vous aurez
là-dessus les éléments d'une opinion
complète. Gravir sans fin à travers les
éboulis et les horribles déchirures, se
glisser entre les enrochements plaqués
de neige, sillonnés de vires et de cou-
loirs: alTronterle hérissement redoutable
des séracs ou la glissade mortelle au fond
de quelque hergschriind voûtée, dissi-
mulée sous vos pas comme une perfide
caverne ; marcher de ce pas monotone
dont les coups de piolet taillant les
marches en zigzag donnent la lente ca-
dence; se cramponner à ces parois verti-
cales presque sans saillies apparentes où
quelquefois on n'a pour tout support
qu'un clou sous la pointe du soulier et
le bout des doigts crispés sur un frag-
ment de pierre ; est-ce un si délectable
plaisir, n'est-ce pas assez payer une
satisfaction particulière de l'âme, une
jouissance spéciale du regard, lorsque,
dans la transparence parfaite de l'atmo-
1. ■ A I. P I \ I S M E
sphère, au-dessus de l'élinccllemenl des
flèches immaculées, il pénètre, ébloui,
jusqu'au plus prolniid des dernières
vallc'es. et domine, emhi'asse l'espace
comme dans une apothéose de l'éerie ?
A moins que " la fée des glaciers »
ne \ous ail comme eux louches de sa
baguette, on a peine à comprendre celte
sorte d'obstination aventureuse, qui ne
lais-^e pa* de ivpn< ;iii\ ri(lor:i(i'ur>; de la
vaincre. C'était, chez lui, l'entrainenient
d une irrésistible passion. Quand le mois
d'aoùl s'avançait et que le point dange-
reux dexenait praticable, d n'v pouvail
plus lenii-; il re\enait à la montagne, il
gravissait une l'ois de plus les gigantes-
ques gradins, et, lorsqu'il en avait cou-
ronné l'éminence suprême, au prix d un
labeur inlini, par delà les vires tor-
tiieu^e^. par delà les ravines en partie
1 K l; Il r K H UN K.
V r E rii isK 1] i', 1,
montagne, jnsciuà ce qu'ils aient ar- couvertes de verglas cl coii|)ées i
rachi' à la nature insensible la loule durs, alors, les jarrets encore Irc
l'ngili\e po^xssicin d'une aiguille 1res de fatigue cl les poumons épnis
ellilée, d une arête bien Iranchaiile. d'un disait lieiireuv d'un honheiir ind
à-pic vertigineux, vi (|iii iiisteiueiit leur ble.lle tel-, alpllll^les ih' nhhI |
l'ail prél'i''l'er, pour v parvenir, le clie-
iiiiii le plii^ àpi'c et le plii'^ |ii''i'llli'ii \ . ()
Iciiiv rante et iiicimiparalile ;;\ niiia'-lKpie
(le se prendre corps à corps a\i'c des
granits liei's cl hérissés. — d'un liérisse-
nienl presque ver'lical! () l'indicible
plaisir de chevaucher cpiehpie arcle bien
leri-ible avec, des deux cotés, desabimes
à doniier le l'i'isson ! Demandez-le plutôt
à .lavelle. a cet enlhonsiasle amant
d'nne nature li'i'S sauvage, li-cs dil'licile à
le neves
uiblanls
es, il se
l'sci-ipti-
iiit piiiir
ciller dexaiil la peine ,t l'ob-Licle.
lîien au (■iiiitiaii-e. \\- oui d'élraiiges
idoles, (pi'ils appellent des ehemilK'CS,
des casse-ciiu, des licsr/iriiiK/ . îles cor-
niches, et (pii, pour eii\. reeéleiil des
attraits dont nous a\dn> à peine le
soupçon. Ils aiment la dittieulle pour
la dil'licnlté. Les évnliit icin~ -yinu.is-
liipies au-dessus ou tout près du vide
sont en niènie tenip^ leur ('■uiotion et
leur iilaisir. (le n'est |i.i> seuleineul le
1. AI.l'IMSMK
vaste espace qu'ils réclament, le> luui-
zoiis sans l)()riics, rini|)i'essii)ii d'inlini
qu'on trouve au soiunicl d'un j;lacier
facile, sur un IJreilliorn ou --ur ui\ inonl
lilanc, mais encore les ilillkullneuses
escalades, oùilaulres sentiraient se briser
bientôt leurs forces et leur courage.
Us peinent horriblement. Qu'importe!
Leur joie est sans seconde, si la victoire
décisive, si le hourra triomphal est au
bout de la peine... tout là-haut.
Ceux-là sont les élus de l'alpinisme.
Fort heureusement, le Club alpin
n'exi(;e point pour tous celte émulation
d'héroïsme. Qu'il suffise à la majeure
partie de ses membres de laisser se ré-
veiller, à de certaines dates réf^ulières,
l'amour des montaj^iies endormi au fond
de leur co'ur et d'en exi)rimer le senti-
ment, connue ilsl'cnlendeut, à la mesure
de leur haleine! Notre ])ays de France a
du pittoresque pour tous les goûts et des
chemins pour tous les marcheurs. En tête
vont les grimpeurs résolus, que nul obsta-
cle n'intimide, les alpinistes d'avant-
garde. Puis viennent, très espacés, la
masse des touristes moins ambitieux,
pour qui l'assaut donné aux cimes
moyennes satisfait assez une ambition
mesurée et de prudentes ardeurs. A
ceux-ci les préceptes généraux de l'alpi-
nisme prodiguent les indications des
chemins aplanis, des routes sages et ne
s'avisant nulle part de côtoyer l'abîme,
des voies de communication normales
où l'on peut circuler sans cordes ni
piolets. Ils en usent et leurs désirs sont
remplis. Les grands elFets pittoresques
V sont rares, j'en conviens. L'hiver n'y
dresse point ses échafaudages fantasti-
ques aux combinaisons infinies. Le re-
gard y chercherait sans les découvrir de
ces gorges précipitueuses, hérissées de
pointes qui donnent le vertige. Mais, en
regard des rocs aigus et des moraines
inquiétantes, les monticules verdoyants,
les délicieux jardins alpestres ont bien
aussi leur prix, leur séduisante origina-
lité. Puis, les Vosges, le Jura, les Pyré-
nées et leurs lacs minuscules n'offrent-ils
|»as à leui's visiteurs les plus cliai-inantes
com|)cnsati(Uis'.' .Mille détails heureux
s'y rencontrent, ]jhiisant aux l'cganls
sans agiter l'âme. Aux grandes Alpes
l'immensité qui impose. Aux Pyrénées,
la grâce et la beauté simple qui capti-
vent. Celles-ci, d'ailleurs, ont aussi leurs
|)uissanls contreforts. Et l'Auvergne
encore olFre de majestueux paysages.
Tel, le cirque de Kalgoux oii se super-
posent toutes les nuances du vert .sans
exclure, néaninfiins, les accidents ro-
cheux.
Le but du Club alpin fraisais n'est
pas seulement d'associer les alpinistes
émérites, que leur habitude des ascen-
sions a familiarisés de longue date avec
les plus rudes fatigues. Il n'a |)oint les
rigueurs du Club anglais, où il faut avoir
fait ses preuves à [)lus de .'J,00() mètres de
hauteur pour être jugé digne d'y (igurer.
Ce qu'il veut, c'est attirer à la mon-
tagne le plus grand nombre possible de
visiteurs, c'est développer entre tous ses
membres et tous les divers groupes dont
il se compose, qu'ils viennent des sec-
tions de Paris, d'.Auvergne, des Vosges,
des hautes Vosges, du Forez, de la
Drôme, de la Tarenlaise, de la Mau-
rienne, du mont Blanc ou des Alpes-
Maritimes, ce sentiment de solidarité qui
resserre les esprits et les cœurs dans le
culte d'une même passion. A chacun
ensuite de travailler, selon ses forces et
ses ressources, pour le meilleur bien de
celle œuvre profondément utile, dont
nous avons exposé tout à l'heure les
manifestations et la portée. Honneur
donc, et sans distinction, à tous les alpi-
nistes ! Car ils ont singulièrement pro-
pagé l'amour des voyages, depuis le
jour où ils appliquèrent le principe de
l'association à la connaissance des grands
massifs. Par leurs explorations, parleurs
mémoires, par leurs réunions nom-
breuses, parleur exemple, ils contribuent
puissamment à étendre le goût des excur-
sions salubres et des nobles curiosités.
Frédéric Loliée.
LA VIKILLKSSK \)K (JI.\TI-:AU151U AM)
.\il\ |JI'Cilli<-r- |(iiir~ (le >c|i|c'ni|jic l"(iS.
les vifilli/s iniir.iillc- de S^mil M.iln -iiIh-
iTiil r:is~aul d'iiiif .•llr.iviiulr Icnipclc
l'('ll(l;illl liiiilc liiir ^i-llIMllic, le- \,i,l;iic>
se iMIri-riil Mir l.i \ illr : li> iMliilr^ |-,i--;iiriil
les t., Ils. ,il):ill.iiil !<■> (licnniH-rs, niisiinl
InMi-liilloiincr Ir- anlniM'S. - (■n-oiillV;iiil
(liiiis ]>■< nir- i-h-oilc-. I.j iIkhi^mt <Iii
Sillon lui |,n-i|iic dcliiiilr ; l.i |jn|iiil:i-
lic.ii. Icnilirr. -!• |M,ihi Innl .■iiliciv ;i
1m calIlcdlMlL- oil ('•hlICIll l-\|)OMM-. c. ic
:iii\ Iriiips de j;r;iiidcs cilaiiiili's , li's
|-cli(|iics de >;iiiil Miild. lùiliii, l.i Imir-
lliciilc >',i|i,ii-:i, cl. le diiiiiinclii' |S m|i-
ll'llllirc. Illl |,(lllil |.IUCCSM 'lll'IlK'Ill
les l'csics dii siiiiil ;iiil(Hi|-di' la ville. SUI-
VI. - 11.
1rs anliini(~ iciii|iails . laiulis (|iic le
|iriijilc, iiia--c ~iir les j;rr\('s. ciiliiii liai!
<lc- chaiiK dall.\i;iv--,>.
Crsl an plii- li.il de (-.■Ile Imiiirli-
(|iic' iiai{iiil. d.iiis mil' Mi,ii-(in MPisilic du
cliàlrail cl de I; T. Iciilaiil (|iii devail
cire (llialcauliriaiid. •• l.c iiiiij;iss<'iiiciil
des vayiics. l'criv ail-il plus lard, ciii-
|iccli,i d ciilciidre mon |iremici' iri...
on m'a soiixciil coule ces laiK; leur
Inslessc ne s'esl jamais ell'acce de ma
memoii<' : k' ciel scmiil.i i-<''imli' ces di-
\ciscs ciicoiislancfs |ioui' |il,iccr dans
mon lici'ceaii une ima^e île mes dcsli-
m'-es. ■'
I II ra|i|ioil m.iiin^cnl de|iose. d \ a
I. KMANCK i:r i.A \iKi i.i.i:ssi-; di: ciiatdaihiiiami
plus d'iin tlcini-sii'cle, aux arcliives de
Saiiil-Malo, cf>rrol)ore la véracilé de ces
souvenirs. Il IViurtiil, sur les premières
années de (-lialeauhriand , des détails
précieux, coinplélanl de l'aven ])récise
les souvenirs que l'auleur des Marli/r.i
a, dans /e,s- Mémoires d' nuire - lomhc ,
consignés eu un si poétique langa{,'e
que bien des fj;ens ont pu les croire em-
bellis par sou iniaf,'inatioii.
La maison oii il \ inl au monde était
située rue aux Juil's et portait, en 17GS,
le nom dhotel de la (;ic(|uelais; il ap-
partenait à la l'amille Mafçon-Hoisf^a-
rein; c'est aujourd'liui une dépendance
de l'hôlel de Fnince. L'immeuble com-
portait trois étafîcs : on y pénétrait par
un corridor à l'exlrémilé duquel était la
cuisine; au jjremier élaj,'c se trouvaient
la salle à nian{;er et le salon de compa-
{jnie, dont les croisées ou\raient sur la
rue; la chambre à coucher de M""' de
(chateaubriand était au second, voisine
de la grande pièce où couchaient M"" de
("diateaubriand , sous la surveillance
d'une femme de lonliance, nommée
M"^ Masson. Au rez-de-chaussée de la
maison se trouvaient les bureaux et la
caisse de M. de Chateaubriand.
Celui-ci, iixé à Sainl-Malo depuis 1758,
avait, en elTet, entrepris, dans le but de
relever sa fortune, quelques opérations
commerciales. Quoique le poète ail plus
lard traité de puérilités les prétentions
nobiliaires — d'ailleurs très justifiées —
de sa famille, il passe néanmoins sous un
silence dédaip;neux, en gentilhomme que
ces détails n'intéressent point, les spé-
culations de son père. Les archives ma-
ritimes de Saint-Malo sont moins dis-
crètes. M. de Chateaubriand, de retour
en France après un voyage d'alTaires
aux îles d'Amérique, ])ril une part dans
le navire la Villegenie que commandait
son frère, Pierre-Anne de Chateaubriand
du Plessis : l'opération donna des résul-
tats avantageux; les bénéfices obtenus
engagèrent M. de Chateaubriand à armer
le même na\ire pour son compte ; la paix
de 17fi.H lui permettant de donner plus
de (lévelf)p[)ement à son connnerce, il
mit en mer le Je;in-J};iplisle , corsaire
de '{00 tonneaux, qui partit pour Saint-
Domingue; il arma pfiur Terre-Neuve
la l'rovidence, VApidline et VAiuuranle.
Le dernier navire c|u'il ex])édia fut ,
en 1775, le Suinl-Jiené, destiné aux
îles de l'rance et Hourbon.
L'extension qu'avaient prise .ses spé-
culations avaient obligé M. de Chateau-
briand à quillei- la l'uo aux .luirs pour
installer son agence tout pi'ès de I;é, au
pi-emicr étage de la belle maison qui fait
presque face à la porte Saint -\'incenl ,
celle qu'on voit, à droite, en entrant en
ville. La partie du rez-de-chaussée don-
nant sur la rue était occu|)ée par une
marchande épicière; les bureaux et la
caisse de l'agence s'ouvraient sur la
place, en face du château. C'est là que
Hené, après trois années passées chez
une nourrice à Plancoët , retrouva sa
famille. Sa première enfance eut pour
théâtre celte jilace ombragée de pla-
tanes, où avait été dressé l'inutile écha-
faud de La Chalotais. Il croissait sans
études, confié à une brave femme nom-
mée la \'illeneuve et remplissant de po-
lis.sons, ses plus chers anw'.s, la cour et
l'escalier de la maison paternelle. La
calle de la porte Saint -Thomas, faite
en forme d'éventail, au pied de laquelle
Fanchin — ainsi la \'illeneuve le sur-
nommait — allait patauger sur la grève,
existe toujours; les dalles de granit n'ont
point changé. Le parapet étroit, glissant
et incliné, au bas de la Tour-des-Dames
et où l'audacieux gamin s'aventurait à
passer dans l'intervalle de deux vagues,
est encore debout et les marmots s'y
ébattent comme il y a cent ans.
La pérennité des choses apporte à
l'esprit une tristesse qui n'est pas sans
charme. Sur cette grève, au pied de ces
vieux murs, on retrouve avec émotion
la trace intacte des pas de l'illustre enfant
qui les a immortalisés; et les yeux, in-
vinciblement, se tournent vers l'îlot d'où
son tombeau, battu par les flots, domine
cette plage pittoresque, ces noirs récifs,
cetleenceinle crénelée, toutes ces choses,
i.KNTANc.i': i:t la xii'.ii.i.KSSi': i>i'; c.ii ATKAiiiu i and
rt'|iilli'es Miii- \K', (|iii lui i>nl Mii-vrcu m IV u ; CiilliriM |iiil il;in~ >c> hra- le
|),.ui-l,iiil. I [R'til F.iiichiii, n\iii\\ iiMN.iil |i,is vu le
temps (le \elii-. ICin elii|)|).i île --a \esli
Dans la niiil du 1 (i au 17 levriei- \l'(l
le l'eu |)ril dan-- le niaf^asiii de l'épicière,
cl l'emp'irla dau> la laie. i.a lanidlf de
Clliiteaulii-iand li-i>u\.i uu asile d,nis la
uni- u k M Mi^ ,n I c I
h t 1 I II (.Kl|U I 11^ u
I \ iil \ u I I
ul 1 I I s I I iiii I s III I i|u d
\ I u \ ni [I 1^^ 1 I '^ m l M i '
I. K r II \TK \ I II i: en m lin i i:
au re/-de-cliaus>i-e de la iiiaisuii (|iriia- i (|ue lui nilli;;eail la s('m'tHi' de mui
liilail la laïuille de Chaleaiilii laïui. 'l'oul ! père: «'élail I|||.> pelile pièce, au ipia-
dciiiiiail au ciirp- de farcie du elialeaii : Iriéuie (■■la;;e. eclain'c par une ^r\\\r Iu-
le CI II lier du carrosse pul)llc, ipii parlait cariie ; mais de celle liicariu' le prisMuiiiei'
•Ile iiuil piiiir Hennés, rloiiua 1 alarnu
I n pnulieiir, imnimé Picard, liii;é sur
le> l'emparls \iiisiii>, accdiiriil un des
premiers asce s,,ii Mis (iillierl ; déjà les
|)laiicliei~d.-.rliaii]liie-.ae,,uclierélaieiil
décnu\ rail l'Océan, la pcuiile ahriipledii
(ii-aiid-lîev, iesn'H-il's du i''.irl n.val cl il
prenail sa peine en palience. Il allail
hieidc'il C(iniiaîli'e, d'ailleurs, une prisnii
ini lins "aie cl <les In iri/un^ plus rcsl remis.
I.KNI'ANC.K 1:T I.A \ I K I II. liSS K Dl-i C, Il A T K A 1 li H I A M >
M. lie CliMlciiiiliiiiincI vciKiil. vn fll'cl,
(le lM|iU(lri- su nuMMiii de coniilU'l'C'f l't
<k' iTiiliscr sdii \r\r. Du prnfil de ses
spoculalioiis, il :i\Mil i:k-1icI('' l'un des
;moioiis licls de sii rainille. hi leri-f de
Coinhiiiii'^', jissez rielie en di'oils lef>-
d;iii\ : il V vnuhui vivre en j;eiililhoiiimo.
iliiéi-c l'nis les niiri-^ de ( iiiiid)iiiirf,'. Il
él;Ml |)iii-li, le iri;ilin. de S.iijit-.Mido,
;ivec s.i mère el s;i sieiii'diiiis nue ('iior-iiu'
l)erliiic il r;inli(|iie, j);iiirie;nix surdfii'és,
niiirclie|)ie(ls en delior-s. ^;i;iiids de ]K)ur-
])i'e aux (|u.ilre coins de I impériidc, el
Irahu'u |iar huit elievaux, parés comme
en AMBJiK
1! A T F. A r B B I A N n
CclMBIir liCr
Le lils aine était au réfjiment, l'une des
tilles au couvent. M""" de Chateaubriand
se résigna ; on ferma Taf^ence maritime
après avoir fait comprendre à René
qu'une existence nouvelle commençait.
Ffinchin devint Monsieur le (^hef;iliei\
et, tout pleurant, il fit ses adieux aux
ffalopins de la plaf;e malouine.
C'est par un soir de mai 1777 cpie
(".halcauliriauil IVancliit pour la pre-
des mules d'Espanne. sonnettes au cou.
grelots aux brides. Le voyage dura tout
le jour à travers les marais du pays de
Dol, les bruyères guirlandées de bois,
lessemailles de blé noir : vers le soir on ap-
prochait du château... Quarante ans plus
lard. Chateaubriand conservait encore
vive l'éniolinn éprouvée lorsqu'il avait
aperçu, au-dessus de la l'ulaie, les toursdu
manoir éclairées iiar le soleil eonchant.
i.i:\F.\xi:i: i:t la \'i kim.kssk ni: cii atka rnui ano :;i3
I. !■; <11AT1:,M 11 K 1(1 M uni- 1
Le C'îirrossc traversa un hois, pni^ une ; de lii-iiil > d ailo.
■J
avanl-coiir|)lMiil('-cMh' iiMMT- ri ili'liiPUi'lKi >c d rc --^a 1 1 la
sur la ('.(lur X'ciMc : ilaii^ Ic^ vii'U\ murs. I I ri-lcri -i''\ ri'c l'a- "~
dans 1rs arlirc^iliaiilairiil IrNcini] ni--rail\ radr du cliàlrau,
(lui. en lîi'rla^iir. aiiinncrnl Ir |)i-lii- |ir('>sr ii I a ii I ini
Iciiip^ : I liiiiindrlir. Ir laihil, Ir ciiiiciiii, , liaiil iiiiir nu. rrliaid drn\ l.uirs lii(\i;ali"
laradlrrl je i< .^-i- m il ; rii I rc- dru \ liou a criMirau \ -urui. inir-- dr luil-. p.iluhls
(piols dr luaiiiHiiiins ru llrurs ri plrius I un lar^r prrniu. i-uidr ri droil. sau
I. l'.M'ANC.i: II' I.A \ 11:11.1. I.^M; 1)K (.II.\I1,.\I UlilAM)
r;mi|U' ni niink'-l'iui, :illcif,'ii:iil l;i |ioi(c
du clu'iloiiu, pcrci'c ;ui milieu de la cour-
lini'. .\u-<lc'ssus (le celle porle, 011 voyail
les iinnes des seifîiieiirs de Conil)ourf,' el
les liiilliides ;ui travers desquelles sor-
taient jadis les liras et les chaînes du
])niU-lcvis.
On sou|)a, ce soir-là, ilans la fjrande
salle des (lardes, immense |)ièce qui
occupait tout le corps de bâtiment pre-
iKiiil \ lie au midi, sur rétaii},^ puis on
cn\o\,i le cheralier se coucher sous les
toits, tout en haut de la tourelle de l'es-
calier, dans une petite chambre qu'on
lui avait préparée.
Qui oserait, après les brûlantes confi-
dences A Outre-Tombe refaire le récit
de l'adolescence de René, l'histoire de
ce cieur passionné que, sous le ciel né-
buleux de t^ombourg traverse par des
volées d'oiseaux voyagreurs, Jes rêves
en valussent trop impétueusement'? De
mystérieuses harmonies s'établirent entre
l'enlant et le manoir féodal où il vécut
ses jeunes années : ces vieilles pierres
lui enseignèrent le respect de l'ancienne
France; l'aspect des landes druidiques
où passe le vent de la mer épanouit en
lui les fjermes poétiques d'où, plus tard,
naquirent \'elléda, Cymodocée, Aben-
céraj;e, Atala. Le génie se formait, à son
insu, au fond de son âme, comme se
forment les perles au fond des goullres
marins.
I^'énorme niasse du château, avec ses
quatre tours, ses galeries, ses hautes
salles, n'était habitée que par quatre
personnes : M. el M'"" de Chateaubriand,
Vlené et sa sœur Lucile. Une cuisinière,
une femme de chambre, deux laquais et
un cocher composaient tout le domes-
tique ; un chien de chasse et deux vieilles
juments étaient retranchés dans un
coin de l'écurie. Ces douze êtres vivants
disparaissaient dans un manoir où l'on
aurait à peine aperçu cent chevaliers,
leurs dames, leurs écuyers. leurs vai'-
lels, les destriers et la meule du roi
Dagobert.
M. de Chaleauhriaiul était un homme
sond)re ; son état habituel était niicti-is-
tesse profoiule (|ue I âge augmenta :
hautain avec lesgentilshoninu's,duravec
ses vassaux de Condiourg, taciturne,
despoli(|ue et meinu/anl dans son inté-
rieur, 4'e (pion sentait en le voyant,
celait la crainte. Il se levait à cpialrc
heures du matin, hiver comme été: il
venait dans la cour ajipeler son valet de
chambre, à l'enlrée de l'escalier de la
tourelle. On lui apportait un prii de
café il cin(| heures, il travaillai! ciiMiile
dans son cabinet juscpi'à midi. .M""' de
Chateaubriand el sa lille ne paraissaient
pas de la matinée; le rheralier, lui,
n'avait aucune heure lixc ni pour se
lever, ni pour déjeuner : il était censé
étudier jusqu'à midi ; la plujiarl du
temps, il ne faisait rien.
A onze heures et demie on sonnait le
dîner. La grande salle était à la fois
salle à manger et salon : on dînait el
l'on soupail à l'une de ses extrémilés;
après les repas on venait se placer à
1 autre bout, devant une énoi-me chemi-
née. Le dîner fait, on restait ensemble
jusqu à deux heures. .Alors le père par-
tait pour la pêche ou pour la chasse,
visitait ses potagers ou sa chapfinnière ;
la mère s'enfermait dans la chapelle,
Lucile dans s;i chambre; le chevalier
regagnait sa cellule ou allait courir les
champs. .A huit heures, la cloche annon-
çait le souper; puis, flans les beaux jours,
on s'asseyait sur le perron : M. de Cha-
teaubriand, armé de son fusil, lirait les
chouettes qui sortaient des créneaux à
l'entrée de la nuit; M'"" de Chateau-
briand, Lucile et René regardaient le
ciel, les bois, les derniers rayons du
soleil, les premières étoiles. A dix heures
on rentrait et 1 on se couchait.
Les soirées d'automne et d'hiver étaient
dune autre nature : le souper fini et les
quatre convives revenus de la table à la
cheminée... Mais n'est-ce point une pro-
fanation que résumer de si belles pages ?
«... Ma mère se jetait, en soupirant, sur
un vieux lit de jour de siamoise flambée;
on mettait devant elle un guéridon avec
une bougie. Je m'asseyais auprès du feu
I. l'.NKANC.K 1:T I,A V I K I LI.ESSK DH (". II AT K A T lî K I A M)
avec J>iRik'; les (l(inu'>li(|ui> chIcymii'iiI
le emivci'l el se i'eliiMirri(. Mcm [lère
eonmieneMil alors une [irnineiiade (|iu
ne cessail qu à I lieure de son emicher.
11 était vètucriiiie rcil)e<le raliiie lilaneiie,
ou [ilutôl (l'une espèce de manteau que
je n'ai vu qu'à lui. Sa tète, demi-chauve,
était couverte d'un j;rand bonnet (|ui se
tenait tout droit. Lorsqu'eri se prome-
nant il s'èloif^nait du l'oyer, la vaste
salle était si peu éclairée [)ar nue seule
bougie qu'on ne le \oyait plus; on l'en-
tendait seulement encore marcher dans
les ténèbres; puis il revenait lentement
vers la lumière et émergeait peu à peu
de l'obscurité, comme un spectre, avec
sa robe blanche, son bonnet blanc, sa
ligure longue et pâle. Lncile et moi
nous échangions quelques mois à voix
basse quand d ('tait à laidre bout de la
salle; nous nous taisions <|nand il se
■H ATKA II Illil AND KS 1810
rapprochait de nous. Il nous dirait en
jiassaiit : " I )i' quoi parlie/.-\<>us ? ■• Sai-
sis de (erreur, nous ne répondions rien;
il continuait sa marche. Le reste <le la
soirée, l'oreille n'était plus rra|)pée que
du bruit mesuré de ses pas, des soujjirs
de ma mère et du murmure du vent.
« Dix heures sonnaient à riiorloge du
château ; mon père s'arrêtait ; le même
l'cssort, ipii avait soulevé le marteau de
1 horloge, semblait avoir sus|iendii -^es
jias. Il tirait sa montre, la montait, pre-
nait un grand llandieau d'argent sur-
monté tl'une grande bougie, entrait un
moment dans la petite tour de l'ouesl,
puis revenait, son llambeau à la main,
et s'avançait vei's sa chandjre à coucher,
dépendante de la petite tour de lest.
Lucile et moi, nous nous tenions sur son
jiassage; nous l'enibrassions en lui sou-
haitant une bonne niiil. Il |)enchait \ers
nous sa joue sèche el creuse sans nous
i('-poiidre, conlinuail sa roule el se reli-
rail an fond de la tour dont nous enlen-
s les |iorles se rerernier sur lui.
" l.e lalisman el.iil brise; ma mère,
ma sceiir et [moi. I ra nsfonires en slalnes
parla pn'-sence de mon père, nous re-
ciiii\ lions les l'oiielioiis de la \ le. l.e
preniiei- l'Il'el de noire deseiiclianl enien I
se manileslail par un ilcb.irdemenl de
l's : SI le silciici- noilsaxail oppri-
il nous le pa\ail cher.
" Ce loii-eiil ,!,. pa-
n.leseconle,.|appelais
1,1 l'enime de chambre
el je reconduisais ma
nièreel ma sieiir a leur
apparlemenl. Avaiil
de me retirer, elles me
l.iisaieni reg.'irdersons
les lils, .biiis les che-
minées, derrière les
pcu'les. \isilci- les es-
ealiers, |..s passages
cl 1,'s eorndoi-s v,.i-
siiis. 'roules les Ira-
dilions du eli.il.MU,
voleurs el specires,
leur ie\ eii.iienl en im''-
ninuv,l.,'si;,.||selaieiil
I, KM.wci: i;r i..\ \ i i:i i,i.i:ssio i>k cm atkai'hii i and
|)t'l'Sii:i(lcs iiNiiii I ril.Liii cninli' (Ir Cciin-
hoiii'^', à jaiiihi- lie liiii-, ]U(<\t (li'|)iii~
li'ois siècles, M|)|]Mr;ns~^iil ;i (■crhiiiics
époques el (|ii'(iM l'iniiil rciicdiiliv <l:iiis
le yraïul esciili rr de l;i liMiiclli' : >.ii iainlie
de bois se iiromciiiiit aussi (|U('l(|ue-
l'ois seule avec un ciial noir.
u Ces récits occupaient loul le tcni|)s
du coucher de ma mère et de ma sieur ;
elles se niellaient au lit mourantes de
peur; je me retirais au haut de ma tou-
relle; la cuisinière rentrait dans la f^rosse
tour, et les (ionu'sli(|ues descendaieni
dans leur sonicnain. "
(Jiiii(iii(|iir a lu les Mrninircs tl'niilrc-
lomhc se troux e à (-ondxmrj; conuiie en
un lieu déjà visité : au bout des jielouses
de la (îour ^'crle a|)paraîl le château,
solennel el sévère ; on croit ra\oir \u
jadis dans un beau rè\e. Le haut per-
ron, aujourd'hui bordé «l'un parapet de
pierre, monte droit jusqu'au centre de
la façade, presque sans baies autres que
les taillades de 1 ancien ponl-levis. L'ex-
térieur de la l'orteresse n'a pas subi de
modifications. On entre : de récentes
réparations ont changé l'aspect de la
petite cour ; la construction d'un grand
et noble escalier l'a réduite de moitié.
Les salles ont été restaurées avec luxe;
dans le salon de l'Hermine, une grande
fresque de Gaillard, montre saint Louis
récompensant Geoll'roy de Chateau-
briand après la bataille de Massoi-a et
lui concédant l'écu aux tlenrs de lis sans
nombre et la devise
Mon saii;; teint les lianniéres de France.
L'ancienne salle des Cardes — qui oc-
cupait autrefois toute la façade méridio-
nale, entre la tour Sibylle (du nom de
M"" de Chateaubriand) el la tour du
Chat, — la salle des Gardes, partagée par
un mur, forme le salon et la salle à man-
ger et celte division a nécessité le dépla-
cement de la vieille cheminée devant
laquelle s'assoupissait jadis, dans son
rêve, liené de Chateaubriand, silencieux
et teri'ilii' de la monotone [iromenadc de
son père.
l.c icsic <lu château (•^l a pi'u pics tel
cpi a la lin du sicrli' di-riiicr : c'est le
nicini' (li-ilale d'escaliers, de couloirs
jiercés dans d'i-normes murailles, de
galeries, de plaies-formes crénelées, de
hautes el \asles salles. Le veiil souffle
dans celle vieille demeure comme nulle
part ailleurs; il a des notes sinistres
rcssemblanl à des cris d'oiseaux de nuil,
des gémissements lugubres, des sonorités
prolongées d'ocarinas fanlasliques.
Xn premier étage de la tour du Croisé
se voit une relique étrange : il y a vingt
ans, lors des dernières réparations, les
ouvriers, pervanl une porte au rez-dc-
cliaussée de la tour du Sud. découvrirent
un squelette de chat ; l'animal avait été
muré \ivanl, car la position de .ses pattes
étendues el réunies indiquait qu'on
l'avait solidement lié... C'était le spectre
de celte bête qui, depuis des siècles,
hantait le château et causait de si grandes
terreurs à M""' de Chateaubriand. Quel
l'ait donna naissance à celle légende? On
l'ignore. Les os blanchis de l'animal mys-
térieux sont déjjosés sur un coussin dans
une vitrine au milieu de la bibliothèque.
Tout au haut de la tourelle du vieil
escalier on a conservé intacte la chambre
qu'habita Chateaubriand : c'est une
étroite pièce, à peine éclairée, où sont
réunis quelques souvenirs de l'auteur
A' Alala, entre autres le lil où il mourut.
Des galeries crénelées toutes voisines, le
regard plonge sur la pittoresque rue du
\illage de Combourg, sur le lac tran-
quille que longe le pavé de Rennes.
C'est de cette chaussée de l'étang que
Chateaubriand vit, pour la dernière fois,
disparaître, derrière les arbres, les som-
bres tours du manoir où s'était écoulée
son enfance ; c'est de là que se fixa dans
ses yeux cette vision qui, aux heures
d'exil, lui battait dans le cœur, les toils
aigus, les deux mails, les vieux noyers
du portail,
El celte tant vieille lunr
Du Maure...
An liinrnant du cliciniii, Iciul dispa-
rut... Il allait rejoindre à (>anibrai, avec
i.i:ni-a\i:i.; kt la \iki i.i.kssk dk cii ATKArnu i and
un brevet de heiileiuiiil, le réj;uiienl (le .Xaxai're:
pendant son tcni])^ de , nni--ciii --cui |i( u nniniiil
'S?^ ^ {■%"«
.^>~~.
1 I \ I I 1 M I I 1 I M \ I 1 I 1 U 1 I 1
cl M""' de Olialcauhrlaiid l'exinl ^e lixer
à Sainl-Malo. CondiourL; re>la dcVrrl.
(.]liateanl)riaiid \il I ancK'iinr .n-niiH'.
la cour de Louis W'I, s'endiar(|iiii |i(iiir
le nouveau monde, assisia au\ d(''l)Ml>
ail('e <le |icu|iliL-i> ; la di^nii.lil ion d'un
mur ]ni( son terrain en cuMnnnniial mn
avec le jardin de l'inlinneiie ; le malin
il s'éveillait au sou de ÏAnf/cliis: il en-
tendait de son lit le eliani des |)i-elre>
<lans la eliapelle; il voyait, ,1c la t'.'nrtiv
(le sa elnnnbi-e, nn eaUanc ('■Icm' entre
delà I{(>voliilion, lit les canipai^ncs i\r ; nn noyer et nn sureau, des \;
l'c^miffration, visita rAn-letcri-e, la Terre poules, des pi-eons et des abeilles, (K
Sainte, lAllema^Mie, SL'journa à Uonie.
à Berlin, à Prafjue, à (îent'vc, eounul
les ri"ueurs de la puissance imix-riale et
s(eurs de charilc- en robe détamine
noire, des femmes eonv alcscente-, de
\ieu\ eccl(!'siasliques errant |)armi les
-s |)risons de la lilx-rale monarchie de ' lilaset les l(''';umes du po(a,i,'er. La p
Juillet... entin, "lorieuse ('-pave d(
lii il travaillait (''lait enti('r(Mnenl lapis-
sièclo de tein|)éles, il vint, vieilli et siH' de bibliotlunpies et oceup('e dan-
d('sabus('', tou|onrN iid(''k
li>te et lonjoiii-- p
toute sa lon^iieiir par une (•norme labb
■honer dans ' de eliene a-se/ semblable a un billard
une |jetite inai>oii d'ini l'anbour^ de Paris
on il s'arrangea |)our linir ses jours.
Il avait ai'(|nis, api-('s I H.'iO, un pavillon
situ('' rue d'Ivil'er, derri('>re l't )bservaloire
et voisin de rintlrmerie .\Lirie-'riu'r('se
qu'avait ron(l(''e .M""' de (^lialeaubriand.
il >e tenait là. ton! le jour, en p.intoii
Iles, l(Me nue et viMiie d'une longue re
din(;ole bleu l'onei'', croix'H' et bonlfinm'-e
justpi'au menton. Il avait pour eonipa-
j;non un f;ros clial j;ri> roii\ a b.iiido
noires transversales, ne .m \al m .m daii-
I>e lieu ('tail e\t rem. nient Militaire; (les la lo-e de lîapbai'^l. L(''on \ll a\ail.''lev.
crois(''es de -on salon reerivain .iiieree- , ce chat dan- un pan de -a robe (iU Cha
vait un bouiiiiet de b' a
•an et leanbiiand l.ivail \ n
ixie lors(|Ui
I. i:m'.\ Nc.i: i;t i,.\ \i i:i i.i.kssm di-: ciiatkai uni wd
II' |)<iiitilc' <l(iiiii;iil iiiidii'iK'c ^iii\ Mnil)iissii-
(IcMirs. Le p;i|)<' éhiiil miirl, r;iiilfui- ilii
Cicitii- (In c/irisli.iiii.snic liriilii du cliiil
siilis niililrc (|M 1)11 ;i|ij)i'l;ill MlCClti) t'I
i|iii, cil sii (|iMlil('' (le cluil (lu |>:i|R',
jouissait, à Mnric-Tlivrvsv, d'une ex-
trême considération au|)rès des Ames
pieuses.
Aux jours (liriicilcs de l:i roiidalion
de 1 iiilirnieiie, uiie personne eliai'ilalile
qui ne se lit point connaître avait adressé
aux sœurs une iialle de cacao. Que l'aire
<le cette richesse inattendue, sinon du
chocolat? On tenta l'essai qui réussit;
comme l'iiospice était alors sous le patro-
iiaf^e de M""' la duchesse d'Angfoulême,
les nobles dames du l'aubourf; Saint-
(icrmain se disputèrent ce chocolat elle
lrou\èrent délectable ; la mode s'en
établit et bientôt la l'abricalioii prit
de l'importance. Après la révolution
de 1830, pour activer le débit qui lan-
guissait un peu, on exploita discrète-
ment — la charité a de ces trouvailles
de f,'énie — la gloire de l'auteur des
.\l;irli/rs. On lit savoir aux clientes que
tout acheteur cii (jro.s jouirait du privi-
lège de voir M. de (-haleaubriand. La
sieur tourière avait, sur une petite table,
ses paquets de chocolat et une sébile à
côté. Vous donniez, vos 3 francs et elle
vous remettait une livre. Si vous don-
niez 3(} francs, elle vous remettait douze
livres, ce qui faisait un paquet volumi-
neux, et en même temps elle tirait un
cordon. Ou entendait le son de la cloche
et Chateaubriand, qui était quelque part
dans le jardin, traversait une allée cou-
verte d'arbres en lisant un journal. On
ne lui parlait pas, on le voyait ou plutôt
on l'entrevoyait. On n'avait, en elFet,
promis et acheté que cela.
On sourit un peu de linveiilion;
(|uelques-uns s'indignèrent, le bruit se
réjiandit que le chocolat était vendu au
hcnéfice du grand écrivain tombé dans
la misère et que son nom illustre ser-
\ail d enseigne à une épicerie. Rien
n'était moins exact; il se prêtait à un
petit stratagème charitable des reli-
gieuses et ne s'en cachait pas. .c La sicur
su|)érieiiie, écrivait-il, piélend (|ue de
belles dames viennent à la messe dans
l'espérance de me voir; é<onome indus-
trieuse, elle met à conl i ihiil ion Iriir
curiosité, en leur promellanl cir me iiioii-
Irer, elle les attire dans le laboratoire;
une fois prises au Irébuchet, elle leur
cède l)on gré mal gré, |)our de largent,
des drogues en sucre. I"]lle me fait servir
â la vente du chocolat fabriqué au pro-
lît de ses malades... La sainte femme dé-
robe aussi des trognons de plume dans
l'encrier de M'"" de Chateaubriand; elle
les négocie parmi les royalistes de pure
race, affirmant que ces trognons pré-
cieux ont écrit le su|K'rbe Mciiitiire sur
la tapliritr ilc .)/""' /.•; tliichcssc de
Dcrrij.'... ..
En 183(1, (^hateaubiiaiiil quitta l'in-
firmerie Marie-Thérèse et vint se loger
rue du Hac, afin d'être plus près de
M'"" Récamier. I>e pèlerin qui avait tant
couru le monde ne faisait plus qu'un
voyage quotidien, vers trois heures, de
son hôtel à l'Abbaye-aux-Bois. La mort
[leu à peu l'envahissait par le bas ; ses
jambes étaient paralysées.
— Je suis dans la tondse justpi'au
buste, disait-il.
IlorsrAbba\e-aiix-I5()is,11 ne se faisait
guère porter qu à la cha[)elie des Missions
Etrangères, toute voisine de sa maison,
et à l'Académie où il alla, une dernière
fois, pour assurer l'élection d'Ampère.
Ses journées se passaient à parcourir
les journaux, à dicter la dernière partie
des Mémoires d'outre-lomhe ou à son-
ger devant les hautes fenêtres ouvrant
sur les charmilles et les parterres du
jardin des Missions. .Après le déjeuner,
les visiteurs étaient reçus ; il les accueil-
lait avec cette alfabililé un peu hautaine
qui lui était habituelle et où se recon-
naissait l'homme de cour. Aux Bretons
qui venaient le voir il posait avec un
sourire triste cette question invariable :
— Vous venez de là-bas? Etes-vous
allé à Saint-Malo?
Cela signiliait : avez-vous vu ma
tombe ? Depuis près de vingt ans, en
elfet, il avait sollicité de In municipalité
I/KM ANC.K KT LA \' 1 K 1 L L KSS K DK Cil A T K A T HH 1 A N 1)
lUiilounic (|u il lui fi'il riiiici'(l('. ii hi
peinte (icculciilale ilc I ilol du (iiMiid-
Hey, iiM [U'iil coin (II- terre (mil ju^le
Ah ! jiiii^se le niiinuiiieiil ^e^(e^ Imij;-
temps vide !...
La coiicessidii. copeiid.iiit, niixail pas
':>^I 'h'^
Il 111 1 M 1 I 1 1 1 H V 1 V I 1 I I l \ I
111 11 ni \ 1 2(1
» 1 m 1 \ 1 1)1 N 1 1 s M I^xl ON -. TtII \ M l'^U I
h^l
"a*
MllTisaiil pniir (■(iiilcilir -cm ceiTiieil. I,e : elé ..Menue >aiis ceiiaines diflieilllés
maire il.' Sailli -Mal.. a\ail r.'p..ii.lii .pie ailiniii i>l ralives : le (Iraiid-I'.'N- ii|ip.ir-
la sepiilliiiv >.Tail pr.'par.'.- par la pi.'l.' Ii.'nl au ^eiii.' iiuiilair.' el le d.'par-
liliale lies liiel..n-, el il aj.Hilail livs I (.■iiieiil i\r la -iielMV siii.pi i.'lail <le
<li^;iieiiieiil : (•,■11,. luaiiimi-,' -iir se> lerr.'s par la
- ( 'ne lien >-,■■,• liivle -i' niidi' à ce >;,.in I miinieipalili'.* !i|>.'n.lanl li> maire. M. lin-
I,- KM- AN (■.!■: i:t i.a \ii:i i.i.kssi: dk en \Ti:Atniii am>
\iiis, <>l)liiil f;:iMi (le cmusc, — les pinir-
purlors avaient duiv six ans! — el une
souscri|)lioii hala la construction du
tombeau que, de Paris, Chateaubriand
«lirigeail lui-iiiêmo. Kien n'est plus tou-
chant ni plus sinii)le que les lettres qu'il
écrivait à ce sujet el qui sont consci'-
vées, comme de précieuses reliques, par
la famille de la Morvonnais.
« \'i 111,11 is.'{(i. — iMilin, monsieur,
i'auiai un (nnilxim cl je vous le devrai
ainsi ipi à mes bienveillants compa-
triotes 1 Nous savez, monsieur, que je
ne veux que quelques pieds de sable,
une pierre du rivage sans ornement et
sans inscription, une simple croix de
fer et une petite };rille pour empêcher
les animaux de me déterrer... J'espère
(|ue vous \oudrez bien quelquefois me
donner de vos nouvelles et m'apprentlre
aussi un peu le profères du monument ;
le tem|)s me presse et j'aimerais à ap-
])rendre bientôt que mon lit est préparé.
Ma route a été lonjfue et je commence
à avoir sommeil. ■>
« 15 eioiî/ 183(>. — La chose est
donc finie I Tout est bien, pourvu que je
sois sur un point solitaire de l'île, au
soleil couchant et aussi avancé vers la
pleine mer que le {^énie militaire le per-
mettra. Quand ma tombe recevrait, avec
le sable dont elle sera chargée, quelques
boulets, il n'y aurait pas de mal, je suis
un vieux soldat.
« Pour ce qui est de la pierre qui doit
me recouvrir, j'avais pensé qu elle pour-
rait être prise dans le rivage ; mais s'il
y a quelques objections, on peut la
prendre partout où l'on voudra ; je
cherche surtout le bon marché afin d'é-
viter à ma ville natale les frais dont
elle se veut bien charger.
« Je ne connais personne, monsieur,
qui mieux que vous puisse prendre la
peine d'inaugurer ma tombe. Le cippe
posé et l'enceinte fermée, je désire que
M. le curé de Saint-Malo bénisse le lieu
de mon futur repos ; car, avant tout, je
veux être enterré en terre sainte ; un
jour, monsieur, comme vous me survi-
vrez longues années, vous viendrez quel-
(lueldi.-. Mius i-epf)sei- .sur ma lnmbc au
bord des vagues, et le soli'il cnnclianl
vous fera mes adieux.
" Wiilà, monsiein-. les dei-uiércs ex-
plications <pie Vous désiriez. Si vous
avez l'extrême bonté de me tenir au cou-
rant du travail et de m'en annoncer la
lin, je vous en aurai beaucoup d'obliga-
tion. La nuit me presse, comme dit
Horace, et je n'ai guère le temps d'at-
tendre. "
C est un modeste comparse qui \a
nous introduire dans l'intimité des der-
niers jours de (Chateaubriand.
Le !'■'■ janvier I8i0, rancieii perru-
quier lin duc de Brunswick, .Adolphe
Pâques, était en i)ourparlers |)nur l'achat
du fonds de .VL lù-ard. coiffeur, rue de
Grenelle-Saint-dermain.
— Nommcz-nioi vos clients, lui dit-il.
lïrard cita les noms de deux ou trois
comtes et d autant de marquis, puis,
solennellement, il ajouta, en homme qui
sent la valeur de Viirticle :
— M. le vicomte de (Chateaubriand!
Pâques l'arrêta court.
— Je vous l'achète!... fit-il.
— Mon fonds?...
— Non, monsieur le vicomte; el je
vous le paye ce que vous voudrez.
On fit prix à trente francs que Pâques
ne devait payer qu au bout d'un mois,
après avoir été définitivement agréé par
l'illustre client. L'affaire était bonne,
d'ailleurs ; Chateaubriand donnant trente
francs par mois à son coiffeur, dix francs
d'élrennes et dix francs au jour de sa
fête; moyennant quoi il était très expli-
citement stipulé que Pâques ne pouvait
se faire remplacer qu en cas d'empêche-
ment absolu.
Son admission à l'hôtel de la rue du
Bac causa une telle émotion au coiffeur,
que, de ce jour-là, il résolut d'écrire ses
mémoires. Et il se tint parole : si vous
rencontrez, dans quelque boite de bou-
quiniste, ce petit livre inconnu, ne le
laissez pas échapper ; il est d'une insi-
gne rareté et — ce qui vaut mieux —
I.KXFAXCK 1;T I.A \ I I; I I, I. KSS K DK C.II ATKA r lili I ANli L-JI
il ol iiniu'^iiiil. (]'f>{ un chniiilrr (\c hi j cliiâiiihpf c'l;iil iiniiiililr; si'> irvei'^ iiiili-
\ le inluiie lie ( Ihaleaulii i;nicl. eiuilé |Kir , quaieiil Miialiiiii(laiiinu'iil a eeu\ i|in
le plus iiail' el le ]ilns passiniiné île ses rif^lioraieill que le |iieuiie|- ilr'ji
uiier ilu
ilniiraleuis
rieur était le ehuei.lal.
M. Pâques trouva lauteiir de Ilenc I CliaLeaubriauil iliclail ali.rs les ilei-
(lans un j;ran(l salou qui lui servait de [ uiers volumes des Mciiinircs irmi/rc-
ealiiuel de travail. — ■• M. le \iconite ' /()«(/«■, eoniuieneés eu ISII. à la \ ,y//ec
était de |ietile (aille, ehélif: sou IVoul ;ili.r l.mijis. Il luellad iiaifois ,ni niler-
luiul, très (lé\elo|i|ié.
réxélait k\i;i-uie.( louuue
sout eu f^éiii'i'al les neiis
uiaif^res el uerveu\. il
(•lait d'une sensibilité
evtrème: \\\i rien le fai-
sait pleurer; j ai éli'>
souvent téuioiu de ses
aeeés de seusihdde; le
eolll'eur elaul de la
maison, d ne eliereliail
nullement a di^^imulei-
ses mi])ressiiins eu ma
|)résence.
.. I.e personnel de sa
maison se eonqiosail
iVwM euisniier . il un
valet de ehauihre el de
la l'emiue de ee deinier
ipii ser\ad de Im^ere;
d avad une vodnre el
liiuail deu\ ehevaux an "^''IS^*^-^^^^^
M. le vieomli'assisdans
un ^raïul lauleujl. a\anl
à sa ^auehe la iliemini'e
où pi'l diail uu leii elair
en loiile saison, ear d
elad Ires IVdi-u\ A sa
di-olle se li'on\ail une
table elun-ee de pa-
piers, de II \re-. de |ouriiaii\ ... l'iul cela \alle d nu quart d heure entre ili
H 1 T H \ I' BU I .V N I), Ij'AI'IliïS 11 K V fc 1! I
)éle-méle el dan- un adinirable
l.e seerelaire se reposail ou
ordre. J'étais anlMii-e a piendic, dans Iraeail des dessins siii- une reiiille de pa-
le las, les |ournaii\ qui me eou\ enaieii I ; pier. I • aul l'es l'ois, le \ lei I (''crn aiu rele-
eliaqiie |our j en empiirlai- Irnis nu \ail du Liesie le rasoir de M. l'àques. el
qiialre, puiirla plu- ^ raiiile sal i-l'ael ion i''i'lail la besiinne de eelui-< i qui se
des elielils de ma liniilique. I ,a ImiiiiI- Irninail intinrompue. Aussi, eerlailies
loire, eiinicnani l'eau qui de\ail ser\ ir -i''aiiees eolIVenrel seerelaire réunis
pour la barbe. ela|iolail devaiil l'aire. ' - diiraieul-i'lles une lieiire mi deux.
,1e ra-.ii- sur pl.iee. .l'ai déjà |)arlé de la | Souveul, M""' de ( ;iialeaiibriand était là
-iinpbeili' de- ^iiùls du i;raiid ('■eri\aii
i\ee une pelile
lile perrnebe ipielle all'i
dlli;;ol,. qui lui -ervail de rnlirile \ li.mn.iil. Celle periuelie en, ni a l'a]
I. KN l'ANCK i;t l.A \ I i:i 1.1. i;
;k 1)1-: (;ii.\Ti:.\ iiuii .\ .n d
proi'lic (lu coitlciir; iiiio lois i-llf ;-:iiil;i
sur lui; il son (It-haiTiissii en lui savoii-
iKUil le Ik'c; lie là, grande laiHiiiic: elle
se peiulail à son lial)il : ■ cela lai-ail
sourire M. le \ iionile ».
Pendant douze ans, le eoillcur ne
manqua pas un seul Jour de venir :i
l'heure dite chez l'écrivain; aussi l'Iia-
l)ilude engendra-l-elle l'inliniité. Cha-
leauhriand se sentait aimé; il pcusail
tout haut de\iuil M. Pâques. M. PA-
([ues, de son coté, jouissait de son
client. Il était heureux de le servir,
lier de recueillir ses moindres paroles.
[1 détachait avec soin du crémèloir les
ehe\eux du grand homme, _el il les con-
servait pieusement. ,'
— Donnez-moi quchpie chose, mon-
sieur le vicomte, lui dit-il un jour.
— \'olontiers, que désirc/.-vous?
— Monsieur, mon rêve serait de pos-
séder cette caïuie.
Il s'agissait d un \ieu\ jonc sur lequel
Chateaubriand s'était ap])uyé autrefois
pour gravir les pentes du Sinaï. I..e jonc
était tordu, usé, éraillé ; il ne servait plus
qu'au valet de chambre pour battre le
lit; mais c'était un souvenir et quel sou-
venir!
— Soit, (lit (^hatcaubriaud, et je vous
donnerai autre chose encore; une attes-
tation écrite que c'est bien monjonc du
Siiia'i.
Chateaubriand était malade ce jour-là.
Il remit au lendemain pour écrire le cer-
titîcat d'authenticité de sa canne. Le
lendemain, il s'alita et il ne se releva
plus. Pâques l'ut témoin de ses derniers
moments. Il y eut, à l'instant suprême,
une scène déchirante ; M"" Récamier se
précipita sur le corps de 1 homme illus-
tre qui venait de mourir, et, d'une voix
que brisait la douleur, elle l'appela plu-
sieurs foisparson nom. ..Elle pria Pâques
de couper pour elle une boucle des che-
veux du défunt ; il en prit plusieurs qu'il
distribua aux amis de la dernière heure,
agenouillés dans la chambre. Ampère et
Béranger étaient du nombre, ainsi que
l'abbé Deguerry, depuis curé de la Ma-
deleine et martM' de la guerre civile.
Ce soii'-là, Pâipies i-enlra chez lui en
sanglotant pour y serrer, comme un tré-
sor, les ustensiles de bariie de son gi'and
homme; i-icn ne fut oublié, ni la vicilh-
sébile en bois, ni le pinceau, ni le savon
il demi usé... Le lendemain, il revint
encore. i,e corps de (Chateaubriand était
éteiulu sur son petit lit blanc, bien sim-
ple, dont quatre montants en fer soute-
naient le balda(|uin, vêtu d'un surplis
blanc, les mains c'ouverles de gants
blancs et la télé coiirée. (Quatre cierges
brûlaient dans la chambre; un voile
noir couvi'ait la table de travail; les
papiers et les livres, dont elle était en-
core chargée la veille, avaient disparu.
A leur place s'étalaient la plaque de
l'ordre du Sainl-l'Csprit, toutes les croix
et tous les rubans dont l'auteur d'Alain
avait été honoré. Le service religieux
eut lieu à l'église des Missions lîtran-
gères; Pâcjues y prit place au milieu des
amis les jilns intimes; après l'absoute,
il reçut le goupillon, pour jeter l'eau
bénite, de la main d'Alexandre Dumas,
et le passa, à .son tour, à Béranger. qui le
suivait en pleurant...
(Quinze jours |)lus tard, le 17 juil-
let 1848, la dépouille de Chateaubriand,
accompagnée des membres de la famille
de Chateaubriand et du curé des Mis-
sions Etrangères, arrivait à Dol de Bre-
tagne, où une députation de la munici-
palité de Saint-Malo vint la recevoir ;
une garde d'honneur veilla pendant la
nuit près du corps. Le 18 au matin, par
un ciel sans nuage, le cortège prit la
route de Saint-Malo. Tous les habitants
de la ville étaient massés sur le Sillon et
accompagnèrent les restes de l'illustre
Breton jusqu'à la cathédrale. Pendant
vingt-quatre heures, une foule immense
délila respectueusement devant le cata-
falque. L'absoute fut donnée, le 19, à dix
heures et demie du matin et la messe dite
parle curé de Combourg ; puis le cercueil
fut porté processionnellement dans les
rues de la ville; le canon tonnait, les
I. KXFANc, !•: i;t I.A \' ikii.i.k
;K DK CIlATKAriUil AM)
\n populaire niiiiiiiifc :
l'ciillliinl ,i'ai cl. uni.' M'U\ OÈiaiicc
Du J..I1 li^ii ,lf nui naissHiu-.-...
l,iiuli> i|UL' le tciii\i)i |ias>:ul ile\;iii(
ces niaisDiis de la |)lace du rhàteaii (lù
Clialeaubriand avait vu le jiuir et iiù il
avait vécu ses premières années. On
j^ayna la plafje par la pmie Saint-\ in-
cent et la chaussée du Sillon. Des ori-
llamnies de deuil indicpiaient, comme
autant de jalons sur le roc et à travers
les ruines du \'ieux Tort, la roule abou-
tissant au sé|iulcre. ('ne mnltituile in-
nombrable se pi-essait dans les rues, an\
fenêtres, jusque sur les toits, sur les
remparts, dans les f;rè\es et sur les ro-
chers qui les bordent.
I^e cortèf;e s'enf,Mf;ea sous les rem-
parts Saint-Thomas par- la j;rè\e du
rocher Malo. sur un chemin improvisé
])ar les soins <le 1 adminislr.il ion muni-
cipale, el parvint à lile iln (îraiid-
Hey. .\ deux heures dix minutes, le
cercueil, descendu le long d'un plan in-
cliné, par une brèche pratiquée dans le
[larapet du vieux fort, l'ut doucement
déposé dans la tombe qui l'attendait
depuis douze ans.
" Quand, vers le .soir, notait un témoin
de la cérémonie, la mer eut repris pos-
session de ces grèves, laissées libres un
instant à la piété des hommes, quand
lile du tombeau reparut, de loin, dans
sa beauté solitaire, entre la ceinture de
ses vagues el le couronnement de ses
étoiles, une brise mystérieuse souleva
tout à cou[)ces mêmes flots qui saluèrent
jadis par une tourmente de six semaines
la naissance de Chateaubriand; l'ombre
de René put reconnaître les caresses de
la rude et vieille maîtresse qui l'avait
bercé, el jouir en paix de la solennité
d'une tempête pendant sa [)remière nuit
de l'Océan. -
(i. Lenotiîi;.
PLAGES NORMANDES
VUES D'ETRETAT
(Pliott'graphie? île M. A. da ClUilia).
PLAGES ^'or^MA^'DES
IM.ACKS Non MA M) i;
DIVES. - H0ULGATE
IM.AT.ES NOHMANDKS
TROUVILLE
BELFORT
Quand on arrive près de la frontière
de son pays, on ne peut se défendre
d'une certaine émotion grave : ici finit
la région qui est comme votre milieu
naturel, dont les êtres sont liés à vous
par l'habitude de la même langue, le
culte des mêmes souvenirs, les mysté-
rieuses affinités de la même race : au
delà vous serez pour ainsi dire hors de
votre élément, vous ne vous sentirez
plus de contact avec les êtres qui vous
environneront, l'inconnu s'ouvrira de-
vant vous.
A Belfort, cette impression est solen-
nisée par l'aspect même de la nature,
car notre pays s'ouvre là par un seuil
grandiose, dont les jambages sont des
montagnes boisées de sapins et souvent
neigeuses.
El combien la mélancolie, dont on se
sent envahir en ces lieux, redouble en-
core quand les formidables travau.\ de
défense qui couronnent ici toutes les
crêtes, qui coupent tous les terrains,
vous rappellent la menace qui toujours
assombrit l'horizon; menace à laquelle
votre générosité humaine voudrait ne
pas croire, car, nécessairement, vous
trouvez monstrueux ces chocs éventuels
de races, dont les individus n'ont au-
cune raison de s'en vouloir et en
auraient peut-être de s'estimer!
11 se peut qu'au saut du train qui
vous amène à Belfort, un cocher vous
demande si vous avez besoin de sa
<' foidure », car nombre de Belfortains
ont l'accent germanique ; à d'autres
signes, vous reconnaîtrez le voisinage
de l'Allemagne; ainsi, les cafés, au lieu
de s'ouvrir largement sur la voie pu-
blique, comme clans le centre et le sud
de la France, n'ont la plupart qu'une
petite porte discrète, ce qui s'explique
sans doute par l'amour de la vie close
si développé chez toutes les races sep-
tentrionales; vous verrez des couples de
bœufs attelés à de longs chariots montés
sur quatre roues et chargés de choux
blancs : c'est la choucroute en perspec-
tive.
Cependant la population n'a point le
on ne mange que dans des assiettes por-
tant sa silhouette représentée en leur mi-
lieu. Nauriez-vous qu'une demi-heure à
passer dans leurs murs, tous les Belfor-
tains vous conseilleront de l'aller voir.
D'ailleurs, vous l'apercevez de loin, se
détachant en bas-relief à mi-hauteur de
la paroi rocheuse de soixante mètres que
couronne le château. Si vous voulez le
contempler de plus près, vous payerez
cinquante centimes à un gardien qui
vous ouvrira l'accès d'une terrasse mé-
nagée à sa base. Sa pose est assurément
type germani(]uc'. La lailK? est générale-
ment haute, comme de l'autre côté du
Hhin, mais les bruns dominent, non les
blonds, et, spécialement chez les femmes,
vous remarquerez souvent ici un ty[)C
de brune nerveuse ([ui semble méri-
dional.
Au reste, l'attachement exalté des
Bclfortains [)t)ur la France vous est
prouvé par le culte qu'ils vouent à leur
Lion. Ce lion, monument commémo-
ratif de la défense de 1870, se trouve
reproduit sous toutes les formes imagi-
nables aux vitrines des marchands; il a
les honneurs du presse-[)apiers, du dessus
de pendule et des manches de ])orte-
plume à vues microscopiques: à l'hôtel.
saisissante et donne une belle ulée du
talent de l'auteur, M. Hartholdi, enfant
de l'Alsace : l'animal se dresse sur ses
pieds d(! devant qui, sortant leurs grilfes,
semblent peu dis[)osés à céder le terrain
qu'ils occupent. Il est exécuté en assises
de grès rouge, pierre très commune dans
la contrée et qui offre le chaud aspect
de la terre cuite.
(Jnant au château, il [irésente à la
ville un corps de bâtiment en bordure
sur le faite du roc et qui, recouvert par
des tertres gazonnés, découpe mmi prolil
austère sur le ciel.
Si vous contournez le mas.~it imposant
de cette citadelle, vous pénétrez dans ce
<|u'on a|)pelle le camp retranché perma-
neiit parl:i |Hirleclo lirisucli, uncpolernc
fin xvn" siècle avec la devise du Hoi
Soleil : Xec plurihus impur, orgueilleu-
sement inscrite sur son fronton. L'es-
pace où l'on se trouve alors est un rec-
tangle fortifié, long d'un kilomètre, et
dont les deux angles les plus éloignés
du cliAlcau sont occupés par les forts
de la .luslice et de la Miolte.
La MioUe est une tour que l'on dé-
couvre (le tous les environs, un vrai nid
nison, cl des points élevés vos regards
lombenl toujours sur l'inluricur de plu-
si«uri> d'snlre elles où des hommes de
corvée sont en train de manier le halai,
« le pinceau » avec ardeur.
La ville est entourée d'un mur percé
de meurtrières pour le pointage des
fusils, défense qui semble un peu super-
llue quand on songe à sa faiblesse par
rapport ù tous les puissants moyens de
protection, forts de ceinture et feux de
LE LION DE UAUTHOLDI
d'aigle juché sur une hauteur qui do-
mine un bel étang bleu, l'étang des
Forges. Il fallait la voir à l'issue du
siège : elle ne tenait plus que par mi-
racle, tellement elle avait été déchiquetée
par les boulets prussiens; elle a été res-
taurée depuis, ce qui était fort néces-
saire, quoique regrettable au point de
vue pittoresque.
Des soldats, encore des soldats : vous
ne pouvez faire un pas dans toute la
place de Belfort sans voir défiler des
troupes et sans entendre les sonneries de
clairon qui appellent : « Tout le monde
en bas ! », pour l'exercice; d'innom-
brables casernes servent à loger la gar-
citadelle, dont l'ennemi devrait avoir
raison pour approcher du rempart.
La campagne est très belle : elle est
arrosée par la Savoureuse, au si joli
nom , descendue par des cascatelles
écumantes du Ballon d'Alsace, dont la
crête arrondie dépasse les autres cimes
bleues des Vosges qui ferment l'hori-
zon. La rivière, claire et étincelante'sur
son lit de cailloux roulés, serpente au
pied de dilTérentes croupes boisées :
lArsot, le Salbert, le Mont, et s'en va
se jeter au sud dans un aflluent du
Doubs.
De quelle époque date Belfort?
Les Bellorlains vous montreront dans
leur musée les preuxes d'une ascendance
préhistoricjue : ce sont des ossements
humains des temps quaternaires; ils ont
été retrouvés dans une grotte, à Cra-
vanche, un village voisin; à côté d'eux
gisaient des vases d'argile et des os
taillés pour servir d'armes, premiers
témoignages de l'industrie de notre
espèce; considérez les orbites creuses
de ces crânes; les yeux qui les occu-
paient ont vu les mammouths et les
rennes jjrendre leurs l'bats dans nos
contrées.
Mais la ville même de Bell'ort est
incomparablement plus jeune ; elle con-
sista en quelques huttes de manants qui
vinrent s'abriter au pied du château,
bâti vraisemblablement au xi" siècle,
par le comte de Monlbéliard, aux des-
cendants duquel il continua d'apjiar-
tenir.
L'un d'eux, lienaud de liourgogne,
ainsi que sa femme Guillemelte et leur
fils Othein octroyèrent, en 1307, aux
bourgeoisde Bellorl leurs lettres de fran-
chise, par lesquelles ils étaient exemptés
des corvées, de la taille et acquéraient
même, moyennant une modique somme,
le privilège insigne de faire paître leurs
cochons dans les bois du seigneur.
Au surplus, la ville relevait de l'em-
pire d'Allemagne, dont les comtes de
Montbéliard étaient vassaux.
Ce fut en liVM'i que le comle de la
Suzc ayant, ])endanl la nuil, l'ait sauter
la porte de la place, s'en empara au nom
de Louis XIII, et celle ncenpaticin l'ut
consacrée, en l('>iS. par les lrai((''s de
Weslphalie.
Louis \1\' v envova sou i^rand dessi-
nateur tic l'iprlilicalioiis, N'aidiaii, ipii lil
jaillir de son icrvc.ni ImijI un >\->lc'ine
de glacis, de contrescarpes, de cour-
lines, (le bastions, capable de Iciiii- à
bonne distance rpiicon<pie aurail l'idée
de nous repri'iuli-r ISi'H'inl. (If^ i-eli-an-
chenients exisleul iiu-m'c aujoui'd hui,
bien que la pliipail soient rendus iini-
tiles parles lra\au\ (|ui oui l'-lé exécutés
depuis lors.
En 1813, puis en 1H1.J, la place eut à
soutenir deux sièges, et dans le second,
elle fut défendue par le général Le-
courbe qui, après avoir longtemps boudé
Napoléon, s'étailrallié à lui sans réser\e
pendant les Cent-Jours.
De cette époque à 1S70, Bclfort ne
fut pas attaqué.
Le -1 novembre 1870, les Prussiens
parurent au nord-est et, après deux
combats, dont l'un leur fut très préjudi-
ciable, ils se divisèrent en deux colonnes
qui, tournant à l'est et à l'ouest, se retrou-
vèrent au sud à Sévenans.
Le colonel Denfert-Rochereau, qui
commandait la place, avait à sa disposi-
tion un matériel fort imparfait, très peu
de canons rayés et surtout des canons
lisses, ainsi que de vieux mortiers utiles
seulement pour la défense rapprochée.
Les provisions de projectiles étaient
modestes, si bien qu'on dut se décider à
ne pas dédaigner un grand stock de
boulets pleins qui dataient du temps de
Louis XIV et qui, d'ailleurs, supportant
mal les grosses charges de poudre,
s'émiettèrent presque tous à la gueule
des canons. Quant aux ressources ali-
mentaires de la garnison, elles étaient,
au contraire, largement suflisantes pour
cent cinquante jours de siège, et la
population civile avait été avertie île se
pourvoir de vivres pour cpiatre-vingt-
onze jours, le lem[)s maximum pendant
le(piel Helfort (■tait consiiléré pouvoir
leiiii- lonlre les assaillants.
.\ l'.iuesl et au sud-esl ,1e la vdle, les
i-ednules de Hellevue et des l'erches qui
venaient d'élre créées furent mises tant
bien (pie mal en élal de soutenir la
bille.
Le i novembre, le gén(''ral allemand
de Treslvow envoyait au colonel Denlert
la lettre suivante ;
« Très honoré ,■! honorable
commaiid.iiil ,
.. ,!<■ n'ai pas riiileiilioii de vous prii'r
de me rendre la pLiee de lii^U'orl, mais
Il ICI. F O HT
je vous laisse le soin de juger s'il ne
convieiulrail pas tlY-viter ù la ville loulcs
les horreurs d'un sièfje.
« Je n'ai d'autre intention, en vous
envoyant cet écrit, que de préserver
autant que possible la population civile
des horreurs de la (,'uerre. »
A quoi le militaire français répondit
sur-le-champ :
<i (iénéral, j'ai lu avec l'attention
qu'elle mérite la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire avant de
commencer les hostilités. En pesant
dans ma conscience les raisons que vous
me développez, je ne puis m'empccher
de trouver que la retraite de l'armée
prussienne est le seul moven que con-
seillent à la fois l'honneur et l'humanité
pour éviter à la population de Belfort
les horreurs d'un siège. »
On conçoit bien que le général de
Treskow n'obtempéra pas à celte invi-
tation légèrement gouailleuse.
Des compagnies d'éclaireurs se mirent
alors h harceler l'ennemi sur tous les
points, à lui tuer ses sentinelles, à sur-
prendre ses petits postes : elles étaient
composées d'hommes connaissant très
bien le pays et causèrent tant de dom-
mage aux Allemands qu'au 23 no-
vembre ils n'avaient encore pu qu'as-
surer leurs positions sans avoir rien
entrepris contre la place.
Enfin, le "24 novembre, ils
attaquèrent le Mont, une hau-
teur qui se trouve à l'ouest de
la ville, et l'enlevèrent en se
servant, d'ailleurs, de ruses
auxquelles nos soldats jurèrent
bien de ne plus se laisserpren-
dre : ainsi ils faisaient enton-
ner par leurs clairons la sonnerie
française de la retraite ou bien encore,
approchant de nos lignes, ils criaient :
« Ne tirez pas, ce sont des mobiles dé-
guisés ! »
Le colonel Denfert, comprenant que
le bombardement était proche, fît part
de ses pressentiments à la population et,
par les soins dévoués du maire, M. Mény,
des abris furent construits dans les rues,
devant les portes des maisons. On y
, employa des traverses de chemin de
fer. Au reste, les Helfortains venaient
de prouver leur courageuse résignation
liililiiiilii«iliil]iiiiiiii*iii.'»'"iB«i;iiaiiiii'"""''wiibl'E«iiinNii"»*'iiiiiiiiii|^
Qn.\ND même! de IIERCIÉ
en protestant contre un article qui avait
paru dans le journal de la ville et qui
conseillait la capitulation pour éviter le
bombardement.
Le 3 décembre commença la pluie
d'obus qui devait aller rinforzando pen-
dant soixante-treize jours ; le bilan delà
première journée fut de quatre mille à
B E L F O n T
cinq mille projectiles reçus, chillre qui
prometlait pour la suite. Les Allemands
tiraient d'Essert, au sud-ouest, où ils
avaient établi une batterie de huit ca-
nons hurlant sans relâche comme dans
la fureur d'une bataille. Les habitants
de la ville se précipitèrent dans leurs
caves où ils se calfeutrèrent de leur
mieux; dans les escaliers des maisons
avaient été placés, sur le conseil du
commandant de la place, des baquets
pleins deau pour éteindre les incendies
allumés par les bombes, et cette précau-
tion fut bientôt jujj;ée excellente. Au
château et aux redoutes, des guetteurs
avertissaient, à son de trompe, de l'ar-
rivée des obus, et les personnes qui se
trouvaient alors dans les rues gagnaient
un abri aussi vite qu'elles le pouvaient.
Les batteries du château rendirent,
d'ailleurs, aux pièces ennemies leur
politesse et firent beaucoup de mal à
leurs servants.
Au bout de quinze jours de bombar-
dement, un parlementaire prussien re-
mit au colonel Denfert une lettre du
président de la République helvétique,
qui s'olfrait généreusement à faire trans-
porter et à entretenir à Porrentruy les
femmes, les enfants et les vieillards de
Belfort. Le commandant de la place ré-
pondit en exprimant aux Suisses com-
bien il était touché de leur proposition,
mais en indiquant une condition à dé-
faut de laquelle il ne pourrait en pi'O-
filcr : la suspension absolue des travaux
d'approche des Allemands durant le dé-
part de la population civile. Copie de
cette réponse était adressée au général
de Trcskow (]iii n'en aci'usa p:is récep-
(ioM.
Les Helfortauis, que cet espoir de dé-
livrance |)our les plus faibles d'entre
eux a\nit [■(■(•oiil'(ii-((''s, ni' [)i'ireiit pas
aiséniciil leur paiii du sdc-iice de l'ad-
versaire. Li' f) jau\icr, par l'intermé-
diaire du maire et du préfet, ils deman-
dèrent au chef de la défense de faire une
déniarclie auprès du général de 'l'rrs-
Ivow, cl viiici ce cpie Deid'ert ii-pondil :
<< Les faits de celle iruerre cl l,i ma-
nière dont les Allemands la poursuivent
sous la conduite de leur roi démon-
trent avec la plus grande évidence qu'ils
sont décidés à procéder à toutes les vio-
lences, de quelque nature qu'elles soient,
contre les populations françaises. La
guerre qu'ils nous font est une guerre
de race sans aucun ménagement.
Cl En présence d'une telle situation,
quelle doit être notre conduite? l^'tre
implacables vis-à-vis de l'ennemi tant
qu'il est debout et en armes sur notre
territoire, ne lui demander aucune grâce
quelconque et n'en accepter aucune de
lui. ..
Celte attitude du colonel, qu'on devait
cependant jjrévoir d'après le caractère
qu'il avait toujours montré, déplut aux
Belfortains ; ils trouvèrent que le com-
mandant de la place faisait de l'héroïsme
à leurs frais et lui en conservèrent tou-
jours une certaine rancune.
Dans la nuit du 7 au S janvier, le
village de Danjoutin, au sud de Belfort,
nous fut enlevé par surprise et dès lors
la redoute des Perches, qui était pro-
tégée parcetle position, se Inmva tlirec-
tement menacée.
Comme consolation, le 9, les assiégés
entendirent le canon de \ illersexel :
l'armée de Bourbaki allait sans doute
débloquer la place; ces décharges loin-
laines d'artillerie furent saluées avec
enthousiasme : u Jamais plus douce
harmonie, dit le rapport du lendemain,
ne lit tinter des oreilles humaines 1 ■>
Le 1;-), le IG et le 17, le bruil de la lulto
se rajjprocha ; c'était la halaille d'Ih-ri-
court, au sud-ouest de lîelfDrt : la gar-
nison se croyail di'|à lilirr: pourtant
|)enferl, alleiidiinl l(iuji>ui-s (piclque iu-
diealiou plus précise sur les mouvenienis
de Tarinc'!' di' l'E^I, n'osa risquer nue
SDrlie générale, el le IS, hélas', linur-
Ijaki s'éloigna.
Le '20 janvier, reniirnu, .qirès a\i>ir
essuyé de grandes ])erles, occupa Pé-
rous'e, à l'est de la ville; le -JC, il lenla
ciinti-e h'S Perches ini ass.iut <pii lui
réussit mal, car il nous pi-rmil de faire
prisonniers deux cent viiigt-t'inq hommes
231
ItKI.l-OIiT
qui, s'étanl jflés iiicoiisidcTémonl clans
le fossé de la redoute, n'en purent esca-
lader rcscar])e et, menacés d'une (usil-
lade, durent se rendre. On trouva, d'ail-
leurs, dans les [)oclies de ces soldats
allemands (les lettres où ils se plaignaient
il y avait maintenant un accord tacite
de ne plus se tirer de coups de fusil.
A la redoute de Hellevne, un officier
Iraneais dut forcer ses faclionnaires à
faire feu, en sa présence, sur les enne-
mis qui se montraient.
LES FOIlTIFICtTIlINS DE BELFOUT EN 1870-
Au-dessous da bastion du premier pla
le camp retranché ; à ganche.
i est la porte de Brisacb, où
m fond, le fort de la Miette ;
;e trouvait la casemate de Denfert ; à gauche,
i droite, au fond, le fort de la Justice.
amèrement des cruelles difficultés qu'ils
rencontraient devant Belfort.
Mais la garnison aussi commençait à
se démoraliser. Paris avait capitulé le
"29 janvier et l'ennemi en avait répandu
la nouvelle écrite au crayon sur de
petits bouts de papier qu'il avait fait
parvenir, on ne sait trop comment, à
nos soldats.
Français et Allemands étaient si las
qu'entre les sentinelles des avant-postes.
Le 8 février, les Perches furent prises,
et comme de ce point les assaillants do-
minaient deux des enceintes de la cita-
delle, la situation devenait extrêmement
précaire.
Cependant Denfert adressa à ses
troupes et à la population civile une
proclamation où il leur démontrait que
le sort de Belfort dépendait de la conti-
nuation de la résistance jusqu'à la si-
gnature de la paix et leur vantait l'Iion-
lî K L F O li T
neur insigne d'être restés debout quand
tous les autres avaient été obliy:és de
céder à l'ennenH.
Ces mâles paroles ranimèrent les cou-
rages. Il y eut un réveil extraordinaire
d'énergie. Les Bellortains, n'espérant
plus voir linir ce bombardement, s'y
étaient habitués : c'est du moins le mot
que m'a dit, d'après ses propres souve-
nirs, M. Bœck, le bibliothécaire de la
ville. Au château, le maréchal des logis
Lherrou fut blessé trois fois en une nuit
j)rès d'un mortier sans vouloir aban-
donner son poste 1
Treskow essaya d'une suprême inti-
midation sur ses adversaires indomp-
tables; il écrivit à Denl'erl qu'il allait
redoubler son attaque.
Certain que le feu des Allemands ne
pouvait augmenter, car il se chiifrait
alors quotidiennement par douze mille
obus, le colonel français avait l'intention
de ne répondre à l'ennemi qu'en lui en-
voyant le reste de ses projectiles tout
d'une volée en deux ou trois jours,
quand il reçut une nouvelle communi-
cation. Une dépêche de Bismarck venait
d'arriver à de Treskow; elle portait:
« Le gouvernement français m'envoie
pour le commandant de Belfort le télé-
gramme suivant ; « Le commandant de
« Belfort est autorisé, vu les circon-
« stances, à consentir à la reddition de
<i la place. Elle ralliera le poste fran-
c( çais le plus voisin. »
Cela ne suflit pas â Driiferl : il allcn-
dit un ordre direct du gouvernement
français; mais, dans l'intervalle, un
armistice fut conclu, et les habitants de
Belfort éprouvèrent une sorte d'i\resse
à ne plus entendre le bruit infernal des
canons et à resjjirer l'air pur, dont la
vie dans les caves les avait privés [)en-
dant si longtemps.
I'"iiliii, le 17 el le 1 S février, la garni-
son française en armes el drapeaux au
ventquiltait i'>elfort. Le maire, M. Mény,
ne sachant si la ville resterait à la
France, pleurait en serrant la main aux
soldats. ,\u reste, la sympathie des
Belforlaiiis nesuivil p,i~ le ccilDni'l I)en-
fert, qui cependant la méritait. Un nou-
veau g'rief venait de s'ajouter à ceux
que l'on crovait avoir contre lui; car,
pour ne point rebuter les vainqueurs
par trop d'exigences, il n'avait pas sti-
pulé que la population civile serait dis-
pensée de loger les envahisseurs, et elle
dut subir cette humiliation.
.\ Thiers va toute la reconnaissance
de la ville, et il est très vrai qu'elle lui
doit beaucoup, puisque c'est, en somme,
grâce à ses patriotiques instances au-
près de Bismarck qu'elle est restée
française.
Comme il voyait que ses négociations
avec le chancelier de fer, en vue de
garder Belfort, n'aboutissaient pas, il
s'écria que l'Allemagne, par sa préten-
tion de mettre la main sur une cité qui
venait de prouver si hautement ses sen-
timents nationaux, montrait d'une façon
éclatante son mépris pour les vœux des
peuples et qu'un suprême désespoir
allait de nouveau armer toute la France.
Alors Bismarck, après avoir pris les
ordres de son empereur, laissa à Thiers
le choix d'éviter à Paris l'affront de
voir entrer les Allemands dans ses murs
ou de conserver Belfort.
Le représentant de la nation française
n'hésita pas; il trouva que la honte de
Paris serait sanctifiée par le rachat de la
\aillante sœur de l'Est. Et c'est ainsi que
Belfort nous est resté : l'on \oit quelle
pieuse obligalinn l'altachc désormais à
la capilale du pays.
Aujourd'hui la gardienne de la trouée
des \'osges esl (h'^fendue d'inie façnn
formidable.
Dès 1«7.') (■taieiil cduslruils (piatre
forts d'une iinpurlancrcapilale : ceux di's
Pei"clies,de Rop|)e,du Salberl. du Monl-
Vaudois. JMi 1877, on établit celui du
Bosmont; en I SS.'{, ceux de Bessoncoui-I,
de \'e/,elois el de Boisdoye. Un ISSS.
on acheva les ouvrages fm-liliés de (]lie-
vreniont, de Fougerais, du ilaut-Bois, de
Manccaux, de l.i Cote; eu ISS'.», ceux du
Pilon-La-aee. ,1e ri'',l,ni:;-Neur, .h- Dell-
ney, de Rondot, de Grand- Bois, do
Moval, d'iù-pillières, des Esscrls, d'IIé-
ricourt, du Bas-du-Mont, de la Forèl,
d'Kvclte, du nord du Salhcrt, de l'ouesl
du Salherl ; la môme année voyait naître
les batteries du Brosniont, du Bois-sous-
Morveaux, de l'érouse, du Haut-Taillis,
du Bosmont, de Meroux, de Sévenans,
d"Urcerev,de Dorans et de Bolans.
dômes peints en vert pour se confondre
avec la verdure des terrains, sont prêts
à recevoir les défenseurs: des magasins
il [)oudre, pratiqués dans le liane des
hauteurs, attendent d'être approvision-
nés. Un petit chemin de fer à voie étroite
réunit tous les travaux et, selon les
besoins du service, le convoi dirigé par
des soldats du génie va, vient, monte,
LES ALLEMANDS A LA 5II0TTE
Pas un lieu élevé dont le sommet ne
montre des talus sablonneux que l'herbe
n'a pas encore eu le temps de recouvrir
et derrière lesquels s'abritent des canons,
tandis que les pentes sont revêtues de
buissons de fil de fer à pointes ; pas un
pli du sol au revers duquel on ne dé-
couvre des batteries de quatre pièces
dont la gueule actuellement close d'un
chapeau de cuir noir se trouve au-
dessous des terrains qu'elles ont à sur-
veiller, mais qu'un léger exhaussement
sur leur affût mettrait à même de tout
faucher devant elles. Des abris bétonnés,
dégringole le long des rampes les plus
raides avec la vélocité d'un farfadet.
On compte que Belfort pourrait ré-
sister pendant six mois aux elForts de
l'envahisseur. Des vivres y sont renfer-
més pour un an. La place exigerait une
garnison de quarante-cinq mille hommes.
Les munitions y sont accumulées à rai-
son de trois cents coups par pièce, le
nombre des pièces étant d'environ douze
à quinze cents.
Ah! certes, sur ce point, du moins, la
patrie est bien défendue et cependant
quand on songe aux elTroyables sommes
BELFORT
englouties pour la création et l'entretien
de tous ces moyens de protection, on
éprouve un serrement de cœur. Quand
donc viendra l'époque bénie où les sté-
riles haines de race seront à jamais
apaisées et où les nations emploieront
les ruineuses ressoiu'ces qu'elles gaspil-
lent en armem(>nts à mieux exploiter
leur territoire.
Au point de vue civil, aussi bien
qu'au point de vue militaire, Belfort,
pour quiconque ne l'aurait pas revu de-
puis la guerre, est de\enu méconnais-
sable.
La ville s'est étendue très loin sur la
rive droite de la Savoureuse et ces nou-
veaux quartiers se bâtissent sans cesse.
La population a triplé et elle est
maintenant d'environ vingt-huit mille
habitants ; elle s est, en elîet, grossie
d'un grand nombre d'Alsaciens qui se
sont refusés à l'annexion. Le manque
d'ouvrage n'est pas à craindre à Helfort,
car de très grandes maisons de Mul-
house, soucieuses de ne point perdre
contact avec la France, y ont établi des
succursales et l'industrie s'v est subite-
ment développée d'une façon extraordi-
naire.
Nous voici au milieu des usines en
dehors de la ville et contre le chemin
de fer. D'un côté de la voie sont les
cités ouvrières, amas de maisons sem-
blables, avec de petits jardinets enfumés
où sèche le linge des familles ; de l'autre,
les longs ateliers aux toits en tuiles sous
lesquels les machines mugnssenl el que
dominent les hautes cheminées ligiih^s.
aux panaches noirs.
lînlrons dans les ateliers de la Socic'lc
alsacienne de eonslructious mécaniques.
Quinze cenls Mii\rii'i-s v IravailIrnI : (in
y l'iiliriqur de^ locnnidlixcs.
.\ la |i>ii(lri-if, lin ciii\i-irr ;i liunrc
niiii-e, un frulrc niou r;ili;il In siii-sc> veux
blancs, gra\econnnr s'il nll ici a II, s'avance
avec une iierchc vers un d.'s cubilots ou
chaudières de qii.ihr u ciiK] nièlrrs de
hauteur ])leiii('s de fniili^ en fii>i<in. Il
dégage roincrtiirc iiilÏTiciirc de la Inrc
qui la lii.iiclir. l'i.iir-oiiiK' dedans pour
ménager un suffisant passage au métal
et le voilà qui sort, éblouissant, tout
rose, se met à couler dans une rigole
de terre réfractaire et se dégorge en
gerbe dans des chaudrons qu'on lui
tend; à l'orifice du cubilot, un bouillon-
nement se produit d'où partent des
gouttes de feu dans toutes les directions
jusqu'à des sept, huit mètres. Deux ou-
vriers emportent chacun des chaudrons
pleins et vont en verser le contenu dans
les moules dont l'embouchure parait au
niveau du sol. Les gaz qui se forment à
l'intérieur s'échappent en jets de fumée
par des trous pratiqués à cet efTet el
bientôt des gouttes rouges surgissent de
toutes les ouvertures ; le moule est plein.
Pendant ce temps le chauffeur a de nou-
veau emprisonné la fonte avec un bou-
chon de terre fixé au bout de sa longue
lance.
A la forge, de beaux gaillards solides,
le torse nu, retournent avec de grandes
pinces des roues incandescentes sous
le marteau pilon. A l'ajustage, des ra-
cloirs rabotent mécaniquement le fer
et l'acier pour achever les pièces. .-Vu
montage se voient des locomotives en
chantier : ici, il n'y a encore que six
grandes roues monstrueuses avec un
simple cadre posé dessus; là, seulement,
une chaudière énorme ; tout à côté, au
contraire, une machine presque achevée ;
des ouvriers sont en train d'y visser le
nianomètre, le niveau d'eau, le sif-
flet, etc. iMllin au hall de peinlure. les
locomotives sont peintes cl vernies; il
lie reste plus ipi'à leur faire prendre la
\()ie qui se relie à la ligne de Paris à
Dclleel elles s'iMi inmt loiilcs pinqiaiiles
à leur deslinalidii.
Si celle \ isile \ nus a mis en goi'it,
\-eiie/ à l'usine la jiliis ju-dclu' el \ciiis
aiircv. une idi'e coniplele de la nomelle
aelixili' iudiislrieile de Helf.irl. C'est la
lilalure Kiechlin. La poussière noire des
ateliers \oisins est ici remplacée jiar les
blancs lilamenls du colon. 11 arrive en
balles serrées el après avoir iHé rompu
mécani<pienienl,il esl li\ ré aux machines,
a|ipelées batleiirs. où un hallage préci-
n KL TOUT
pilé, combiné avec une puissante vcnti-
lalion, le débarrasse de ses graines el de
ses impuretés. Il en sort en une nappe
blanclic qui est portée aux cardes. Ce
sont des séries de rouleaux hérissés d'ai-
guilles entre lesquels les fibres du colon
sont démêlées; Ji l'issue, on obtient des
rul):ins sur lesquels vont agir mainlon.inl
vcrtis en un lil d'un à six cents kilo-
mètres : cela tient du prodige.
Les ouvrières, en tablier, le cou très
dégagé, car il fait chaud, portent les
longs pois cylindriques en zinc remplis
de colon cardé ou bien entassent les
bobines faites dans des corbeilles. Les
ouvriers, devant les métiers à filer, sur-
M'illonl les lils et s'ils se rom-
pent, vite ils les rattachent, en
suivant les longues travées qui
^ ■ml el viennent en roulant.
L'usine Kœchlin compte
. irante-cinq mille broches.
MO autre, celle de M. Daniel
i>llfus, en compte vingt-cinq
le.
l'infin l'établissement Doll-
lus-Mieg fait le retordage,
opération qui consiste à croi-
les bancs d'étirage cl les
peigneuses ; notre guide
prononce baigneuses, ce
qui est peut-être plus idyl-
lique, après tout.
Dans ces nouvelles ma-
chines les rubans de colon
acquièrent une longueur et
une égalité plus grandes ;
puis les bancs à broches font leur œuvre
qui consiste à tordre les fils en les allon-
geant encore; enfin les métiers à filer,
transformations ullra-perfectionnées des
« Jenny » inventées en .Angleterre,
entrent en scène et, après avoir tordu de
nou\eau les fils, les enroulent sur des
bobines. C'est plaisir de suivre ainsi les
modifications successives du colon : de
le voir ici neige légère, et là fil mince
et solide. Songez quelle métamorphose !
Cinq cents grammes de filaments qui
font une longueur de trois à quatre cen-
timètres à l'origine peuvent être con-
LES DBIKES KT LES CITÉS OUVRIÈRES
scr plusieurs fils simples en un seul
d une très grande résistance.
D'après cet aperçu, on juge de l'ac-
croissement d'importance acquis par
Belfort depuis la guerre.
Il nous reste maintenant à souhaiter
qu'une telle prospérité ne s'arrête pas
en si belle voie. La brave cité a beau-
coup souffert : il est bien juste qu'elle
soit largement dédommagée de l'ef-
frayante épreuve subie il y a vingt-six
ans.
Paul Gsell.
1M)LISS1':UR DE PIERRES
Le petit polisseur de pierres marchait
très vite, ce jour-là, pour se rendre au
grand devoir. Il s'agissait de placer en
son lieu définitif la sixième des caria-
tides qui portent le prostasis dcl'Krech-
théion.
C'était lui, Cébès, qui avait, d'une
main lente, sous la maisonnette de plan-
ches, au milieu de la blanche poussière
et du soleil, amoureusenient poli la haute
statue.
Chaque matin, il venait du dème de
Phalère, où était située sa maison pa-
ternelle, et il se rendait ainsi, d'un bon
pas, vers le temple en construction. Et,
chaque matin, durant toute sa route, il
se donnait une fête perpétuelle.
En vérité, cet enfant, à la taille menue
et svelte, aux yeux bruns clignant dans
un doux regard de curiosité, au hardi
profil de camée, aux nobles songes, était
un artiste !
Dès le seuil de sa maison, il commen-
çait à imaginer mille chimères gracieuses
et suivies. La pureté du ciel, la transpa-
rence élastique de l'air, la grâce des co-
teaux de nuance violette ondoyant à
l'horizon, les parfums et les bruits légers
qui sont comme la respiration naturelle
des choses, faisaient le l'oiid où se dessi-
nait sa rêverie.
D'un mot, qu'il fonnulail tout bas, il
en fixait le thème.
Ahl sa rêverie incessanlc cl diverse I
.Aujoui-d'luii, il se signale dans (piehpie
bal.iille; il décide du salul de la ])a(rie;
])uis, au milieu des belles tilles aux
claires tuniques, dont les bras nus agi-
tent des palmes, il revient, la lêlcuri [leu
renversée, avec du sang sur la poitrine.
Demain, il s'im|)rovise acteur sur le
théâtre, au jour de fête solennelle : sous
la robe longue, immobile et fri'missant,
il dit (les vers, dniil il eiileiid la iV'Sd-
naïu-c dans tout scui cieiir; !,■ public
l'écoute avec exallalioii : les épiièbes,
réunis en un groupe exquis, dirigent
vers leur jeune ami des yeux pleins d'or-
gueil ! Après-demain, son invention est
plus compliquée encore et plus savou-
reuse! Il imagine une captive, aux poi-
gnets chargés d'anneaux précieux, aux
prunelles bleues comme la mer, aux
tresses parfaitement blondes : un vais-
seau merveilleux l'apportait au Pirée ;
d'où vient-elle? On ignore également
quelle langue elle parle; aussi, seule
jiarmi tout ce peuple, a-t-elle de la pâleur
sur les joues et une larme au bout des
cils; or, voici qu'il arrive, lui, Cébès; il
comprend le langage de l'étrangère;
chacun s'étonne et admire ; l'étrangère
est reconnaissante...
Mais, dans cette diversité de fantaisies
incessamment renouvelées, il y avait au
moins une unité certaine. Les femmes
qui s'y trouvaient mêlées se ressem-
blaient essentiellement, ou plutôt elles
ressemblaient à un idéal supérieur;
mieux encore, elles élaienl cet idéal
même.
Or cet iiléal vivait réellement à
Athènes, sur le passage du jeune artiste.
Très souvent, avant de s'engager dans
le petit sentier qui coupe droit vers
l'Acropolis, Cébès apercevait au seuil
de sa porte ou à sa terrasse l'élrangère
Phoïdissa.
De très loin, l'eiilaiit s'i'lail répcMé
((u'elle sérail absenle on endormie,
que toiiles les |iiirles seraient closes
<-oinme de liisles paupières, ((ne ce
n'élail pas la peine de lever la lèle ! Seul
Cd'ur badail cependant. Lt (piand il
apercevait Phoïdissa, il ressentait une
sorte de blessure suaxe, par où enlrail à
Ilots du bonheur [)niir la journée el jiour
la niiil.
Lui parler? Non 1 l'iiui'(piiii .' Il sulli-
sai( (le l'aimer. Dans le ]n-einier amour
d'un arlisie vraiment grand, se révèle
une alinégalion qui est la ciiose du
I.K POLISSEUR DE PIERRES
monde la plus lùcondc cl la plus chaste.
Dès que Ccljès élait arrivé à la cabane
où il devait polir sa statue, il enlevait sa
tunique et, joyeux de mettre à l'air ses
fins bras nerveux, il demeurait un ins-
tant occupé à jouir des choses. Puis,
jelant un regard sur le modèle d'argile,
pétri par la main savante de son maître,
le sculpteur llégésias, il saisissait r;"i[)c
ou ciseau et il se mettait à l'œuvre.
Autour de lui, les autres ouvriers d'art
allaient et venaient. 11 y avait deschants,
des rires, des querelles subtiles. Presque
jamais il n'y prenait part. Il continuait
à exécuter sa tâche. Souple et sereine en
sa forme vaillante, la cariatide sortait
de la pierre comme une printanière vi-
sion.
Au commencement, le sculpteur Hé-
gésias était venu voir comment son
élève conduisait le travail. Il avait ap-
prouvé le zèle de l'enfant.
On assure même que, dans le profond
de son intelligence, lui, le maître ac-
clamé dont les moindres entreprises sou-
levaient l'admiration, il avait pensé que
ce polisseur de pierres pourrait bien de-
venir un maître à son tour.
Tout en marchant, les doigts enfoncés
dans sa barbe grisonnante, Hégésias
avait essayé le mot : « Cébès, Cébès le
sculpteur », et il l'avait comparé aux
mots : <c le sculpteur Hégésias », afin de
voir ce qu'en dirait la gloire immortelle.
En pesant ces syllabes, Hégésias était
arrivé chez sa maîtresse Phoïdissa.
Ce qu'il goûtait en l'étrangère, c'était
la ciselure des traits et l'harmonie du
corps, par où elle réalisait exactement le
canon des plus expérimentés statuaires.
A cause de ce goût exclusivement ma-
tériel, il demeurait inférieur à son élève,
lequel, sans connaître à fond Phoïdissa,
voyait cependant et admirait son âme de
poétique aventurière, de grande sœur.
Un soir d'été, Phoïdissa fit remarquer
à Hégésias le petit polisseur de pierres
qui passait :
— N'est-il pas charmant? dit-elle.
— Je n'ai pas remarqué, fit Hégésias
en reerardant Cébès.
Mais, en ce moment, Cébès ne regar-
dait personne. Il était tout entier â trois
petits poissons cuits qu'il venait d'acheter,
et dont il se promettait quelques délices.
Ces poissons avaient, en elFct, beaucoup
de mérite. Un peu gras, rosés ici et
bruns là, couverts d'une très fine pous-
sière de sol, friands depuis la queue frite
jusqu'il la tête rôtie, ils exhalaient un
alléciiant parfum.
Ce que voyant, Hégésias éclata de rire,
guéri de la jalousie.
Cébès qui, de son côté, avait appris
que le savant Hégésias fréquentait chez
Phoïdissa, ne ressentit non plus aucun
dépit. Son maître élait le maître! D'ail-
leurs, la jalousie ne naît que dans des
âmes basses ou du moins abaissées. Il
faut, pour être jaloux, avoir été griève-
ment blessé parla vie. Ceux qui viennent
parmi les hommes, tout neufs et tout
droits, ont peut-être mille tourments,
mille angoisses de mille espèces ; mais ils
n'éprouvent pas de jalousie véritable,
c'est-à-dire de soupçons, d'inquiétudes
et de défiances immondes. Ils ont mieux
à faire que de s'attacher aux pas d'une
femme pour épier ses démarches et ses
gestes, mieux à penser que d'imaginer
cette malheureuse dans les bras d'un
autre, à demi morte d'amour! Ce n'est
pas au début de la carrière qu'il y a tant
de crainte et de haine. Patience donc!
De plus, Cébès était un enfant. Il ne
haïssait pas les petits poissons cuits à
point.
Enfin et toujours, c'était un artiste.
En mangeant son précieux régal, il
faisait, par exemple, réflexion qu'une
des plus mystérieuses beautés de l'archi-
tecture athénienne, c'est la courbe, la
caressante inclinaison des grandes lignes,
que le vulgaire se figure rigides. Oui,
dans les degrés des temples, dans les
frises, dans les frontons, il y a comme
une trace de l'ondulation où l'horizon,
les flots, les montagnes, tout, sous le
ciel, s'harmonise célestement I...
Cébès possède dans l'esprit, comme
un enchantement, les ornements nou-
veaux, de l'ordre ionique, d'une élé-
LE l'O LISSE CI! DE IMEKliES
gance, d'une noblesse absolues, ajoutés 1 j^ieuse efficacilocle l'arl, les convertir en
au modeste style primitif. I beautés flatteuses! Des entraves, jadis :
Les diriicultés sont vaincues. l<",nciire
une des vicloircs du j;énie d'.Vtlièncs.
Pai.-ir les dilllcnllrs ri, par l.i |)resti-
VI. - m.
désormais, des ornements, .\insi, autre-
fois esclaves el cliarf;ées de cliaincs, les
femmes ont consci-vc ces cliaincs en
LK l'OI, ISS Kilt KK l'll:llltK^
devenanlniciîtrcs.eesdescd'urs. Mais elles
en oui l'ail, à leurs bras, à leurs cloij;ls,
à leurs oreilles, à leurs épaules, une pa-
rure de pierreries el d'or.
Celle réllcxioii évo(pa' l'Iioïiliss.i dans
l'âme de Cébès. A dire le vrai, jamais
Phoïdissa ne le quitte. Elle est là, chez
lui, en sublime place. A peine le travail
ou la rêverie la voilent. Au plus vague
signal, brusquement, un rayon l'illu-
mine, elle, la souveraine.
C'était donc bien en vain, ô mon
pauvre Cébès, que, chaque matin, ' à
côté de la sainte statue en bois de la
Déesse, vestige du passé héroïque gardé
dans sa première na'ïveté, à côté de
la lampe dorée qui éclaire la cella dli
Palladion, à côté du buste de Mercure
au sourire énigmatiqae, à côté des por-
traits des Hutades, de la chaire pliante
de Dii-dalos et des brillantes dépouilles
arrachées aux l'crses, celait en vain que
lu saluais l'autel de l'Oubli.'
Kn vain! Mais lu le sentais heureux
d'appartenir au
charitable peuple,
capable, au milieu
des insignes de ses
triomphes ou des
statues de ses
(lieux, d'élever un
autel à V Oubli, à
ce baume qui coule
dans leau vapo-
reuse du Lélhé, et
(|uc le lotos distille
(le sa Heur meur-
trie!
Cébès avait si
peu oublié Pho'ï-
dissa, même en son
travail, que peu à
[)eu, à la ligure de
femme qu'il avait
mission de re-
porter dans la
pierre, il avait
donné les traits,
I expression, la res-
semblance, l'âme
de Pho'idissa.
C'est pourquoi
Ilégésias, venu
pour la mise en
place de son œu-
vre, eut, en aper-
cevant celte transliguralion, un cri de
surprise, de colère.
— Pho'idissa! dit-il.
Cébès baissait la tête.
— ^'oilà, continua le maître, une rare
infidélité. Depuis quand un polisseur de
pierres se permet-il pareille trahison? Je
devrais...
Il avait pris un lourd marteau et il le
brandissait sur la statue.
Cébès s'était penché. Sa tête pâle
d'adolescent touchait la pâle figure de
pierre, et sa bouche semblait murmurer :
— Tous deux ensemble !
LE POLISSEUR DE PI EH U ES
Mais, en bon sculpteur, Ilégcsias avait j des innocents passioniu-s. Ajoutons
'esprit avisé cl le co'ur généreux. (|u'il aimait Céhès ol qu'il l'cstimail
Au fond, il lui déplaisait de l'aire le pour sa ])assion d'art. 'l'.uil cela aboutit
vieux jaloux, cpri s'apprête à rrap|)er I à un soiu-ii-e, clu'l'-d'duvre. lui aussi.
2ii
i.i; l'oi.issKL'it i)K imkhhks
(l'indiilf^once cl de liiicsse cordiales.
- - \ oici l'heure!
Sur un lit d'herbes sèches où reslaienl
des parfums, la cariatide est transportée
au pied du portique. On l'attache à
l'aide de cables : un treuil la met en
mouvement.
Quelques curieux privilégiés assis-
taient à l'opération. On entend des
propos divers :
— Les plis des draperies ont une sé-
duction indicible. — C'est un panier de
fruits qui repose sur la tête. — Que
son attitude parait décente et vive ! —
Elle rap])elle les lîUes métœques qui
tiennent, aux processions, des cruches
d'eau ou des parasols. — Oui, les filles
métœques ! Croyez-vous que la Répu-
blique eût enduré que l'on représentât
des .Athéniennes en cariatides, por-
teuses de toitures? — Que parlez- vous
de filles métœques? Ne voyez-vous pas
à qui ressemble cette statue? — A qui
elle ressemble? Vous voulez dire que
c'est Phoïdissa elle-même, éternisée dans
la pierre. — La voici! — Qui donc? —
Phoïdissa, Phoïdissa!
Phoïdissa en personne, la maîtresse
d'Ilégésias, arrivait lentement. Elle avait
une tunique d'une sinfjulière richesse.
Une ceinture serrait sa taille. Partagée
en six tresses, sa chevelure, relevée sur
la nuque, était traversée d'un léger ja-
velot et piquée de marjolaines. Son pied,
qui s'avançait furtivement, se mou-
lait dans une chaussure couleur de
safran.
Les yeux des hommes lui faisaient un
lumineux cortège.
Dans sa démarche rythmique, il y
avait un mélange de nonchalance, d'or-
gueil et de tendresse. On sentait qu'à
chaque mouvement elle goûtait la joie
édifiante d'être belle
Afin de lui livrer passage, la foule
s'écarta.
Phoïdissa put s'approcher du temple et
se mirer, [)our ainsi diie, dajis r<ruvrc
éternelle où Ilégésiasavait mis sa science
et Gébès son ins|)iration.
La rencontre avait tant d'éclat que
tous retinrent leur haleine.
Les artisans interrompirent leur ou-
vrage : la statue demeurait suspendue,
presque au niveau de son socle.
Tout à coup, Cébès poussa un grand
cri. Le treuil, à la nianiruvi-e duquel on
ne veillait |)lus, avait cédé. \'acillante,
abandonnée, la cariatide descendait au
hasard. Elle allait se briser sur la pierre.
Déjà un grincement sinistre annonçait la
catastrophe...
D'un bond, l'enfant avait atteint sa
statue. Il l'étreignail contre sa poitrine,
en amant éperdu. Hélas! sauvée par cet
effort surhumain, elle écrasa son sauveur
sur le sol.
Muet, cette fois, Cébès se laissa glisser
à terre, mourant.
Hégésias l'appela par son nom. Il ré-
pondit en tâchant de sourire, lui aussi,
et il ferma les yeux.
Mais, ses yeux, il allait bientôt les rou-
vrir!
Phoïdissa, qui avait tout compris, se
précipita vers son artiste, s'agenouilla,
posa sa main sur le cceur qui battit dans
un élan suprême, plaça ses lèvres sur les
lèvres déjà décolorées, qui donnèrent
leur premier baiser avec leur dernier
souffle.
Comme de bonnes âmes pleuraient.
Hégésias essuya ses paupières et dit, en
regardant les deux Phoïdissa :
— Il n'est pas tout à l'ait à plaindre,
celui qui meurt entre son rêve d'amour
et son rêve de gloire, ensemble réalisés.
Emile H i n z e i. i n .
LES
Revues d'Architecture
L ETRA NCER
t.-^'^
™lf
^.
INSTITUT TECHNKjrE ET B 1 B L I OT H È Q T E P T B L I g C E A WEST-HAM
MM. Essex, Nicol et Goodmau, architectes.
I/MiTlnl.Tlnn- c-l inic <lf- maïuIVsl;:- rludr ,-oni|Kn-all \v ,!.•> styles (1rs divers
lions <Im ;;r„ir n;,l,n„;.l ,,,„ [M-rmcl le l.M.vs. <b,n- le l-^^---' ''l '!an> l-' |.n-,;nl :
mieux .le |n^:er un peuple. I.es UUHU,- .le ^m- v.Imuu-. senueni ueee-s,-,nv>
nieuN publie- ,■! le- hal.it M i. .u. prlvé,.s pour epui-er \c Mijel. Il u,' -a;u.l pa-
sont le (.■■uini^n.iKe (l<- -a iKilure.'l l'ex- non plu- dune lii-loire il,- IIkiIuUiIioi,
pres^l,,,, uial.Mlelle .le -e- 111. .'urs. huiiuiiue.
s.- a-pu:ili.>u- -e Ir.Hliu-.^ul par la N.ui- - e.M.I.'uler.uiMl.' I'^'-'''' '""■
,lisp.,s,li.,n .1.- lo.aux ,l,-liii.- a ,■.■<■.•- rapi.l.' r.'vu.. .1.- IS.'viu- .■..usa.-ive- a
voirs,.sivuni..u-puM,.p„-.uiaal.nl,.r ' laivliil,.,! ur... .laus le- pavs ou ,1 eu
II- arhsli.pi.-^ .'M-l.- .pu iiieril.-ul .l.'Ir.' eit.-es. l'.lies
irinlér.-ssiuil pa> .pi.' I.'- h.iuiiii.-- .le
ni.Mier, .■( ii"> l.-.'l.'ur- v epr..uver.iul
sa vi.' pri\-.-.\ .-1 -.- ,i:.'ul
se ri'v.'-l.uil par I.-- Inrui.- .pi'il .Luin.' a
la niali.'i-.'. il .-I <iipi'rllii .ra|..uler .pi.'
I.- eliiual J..U.' iiii r.'.l.' prepiiu.l.'raul ; ou
u'iiiiai^iui' p.iiul. siMi- le cliiuat .1.'
I..,uilivs, les l.:-ers alirl- .!.• Tn.ili.
.\ussi la vari.'-le .1,- Iim-iu.- .■>!-. 'II.'
Kraii.l.v I\ll.' I.Mi.la -■aiii;iiieiil.'r loii> les
jours par .1.-- luriuul.'S uoiiv.'lles oii la
r.'elii'reh.- .Ii' la luiui.'r.' parail .'■Ire. (r.^s
lieiir.-u-.'iii.-ul .laill.'ur-. la pr.-.ie.-upa-
li.iii .l.iuuiiaiili'.
Non- lie x.iul.ius pas e\posi'r u-i i
un.' seiisaliou ilWrl .pu !.■- s.'.luira.
I':iles s.' iHiriiiMil. .laill.'iirs. à .piaire
pavs. la liel-upi.- \ o.-.-upaul un.' pla.'.'
(les plus li.iuorahles.S'il lallail iu.li<|iier
un elass.'iiieul .1.' ui.'ril.'. u.'u- n li.-ile-
ri.uis pas à m. -tir.' IWuieri.pie ,-ii pro-
ini.M-.' Ii.i;n.'. laiil il .■..um.miI .I.' recn-
nailr.- .pi'.ui la r,'U.-..iil r.- ru lele île
pre-.pii' lou- le- eoiie..ui-.
|)eu\ li.'vu.- -miilair,-. The lUiihIcr
I. AKC.IIITKCÏinK A I, KT » A N C Kll
cl Thv Arcliilccl -l'A X Xi. '-'i; ri;mcs:,pa-
l'îiissuiil cliiKiiii' sciiiiiirir à l.diidi'CS. l'^llcs
cciiiliciniriil i\r~. |iliin<lii's Ikm's t(!xle,
Iri's Moinbi-fusc's cl d'iiiic cxccution l'ii-
cilc , l'cprddtiisniil i);ii'l'ois <riiiiciciis
cdilicciS, llKiis le ])llis soiivciil des cnii-
sli'uctioiis iiKidcnics.
I,c sol de rAii^lelorrc, nulaiil (|uc
celui de la l'"i'aiicc, est couvert de vieux
iiiiimiincnls du passe. I.a maison Dou-
et il ne s'en coiisti-uil plus aujourdliui
(le semlilables. Ceux qui cxisleul sul'li-
sent, d'aillein-s, aux possesseurs en ikhii-
l)re liiuilc du Icrriloirc.
Ils soni j;ciiéralenieul eiilreleuus avec
j^rand soin; même les ruines, f|ni ne
doivent point cire relevées, sont arrêtées
clans leur écroulenienl.
Les constructions modernes consistent
surloul dans ces petits cottages qui, à
LE PALAIS i)E JUSTICE LIE Ji A K c u BiT E u. — il. Wiieihoun, architecte.
(R<;-iluctiuii d'UîiL' pbnche du jounml The Bitilder.)
f;las a édile, il y a quelques années, cinq
{;tos volumes qui sont remplis de cro-
quis consacrés exclusivement aux an-
ciens manoirs d"Ecosse. Ces gentilhom-
mières si fn'quentes et d'une allure très
originale ont été d"al)ord édifiées pour
le souci exclusif de la défense. Avec la
sécurité, les fenêtres ont été ouvertes
])lus largement, et le style anglais est
arrivé à ces vastes baies qui répan-
dent la lumière à llols el qui sont si ca-
raclérisliques.
Les cliàleaux des lords, conservés et
restaurés avec soin à travers les âges,
sont des palais de dimensions colossales
la campagne comme dans les faubourgs
toujours prolongés des villes, servent
de home à la famille anglaise.
Ils alTectent des formes variées où
dominent toujours cependant ces grandes
baies par où la lumière entre avec lair
respirable. Avec l'emploi de verres de
couleurs on obtient des effets d'une
chaleur de ton réjouissante. Les appar-
tements intérieurs sont disposés avec
une parfaite entente des besoins de la
vie. Construites à la lîle, sur le même
modèle, des maisons très confortables
sont livrées à des prix de loyer excessi-
vement modestes.
I.AaCHlTKCTriiK A 1/ KT I! AX ( 1 i:i!
SÉRIE DE PETITS coTTAciES. — N. Jav, architecte, tne Archit,ct.
Les ciiiislniclidus iiio(1l'1'iics c-oiisislcnl î ou sV-lèxciil ces ri>ns(ruclinns ini|)(i-
iiussi i!;iiis ces massil's édiliees |)ulihcs, , sniiles, r:ilin(»|>liiTi' esl coiislainmcnt
iusliluls. hibliolhèques. ln'ipilniix, liaii- I cliar^i'c de cliai-liini cl !<■> plus luxui'uses
qiies, clulis oii la puissance l)rilainii(|uc laçailcs siinl \ile recmnerles d'une'
s'afln'Ule avec loulc la sulidili'- de sa cmu-lie é]iaisse de ruiui''e jurasse. Les
richesse. 0)mnie il l'anl lui 1er a\-ec les l'ei-iuel lire- seuil aussi licrnic'-l i(|uei c|ue
i'nlenipéries, les nialeriaux v siuil de pussiMe cl rien u'esl éparuu('- |iour
]U'emier ordre. L'aii \ reelierclie peu , olileuir un i;rand courm-l iulérieur. .\u-
rélé};aiice <ui loul au moins ne la lan( les léj;ers coU;ii;es sont conslmiils
Irouve-l-il pa~ loujouis. Il s af;il ici <le ' a\-ec une injiénieuse économie, aulant
svuilioli-ei- la force plulol (|ue la yràce. pour ces monumenl- pnlilics ou (de\cs
.\ Londi'cs cl dans les grandes villes, j,,-u- des sousci'ipl ions pari iculieres,
les sommes les |)ln- iniporlanle^ -mil
|irodimiées sans compler. ( »n \eul al'lir-
coTTACiK. — ^I. Louis AmMer, aicliilecti;. c //,. i)'ni,l,i
I. Aiic.ii rriocTriiK a i. ktk a \(;i:ii
Il y il eu it('l;4i(|tii' un iiiouv itiii'jil
li'i'S vir (le I ;ii'flii(i.'c-lui'c, um- irclicrcl]!'
très ac'livt" du courort cl une Irr- IcpikiIjIc'
l)réoccu|):ilioii de l'iiirc bien l'I ii hmi
marché.
(".(' n'i'sl pas (|iio I arl y soil né^lifjt-,
au tiinlraiic, mais nos voisins ont pensé
(pic de jolis ellels pf)uvaieiit s'ol)lenir
sans grands irais.
Ils monirciil iiiie i(''cllc lialiilelé' à
ulilisLM- les lij^nes m(}nu's de la conslruc-
lion el une inf;'éniosilé très varitV' |)our
ruiilisaliou de I;
S '^
i^*"t^'ft!3^--'î
PETIT HÔTEL, A BRUXELLES
M. Paul Hankar, architecte.
(Eéductioii d'iuie pla)icho île VÉmiildlion.)
(Rcductioil il'uiic phinche de VÉmuhilion.)
Les hôtels particuliers abondent, et
i^iiez beaucoup le problème cherché et
résolu consiste à obtenir du logement
et de la lumière avec une très petite
l'açade et de minuscules cours inté-
rieures.
L' Emulation, éditée à Bruxelles j)ar
I.yon-Claesen (in-folio, 30 francs), est
l'organe de la Société centrale d'Archi-
tecture. Nous réduisons fortement deu.x
de ses planches : une maison moderne,
par M. Paul Hankar, et une partie de
la restauration, par M. de A\'uelf. de la
Gllde des ^létiers de Bruges.
1 t
^! fi
f/-
BROUTE DE MAISONS D ' H A B I T A T I o.v , A D R E S D E. - il. Ernst Becker, architecte.
i^Archiliktunischt' Jimnlscliini. l
des niMiiuim-nl^ pulilios el privés, types
,1e |,iu~ les slyles. I.M variélé de leurs
r,,nnese>l exlréine, et si leur oruemeii-
liilidii e-l siiuveiil Inip ehiir-ée. l'ima-
i;iiiali(in <les anciens eoiislrueleiirs ~'v
e^l donné liljre earnère.
Telle petite ville i^sl nn musée d'ar-
ehiteelure, et il lanl rendre celte pisliee
aux i;<iu\ei-neinenl- cl aux nHnnci]ia-
lilé> (pi il- oui re-laiiri' et (pids enlre-
lieimenl avec soin ces res|.ecliil)les
léiiKiins du pa-sé. Les uKciirs des an-
celres v revivent plus clairement ipu'
dans les livre-.
j.ev .irchil.'cle- de nos jour-. Inul en
\ rcpreiiani snuveni le- anluph'- l'or-
miilc-, s. ml an-si à la reelicrclie d'un
-Ivic cmilempiirain. Leur |iréiiecupaln>u
-cnilile cire surl..ul de laire -rand. Les
i.nmcnMe- dimporlanee le- allirenl
plu- Nnlonticrsipielespeliles pn.prielés
^i parlicidieres. (In e-l IVaiipé, 1<' lon.u (les
nniivcanx Ixmlevards (pii s'ouvrent dau-^^
=_^
MAISON D'aNOLE, A V■IE^•^•E
M. Ernst von Gotlhilf, architecte.
t ArMldloiilschr HiiihIk/i'iii.)
prc-ipic loules le- villes allemandes, de
celle per-iieelive de maisons -randioses
,,„, -.. developpeni a la -iule le- unes
d,-aillres. l'ilcs -oui Ire- d,ver-e- dans
leurs l'acades, el l'ell'cl n'c-l poml cher-
l.'Allemauue possède en ^rand nondu-e ] eh.' dans la -implicite de- lit;nes.
I. AiiciiiTi-crnii-: a i, 1:111. \.\(;i;ii
(jMi'li|iii's-iincs xiiil ron>lniilc> cm
ni,il('i-i^iii\ ilr pi-i'iiiiri- ni'iliv. iiinrhrc i-l
;:rinnl. 1» MUioiip n'oni cininiu ;i|i|);i-
ifiu'u, cl If stuc qui recouvre leurs
|)l:Ures méuaf,'c pour liivenir. si elles ne
soni pas soif;i)euseinciil eiilreleiiues, des
(li''cré|)ilu(les(|ui maii(|ucroiil (leinajeslé.
J.a lil)i-airie alleiiiaii(lc a puMié de
nonihi-eiix albums donl les |)lauclies en
|)liolo(yj)ie, pai-lailenicMl exéculées,
donnenl une lidèle iniaj;e des monu-
nienls classés.
Les Hevu'"' ■
repividiiire, el elles s'en llennenl le plu:
souvenl aux constructions nou\-elles.
Parmi elles n<His citons V Arc/iilelt-
lonii^he Jitindschuu in-IVjJif), 21 francs]
publiée pai- iMi^jelboru . à Stutlffarl
<!esl de celte Hevue tpie nous lirons
en leur faisant subir une très
foi'le léduclion, les plancbe
lA's ne vu es ■,
nt doni moins ^
1 KL l'-ionsdeks "^
MAISON d'habitation, A c H A R L n T T E N' B 0 u R G. — M. F. Gottlob, architecte.
{.Irdiitillo.-.isehr /!unlseli'iu.)
I. AliC.IIITKC.TriiK A I. ' KT li A X C KH
The American s\rchilecl > 3,') x -3,
Cili Irancsi est un très important recueil
qui parait toutes les semaines à lîoston.
11 donne un iiomlii'e eonsidérahle de
finale qu'appropric-e aux idées t\\\ culte?
Sa solidité sendde d.dier le I.Mnp<. et
rensemLde esl dune partaile harmonie.
I.'inspn-alicni de l'arl i-oman y esl r\\-
planelies l'ejirodnisanl des con^li-uclimis ! dente, mai- ce n'est ]ias une copie,
noinelles américaines, mais sonveiil ( (ii Nondra liieii re<-oiinailre que !<■
aussi des monuments (•(•lidires du eonli- ; i^enlleman cpii a demande à MM. (lar-
lient. rére et iiastinj;s de lui éle\ er, ilan- 1.-
Il n'est ]ias spécialement teclini(pie (.loniieclicul, cette maison de plai-ance
et couxient aussi aux };eiisdn monde. où il pat abriter ses u'oiits de yaihlini;,
Les fameuses maisons à viiii;! étaf;es était inspiré d'un joli sentiment aiiis-
soiit loin d'v occuper la |)remiére place, tique. Sans doute il était passi' |iar la
et le siniei de l'art \ |irédomine. ' (iréee. l'n antre raiiportera le souxcnir
I.'arcliileclnre, aux l^tals-rnis, cher- \ d'un palais ruiin- sur les bords du Nil.
che sa \oie. 'l'rès éprise des lielles tradi- Mais toules ces r('miniscences. louables
tions (lu passé, elle \eut rajennir les et permises, re\élent une l'orme jrune
antiques l'oi-mnles par des li^iie- non- | el originale.
velles el créer un l\pr qui lui soll 11 ii\aipi'an\ MiaU-l iiis on de iiran-
]iropre. Il n'e-l pas douteux (pi'elle y ^ dioses dotations permelleiil d'ediher de
nioiiumenlale- iii-l iliilions. <.-oinme celli
Université Ar Prini-elou. d,,nl non- d.ni-
parAienne. à en ]nj;('r [)ar ci- qn elle a
déjà ])roduil. l.e style du xx'' siéch
pourra bien s'appeler je sl\le améri- nous aussi iiiu' \ iii', dapré- un croipiis
cain. de rarchiteele \\ .-.\. I'..tler. Ici c est
(Jletle é-li-i' paroi--iale,(''l.'\ l'e dans le le i;olhi(|ue aii-lais qui est l'iiispiralenr,
Massachusell- par MM. Shepley. lin- encore ipir de Iri's lieiirenx didaiU ini-
tan et (.loolidL;e, ii C-t-elle pas aiis-i on- |irlmeiil a 1 leiivre un ca(diel personnel.
Èui.rsE l'Aimiasi ALE dan.s i,k .m as.s ac ii r «ktts
WM. Slicplcy, liiilMii it Cijuli.lK"', archilrrl-.,
.-■I!?!^-*!
t^
LAHCIHÏKCTUHI-; A LK'lIl ANGKU
M
^'
3f^
rXIVERSITÉ DE PIIINCETOK
JI. W.-A. Potter, architecte.
La c-olk'cli.iii dv colle belle Revue esl
comme un musée de ce que produit lous
les jours un clforl ininterrompu.
Le champ esl vaste aux Elats-L'nis cl
le Fa^-^^'esl n'est pas prêt d'être peuplé
de maisons. On demeure cependant saisi
d'élonnemcnl quand on se rend coniple
de ce qui a été fait en un siècle.
■ \. (Jl ANTIN.
lISON DE PLAISANCE DANS LE CONNECTICUT
Mit. Cancre et Hastings, architectes.
LA FRANCE COLOMSATKICK
La France d'hier, coloniale parce
qu elle avait des colonies, devient colo-
nisatrice pour démontrer qu'elle peut
être coloniale.
Pour si subtile, en ell'et, que soit la
nuance, il ne suffit pas qu'un peuple ait
des colonies pour qu'il soit nécessaire-
ment colonisateur. Il peut le devenir, il
ne l'est pas toujours proprio molu.
La France avait donc des colonies qui,
si elles ajoutaient à sa richesse, n'avaient
pas pour cela développé en elle le '^oùl
de la colonisation. Autrement dit, elle
ne manifestait pas cette exubérance que
témoignaient déjà d'autres pays pour
l'expansion coloniale et les bénéfices
commerciaux et industriels à en retirer.
La psycholof^ie de son expansion, à elle,
n'a été que l'effet d'une impulsion am-
biante, résultant elle-même d'une stra-
tégie économique dont la nécessité
s'imposait.
Or, le monde frani,'ais n'était pas pré-
paré à cette nouvelle orientation. Tout
en nous défendant de vouloir êlre cruel,
il nous faut bien rappeler que la plupart
d'entre nous savaient tout juste à quoi
s'en tenir sur le domaine colonial de
leur pays. Les colonies comptaient pour
si peu, à une certaine époque, dans l'en-
seignement de la géographie!
Mais le gouvernement dit un jour à
ses gouvernés : u Nous allons nous
épandre »; el le momie franc/ais s<' prrla
au mouvement.
V,n Afri(pi(', en .Asie, en Ûcéanie et
même en Amérique, des com[)étitions
ardentes et d'âpres rivalités le mirent
dans l'obligalion de réca[)iluler son bien,
d'en examiner la stq)erficie, de le déli-
miter ici, d'en exiger plus loin la recon-
naissance, de faire appel à d'anciens
traités, d'en souscrire d'autres, de com-
biner, d'éludier, d'apprendre, en un
mol, ce qu'il ne savait [)as on ce (pi'il
savait mal.
Fnire temps, el ainsi (pic Ir eiiceur
antique, des improvisés lui remémoraient
les âges disparus où des héros normands
ou gascons, cadets aventureux, précur-
seurs de génie, s'en allaient, dans
l'éblouissemenl de l'inconnu, fonder des
établissements sur des terres barbares,
pour la gloire de la France et la fortune
des grandes compagnies.
Ce fut le cas de répéter : autres temps,
autres mœurs.
On essayait, on tente encore de renouer
la tradition. ALais celle-ci n'a qu'une
valeur très relative en matière écono-
mique, et c'est moins elle qu'il faut in-
voquer à propos du présent que certaines
nécessités nouvelles et imprévues.
Il est certain qu'avec ou sans tradi-
tions la France est obligée d'être colo-
niale. Il faut qu'elle s'y habitue, sauf à
y mettre plus ou moins de conviction.
C'est un aspect de son existence avec
le(|uel elle doit se familiariser, mais à la
condition de n'y point paraître impuis-
sante el peut-être ridicule.
Le devoir de coloniser, qui résulte de
la possession coloniale, n'est point, en
somme, contradictoire avec les prévi-
sions de la vie moderne. L'extension des
peuples est un phénomène naturel el de
tous les temps, avec cette particularité
qu'il est aujourd'hui scieuliliquemenl
dirigé. Chacun veut sa part de ce qui est
prenable, sans bataille avec le voisin; el,
[)lus encore, celui qui [)ossédait déjà
quelque chose veul le mettre eu harmonie
avec le reste.
La France ne pouvait [)as plus se
soustraire à celte com|)licilé «pi'à celle
|)récautioM. C'est parce qu'elle possédait
qu'elle a amplifié son rôle colonial ptuir
garanti)- ce qu'elle avait, el elle va colo-
niser ])0ur assurer la dcsIiiK'i' de ses
|)Ossessions.
Mais commenl s'y prciulra-l-elle pour
r<'niplir cette nouvelle lâche?
La eiilonisalion de jadis, alors même
iin'clle procédail d'une insnii-aliou iil'li-
i.A l'UANCK (:()i.omsatiii<;k
cielle, avait pour [)i'inci|ial <''lénicnl l'iiii-
liiilive privc'c. A ccllc-i'i toiile latitude
était laissée de s'exercer comme elle
renlendail. Les pouvoirs de la métro-
pole basaient leur action sur la sienne.
C'est exactement l'image de la colonisa-
lion anglaise moderne, et on peut dire
qu'à cet égard l'Angleterre observe des
traditions qui furent les nôtres.
La colonisation franvaisc moderne,
au contraire, du moins celle qui est née
après l'épopée impériale, a été essentiel-
lement oflicielle. C'est l'Etat qui a été le
colon; il l'est encore, malgré lui.
La colonisation actuelle, en ell'et, est
encore oflicielle parce qu'elle est née de
combinaisons et d'arrangements diplo-
matiques, précédés ou accompagnés
d'intérêts privés plus fictifs et intention-
nels que réels.
>i Je voudrais ne pas insister comme
je le fais, disait en 1890 lord Salisburv
à ^L Ribol, en stipulant les limites de
l'inlluence française au Soudan central ;
mais, j'ai derrière moi lord Aberdare et
la compagnie du Niger. » M. Ribol, lui,
n'avait guère que des rêves coloniaux à
opposer à son adversaire.
Notre extension coloniale élanl donc
une œuvre diplomatique, c'est le repré-
sentant du gouvernement qui apparaît
d'abord dans la colonie et y incarne la
colonisation avant l'initiative privée. Il
y figure un élément de prudence et de
retenue, tel que le peut concevoir la
diplomatie étrangère, c'est-à-dire la riva-
lité voisine.
Ainsi , on laisse ailleurs l'individu
s'emparer de la colonie avant le fonc-
tionnaire ou en même temps que lui.
Là, on parle au nom d'intérêts acquis :
chez nous, on parle au nom d'intérêts à
venir. C'est là une infériorité rédhibi-
loire.
^lais peut-on ne vivre toujours que
de traditions ou se figurer qu'il est in-
terdit de puiser à d'autres sources"?
N'esl-il pas permis, au contraire, de
concevoir des formules nouvelles devant
des devoirs nouveaux? Les uns disent à
l'opinion : <c Les colonies nonl de raison
d'être que [jour y laire «les allaircs, au
ti'ement dit pour être explr)itées. » Les
autres ajoutent : >• Il faut que les colo-
nies soient des exuloires pour les labo-
rieux à qui la terre de la métropole est
ingrate, autrement dit qu'elles soient
des refuges de peuplement, autant du
moins que le climat le permettra. » l'exa-
minons ces deux points de vue, par
comparaison avec l'étranger.
Alois que l'Angleterre se crée des in-
térêts sur un point détermine, en vertu
d'un calcul d'extension que justifie son
régime économique, el revendique ce
point comme sa propriété au nom des
intérêts susdits, la France, nous venons
de le dire, sollicite une consultation
préalable avant d'entrer en possession
d'un territoire quelconque et fait appel
aux intérêts quand celui-ci lui échoit.
Or, c est à ce moment qu'elle éprouve
plus que jamais combien elle est impuis-
sante en dehors des moyens officiels.
C'est à cet instant qu'elle se retrouve ce
qu'elle était avant l'impulsion qui a fait
d'elle, puissance coloniale, un pays
obligé de devenir colonisateur.
Elle n'a évidemment pas les mêmes
raisons que l'.Angleterre d'escompter
comme un bienfait le dérivatif colonial.
Sans renouveler des considérations
maintes fois exposées sur le tempéra-
ment casanier du Français, admettons
que cela suffit pour expliquer son peu
d'empressement à sortir de son pays. La
conclusion est malheureusement péremp-
toire, elle défaut de circulation, ailleurs
même que dans les colonies, permet de
supposer que ces dernières ne seront pas
l'objet d'une préférence de la part de
gens qui aiment à rester chez eux.
Comment veut-on que, dans de pa-
reilles conditions, le Français oppose
des forces équivalentes à celles de ses
concurrents sur le terrain colonial?
Les Anglais, les Allemands, les Hol-
landais, sans parler des autres peuples,
n'essaiment pas seulement des intérêts
dans un but colonial, mais parce qu'ils
quittent volontiers leurs pays pour aller
dans d'autres. Ce sont des coloniaux
LA FUANCli C.OLOMSATHICE
avanl letlro; el il va de soi que cette
disposition les pi-épare admirablement à
|)eiipler leurs colonies.
Si les Allemands, qui sont déji'i plus
de trois cent mille au Brésil, s'avisaient
de détourner quelques-uns de leurs émi-
j,'-rants vers l'Est africain, leurs posses-
sions seraient bien vite peuplées.
Xous ne peuplerons point les nôtres,
parce que nos nationaux ne vont en
pays étrangers qu'à l'état d'exceptions
lorsqu'ils y vont dans un but commer-
cial, et parce que l'émigration française
est trop canalisée, trop subordonnée à
des routines, et surtout trop restreinte
pour proliter à un but colonial. A plus
forte raison, n'avons-nous point d'excé-
dent sur lequel nous puissions asseoir
des espérances.
Dans l'espace d'un an, c'est à peine si
deux cents de nos paysans ont quitté la
France pour la Nouvelle-Calédonie, pays
essentiellement favorable et où on trans-
porte gratuitement les émigranls.
C'est tout ce que nous avons à oppo-
ser au peuplement des colonies étran-
gères, et il s agit ici d'une colonie agri-
cole; ce qui revient à dire que pour les
colonies qui ne sont p;ts agricoles l'émi-
gration est nulle.
N'otez cependant que les causes dé-
terminantes de 1 émigration sont les
mêmes pour nous que pour les autres.
Les Anglais, qui, soit dit en passant,
ont émigré beaucouj) [)lus tard qu'on ne
suppose généralemenl, ont été amenés à
l'expatriation par la misère et le mécon-
tentemeiil, deux choses qui ne sont pas
précisément étrangères à notre [)avs.
Les causes étant les mêmes et les
ellets ne l'étant pas, c'est donc que l'é-
migration n'est pas une loi inévitable.
Alors il faut chercher autre chose
pour coloniser.
Si les colonies ne sont pas des exu-
toires pour les laborieux à qui la terre
de la nii-tro|)ole est ingrate, peut-on rr-
pendaiil en tirer parti sans le conroui's
de ces labor'icu\ ?
La i-i-|ion^e ne saiii-ail rli-e douteuse,
si on Nciil bien ailinrili'c iMpiilablement
que la colonisation crée des devoirs qui
s'appliquent bien plus aux populations
à coloniser qu'aux colons plus ou moins
problématiques de la métropole. L'ne
colonie n'est pas une maison dépourvue
d'habitants, et il est étrange de toujours
gémir sur un abandon qui n'existe
pas.
Tel qui prend possession d'une terre
habitée ne peut prétendre y jouer le
Robinson. Cette terre lui oll're une
main-d'œuvre quelconque à laquelle il
s'engage à donner sa main-d'ceuvre in-
tellectuelle en échange. Ce n'est que
pour cela qu'il a fait acte de conqué-
rant, soit qu'il ait pris par la force et
sans conditions, soit qu'il s'agisse d'une
association librement consentie des deux
parts.
Une colonie a donc une population
dont on se constitue le tuteur et l'éduca-
teur, et qui accepte ou repousse l'in-
fluence qu'on se donne mission d'exercer
sur elle.
Le tuteur a, par conséquent, un pre-
mier devoir, qui est de l'aire accepter
son inlluence. 11 en a un second, qui est
de faire de celle-ci l'instrument d'iuie
adaptation.
Ainsi la pojjulation de la colonie, en
s'élevant aux idées de ses tuteurs, en
les partageant ou les associant aux
siennes, deviendra l'auxiliaire de la nn'-
tropole.
l'Aie aura donc un iv'ilc à reni|illr en
face du rôle de ses dirigeants. A des
devoii-s elle adjoimli-a des devoirs, (pii
ne seront plus ceux de rell'acrineut cl
du silence, tle la sujiHion tvranniipie cl
de l'uiei-lie, mais ceux du labeur rassé-
rénant et prolitablc, encoui-agi'' par K'
sentiment d'une res|)onsabilité ipii i'lè\ e
et non d'une crainte tpii abrutit.
Une colonie peut rester pendant de>
années sans recevoir un colon. .Mais si
un gouverneur peut établir, apiès c<'lle
période d'années, ipi'il a fait ouvrir
lieaui'ou]) de routes, instilui' beaucoup
d'écoles, assuré la séeurilé. établi la
justice, |)rotégi' le conunerce, développé
l'agriculture et l'industrie; que les indi-
I.A l-ltANCli; COI.OMSATItlCE
gènes, enfin, Iravaillenl plus qu'avant
la conquête, sont plus instruits, plus
libres, plus riches et plus heureux, il
])()urra dire qu'il a bien colonisé. Il aura
l'ait des étrangers d'hier des auxiliaires
nouveaux dont la métropole ne regret-
tera pas l'association. 11 aura fait acte
économi(|ue et humanitaire. Ce sys-
tème, qui prépare le triomphe de l'idée
avant celui des choses, est à méditer.
En Asie, nous sommes en présence
d'institutions immuables, qui s'alimen-
tent de IratlitioMs séculaires, où s'épa-
nouit le génie d'extrême Orient, au foyer
d'une race assurément supérieure dont
nous devons nous borner à diriger les
destinées.
Au Soudan, la possibilité de l'adapta-
tion apparaît plus immédiate, même
avec 1 action parallèle de l'Islam. La co-
lonisation y repose sur une mise en va-
leur de l'individu bien plus que sur
l'appropriation des choses.
En Asie, les choses et les gens s'iden-
tifient. Au Soudan, l'absence d'indivi-
dualisme rend les choses inertes, et le
servage même est stérile, parce que les
exactions des chefs y épuisent la pro-
priété, parce que le captif n'y produit
pas ce qu'y produirait l'homme libre.
11 nous faudra, tout comme au xiv'" siècle
de notre histoire, détruire la tutelle des
chefs pour faire disparaître entièrement
l'esclavage, même par mesure fiscale.
Mais, si F Indo-Chine française nous
offre le spectacle d'une sociologie an-
cienne assez souple, assez affinée pour
accepter une juxtaposition dont elle ne
prendra que ce qu'elle voudra; si le
Soudan nous présente, avec les ri-
chesses de son sol , des groupes eth-
niques dont il ne tient qu'à nous d'o-
rienter les instincts ; si l'Indo-Chine
nous oppose une civilisation, et si le
Soudan n'en a pas, Madagascar nous
met en présence d'un problème qui res-
semble singulièrement à une mystifica-
tion.
La nation hova, car c'en est une, n'est
ni civilisée, ni barbare. Elle apparaît
comme le produit incomplet d'une in-
fluence interrompue ou mal distribuée.
Elle semble un peuple de raies.
Or, .Madagascar verra deux influences
en contact : l'ancienne, c'est-à-dire celle
du Hova, et la notre.
Laquelle des deux l'emportera?
Cette seule appréhension suffit à jus-
tifier une mainmise absolue sur la grande
île de l'océan Indien.
La France est obligée d'être colo-
niale, avons-nous dit.
La démnnslralion nous en a été faite
surtout depuis 1«'J0. A cette époque, et
à la suite de conventions fameuses aux-
quelles nous participons timidement,
éclate le pressentiment du rôle redou-
table que va jouer le continent africain
dans les destinées européennes. Tel qui
s'efrorce de dégager de l'analyse des
faits les prévovances futures se met en
devoir de noter les péripéties intéres-
santes d'une évolution qui prend chaque
jour une ampleur nouvelle, désormais
insuffisamment caractérisée par le mot
« colonial ». Il s'agit, en somme, d'une
orientation stratégique des grands peu-
ples d'Europe vers des horizons déter-
minés, l'Asie et r.\frique, où condui-
sent des routes qui se contrarient et où
s échelonnent des étapes qui se nuisent.
C'est donc une source de malentendus,
de conflits et de rivalités qu'il convient
de prévenir, de dissiper ou d'atténuer.
La France, déjà puissance coloniale
en Asie et en Afrique, n'a pu se sous-
traire à cette évolution.
Elle avait non seulement à préserver,
mais à prévoir, ce qui veut dire que,
malgré tous les sophismes , elle a été
dans la nécessité de prendre plus qu'elle
n'avait.
Puisse-t-elle toujours semer libérale-
ment sur les terres neuves ou appau-
vries, y réveiller des âmes endormies
ou y éclairer des intelligences en en-
fance. Elle y trouvera, n'en doutez pas,
un rajeunissement de son génie.
L. Sevin-Dksplaciîs.
I.'ILK 1)K SKIX
km;/, si/.l'.n ; i. ili-: dks si: pt s(immi;ii.
De 1,1 l'.Miilr <lii li.i/, <|ii,m(l \r lr]n|,> ' |-:i |iin- un |i;i>-(' ni\ ^1 ,-iirii\ Irii-
<>l i-hiir. ..n ,i|icrr,,il ., I li,,ri/..ii mic Iniirc. l'I l;i Ic-ciidc iiirl iiulniir d Cllr
Miric (le Imii;; r.iiIcMii (|iic le- \iiL;nc> ca- I 1 iiccrhii ii de >uii ain'i'i ilf. (■(iiiiinc au-
cllciil |]ai' iiiDiiinil^ cl -ciiililciil Mil)- i jdiiririiiii l'iirnri- le Nulle ilc liiiiincs
liii.|-„i.|-; r !■-{ l'ili' ili' Si-ii'i. (Iciiil. |irc~i|iir iDHJiiiir^. Iclix cK i|1|h' la
Il ~riiililr liii'ii |iiiiii|aiil (|iic le \irii\ ' mer.
iiiiHule >e leiiiiiiie a ce i-a|i du lia/, a
celle liaiile lalaiM. dcclii,|iiel ce par la
lein|.ch-, (|m ^avance dan- lOcV^aii l.ile S,-na. dil l'..in|H.Mm- Mêla,
ciiiniiii' 111! {■|MrMii de ciiira-~i'. cl dmil dan- -a l)csrii/jliiiii du Maiiili'. an
le ,i;raiill iiiiiniiahle |ieiil lira\fr ^a^^ i"' -iccle de nulle ère. -ilni'c dan-
cr,iinle rejernid a--aiil de- \ai;iicN; la nier I '>rilanni(|ne. en lace le- ri-
mai- celle leire i|iie ion a|iere,iil là- \ a-.- d.- ( l-i-niien-. e-l C(dehre par le-
l)ii-. cdie (-1 -1 plaie. -I plaie! et le- (.racle- ipix rend n llM n il e -aide .l>e ;
n.il- -(inl -i haiil-: (a.nimenl penl-elle le- pieire-e- c.m-acn-e-. ipii il.ini'iil
re-i-lcr .' (du i-e ( I ranui- ipie ce mnrce.i u L:arili'r une el ernelle \ ii- i n 1 1 e. -■ ml an
de- >n\ (.iildie dan- la mer. nlire ,1e nenf. I.c- (.ani.M- I,- appel-
Oucs-anl e-l pin- an lar-e dncimli : leni Si'iio l'I pen>ciil (pi iii>pire<- par
iienl. e-l pin- Idiii (laii> l(lcean (pie j nii i;eiiie parlicnlier. idie- pen\eiil, an
lile de Seiii. mai- ((ne--anl e-l va-le. j m(i\ en de leur- incanlal h .n-. deidiaiiicr
(»ne>-anl a de- lalaix- -olidi'?. cl | le- veiils elle- M..I-. -e iih'laiiii.rplioser
lianles ; aii--i. -i (pndipie eliu-c ddUiie ' en lid animal ipi il leur plail. j;iliTii' li'S
rinipre--i(m de l.i lin de la lerre. ce maladie- re|inlee- i ncmalile-. -avoir el
n'e-l pa- { Ine-siiil. mal- lile de Sein, : prédire le- cli.'-e- ipil M'nml. Mai-, polir
VI - 17.
I 1 1 i: m:
i I-; I \
Cdiluailir l'I iiMT (le leur x'ifiicr, il I'mmI
s'cnil)ari|iR'r vi k's \ uiiir fonsulUT diiiis
k'ur ile mi'iue. »
Il parai! (■vick-nl (|iio c'est bien do
nie (k- Sein (inll s'ai;il la. le nom l'raii-
çais olanl une I radncli.iji nalnrelic (hi
nom lalin; nnl dimlc mm plus que les
prélrc'SM-s. Ic> pi-npliiMcs>c> en i(Ufs(i.iii.
ne l'ussenl des initiées du eullo drui-
dique, (pii a laisse dans loiile lArmo-
rique lanl de vesli';es, et dans l'île de
Sein elle-même des traces sul'lisantcs,
si inrormes soienl-elles aujourd'hui.
Quant an radical sm. il xcul dire rieiix
en celtiipie : ces l'emnies pon\aient, en
ell'et, n'élre plus jeunes, quoique vierjfes,
quand elles exerçaient ce sacerdoce, ou
hien il ])ou\ai( v avoir à côté d'elles,
comme c'est prnlialile. un collège de
vieillards.
Quanl a Sti-alion et à Denvs le Férié-
gcte, dans son poème j;éo^raphique en
vers yrecs, ils parlent éf;:alement d'une
île, située à peu prés dans ces parafes.
où étaient célébrés de soi-disant mys-
tères de Bacchus. Strabon la place
plus bas, vers la Loire, mais il est cou-
tnniier d erreurs plus firaves : et, quant
au délire des prétresses de ïeutalès
qu'il if^uore, il l'atli'ibue à Haccluis,
tout naturellement.
Ou montre encore, creusée dans de
gros rochers à pic au-dessus de la mer,
une sorte de niche vertigineuse que Ton
|)rétend remonter à cette époque et que
l'on nomme le Gador (la Chaise i.
A côté de la légende druidique, une
autre légende im|)orlaule se rattache
ent'ore à l'île île Sein.
Ulr a. eu ellet, un nom
liivlon. tout diirérent de
son nom hiliu el dn ikmu
liaueais qui en déii\e.
" l!ne/, Sizun ". lùwz veut
ilire (/(', el Siziiii est une
routi-aclion <\c Sciz .iiiii,
ipii siginlie xcf)! sniniiieils.
Pourquoi cette appellation
singnlièri'?
Les habilaids (pie j in-
terrogeai ne |)ureiil me
renseigner, ni |)eisoiiiic. \ Uici une
explication possible, la seule (|ue j'aie
pu trouver.
Il y avait jadis une ile merveilleuse
nommée Thnié. où les âmes s'en al-
laient après leur mort. Les pécheurs de
la côte située eu l'ace d'elle étaient ré-
veillés la nuit |)ar un dénie qui les
emmenait avec lui jns(|n'au rivage. Ils
trouvaient là un bateau (pii semblait
vide, et qui cependant enronçait dans
l'eau comme s'il eût été lourdement
chargé ; la cause en était dans le poids
des Ames qui rem])lissaient, invisibles.
l>es pêcheurs partaient pour l'île avec le
(îénie. Là, les âmes étaient comjjtécs el
interrogées par un autre esprit, invi-
sible comme elles, qui les faisait débar-
quer, ynand les pécheurs sentaient à
son poids que* la barque était vide, ils
s'en retournaient.
Si l'île de Sein s'appelait l'île du som-
meil, n'était-ce pas justement parce que
les âmes y allaient dormir leur sommeil
éternel? (Juanl au nombre sept, c'est
un des nombres fatidiques : les sept
jours de la - création, le chandelier à
sept branches, etc. Faut-il pour cela
idenlilier absolument l'île de Sein avec
lile de 'l'Iinlé à hn[nelle. d'ailleurs, se
rapportent une l'oulc d'autres contes?
Non, sans doute. Cette légende a dn
être prêtée à plusieurs îles tlilVérentes
dont Thulé fut en quelque sorte le nom
générique ion trouve, entre autres, ce
nom donné à Ouessant i ; mais l'île de
Sein était probablement une de celles-là.
Il convient de remarquer à l'appui de
cette opinion qu'nn certain nombre de
I. 1I.1-: i)K si; IN
villa.i;c> de la pre>(iuilc ilii lia/ mil. a i |iai- cniili-i'. i|iic pci--. ■niic ne Mriiclrail
la Miilc (k- leur nom. ce iiniii de Sizilii : le- iiu|uii-ler la. el il- |»jiivaieiil -.■ lire
nélaH-ce iluiie ]ia- de relie terre (|ne i de> a-enl- du li^e derrière leur rnrlere>!-e
s'eniharc|uaieiil les aines? <l ecueils.
Ils ne dureiil pas lanler imn plus a -e
rendre eouipte (pi'ils aiiraicnl , dan- la
lenipele même, une pourxuveuse |>lii-
leconde ([u'ailleurs. Malheur en ell'el
aux. navires élr;m,t;ers assez imprudents
pour s'aventurer dans ces parafies. e( que
(Juni qu'il en suit, il semble bien (pie
les Druides aient eti' ses premiers lialii-
tants.
l'uis nu jnnr \iut ou ils dis|iarnrenl .
oii leur religion s'i-liu-nil el n'nil pins
ni jiretres ni prêtresses ; I ile de Sein
cpu leur ser\ il peut-être dederuierrel ii,i;e.
ou les derniers moiirurenl peiil-i'tre. I ut
sans dceute alors inhaluti-e pendant un
.15 ff:iiir"
temps (pi il e-l impos-ilile dCxaluer. le veni et les eourants drosseut sui lile !
San.- (Iraile au — I un peelienr -e ri-ipia 1 Is s' y hiaseiil sans remissn iU . Cetaienl.
a V ahordcr un |oiir. cl la tron\anl \ide, ' pour celle ai;>;l"Uii''raliou de bandits.
lion\.inl e;jaleincul poi — onni-n-e- les dince-santes aubaines.
eau\ (pu renlouraienl. \ balil nue ca- Avec (piehpies torche- allumées, le
liane ; un -econd dut -un re sou c\einple. -on-, -\w la lele de- \ aciies (pie l'on lai-
pui- nu Ir.u-leuie. et une bonr-ade -e -ail coiirn- a cr.up- (1,-lrupie. pouripie
roriua ,1111-1 peu a peu. <Ju i iiiporl ail a Id-cillali le la llamine lil .roue au\
ces -eus habitues a la mer el a ses : navire- ipil pa-saicnl ipi CI le- bnllaieul
values (■ternelle- ri-olement de celte ' sur d autre- navire- et .piil v , (valide
ile dans lOcean ,' (Jiie leur faisait sou , l'ciii lia v i-ablc on ce u'etail (pie terre à
aridih'. a eii\ (pu. sur le conlinenl. se bri-.'r. rien n'était plus l'acile cpie de
d(-.dai.i;naienl de eiilliver le -o| el ne c.uiipleter la bonne v, doute de la mer.
vivaient (pie de pois-.Mi.' Ilselaienl -nr-, [ (.tii.iiit ,iu\ ;;en-. -il- n'étaient pa- eu-
2iin
i.ii.i: i)i; SKiN
^IdUl Is liiiil lie su lie L'I s'ils siirii;i^i';in'iil,
i|iH'l(|iii-s iiin|i- (le j;:ill'c' :i(lroi(i'iiR'ii( ;ii)-
|)li(|iics siii- hi Iric les r;iisiiic'lll Ijic'llti'it
rciiInT siiiis \\-:m ri les iiicllaiolil Inirs
<1 ('liil (le jaiiKiis ivchmicr leur bien.
Tiuis ces ;iv;iiiliif;es réunis lixérenl
peu ;i peu sur lile une populiition déli-
nilive, redoutable et rcdouléc ; ces JJin-
hles (le In nier, ccinime on les appela,
ne connaissaieni réellement ni Dieu ni
maître. Les notions du christianisme
(pi'ils avaient pu apporter de la terre
s'étaient rapidement atrophiées et avaient
|)iMs un c-araolèi'e tout pa'i'en ; c'est, d'ail-
leurs, ce c|ni était arrivé à une ffrande
partie de la Hreta^ne cpie les Jésuites
(lurent se remettre à évaugéliser au com-
mencement du .wii" siècle.
C'est alors seulement que nous com-
men(,'ons à trouver des documents his-
loil(pifs |)récis sur lile de Sein. I.e
■J.") août lt>4l, le Père Mauuoir. accom-
IJayné du Père Bernard, v abordait. Elle
avait une mau\aise réj)utation ; \aine-
menl saint Guénolé lui-même axait, di-
sail-(in, lenlé i\\ l'oMiler jadis un mo- |
nasiére. .\ la lin du siècle pré-cédenl ,
elle |)ossé(lail un ciné — un recteur,
comme on dit en Hretaf,'ne ; — mais un
joui-, ayant été mandé sur le cipiilinciil
par lévécpie de Coi'nouailles, et son ab-
sence se prolonf;eanl ti-op lonf;lemps au
ffré des insulaires, ils s'embarquent, pas-
sent le lia/, et arrivent le réclamer.
L'évêque, terrifié en les voyant vocifé-
rer avec desfjesles menaçants et brandir
leur.s larf;es couteaux à éventrer les pois-
sons, leur livra en toute hâte celui qu'ils
demandaient et ne l'ut rassuré qu'en les
xdvant partis. .Mais le recteur mort, au-
cun autre ne voulut prendi-e sa place.
.\ussi les deux .lésuiles t'in-ent-ils ac-
cueillis avec enthousiasme; il leur fallut
dire la messe sur-le-champ et o|)érer
toides sortes de miracles. l£n s'en allant,
ils eu\i>\èrent à l'abbaye de I.andé\en-
nec. pf>ur y être instruit, un vieux pé-
cheur nommé François Le Su, qui ser-
\ait en (pielque sorte de pasteur laïque
il (pii, après toute sorte de tribulations,
linil ])ar être ordonné prêtre à Quimper
et revint dans l'île s'acquitter de ses
fonctions à la satisfaction générale.
.\ la lin du xvni*^ siècle, lile comptait
a peu près 350 habitants qui vivaient
dans de méchantes masures; elle avait
pour la défendre i canons et :200 livres
de poudre abritée sous un ancien dol-
men. Pendant les guerres de la Révo-
lution, les .Anglais y descendirent et
tirent sauter poudre et dolmen Fréniiii-
rille .
A la Uestauration. le duc d'.Viguillon,
louché du dévouement dont ils avaient
l'ait preuve jiour sauver l'équipage- de
deux navires naufragés, leur lit olfrir
des habitations sur le continent; ils re-
fusèrent. On leur lit alors construire une
jetée pour empêcher leurs maisons d'être
envahies par la mer, et tous les trois mois
on leur distribuait 150 quintaux de bi.s-
cuil, 30 de lard et S de légumes.
.\ujiinrd luii la population est de huit
cents habilanls; elle double presque
l'été, par suite de la présence des Paim-
I.II.K DK SKIX
^f
. ^
k ù
polnis qui. nu mois (l';i\ ril. ;irn\ i-iil (hins sLipci'hi's ciid'i' 1rs Irniics (1cs(|ir'Is du
Iriirs hiilriiux, ;i\L'c Imilr leur lainilir. ii|)crciiil l,i iiii-r, Ic^ aulirs ^-m- (|nrl(|ue
pour la |ii''ciic ilu <-oni;ri- ri île la lan- liaul |irouiouloii-L', au vimiIIIc pur i\r<
Kouslr, Mais ils soni loin iVrin- lualliru- , \cnls. I.c cinicliriv ilc lilf ilr S, 'ni uc-t
l'L'UX et ils n'oul plus besoin il'aucun rien de (tinl cela. I in' ^orli- dr eoni'
seeoui's é(ranf;er.
Ils hahileul de laides el solides mai- ^*J ""
sons en f;raiiil, eiilassi'cs les nues eonlir ■Sr^
les auli-es dans la pailie la pins haute J
de l'ile. entre le pori ,•! 1,- !;ivves du ^v » ** »
lari;e. (>n \ eireule par un dédale iiie\- il, «.A
Inéahlede nndies (•Iroil.-s el puaules. V^.^^i %
d'une saleté \oli>nlaii-e. (|iii oui à peu _^* \^lJ'^'■■i^
prés un méire entre eliaipie mui'; t'Ile^ ^'^i w < iT H IR I 1 i
sou, empestées d-,mmoudu.es de , ouïe Y.'J^^. ^M ^ |, |
sorte et la ninnulre pluie les eliau.t;e en ■M i/fHfJ* ^ fl^V ?\ ^
eloaques, vierfîcs à jaiiiai- de t..iit lialai. "* ^'^^"^ ^
^'ainenlcnt vous \ eliereliere/ au|oni'- .."i ^***S!^ ^
d'hni la poésir de \iellle ili' dmidlipi.' "^ * « "i»-! ^ ^ « fc wu. ji
ou va-uaieni le- piviphrles^'S éelieve- * „i«, jAb 11 ifB ( Fi
lées, où, dans les c-ereles ,1e pu-iav- -^1 i i 0 11 T I II
levées, les pivlivs N'élus de lilane in\ii
([uaieut le Soleil ; xaniinnenl xcm- \ eliei
eliere/, la solilnde mvsliTieu-e el mni'lli
où les âmes allaienl donnii- leiir L;i'aiid ' ^
sommeil. I.à, i-oiuiui' prcsipic pailoul, 'f*" ,i %.
1 llinnine (pli e-l \eiiu a -ail 1,1 iiainre. ,^<^
i'ài dehors des .inei.nis r.ielirrsdu Cado
qui sont restes tels qii an lenip- on le
druides veiiaieni s'\ asseoir an-ih'ssu
des Ihils. en dehors île la parlie siid d
l'ile niers-.immenl reeon\ rrir p.ir les ^^
emlirim- il.'s \a-ni'- .-1 iidialMl.iMr. loni
n'e~t ipie -ini-liv cl -.ilr. .•Iran;.,' a Mur
ee|ieiidanl. I.r eiinrl leic. -iirloii I . d,pa-i'
en i-e nniri- d horn-iir loni ci- ipie l'on c'-lroilc\ (■nlonré'e ih' in.ii-
peut
; V. \\ v V. Il K I. I 1. 1-,
Il \ a le iaineliér(
iraïKlc'-. \
il le- mur- I V-eiM-enl ; par lerre. au
die- iiidirii i\v^ llaipie- d'e.in. dr- d.die- -ont
raii:;i''r-, I ré- rapproehi'i- , la plnp.irl
i-ll'rilees ou liriseï-. A peine e.'i l'I la une
axi'i- -e- eliarnirr- ri li'- areadr- qui I oiiilir pi il- nen \ r. .i pri lie une eroi \ . 1 )n
reiilonri'iil ; |r rimelinr ilalii'ii a\i'e -rs -.dilr rl ,lr la iiirriv, i'.i- un arliii-lr, na-
moilin'iir- a\i-e loiil Ir lii\r de -c- inar
lires; il \ a Ir iimrlirrr du nio\rii à^i
Ir elnirlir
pi. Mlle, p,i- uni- i;r,iinii
l'ilirnl- inaealirr-: ' erllr lirrlir lollr ipir, parloiil aillnir-.
i.ilnrr l'.ill l'r.éili
ir- loiuh.'S
i;raiids jardins -ili
espaf^nol .im'c se- ii
le eniieliére oriinilal aviv
lilaiiehr- ,-l -r- il- noir-; il \ a rnlin !,• ' aha iidon m'es, pas mrme eellr llrnr \ r-
e1111el1rrrdrv1llaj4rr11lour.ini Ir rl.irhrr iiiir Ion ne -ail d' pi'v -rmrlapih,'
niou--u di' -on c''i;li-e. envahi ih' iil.nili's du \riil. iiirn il'\ liriil
:'l de llriir-, el iileiu iloisr.
1: .-e-l
n né'aiit
l'',n j'irrlaL;!!!' même, iiiir dr einii-l lén-- id riiiiie enl rr i.\<-- unir- dr m.ii-on-; el.
■harmanl- ' Ir- un- .diiilr- par dr- arlirr-
iis. un 'jr-
ni-l l'ii i;ranit
1 . 1 1 . 1 ; 1 1 1-;
; I-: I \
scmhli' ('(('l'iu'lli'iiiriil piciiicr. .Iniiiiiis ji' ' ;;i-;iii(l jour, mais cc-llc iinpi-cssion pir-
iiniihlicTiii l'impression (l'époiivaiiK- qui 1 iiiiéi-o ne sV-sl pas oiracéiscl ce ciineliére
se |)r(Kluisil en moi la première l'ois (|ue est demeuré |)our moi la chose la plus
je vis ce cimelière. .l'avais débarcpu- sinistre que je connaisse. ICI dire cepeii-
dansl'ile à la lin du jour, après avoir été dant qu'à cent mètres de là. c'est l'im-
liallotli- huit hrnii-- dans les I le- dn niensili'' de h t. l'iiiMnensité du ciel 1
Haz. la tète et le cceur un peu lourds,
et je m'étais mis, en attendant un maigre
dîner, à errer au hasard parmi ces ruelles
infectes avec cette vague tristesse de
l'âme que l'on éprouve toujours en arri-
vant, le soir, inconnu dans un pavs
inconnu. Soudain, je déiiouchai au mi-
lieu de ces tombes où priaient quelques
formes noires agenouillées, qui bientôt
se levèrent et disparurent: je lis le tour
de l'église et du cimetière, lentenienl,
comme hésitant sans savoir pourquoi,
tandis que la nuit grise tombait de plus
en plus et je m'eusauvai vers de la
lumière, ,1e revins là le lendemain au
1. île est donc a |jeu près stérde.
].e sol arable, n'y étant guère qu<' du
sable, ne con\ieut pas à toute \ égétation;
puis le vent brise et emporte ce qui
lente de s'élever à plus tle cinquante cen-
timètres de haut. Sans compter la mer
qui, dans les gros temps, balave la plus
grande partie de 1 île : là où elle est un
peu plus élevée on cultive quel(|ucs
légumes, des pommes de terre et de
l'orge, et le terrain, étant fort rare, y
est fort cher: i, .") et (i francs le mètre,
carré. .A.ussi est-il morcelé à linliui: il
y a des champs de quatre ou cinq mètres
carrés, mais entourés toujours de murs
I.II.K HK Si; IN 2ii3
en iiii/n-cs |il;itc> i|ili fnlil ii'^--i-iiiliiii- l;i iiiiT. i|iRli|iic> cliiirdoiis cl ln'auci iii|i de
(■:ini|iai;iic dr I ilr :i iiiir muU' de daiiiUT , i;aK'l>. Il l.iid dmic |-el('j;iKT au nMiilhi'e
aux caM- ci-ruM'^ ri iinir.iuliial.lc- ..u I.- drv laMc- .-.•Ile hi>loirc duuf IVuiuir de
c-arolles cl lc> épis Mild un |icn |in>lej;cs i lile (|iii, en alxirdanl a Audierue, se jela
eoulre le \cnl. |lan> la paille lia-M- de ! a plal veiilre devaiil une vache eu sé-
l'île, le len-ain a lieaiieiaip iiioius de ' criaul : " \"nye/ ces cornes I c'esl le
^^
^•?<<i^i*»p^^-.v;s,-^,^g5i!;«ir^!
r V I' 1 T I' \t \ i; V.
vali'Ui-, cl .,11 le hiile _::,.|ieialeiuenl aii\ dialile! .. 1 1 i~l , .| iv que lae. m la il lorl -é-
l'aniipiilais (pn nCii nul Ih'smiu ipie peu - l'ieuseiiien I , <i'l l'Ii-, iiudi's piiiicipaux
daid l.'poipii' rai il II est pas -iduuer^c. piiiniaiiN de l^ins. Il \ a des vaches
Il i,\ a, l.leii ciilendii. aucun arhre; 'dans lile de Sem cl depuis Inrl 1,,iim-
,,11 ma lU.inlr.' cep.Midanl. aliiili-s dans leiup-. Mais de ipi.u M \ en I -elles .' ,|e
de- Cl. ni-s In-s ,'li'(.||e-. nu lienier, deux nai jaiiiai- pu inen rciidi-e c. .iiipic c\ae-
iiia-niliquc-. fusains a ri k ircsceiil s. cl un Icuicnl.
pinricr. lecpiel. m a-l nu a--nr.'. Il a prn- \\rv leur Ii.hi-c ipie Inu Iriliirccii
dinl. ,|e luruiioire d Inaiiine, aucune iiHil les !■, uides el ipie I mi luel -.•cher au
pnire. Mai- de- cpie lalele dnil ailiiv s. .leil, ou la il du c. nul iii-l llih' al ii-r ipi ^■e
dcpas-e le mur i pu l'aln 1 1 e. elle c-l rasi'c ; \ ce le j;. .lUiK m : d r,u u ne l'unice ml ense
parla lempcle. cl ipii \<'U- prend a la -orée, a Iheiii-e
Sur le l.oid Ar la mer p.Hi-.ail des ,ai - allumciil 1,'s leiix dans I,- iuais,ms.
coipiclicols piiiiies cl des chardon- hh'il i.cseens plu- aises loiil \eiiir Au hoi-
pàle aux fciiillcs ai-eul('cs. .1 \iidicrm> nu de l!re-l. Au re-le, cc-l
l.e helail ne-l pa- pin- alioudani ;
dan- le- uiai-on-, ipielipu'- cocli,,n-, cl,
un pi'ii pai I.Mil. de pelilc- \aclie- ipil
mil I loni palinaee ilii ei„.miiii de
II- le , Iinciil la Craiide IVrr.
uiiiiic il- di-ciil ,pie le- dieu- -!■ pn
lireiil a peu pies |,,nl ce ipii csl iii'eer
lire à la \ le', non -eiilcmciil leurs \è|(
•je, I
I. II.1-: ]•)•: si: IN
nu'iils cl les nljjc'ls m.'imiriiclui't'-s diiiil
ils mil In'soin. niiiis aussi hi iiniii'riUii-c;
nu iif l'ail nu'ine pas de |)ain clans lile,
sauf une sorle de pain d"nrf;e 1res f^ros-
sier que Pou cuil, ;'i la (ni;nu des uèj^res,
non <l.Mis un Inui'. mal- rnh-c deux pla-
r N K JI A R I É E
qui's de l'dule entourées el reeouverles
de l'eu; <|uanl à celui cpie 1 ou apporte,
il devient rapidement comme du mastic
;'i cause de l'humidité de 1 air. qui iiàte
el détruit tout.
Aussi, deux l'oi> par semaine, (piand
le lemps le permet, le bateau-poste se
rend-il à Audiei-ne et rapporte-l-il, en
même lemps que les lettres, une cargaison
de provisions variées, miches de pain,
viande pour ceux qui en mangent, épi-
cerie, etc. Malheureusement, l'état de la
niei' interdit souvent le voyage au simple
hateau à voile qui l'ail ce service, i-t il
faut alors se rahattre sur le hiscuil et le
poisson salé; l'île est quelquefois prés
d'un mois sans |)ouvoir être ravitaillée.
Oest ce (|ui surtout y reiiil pénible
un m'-Joui- imi peu prolongé, pour peu
(pie l'on soil l'ébarbalif à la soiqie au
cfuigre (piotidiemie ; il v a bien aussi des
crabes et des homards, mais l'estoniac
~e lasse vile de celle iiourriUire indi-
geste, el quant aux oiseaux de mer, doiil
ipielques-uiis sont assez bons, il l'aiit
pouvoir les tuer. Le cormoran |)rincipa-
lenient y est l'orl otiiiK''. et la chasse en
est amusante; mi se <a(lie dci-rière un
i-ocher sur le(|iiel on jilace un cfirmoraii
empaillé que l'on a eu soin d'a[)])orler
avec soi, el, lorsque l'on voit poindre un
de ses frères, ou agite a\ec la main les
ailes emmanchées sur un bàlon ; l'oiseau
se laisse prendre à ce piège quelque peu
primitif ce[)endaiit, il se rapproche, el
on tire dessus.
Mais tout cela ne forme, en somme,
(pi une nourriture détestable el préparée
surtout en dé|)il des règles culinaires
les plus élémentaires. Je me souviens
d avoir mangé une poule qui avait bouilli
pendant plusieurs heures dans la mar-
mite au poisson, en compagnie de pru-
neaux, et qui était bien le mets le moins
réjouissant qui m'ait jamais été .servi.
Ce n'est jias cependant la bonne vo-
lonté qui manque, car l'ilien est très
hos|)italier; il est lier de l'hc'ile qui est
descendu chez lui. et ne demande qu'à
le satisfaire.
Il n'est pas moins religieux non plus;
en dehors de la piété commune aux Bre-
tons, en dehors de sa situation isolée
qui lui fail conserver plus longtemps
de vieilles coutumes, il doit l'intensité
particulière de ce sentinienl aux dan-
gers de la mer. Tous les marins sont re-
ligieux pour cette raison, et ceux-ci le
sont davantage parce que leur mer est
aussi plus féroce qu'une autre. On com-
prend que celui qui s'aventure sur les
Ilots avec quatre planches el un bout de
toile ait besoin de sentir près de lui une
I.II.T-: DK SKIN
|)r(i|riilMii ^ii|ii-i-i(-urc ; il n'y a i;ui-rr Ici ! v\ une iiiiiiTMliic : piil^ nu \r ^u^yrwA ;i
,le lainillc- nii Ir -(.iilIVc vciM n'.Ml .1.-- ] rinir ilr> |hiuIivs ,1,, |,l,,r.iiMl. Imil le
Mire iiii prii-. lin IVrrc, un cnrinil. miii- i nmiiile ^c levé iinlMnrilc la lalilc, i-l | du
vciil a lriir> \cii\, cl lU mil la IcMTcur I clianlc le \'ciii Hrciilnr. L'autre a un
e celle nier mit laiiiicllc iN \ iveiil cl \ cacliel
•iinciix . I.e jour ile-
(|U lU ainicnl |ii'ni'lanl . - ( Icini (|ni. mu'
l'eau. (Iil (|U il n'a |:a- |iein-, celni-la
ce-l un cnlaiil -. nie ,li-ail 1 l'cux ;
[laniic |ir.. rallie cl \ laïc; c .•>l rii(,iiiine
qui a |ieui-. pai'cc i|ii il >ail le ilani;cr
que l'cnlaiil ne c.,iinait |ia-. K\ c'cM
|iiiun|Uin. au milieu île i a]-clii|icl ilc ru-
chers i:|iii eiilMure leur ile. daii^ la Irai-
trisc lies cdiiraiiN cl de- Idurliillciii--,
Pdiule ilu lia/, vicnuciil liala\cr la l'a-
lai-c a -(iix.inlc iiicin- ilc liaul. leur-
\ cu\ se llvcnl Mir la | ici lie sainlc \ icruc
eiicaslr.''e dan- une |ii.ulre a l'asanl de
leur lialcau. cl ils -e ra — urciil eu -nu-
f^caul l|U Clic \ cille -ur eux: lnls(|ll eu
veiiaiil d'Audicruc le lialcau, avani de
s'ciii;a.yer dan- le lia/ de Sem, |.a-c eu
MIC de la clia|.clle de N , .1 le- 1 la me de
lidU-Xnya-c, II. ni ri'a|iii|ia,^e -'aucm.iidlc
CMiiimc nii -eid lininme l'I marinolle cii-
seuil.lc un Ain/i'liis. l'm , -ni., nie a-
suri'uiicnl cl que l'un snidiailcrai I asmr
eiiminc eu\ lorsque Imi nuiI auloiir de
sol nioulci' |ii-(|n an iiel la danse des
MorI-. quand la nuit i -I \eiiiic. un
!■■ !■: M :m V. 11 V. 1, 1 1. V.
.Mai- ,111 — I, loi liiiile -n|ier-lllicuse, ' laiii nouihre de |ciiiics -i
us se réunis
reliL;ioii Inulc inali-riellc : I )icn cl la -eiil an eiineliere; I uu d cu\ |ireiid une
saillie \icr,L;e-oiil l.uil -iiii|ilc iil deux eloelicllc, cl il- |. a-cul ilaii- loiilc- les
mes en ena ni dune \ oi\ laiiieiilalili
ii,:;e " (diri-llcii- ({iii Nciilc/. |iric/ Dieu |i.i
iiqi le- lrc|ia — e-, |),'\aiil loiile- le- m;
1- qui oui l'ail a r.''j;lise r.iniuoi
i''lrc's |ilii- |iiiissaiil- qn CUV. . I lieu a
dll... I.a Saiiile\icr-e.i dil... | .'areliaii,:;e
-ami Micliel a licllii un rude I
au di'iiioii.... elc. . 'l'onl cela (
ça s'idail |ia-i''. il \ a liiiil Jour-, -ur la : ecs-aire. il- -arrelciil cl s'a-ciioudlcnl ,
cille eu l'ace, .lauiai- il- ne dir.iie , lonjoiir- en -onnaiil; alor-. de l'iiil.
meii-oii-e .1 la \ cil le d.' coin 'rcl rieur de la niai-on clo-c. nue iirici
leur coiiri--iMii lailc; il- aur.iicnl Ir.qi -idcvca laquelle il- nq m nidi'ii I . l'i
jicur que leur lialcau ne clia\ irai I.
rccouimei
eeiil plu- loii
Iciuaiii. l'cud.inl I; --e cl |ieiiilaiil I !caucoii|i de leur- m. ciir- oui .■oii-er\ i'-
e- \ iqirc-. on ne lirn I |ia- : (|iiil le à se
priser aprcs.
e uiciuc earacicre aiilique. 1,'anlorili
alcrncllc esl ali-oluc; c c-l le père d,
lin dciiN aulres |iicu\ ii-aues de ' ramillc romain auquel le- ciilani- doi-
l'aneicn (ciiqi- oui -iir\i'cu. L'un cou- ' \ciil olieir. si ^raud- -oicnl-il-. (!cll.
sisie a l'aire, le jeudi t;ra-. uu pelil lia- aulorili' -'cl euil e- alciiien | -nr la l'emme
le; u croiilc de |i.nn.
en pa|Uer. .iiiqncl on do
de- \oilc- (lui
ici pa- d'clev er la \oi\ el
'lllellrc 111 pinioii quand I IlouillU'
; I-: I N
n |i:ii'lc'' ; cV'sl lii IVilliiK' (|ui (i';n Mille ihiiis
la inaisdii, (|ui i-ii!(i\i' la Icriv, (|iii |)iirlc
-iir sa (('•II' liiiis les l'aidcaiix. lui di-hops
ilr l;> prclir, l'ilirn lie sai( rien que l'iMlUT
cl (|iir Ixiirc: il (lédaif^no loiilc aiilrc
ooeii|)atimi. A r(''])oquc des f;raii(li's ma-
rées, quand la |)èelie fsl inijjossible, on
mil les Paini|)nlais, race de (ravailjeiirs
inl'a(if,'ablcs, se rendre aux champs avec
leurs fenuiies : jamais riumime de l'île
de Sein ne les iinilera. Il passera huit nu
c[uin/.e jours, s'il le l'aul, à se croiser les
bras, à boire et à fumer sa pil)C.
Ils ne se tutoient pas entre eux: le
mari et la femme, les parents et leurs
enfants, les frères et les sceurs se disent
vous; le tutoiement est un sipie de co-
lère, de mécontenlcmcnt contre celui
auquel on parle.
.' Les tilles, dit ("amhrv, ne sont jamais
coupables contre l'honneur » ; j'ignore
exactement s'il en est encore de même
aujourd'hui, mais je le supposerais assez,
étant données leur crainte extrême de
la religion et de ses foudres, et une sus-
ceptibilité extrême de leur part, (|ue j'ai
])u remarquer.
Ils se marient entre eux; il est très
rare que l'époux soit de m la Grande
Terre ». Le costume de la mariée se com-
pose d'un grand bonnet de dentelle
blanche, et, sur une jupe sombre,, dune
sorte de surplis de dentelle, quelque
chose comme un costume d'enfant de
chœur; puis un châle, et, sur la poi-
trine, des tleurs d'oranger, — c'est le
jardin de la mariée. Quant au marié, il
est en complet moderne venu de Brest
ou de Donarnenez el rappellerait sou-
vent un .Vdnnis de la \'illette ou de
Belleville. C.iiv tous les hommes ont
perdu leur ancien coslunie. la large cu-
lotte boutrante qu'ils avaient il \- a cin-
quante ans. En marins, ils sont encoi-e
fort beaux cependant. Les femmes seules
ont conser\é, même dans la vie cou-
rante, un habillement très spécial. Une
coill'e de drap noir, un corsage, une
robe et un tablier de la même étoH'e et
de la même t-oulenr; un costume per|)é-
luel de veuves. (!e sont elles oui don-
nenl aiijonrd liiii a lilc. on lOii \>iil par-
tout aller el venir <-es formes noires, son
aspect le pins élrang'e.
Tels siMil les habitants. Ils sont loin
d'être malheureux, ikuis le ré|)étons, et
ce qui le prouve est l'accroissement con-
sidérable de la population depuis un
siècle; ils ont peu de besoin^, et la pêchi;
rajiporte beaucoiq). (]c qui les perd,
c'est l'ivrognerie, la fâchense ivrognerie;
on est obligé d'envoyer, pendant l'été,
deux gendarmes à demeure dans l'ile,
])onr empêcher des batailles trop graves,
le dimanche, entre tous ces gens pris de
boisson. La pêche n'est pas, d'ailleui's,
leur seule ressource; il y a la cendre de
goémons, que les femmes font brûler
partout sur le rivage où ils séchaient,
roux comme des la|)is d'Orient, el qui
se vend très cher pour en extraire l'ifxle
et la soude. Knlin il y a toujours les nau-
frages.
Certes, le temps est loin où ils allu-
maient des feux à la corne des vaches,
où ils massacraient les naufragés; ils
sont aujourd'hui admirables de dévoue-
ment pour se porter au secours des vais-
seaux en pertiition et sauver ceux qui
se noient, au péril même de leur vie;
mais, ce devoir d'humanité accompli,
ils sont persuadés que la cargaison leur
appartient.
Cette notion particulière du droit,
que l'on n'a pu encore leur extirper du
cerveau, ne leur est pas spéciale; elle
est commune à la plupart des popula-
tions de la côte bretonne. Au commen-
cement de ce siècle même, il fallait cn-
vover la troupe contre les marins de la
baie d'Audierne qui souvent, hommes
el femmes réunis, la repoussaient avec
perte et lobligeaient à regagner ses ca-
sernes; ils se jetaient alors sur les dé-
bris, comme des furieux, se gorgeaient
d'eau-de-vie et buvaient jusqu'à la
caisse aux médicaments, dont ils mou-
raient dans d'atroces convulsions iCam-
bry . Aujourd'hui cela se fait moins
brutalement, le soir, à la dérobée, quand
dorment le svndic et lesgendarmes ; mais
cela se fait toujours.
I, ll.K DK si; IX 207
Ile;- liahiliiiils de iilr i|iii n'.niiiciil |ilu> iiil('rc>>:inls (juc iriiulrcs, en dépit
pas II' >.>u la \rlllr sr nu-llriil |..ul ! (le la pi'lilrssc cl dr la >lrialil(' de leur
à rdiip a hàhi- de> maison-, a \i\i-e lai'- | ile sans le~ dan-er- cpi ds enurenl pres-
i;enienl : c'esl ipiMIs uni I i-onx i' nn niaL;iil. [ que jdurnellenirnl sur la nier redoulahle
TonI ee (|ue la mer leur apporte r~l a ' qui lesenhmre: an — 1 -mil-ils francs de
eux. esl pour eux — compens.il ion îles 1 l.iul impôt, el les jele.'s (pu protèf;eill
barque- qu'elli- leur a lui-.-.-, il- niorl- le poil el le pa\- -onl-rll,- eiilreteunes
,_Jffii':, dôëi
^|!|.l!f^EâiP!Bui
lW*ifîT7fT"
çSilii**'*"'^^
I, K ruiiT
qnellr leur a pri-. (In ne p. Mit pa-. je le | aux frais ,|e I filai. Il- -e plai-iienl -en-
repele. Il- en di-lialiilnri-. lemrnl qn,,!! Ir- i.n-i' manquer d'ean .
.\ii re-le, loni ee (pu- pi-nl -amer li' ear il n \ ,i point de -oiiree-, liieii en
-\iidie élaiil fonemenl \riirln aux .■ii Iciidii. l'I le- i i leriic- l.iri— en I peud.nil
eluMVs dan- lilc nicm,- \ r-l . ,-oiiiine , les éles trop sees : il- en -oui ajoi- re-
liieii Ion pen-r. viiidn .i \il prix; e'c-l duils à lioire l'eau dnnr-.irh' clepnil-
aiiisi ipiil- -e uiriilileiil il -e moiilenl déi;onlanl. dune rrmaripialile riellr— .■
iMi luenaur. \lelle/-\oii- ,i lalile. el \ os en Ion- le- uiieioli,- iiiia- inahle-. Sil-
;i>-l,.||(-. \o- eoulciiix. \o- enillers el ri'cf ni. Ir d.'parlemenl deelari' (pir
xais fonrellrlle- porlei I Ion- nn nom ' cC-l lalfaiiv <!.■ Ifilal. l'fllal ipie i-.'la
ipielconqne ; si \ on- \ on- inloriiiiv. on rct;,U(lr Ir drpail rnii'ii I . el on ne leur
\ oiis ri'pondra : - (ICsl IriKuudnn lia riiv oii' p,i- une liarrupie dCaii. f!l.eliose
leaii aii-lal-. d'un lialran -lU'doi-. d un lii-lr a dur. leur- -enlimcuil- ■ re.ic-
lialeaii fianeai-. qui a lail nanfra-e. ■■ Il al rr- - iir sou I priiUel re pa- ri r.m-
l>r iiiruir. Ir ne.l.ilirr. ,1 il- a|oiil,.roiil -er-l.uil ,1 lail a er dr-iii I rrr-rniml de
a\ re nu -ou pi r : ■ I lli ! i-r i|iH' l'rii .11 er qn il- lioi\ .miI : doinr i niai ni r eoui-
doiiiir dr l.ir-rul ,111 -\udir pour ,i\oif ni ,i la polilupir.
loni la. " l.riii L;rande peur e-l Ai- \oii- uii jour
II- iir -rr.iienl doiirponil. rii-oiuinr. Iriir ilr -iduurr.ui'e el ell-loiilie p.ir un
I. 1I.I-; DK si:i\
ciiliulvsiMc r.(Miilil:iliU' ;i celui qui :iur;iil
JMdis (li'Iniil III \'m-v (IV'ux l';iiioic'iine
ville (Ils, ;in loiid fie la haie actuelle
(les Tr(''pass(''s. Je ne crois pas. |)mir ma
part, à une calaslroplie seniMahle: le
Urauil (le l'île est snliile el Iniil ce ((ue
|)eul l'aire la fureur de la mer est d'en
dé|)la(cr (|iiel(pies blocs ('normes, mal
(■'(piilii)r(''s; le terrain n'a, en outre, rien
de viilcani(|ue el a lini son travail depuis
loiifrteinps.
Ils n'en sont |)as plus en sûreté' ce-
pendant, car un raz de man'e peut fort
l)ien les noyer tous, sans |)our cela (1('-
Iruire l'île, lui IHi."), au milieu d'une
tenip(!'te furieuse, les va{;ucs pass('renl
|)ar-dessus les jetées, envahirent les rues
el les maisons: ils montèrent sur leurs
toits et. du haut du clocher de r('f,dise,
lecuri' leurdotnia l'absolution supr('me.
I.e lendemain malin, la mer rentra dans
son lit, et ils en fm-ent (|uiltes pour l'ef-
froi.
En 18.î(j, le nK'^me fait se reproduisit
encore, et l'îlien chez qui je lofjeais
Mi'a raconU'' bien des fois comment il
\il loul à coup, pendant qu'il taillait
des lièfjes pour ses lilets, la porte s'ou-
vrir sous un flot énorme, el, en un in-
stant, le berceau du petit se mettre à
danser sur l'eau; ils en furent quittes
encore mie fois pour quelques heures
d'amroisses.
1,'ile ne renferme aucun monument
bien intéressant, ancien ou moderne.
Du passage des druides, il ne reste,
outre la niche des rochers du Gador,
que deux pierres levées dont l'une a la
tète ébréchée, et un dolmen brisé, sur
les ruines duquel se dresse une croix de
pierre; une relij;ion a écrasé l'autre.
Dans la partie basse de l'île, se trouvent
la chapelle dite de Saint-Corentin el les
ruines d'une maisonnette; un homme,
raconte la lég:ende, se serait retiré là. du
continent, à la suite de chagrins d'amour.
Il y a encoi-e un moulin à vent aban-
doinié. el, loin des miiisons, dans un
petit champ, on rencontre quehjues
tombes; c'est le cimetière des cholé-
riques el des naufi-affés (pie l'un su|)pose
n'être pas chrétiens.
Ajoutons (pie c'est dans l'île de Sein
que (Ihateaubriand a fait vixreci nifuirir
\'ell(-da.
Quatre phares ('clairent ces parafées
danf,'ereux. I/un, à rcxtrémilé du cap
du Ha/.; un second dans l'île même, à la
pointe .Nord. I,es deux aulies sont en
pleine mer ; ce sont le Téveniiec, sem-
blable à une citadelle féodale, el le phare
célèbre de l'.Vr-mcn, sur un rocher que
recouvre la mer. à dix kilcmiètres au
laif^e.
Orliihre IxOr..
Depuis que ces li.ijnes ont été écrites,
un chapitre terrible est venu s ajouter à
l'histoire de l'île de Sein et l'hiver
ISUO-lKitT aura été pour ses malheureux
habitants un de:^ jjIus féconds en dé-
sastres. Comme aux plus sinistres années,
la mer passa par-dessus l'île; le phare
s'éteij^nil cl arbora le drapeau noir.
\'ainement, à plusieurs reprises, le ba-
teau des Ponts et Chaussées sortit de
Hresl en dépit de la mer démontée et
tenta d'aller vers eux ; il était impossible
d'approcher de l'île, que l'on n'enlre-
vovail qu'à travers l'écume des lames
exaspérées par ce boni de terre qui.
mali;ré tout, leur résistait. Mais il y eut
bien des maisons détruites, et ce ne
furent plus celte fois des heures, mais
des jours d'anijoisse. Et plus d'une fois,
le soir, en lisant les nouvelles delà-bas,
j'ai cru revoir les .gens que je connais-
sais enfermés dans leur maison, les
ruelles étroites où bouillonnait la mer.
et le lu.gubre cimetière entre les tombes
du(|uel rugissaient les va.gues.
P .\ i- L (i R r y E B .
(Texte et photographies.!
VIEUX NOMS KT VIEILLES RUES
iJes noms de propriétaires ou des en-
seignes de cabaretiers ne sont pas les
seules circonstances secondaires qui pré-
sidèrent jadis à la désignation des rues
de Paris. Quelques-unes dépendent d'an-
ciennes coutumes ou de souvenirs histo-
riques; d'autres proviennent de la défi-
guration apportée dans les mots p;ir
l'usage et le temps ou par des rencontres
d'assonances.
RI\K liliiiITK
l ne très ancienne et très sombre pe-
tite rue qui longe l'église Saint-lùista-
che se nomme rue du Jour : ce n'est
pas par antiphrase : jour n'est ici qu'un
tronçon, c'est séjour qu'il Tant lire. Là,
en effet, Charles V avait fait construire
un manège, des écuries et d'autres bâti-
ments dont l'ensemble reçut à l'origine
le nom de Séjour du Hoi. — Une cha-
lielle, consacrée à Sninle Mûrit' l'iirjijp-
liennc, avait l'ait appeler l' /ùfi/pliennc
une rue dont la confusion des sons a
[)roduil Jusmeiine. — En l()i8, non loin
du Scnlicr (|ui coiuluisail aux remparts,
une autre
confusion, e>t devenue des
Jeûneurs.
La rue (/(/ llouloi est aussi un
souvenir t
lu jeu de boules, si cher à
m
m
une voie où furent installés des jeux de
boules recul, à cause de cela, le ni>ui
(lex Jeu.i neufs; c'est cette rue qui, par
nos ancêtres: elle s'est appelée f/e.v /Jou-
liers, (lu liiiuluir. et eiiliu du lloulm. —
La rue des /'niuruires. où logeaient les
prêtres de Saint-Hustache, s'appelait
des l'roroires, vieux mol signifiant pré-
Ires: c'était, au xV siècle, une des plus
belles rues de Paris, ttmt comme les
rues Beauhour<i , /{euureçp'trJ et /ie;iu-
repuire. — Le nom exact delà rue hon-
Utiiie-au-Uoi était des l'onlulues du /loi,
il iMii^c (les luvaii\ (le foii(aiiie (pToii
V clablil sous Louis W'I poLir amener
ie> eaux de lielleville. — .\vant L'iOO,
l'impasse Courhulou s'appelait C.harde-
jKire. du nom d'un propriétaire; ce nom
ayant sans doute fourni matière à phii-
sanlerie, il fut remplacé, au xiV siècle,
par Col de li/tron (hucon signifiant en
vieux langage eluiir de porc],e\. c'est en
jiassanl par les lurmes de eiip de h.ieon.
eoup de lj,ie<i,i. qu il tleviul, au \\i' siè-
cle, Courhiilon.
D'autres fois, c'esl un nom cpii se sub-
stitue à un antre. La fameuse rue des
liôlisseurs, au moyen âge, rue ou I ou
encuit les oies n'eus ulii eoi/uunlur
;inseres<. s'appelait ualurelKuneut rue
vii:ux NOMS i;t vikillks nui;;
iiiix Oues, c'est-à-dire ;iux Oies; le mol
oi/t'A' s'étani perdu, le mot ours l'a rem-
[)lacé. — La rue iilciie, avant de rece-
voir ce nom, s'appelait rue A'Enfer, à
cause sans doute du tapa^'e inl'eriuil que
faisaient les soldats en rentrant à la ca-
serne de la Nouvelle-France, après avoir
passé la soirée aux Forcherons ; elle prit
le nom de Bleue en 18(J2, lorsqu'une
manufacture de boules de bleu vint en
tinter les ruisseaux. Ce n'est pas parop-
[losilion il cotte rue d'I"]nfer (|ue la
iiwlle S;tiiil-f.;tz;ire. qui la prolonf,'eail,
HUE U l. r A l! A 1) 1 î
fut appelée rue de Paradis : c'est parce
(|u elle fut ouverte, au commencement
du \\ a'' siècle, sur des marais apparte-
nant à des religieuses, en un lieu dit les
Paradis, et anciennement les Prés des
Filles-Dieu. — l,)uanl à la rue Blanche,
son nom complet était rue de la Croix
hianche: il venait d'une enseigne. —
Sur l'emplaceziient de la rue de la Tour-
des-Dames.'û \ avait, au xv« siècle, un
Moulin .lu.v JJaiues, qui fit place à une
7'oi;r appartenant, comme le moulin, à
l'abbaye de Montmartre, et qui ne fut
détruite qu'en 182:2; avant de s'appeler
La Rochefoucauld, du nom, comme on
l'a vu, d'une des abbesses de Montmar-
tre, le chemin conduisant à cette tour
s'appelait ruelle de la Tour des Dames.
— C'est aux nombreux actes de charité,
au dévouement du docteur Goetz, mort
en 1813, que l'on rendit hommage en
donnant à la rue qu'il habitait, au n" 9,
le nom de rue de la Bienfaisance; elle
s'était appelée auparavant rue de l'Uh-
servance. parce que des oliserranlms y
avaient demeuré à la lin du \\ m" siècle.
La place qui occupe, depuis trois siè-
cles, une partie du terrain sur lequel
s'élevait l'ancien palais des 'J'ournelles,
et qui s'appelait à bon droit Place Boi/ate.
revut le nom de Place des Vosijes, le
l" vendémiaire an \'III, parce qu'il
avait été décidé <( que le nom du dépar-
tement (|ui aurait ])ayé au 20 germinal
la |)lus forte partie de ses contributions
serait donné à la principale place de
Paris ». On n'avait pas attendu jusque-
là, du reste, pourelfacer le mot royale:
dès 1792, celle place avait été nommée
|)lace rfe* Fédérés, l'ne petite rue voi-
sine de celte place fut appelée d'abord
J'etile rue Boijale; mais lorsqu'elle fut
prolongée, en Kwtl.on conseilla aux pié-
tons de se tenir en garde contre sa pente
escarpée et glissante, en imitant avec
|)rudence le J'as de la Mule. — La rue
(les h'corcheurs aurait gardé ce nom,
qui lui convenait très bien, si, en exci-
tant des troubles sous le règne de
Charles Vl, les garçons bouchers qui
l'occupaient ne l'avaientfait appeler des
.Mauvais garçons. — Enfin, une impasse
de la rue Saint-.\ntoinc, qui porte au-
jourd'hui le nom connu de Guéménée,
s'appelait autrefois impasse du Ha! Ha!
exclamation de celui qui, entré par mé-
garde dans un chemin sans issue, se
voit forcé, en arrivant au bout, de re-
brousser chemin.
C'est souvent à des circonstances par-
ticulières ou locales que les rues em-
pruntaient leurs dénominations. — La
vieille rue Au Maire avait du son nom
à ce que le maire, le bailli de Saint-
Martin-das-Champs, y demeurait et y
donnait ses audiences. — Les échelles
patibulaires étaient des espèces de pi-
loris où l'on exposait ceux que l'on vou-
lait noter d'infamie; on y voyait cinq
trous pour faire passer la tête, les bras
et les jambes du condamné. C'est de
l'une de ces échelles, qu'une rue de
Paris a retenu le nom. — Avant d'être
le centre des droguistes, la rue des
Lombards a été le lieu où se sont éta-
VIEUX NOMS ET \1 Eli, LES HUES
blis, dès le règne de Philippe-Auguste,
des banquiers, sortes de prêteurs sur
gages, particulièrement originaires de la
Lombardie: les bureaux de prêts qu'ils
avaient organisés se sont longtemps ap-
pelés des Lombards ou des Milans. Ils
ont été remplacés au xvni'- siècle par le
mont-de-piété. Le nom de l'olie cl ail
donné autrefois aux maisons de jjlai-
sance : c'est de celles d'un riche épicier
nommé RegnauU et d'un propriétaire
nommé Marcnid (dont plusieurs altéra-
tions ont fait Mériciiuri) que sont ve-
nues les rues Folie-lteijnuull et Folic-
Méricourl . — Lorsque le Hnurq. qui
dépendait de r<-(/;A(' de Sainl-.Marlin. fiil
compris dans Paris, le principal chemin
de ce bourg prit, en l'JIO, le nom de
Hourq-rAhbé. — C'est pai'ceque l'église
Saint-Laurent fut surnonimci', sous la
République, temple de l'Hijincn cl de
lu Fidélité, qu'une rue voisine de celte
église s'appelle encore ruef/e la Fidélité.
— Le couvent des religieuses hosj)ita-
lièresdela Hoquette s'était établi sur des
terrains où abondait cette plante, et c'est
sur l'emplacement de cet ancien couvent
que fut ouverte, au commencement de
notre siècle, la rue qui porte ce nom.
Au moyen âge, il existait une rue
Taille-pairf. dans laquelle donnait une
impasse qui fut prolongée du coté du
cloître Saint-Merri sous le nom de
lirise-miche. Ces deux dénominations,
quisuljsisleiit liMijniirs, faisaient allusinn
à la distnhiilinii des pair]> ou miches
de chapitres qu'on faisait aux chanoines
de la collégial(> de Sainl-iMerri. La
rue du l'(inl-aii.r-(',luiiij- conduisait aux
Marais du 'i'('ni])lr le quartier en a gardé
l(Miom,, oii l'on cullivail, pnm- l'appi-o-
visionnement de Paris, (lr> c/iiin.r cl
autres légumes, cdinnir en l'aisail foi
l'ancienne rue de VOseilIc: elle aboutis-
sait à un prlil //u/i/ jclc' sin- les fossés de
la ville, couverts (lc|>iiis des siècles par
la rue Saint-Louis, au|(Uird'lini rue <\f
l'urenne.
Les lUins-Fnfanls. de, ni la rue dr ce
nom réveille le sciincnii', (•laiciil de
pauvres enl'anl> qui |]ai-C(iuiaienl celle
rue pour se rendre au collège adjoint à
l'église Saint-Honoré, et appelé originai-
rement Hospital des pauvres escolicrs:
ils étaient si pauvres, en effet, qu'ils
mendiaient leur pain en allant à l'école:
I,cs bons enl'anl s oi'rcz crier
l>u pain, lie \ euil pas oublier.
liappelons, à propos des écoliers d'au-
trefois, aussi misérables que les nôtres
sont heureux, que la rue du Fouarrc
était la rue du Feurre, c'est-à-dire de la
paille sur laquelle s'étendaient les éco-
liers pendant les leçons. Les écoles
n'ayant au moyen âge ni tables ni bancs,
c'est sur une litière, comme dans une
('•lable, (pic les élèves s'asseyaient devant
la chaise du niailre. " Xe pourrissez pas,
dit N'iclor Hugo, ciimme un àne illellré
sur le fcurrc de l'école. "
Les moines dont l'ordre s était établi
à Marseille sous le nom de Serfs de la
\'ier(/e Marie furent attirés à Paris par
saint Louis, qui leur donna une maison
siliu'e |)rès la vieille ])orte du Temple.
Comme ils s'habillaienl de blanc, en rai-
son de leur culte à Marie, ds furent dé-
signés par le peuple sous le nom de
Illancs-Manicau.r. — Les relij;ieu\ ho>-
pitaliers de Notre-Dame étaient appelés
/telif/ieu.c des liillelles. parce qu'ils
portaieni sur leurs habits de jielils sca-
pulaires semldables de forme aux Inl-
leltes du blason. La rue rpii pi nie ce
nom s c'sl appel('-e aussi I )ieu- hiiuliz. en
s(iu\enir d'un sacrdège cunnnis par un
juif niinniic'' .Lin.illian, ipii fui condamné
à èli-e bn'di' \ if l'-".)l*) pour axon- plongé
une hostie consacrée dans une chauihère
d'eau bouillante. — Les religieuses lios-
]iilalières qu'on nonmiait llaudriellcs
axaieni eu poin' fondaleur IClienne llau-
ilri. N'oici, au inoin>, ce que rapporle
la (radition ilu moyen âge : un bon
bourgeois ainsi iioninié ('-lail alli'- l'ii
pèlerinage à Composlelli' ; :-a feinine, ne
le \ovanl pas re\enir el le croyanl
morl, réunit dans sa maison un l'crlain
nondire de pauvres xiMives avec les-
(|nelles elle m'ciiI sous le l'eginu' mo-
uasli(pie. ilaudri, à son relour, Irou-
VIKUX NMJMS I:T V 1 K I 1,1, i;s ul'i:s
vanl sa maison convertie en hôpital,
approuva ce pieux établissement et con-
sacra sa l'orluno h le développer. —
l.'Arcude, que rappelle la rue tic ce
nom, était une sorte de passa(,'e voûté
appartenant aux religieuses de la Ville-
l'ICvèqiie. lieu ainsi nommé d'un séjour
que les évoques de Paris possédaient à
la (in du xii° siècle. — A celte même
époque, une maison dite de la Pie fut
vendue à l'abbesse d" Yùres, dont le cou-
vent était baigne parla petite rivière de
ce nom, et les religieuses, qui curent
ainsi une succursale à Paris, donnèrent
le nom de Xonnatnn-d'Yères à la rue
où elles s'établirent.
Deux ponts qui servaient de passage
pour aller dans la campagne s'appe-
laient le (iranJ Pont et le Petit Pont.
Louis \ II ayant ordonné, en llil, que
tous les changeurs seraient établis sur
le Grand Pont, ce pont lui a|)[)elé suc-
cessivement Pont aux Chiinçfeiir.i, Pont
(le la Marchandise, et enlin Pont un
Change. — Quant au Pont au Douhie,
il doit son nom à ce l'ait que « les gens
de pied qui le traverseront, disaient les
lettres patentes qui en ordonnèrent la
construction, en 1631, devront donner
un double lournoi.'i ».
Quelques-uns des anciens noms se
rattachent à des souvenirs historiques.
— Charles, comte d'.Anjou, frère de
saint Louis, ayant été couronné roi de
Sicile en 1266, la rue du quartier Saint-
Antoine où était situé son palais fut
appelée rue ilti lioi-de-Sicile. — La rue
de la Heine-Blanche rappelle le château
où demeura « au village de Saint-
Marcel » Madame Blanche, cette prin-
cesse surnommée Belle-Sagesse, qui,
par son mariage avec Philippe VI de
\ alois, fut reine de France pendant un
an, et survécut près d'un demi-siècle,
en se consacrant aux bonnes œuvres, à
son royal époux. — Ouvertes au
xvi" siècle, sur l'emplacement de l'hôtel
royal de Saint-Paul . les rues de la
Cerisaie, des Lions et Beautreillis doi-
vent leurs noms, la première, à l'allée
des Cerisiers; la deuxième, aux bàti-
nicnts et cours où étaient renfermés les
grands et petits lions du roi; et la troi-
sième aux belles treilles qui avaient
déjà servi à désigner un hôtel construit
au même endroit en Ljl'J.
La |)lace du Trône, qui fut appelée
en I7'J3 place </u Trone-Benrersé, vient
du trône que la ville de Paris fit élever
en 1()60 sur le vaste emplacement qui
terminait la rue du faubourg Saint-
Antoine, pour que I„ouis ,\I\' et la
reine Marie-Thérèse d'Autriche, que le
roi venait d'épouser, reçussent à leur
entrée dans Paris l'hommage et le ser-
ment de fidélité de leurs sujets. Il ne
reste plus dans Paris d'autre souvenir
de cette reine, si tristement elTacée, à
qui les Parisiens avaient fait ce brillant
I iitrurij. i|u'iiiu' rue île l'aiicieMUL- bulle
des Moulins, qui reçut en son honneur,
dix ans après sa mort, le nom de Thc-
rèse. — L'hôtel du duc dWntin, fils du
marquis de Montespan, a donné son
nom à l'un des plus beaux quartiers de
Paris, ainsi qu'à la fameuse chaussée,
disparue, mais non pas oubliée, que le
duc avait fait jeter sur un marais, entre
son hôtel et les Percherons. — C'est aussi
sous le règne de Louis XIV que Philippe
de Vendôme, grand prieur de France,
donna son nom, en 1696, à une rue dont
l'emplacement était pris sur des terrains
appartenant au prieuré du Temple.
Au x\ lu'^ siècle, la rue du Dauphin
s'appela Saint-Vincent jusqu'en 1744.
Le dauphin Louis, père des trois der-
niers rois de la branche ainée, avant
VIEUX NOMS ET \'IE1LLES HUES
pris l'habitude de suivre celle rue lors-
qu'il allait entendre la messe à Sainl-
Roch, le peuple profita un jour du mo-
ment où le prince était en prières pour
remplacer l'ancienne inscription par
celle (lu Dauphin. — Le maréchal de
Richelieu, appelé par ses soldats le pe-
tit père la Murauile, et dont la rue du
i' 0 K '[■ - 51 A II '
Port-Mahon signale une des victoires,
se fit construire, à l'extrémité du jardin
de son hôtel, un pavillon sur le boule-
vard des Italiens, avec le produit des
contributions qu'il avait fait lever sur
le pays du Hanovre dans la guerre
de 1756-1757. Ce pavillon, surnommé de
Hanovre par la malice populaire, donna
plus tard son nom à une rue voisine.
— Les avenues de Marif/ni/ et Gabriel,
aux Champs-Elysées, ont eu pour par-
rains : la première, le frère do M""' de
Pompadour, pour (pii Louis XV' avait
fait ériger on martpiisat la terre de Ma-
riffni/, et cpio sa tniilo- puissante sceur
avait mis à la trio do la direction géné-
rale des bâtiments et jardins du roi; la
seconde, le célèbre architecte Jac(|ues-
Ango Gabriel, qui travailla à l'ac-hève-
meiit du Louvre cl oonsliiiisil ri'loolo
militaire.
I,(irs((iu' lo (lue d'iMighien natpiil à
(Jliaiitilly, on 177-', on avait résolu de
donner son nom à une rue alors pro-
jetée; mais cette rue no fut omorlo
([uoii 17')2, époque où on la nomma
Mahli/. C'est seulement en IHl i, di.\
ans ai)rès la mort du malluHiroux |)riiico,
<|u'ello reprit lo ikjiii ipii lui avait
VI. — J8.
été destiné. — La Chapelle ejpia-
toire fut construite par les soins de
J-ouis XVIII et de Charles X sur l'em-
placement de l'ancien cimetière de la
Madeleine, là où avaient été inhumés
Louis XVI et Mario-Antoinette. Les
noms des cinq défenseurs du roi et de
la reine se retrouvent dans les environs
do ce monument funèbre : Malesherhes,
Trimchet, Chauveau-Laqarde, de Sèze
et Tronson du Coudrai/.
Après le traité de Campo-Formio,
Bonaparte, général en chef de l'armée
dllalie, vint habiter un hôtel qu'il pos-
sédait dans une rue ap[)elée (Chante-
reine (mot que l'autorité républicaine
considérait comme un signe de royauté),
t )r, pour elfacer ce souvenir, non moins
i|ue pour consacrer le triomphe de nos
armes, l'administration centrale du dé-
partement décida, le 8 nivôse an \'I,
([ue la rue Chantereine prendrait le
nom de rue de la Victoire. Subissant
les flucluations ■ de la politi((ue, cette
rue redevint Chantereine en 181G, et
reprit finalement le nom de la Victoire
en 1833. — Lo Directoire décida, lo
12 brumaire an VIII, que l'ancien cul-
de-sac Tailbout serait appelé du Ilelder
" en mémoire de l'expulsion des .An-
glais du territoire balave ». Ilelder est
le nom d'un fort de Hollande qui dé-
fend l'entrée du Texol , et l'expulsion
dont il s'agit est celle dos 15,000 Anglo-
IJusses ([ue le général Brune força de
se rembarquer le "29 août 1799. — Quant
à la rue ouvorlo on ISO(î, dans l'axe do
la place \'oiidônio, là du allait s'élever
la colonne consacrée à la gloire de l'ar-
mée française, clic dut nécessairemcnl
s'appeler Napoléon; mais en ISIi on
était rassasié de gloire militaire, et par
une opposition iialurollo on subslllua
/.■( l'ai.r à Napoléon. Il i'allul ipiOn
rendit le nom de llonaparle i, l,i i-ue
percée sous le Consulat (ou rauginen-
tant des rues des Petits-. [iit/iislins et
du Pot-de-Fer\ pour ipi'il restai sur les
murs de Paris un aulro s(Ui\-onir du
plus grand nom i\o notre siècle ipie la
modi'sto cité Xapolècn.
VIIOUX NOMS ET V 1 K I LL KS HUKS
niVE OAUCIIE
Sur lii riv<' f^ainlic de l:i Seine, un
singulier exemple de dcforniation est
fourni par l'ancienne église Siiinl-André-
des-Arls, disparue depuis un siècle.
Elle fut construite sur le clos de Laas,
territoire planté do vignes appartenant
à l'abbaye de Sainl-dcrmain-des-Frés,
là où se trouvait depuis longtemps un
oratoire sous l'invocation de saint An-
déol, martyr au ni" siècle. Par suite de
cette double circonstance, l'église fut
appelée Suint- Andèol-de-Laas ; or, elle
est devenue successivement Sainl-An-
deu-des-Arcs , Saint- André-des-Arcs .
et enfin Sainl-André-des-Arts, pour ne
laisser d'autre souvenir de ce lointain
passé que la rue Saint-André-des-Arts.
Le bourg de Grenelle, qui a donné
son nom à la rue, était désigné autre-
fois parle mot Garanella, ce qui montre
que des garennes, celles sans doute de
l'abbaye de Sainte-Geneviève, lui ont
servi d'emplacement. La rue de Va-
renne, qui s'est dite de la Varenne, est
aussi une altération de la garenne.
On chercherait vainement de quels
saints Pères il a pu être question à
propos de la rue ainsi nommée; le vrai
nom de cette rue était Saint-Pierre : il
y avait, en effet, sur le territoire du
petit Pré-aux-Clercs une chapelle con-
sacrée à saint Pierre, tout comme il y
eut non loin de là, dans le couvent des
Petits- Augustins, un autel de Jacob
édifié par les soins de la reine Margue-
rite. Pendant son exil, l'épouse divorcée
de Henri 1\' avait fait vœu, si elle ren-
trait à Paris, de donner à Dieu la dîme
de ses biens, et d'élever un autel au
patriarche qui l'avait inspirée. Tout au
commencement de la rue qui doit son
nom à cet autel, se trouve une petite
rue appelée de V Echaudé; ce nom lui
vient de ce que l'ancienne édilité pari-
sienne appelait échaiidé, par comparai-
son à une sorte de pâtisserie, un pâté,
un îlot de maisons coupé en triangle par
trois rues.
Pour la rue Mou/felard, le choix est
laissé entre deux liypothèses très diffé-
rentes, dont l'une tient à la corruption
des mots, et l'autre à la corruption des
choses. Ou ce mot est une contraction
déformée de Mont Célard, champ de
sépulture, appelé autrefois Muns Ce-
tardus; ou il vient de mouffette, à cause
des exhalaisons que dégageaient, dans
le quartier, la Bièvre, les tanneurs cl
les dépots de gadoue. L'nc rue donnant
dans la rue Mouffutard s'appelait, au
xvn'' siècle, du temjjs où elle n'était
qu'une impasse, rue Sans-Chef; ce nom
est devenu successivement Sencée, Sen-
tier et enfin Censier. C'est dans cette
impasse que se trouvait l'hôpital fondé,
en 1621, par M. Antoine Séguier, pour
cent pauvres orphelines; Louis XIV.
par lettres patentes du 22 avril 1656,
avait ordonné que les compagnons d'arts
et métiers qui, après avoir fait leur
apprentissage, épouseraient des filles de
cette maison, seraient reçus maîtres
sans faire de chefs-d'œuvre et sans payer
aucun droit de réception.
La place de l'Estrapade et la rue du
Four rappellent des coutumes depuis
longtemps disparues. L'estrapade, que
beaucoup de soldats et d'hérétiques ont
subie sur cette place, est un triste sou-
venir du supplice consistant à élever à
uœ certaine hauteur, au moyen d'une
corde, le patient attaché par les pieds
et par les mains, et à le laisser tomber
violemment à deux ou trois pieds de
terre. C'est dans la rue du Four que se
trouvait le four banal de l'abbaye de
Saint-Germain-des-Prés. II y avait ainsi,
dans le vieux Paris, comme dans beau-
coup de villes de France, des fours où
les habitants étaient tenus de faire cuire
leur pain, moyennant redevance. Phi-
lippe-Auguste exempta les Parisiens de
cet impôt. Quant aux rues d'Ecosse, des
Irlandais et des Am/lais, elles ont dû
leurs noms aux écoliers étrangers attirés
dans le quartier des études par la célé-
brité de l'Université et par les collèges
spéciaux des jeunes gens de la Grande-
Bretagne.
VIKL'X NOMS ET VIICILLKS RUES
Comme souvenirs historiques, il l'aul
rappeler d abord Clovis et la reine C7o-
lilde dont les noms, tout anciens qu'ils
sont, ne figurent que depuis le com-
mencement de notre siècle sur l'empla-
cement de la basilique des apôtres saint
Pierre et saint Paul, qu'ils avaient fon-
dée : les fouilles opérées, en 1817, pour
le percement des rues qui portent leurs
noms, ont fait découvrir leurs tombeaux.
C'est à Simon de Jluci, premier pré-
sident au Parlement, que l'abbé de
Saint-Germain vendit, en 1352, cette
porte de Paris que le traître Perrinet
Leclerc livra aux Bourj^uignons dan^
la nuit du 29 mai 1418. Tout près de la
rue, dont le nom rappelle l'ancienne
porte, se trouve la rue qui a pour
parrain le cardinal François de Tovr-
non, abbé de Saint-Germain et l'un des
conseillers de François I'"''; cette rue,
très belle encore , était auparavant
le pré crotté et s'appelait ruelle du
Champ-de-Foire. C'est sur l'emplace-
ment de cette foire de Saint-Germain-
des-Prés que furent tracées, en 1817,
les voies qui reçurent les noms de cinq
bénédictins de Saint-Maur : François
élément, auteur de VArl de vérifier les
dates; Jean Mahillnn, auteur de la
Diplomatique; Charles Toustain, auteur
de la Nnuvelle I)ipliinhili(/ue; Michel
Félihieii i-l <r>n conlinuateur Guy-
élait abbé de Saint- Germaiu-des-Prés
au moment (16UUi où fut ouverte la rue
qui porte son nom. C'est de lui déjà que
datait la rue Cardinale. Plus tard, une
l:l E 1) K I. 'ABDATK
Ale.xis Lohineau, chargés de l'hisloire
<le la ville de Paris.
I-c cardinal Fursleniherçi , (|ui restaura
le palais abbatial do la vue de l'Abljai/e,
rue voisine fut dédiée par le cardinal
de Bissy (1715, au roi de France dhil-
debert, fondateur de ladite abbaye, oii
il fut enterré en 558.
La rue Monsieur-le-Prince, autrefois
des Fossés-Monsieur-le-Prince, doit son
nom, comme sa voisine la rue de Coudé,
à l'hôtel du prince de Condé, sur l'em-
placement duquel fut ouverte une place
où Monsieur, frère de Louis X\'L lit
élever à grands frais, en 1782, un
théâtre destiné à la Comédie française.
Par un arrêté du 2.'{ messidor an IV
(13 juillet 1795 , ce théâtre, qui s'était
successivement appelé Théâtre de la
Nation, du Peuple, de l'Fyalilé, et qui
s'appelait alors Théâtre du Lu.rcni-
htinrçi, fut affermé à une compagnie
'■ pour y établir un théâtre national l'I
former une écolo dramatique utile à la
l'égénération de l'art ». Kl comme, sous
le Directoire, la mode était à l'imitation
antique, ce nouvel établissement dra-
matique reçut le nom d'Odéon ;de odé,
chant), sans doute à cause des concoris
(|u'on devait y exécuter, et surtout à
cause de » l'école de chant et de décla-
mation » qu'on se |)riiposail de créer.
Depuis la Hestauration, ce Ihéâiro est
devenu, non sans quelques tra\crscs
encore, le second Théâlre-I''rançais ;
mais, bien qu on n'y clianle plus, li- nom
iVf)dé<in lui est resté.
VIKUX NOMS I:T VIKII.I.KS IIL'KS
La rue Paliiline date de l'époque où
la princesse Anne-Chnrintte. pnlatinedc
y
i: r \ 1. \ Ti N K
Bavière, veuve de Ilenri-Jules de Hour-
bon-Condé, vint hahilcr l'holel du J'elil-
liourhon. et lit construire une maison
dans une rue dont le nom de cimetière
Sainl-Sulpice fut remplacé alors par
celui de Palatine. Non loin de là, les
rues Princesse et Guisarde ont été tra-
cées sur le territoire de l'hôtel Roussil-
lon, oii la fille du duc de Guise réunis-
sait les {)arlisans de la Ligue, dits les
Guisards. Le nom de Guisarde fit place,
pendant la Révolution, à celui de Snns-
Culolles, tout comme le vieux carrefour
de la Croix-Rouge se transforma en
Bonnet rouge. Au W^ siècle, ce carre-
four s'aiipelait de lu Mal.ulrerir
RUE DE PROVENCE
ritables, pour recevoir les pauvres lé-
preux. C'est d'une grande croix peinte-
on rouge, s'élcvant au milieu de la place,
(pie le carrefour tient son dernier nom.
Les rues Monsieur et Madame, ou-
M>rtes, l'une en 177'J, l'autre en 1790,
-iir des terrains appartenant au comte
(le Provence idepuis Louis ,\\ III , dé-
-ij,'nent le comte de Provence lui-même,
.Munsieur, en l'honneur de qui avait été
nommée déjà la rue de Provence, sur la
rive droite {177L' , et son épouse Louise
(le Savoie, princesse de Sardaigne, Ma-
dame.
Enfin, la rue de Lille, ouverte au
wn'' siècle, sur une partie du L'^raiid
1
raison de plusieurs granges bâties, dans
ce quartier de fondations pieuses et cha-
Pré-aux-Clercs, avait eu pour parrain
Henri de Bourbon, abbé de Saint-Ger-
main-des-Prés. C'est en 1792 qu'elle fut
appelée rue de Lille, en mémoire de la
vigoureuse résistance que les Lillois
opposèrent à l'armée autrichienne.
Telle est la petite excursion qui de-
vait suivre la première, afin de dissiper
les étonnements et les doutes que peu-
vent encore éveiller dans l'esprit quel-
ques-uns des vieux écriteaux de la
grande cité. Le sujet n'est pas épuisé,
mais l'essentiel est dit : lorsque les rues.
sont trop sombres ou d'origine mal-
séantes, de même que quand les idées
sont obscures, il faut craindre de s'éga-
rer.
Ch.vrles Rozan.
LA
SÉCURITÉ SUR LES CHEMINS DE FER
U E LA STABILITE DES V (T I E S
La sécurité publique, dans l'exploita-
tion des voies ferrées, préoccupe vive-
ment l'opinion, lorsqu'un accident, dû,
le plus souvent, à une cause fortuite où
la malveillance n"a rien à reprendre, se
produit sur un réseau français ou étran-
j,^er. Sous l'impression du moment, on
s'affole, les lé;;endes naissent, et de là à
croire insuflisamment protégées les exis-
tences humaines qui glissent, à belle
vapeur, sur les rubans d'acier, il n'y a
qu'un pas — et ce pas est vite franchi,
dès qu'un jugement impartial ne délimite
plus, ainsi qu'il convient, toutes choses.
La sécurité des voies ferrées est-elle
illusoire? — Je ne le pense pas.
Cette sécurité a dû progresser, au
contraire. On ne lance pas impunément
des convois en des trottes de cent kilo-
mètres à l'heure, sans entourer ces
courses vertigineuses de toutes les pré-
cautions possibles et désirables. Sou-
cieux des responsabilités encourues, les
services centraux des grandes Compa-
gnies ont été amenés, sous la pression
de plus on plus manifeste et indéniable
désormais du contrôle supérieur des
chemins de fer, à étudier, à proposer, à
expérimenter les moyens propres à
accroître la sécurité. Et sur ce terrain
brûlant, d'une actualité inépuisable, la
science a mis — avec une sage lenteur,
peut-être — sa généreuse empreinte.
Evidemment, le siècle prochain nous
apportera des inventions qui aideront à
asseoir cette sécurité si comiilexe et si
s|)écial(^ que d'aucuns, mal informés,
jugent, tout de go, hasardeuse et pro-
blématique. I>es temps viendront où
l'intangible fantaisie d'tni Hobida revê-
tant une réalité froide et saisissable, le
directeur d'une Compagnie de chemins
de fer pourra, de son cabinet, armé de
lils et sillonné de courants électriques,
régler, seul, et sans intermédiaires, la
marche fantastique des milliers de trains
qui, à son signal, emprunteront ses voies,
de tous côtés, sur cent branches dilTé-
rentes, se croiseront sans accrocs, sans
la moindre ératlure, à des vitesses amé-
ricaines invraisemblables, sans le plus
léger choc, sans la plus insigniliante
chiquenaude. Nullerencontre de convois,
nulle prise en écharpe, plus de ces
étreintes terribles en lesquelles, parfois,
les locomotives succombent. Ce sera le
raihvay idéal !
Dans l'exploitation des chemins de
fer, la voie joue un rôle de premier plan.
Son état, son entretien sont essentielle-
ment liés à la sécurité. L'examen de ses
organes s'impose.
L'écartemenl des voies, c'est-à-dire la
distance qui sépare les deux files de
rails, est, en général, de 1"',45. Cepen-
dant, pour des causes diverses, l'Espagne,
la Russie, l'Irlande ont des voies affran-
chies do cette règle, avec dos écartements
respectifs de 1"',73(), 1"',.521 et 1"',68.
Des différents systèmes, les plus ré-
pandus, les doux principaux, sont ceux
do la voie à coussinets avec rails à double
champignon et de la voie Vignole ilont
le patin permet le crampoinioment direct
sur la traverse. Ces deux systèmes, — les
seuls en usage dans nos grands raihvays
français, — ont chacun leurs partisans.
L'Allemagne emploie presque ovclusive-
mont le rail \'ignole.L'.\ngloterro accorde
ses préférences au rail à double champi-
gnon. Ces deux pays sont on opposition
(■(iniplèlo.
I.A SKCIJH ITI'; Sl'll LKS CIIKMINS UK Klill
Hiiil à i)ulin? \\ui\ à doulilc cl);impi-
giioii? ]a\ (|ueslioii ii'csl pus traiiclioe et,
(1 U K s T
Rail ordinaire à patin (Vignole).
à l'occasion, les grammairiens de Vx
disculcnl encore. Certains — et non des
moindres — trouvent que la voie à
coussinets a plus de robustesse, qu'elle
résiste mieux aux elForts transversaux
et qu'étant plus lourde elle est, partant,
plus stable, moins susceptible de dislo-
l'absence des coussinets qui se casseiH
et des coins au serrage souvent défec-
tueux.
Le rail Vignoie fut lancé, en France,
par la Compagnie des chemins de fer du
Nord et, depuis, son emploi s'est géné-
ralise sur ce réseau, ainsi que sur ceux
du Paris-Lyon-Méditerranée, de l'Kstet
de l'Ouest. Celui-ci, toutefois, a ses
Rail fort à patin (Vignoie).
cation. Mais ceux qui en tiennent pour
le rail à patin ne manquent pas d'énu-
mérer, avec quelque bon sens, les incon-
testables qualités de la voie Vignoie :
simplicité de pose, meilleur roulement,
résistance plus grande à poids égal, aug-
mentation de la sécurité, eu égard à
Rail ordinaire à double champignon symétrique.
lignes secondaires encore armées du
système de voie à coussinets. L'Orléans
élimine le rail à patin. L'heure n'est pas
très éloignée où cette Compagnie n'em-
ploiera plus que le tjpe à double cham-
pignon. C'est aussi le modèle du réseau
de l'Etat; et le Midi, après échec complet
MIDI
Rail ordinaire à double champignon symétrique.
avec le rail Barlow, l'a également adopté,
aujourd'hui, à l'exclusion de tout autre.
LA SECUHITK SUR LliS CHEMINS DE EER
Sans remonter aux chemins de bois
de l'antiquité, si on compare, entre eux,
R;ùl Barlow.
depuis l'origine des chemins do fer, les
rails mis en service, on est frappé des
transformations qu'ils ont subies. La
première voie posée en France, — de
Saint-Etienne à Andrézieux, — le fut
01: LÉAN3
Ilail oiilinaire à double champignon (nouveau
type) dissymétrique.
avec des rails en fonte de un mètre de
longueur. Les rails en fer de 5"',r)0 et
de 6 mètres marquèrent une amélioration
sensible. Puis, les progrès de la métal-
lurgie aidant, les procédés de fabrication
se perfectionnèrent et le fer (lisj)arul
^J^^
-■^^^
Rail k patin avec selle A redan;
sur traverse en bois
apaud
devant l'incontestable su[)éri(]rili' de
l'acier dont la solidil(-, l'usuic lente et
régulière devaient séduire. Les rails
de 8, 11 et 12 mètres apparurent. L'essor
s'arrêta. Il ne faut, en effet, citer que
pour mémoire le rail de 18'", 30 du N'orth
Western. L'acier a donc définitivement
conquis le railway avec ses travées
de 11 et 12 mètres. Les barres de 5"', 50
et de (■) mètres en fer, encore utilisées
Inclinaison du rail à double champignon
dans le coussinet.
sur les voies principales, sont infaillible-
ment destinées, — vieux débris des pre-
mières heures d'exploitation, — à meu-
bler, tôt ou tard, les voies secondaires
des stations et des gares. C'est le déclin.
Saluons-les ; leur règne s'achève. Les
Inclinaison du rail à patin sur la traverse.
" chemins de fer » sont en passe de
devenir des « chemins d acier ".
Alors que les railways en étaient au
début de leur carrière, on posa ties voies
sans traverses, en (i.xant simplement les
files de rails sur des dés en pierre ou des
plateaux en funte. Mais, le |>riiicipc de
la traverse admis et la ccrlilude acquise
que de son eniplui di'pcndait l'homogé-
néité des voies et leui- stabdit<' non
LA SÉCUltITÉ Sril l.i;S CIIKMINS DE IKII
Usure et déformation du cbampignou supérieur
c'quivoque, les partisans de Tossalure
métallique loniplète lutlèrenl, peu à
peu, contre l'envahissement du bois.
Les mélallurf^isles — on le conçoit —
ne furent pas les derniers à le combattre
et à proclamer la supériorité du fer.
Quand on plaide pro Jomo, on est élo-
quent sans peine. A coups de chifTres i
et de statistiques, on en vint à avancer
que les forêts du globe ne suffiraient
Coupes et profils de traverses métallique
bientôt plus, en une aube relativement
prochaine, à alimenter les voies ferrées
des bois nécessaires à leur établissement
et à leur entretien. Sur cette hypothèse,
la question s'ayrémenta d'éléments nou-
veaux. Les amis des arbres se remuèrent.
Il faut autre chose que des baliveaux
pour débiter des traverses. La météoro-
log^ie s'en mêla. On devine bien pour-
quoi. La bataille dure toujours.
(Jue lu traverse métallique soit la
<' traverse de l'avenir ■■, ainsi que cer-
tains l'assurent, je me {garderai de mctli-e
en doute cette assertion basée sur des
|)robabilités et des calculs, qu'on a tout
lieu de croire sérieux. Néanmoins, il est
permis de constater qu'elle s'accommode
difficilement de certains ballasts et qu'à
solidité éfjale la voie sur traverses en
bois a plus d'élasticité. Si les traverses
métalli<|ues se prnpa^'cnt à l'étranger,
en Allemagne et en Hollande, par
exemple, elles n'ont, en France, qu'un
succès des ])lus relatifs, puisque, malgré
des expériences qui se continuent, le
bois, en fait de traverses, domine dans
nos railways.
Quels que soient le poids de la \oie,
la densité et la cohésion du ballast qui
la recouvre, elle a des tendances à se
déplacer horizontalement, sous le choc
des mentonnets
des roues et les
mouvements de
galop et de la-
cet exagérés des
locomotives.
Elle réclame de
véritables soins.
Elle est la base
fondamentale
du système
d'exploitation
des lignes et sa
stabilité est trop
directement liée
à la sécurité pu-
blique . je le
répète, pour
qu'on la traite avec indifférence. Elle
n'est point quantité négligeable.
Que le ballast soit en sable, en gravier
ou en pierre cassée, la qualité est de
rigueur. Au mauvais ballast, — tous les
praticiens sont d'accord là-dessus, — on
doit, la plupart du temps, même sur
l'assiette de plate-formes saines et per-
méables, l'instabilité des voies, d'où ré-
sultent tant de secousses et de cahots
LA SECURITE SUH LES CHEMINS DE FEU
pour les voyiij^eurs, en dépit des sus-
pensions de wagons les ])lus perfec-
tionnées e( des attelages les plus impec-
cables. Alors, pour peu que les Iranchéi^s
ou remblais soient argileux, malgré des
travaux d'assainissement coûteux, on a
de grandes difficultés à vaincre, et ce
n'est qu'à force de surveillance et d'efforts
que l'on ])arvient à assurer la sécurité.
Dans les deux systèmes de voie, — à
patin ou à double champignon, — les
rails sont éclissés, c'est-à-dire réunis
entre eux, à chaque extrémité, par deux
bandes de fer ou d'acier qui les empri-
sonnent et les maintiennent à l'aide de
boulons. Un joint qui varie suivant la
température esl laissé pour la dilatation.
On emploie, habituellemeni, douze ou
quatorze d'averses par longueur de rail
de 11 meires.
des machines, rendent toutes les opéra-
tions illusoires et sont capables de sus-
Traverse en bois.
citer des causes de déraillement. Les
lacets de quelques trains suffisent à dis-
loquer tout le système.
Dans la voie à coussinets, les coins
qui maintiennent les rails sont « chassés »
dans le sens des pentes, sur les lignes à
voie unique, et dans le sens de la
marche des trains , sur les lignes à
double voie. De même que la traverse,
le coin en bois a subi maints assauts et.
Du sabotage des traverses dépend, en
partie, le plus ou moins de perfection
des voies. La pose des coussinets, à
l'aide de tirel'onds ou de chevillelles, le
cramponnemenl des patins exigent une
précision mathémati(|uc. Mises en |)lace,
les traverses l'éclanient un bon bouri'age,
car, si un ball.i^l irr('|ii-ochablç, si un
comme elle, il a ses détracteurs. Mais
il faut avouer que les partisans du coin
métallique ont, là, plus beau jeu qu'avec
la traverse. Il ne s'agit plus, en elfet, de
craintes réelles ou chiméric|ues concer-
nant la disparition des forêts ou la méta-
morphose, au grand dam de l'humanité,
des niaiiircstalions atmosphériques. La
^_^
Z.
■c^^^=^^-^^
File de rails posés sur dés en pierre.
sabotage excellent a^snrcul la slaliililé
des voies, on |i<'iil ;iHiniicr <pi inie Ira-
verse bien assise s'op|)Osi' elficaceinent
à l'oseillalion, au passage des trains. Un
bourrage iiriparfail ou négligé (h'truil la
régularilé de la voie, inlioduit des in-
dexions longiludinalcs dangereuses qui
IriidcMl .'i r.'iniplillc al ion du mcuncMienl
chose nous est plus tangible et d'un
aspect autrement sérieux. Li> coin en bois
a des inconvénients : son serrage n'a
d'efficacité qu'autant (ju'il esl l'objel
d'une conliiiuoUe surveillanci- : placé
dans la mâchoire du coussinet, par in\
temps humide, sous l'action de la séche-
resse, il ne prend pins une part très
LA SÉCURITÉ suit I.KS CIIKMINS 1)K l'KU
.'ic'live il la solidité de la voie ; sans le
ballast qui le soutient, il tomberait
même. Son rôle a des variations préju-
diciables à la sécurité. Le coin métal-
lique, au contraire, une fois introduit
entre le rail et le coussinet, forme ressort
et ne bouge plus. On l'emploie avanta-
geusement sur les longues travées en
fer où le coin en bois est d'une utilisa-
lion difficile. En voie courante, il presse
si énergiqucmcnt le rail dans le coussinet
qu'il s'oppose absolument aux glisse-
ments longitudinaux impossibles à éviter
totalement avec le coin en bois.
Les Compagnies de chemins de fer
dont les voies sont du système à coussi-
nets en viendront, dans un temps rap-
proché, sans doute, à l'adoption du coin
en acier et à son emploi exclusif. C'est
une simple question de dépense. Devant
Coin métallique.
une chance de plus donnée à la sécurité,
toute hésitation ne doit-elle pas dispa-
raître?
L'entretien des voies, leur revision
périodique, tout en ayant le même point
de départ, n'est pas réglementé de la
même façon sur tous les réseaux. Telle
Compagnie, qui procède par de grands
renouvellements généraux de ballast, de
rails et de traverses, a des frais d'entre-
tien plus légers, tandis qu'un autre rail-
way, où ces renouvellements sont moins
fréquents, voit son entretien absorber
un gros morceau du budget annuel.
Laquelle des deux solutions est la meil-
leure? Hien malin serait celui qui se
prononcerait.
Là où le ballast est argileux et les
attaches relâchées, par suite, aussi, de
vices de pose, d'inégale usure de maté-
riaux, de mouvements dans les sous-
sols, le profil des voies se déforme, les
traverses se déplacent. Sous le frotte-
ment des roues dans la lile intérieure
des courbes, sous les chocs que subis-
sent, aux joints, les abouts, les rails
glissent longitudinalement. Sous la pres-
sion des trains, les surfaces en contact
Types de coinçages en bois (Coupes).
s'abîment, les tirefonds, les crampons,
les chevillettes, toutes pièces de petit
matériel nécessaires à l'invariable rigi-
dité des voies, se disloquent. Comme
conséquence du matage des extrémités,
les rails prennent du jeu à l'assemblage.
Le bois des traverses vieillit, s'écrase,
sous les coussinets et le patin des rails.
De ces constatations vient la nécessité
d'entretenir sérieusement les voies et de
Types de coinçages en bois (Conpes).
remplacer, à temps, les matériaux qui
en constituent la stabilité.
Le système d'entretien s'est modifié
LA SECURITK SUR LES CHEMINS DE FER
sur presque tous les réseaux de clieniins
de fer, notamment sur celui de l'Orléans
où se rencontrent deux périodes absolu-
ment distinctes qui sollicitent une com-
paraison ])eut-être plus intéressante que
partout ailleurs. Ainsi, dans cette Com-
pagnie, avant l'année 1890, l'entretien
la voie — sans être âgée — devenait vite
vieille et sa sécurité susceptible de s'af-
faisser, ipsn fado, au-dessous des limites
de tolérance permises. A cela, les parti-
sans de l'entretien en voltige, — routi-
niers entêtés que toute innovation elTraye
et qui répugnent à la marche d'une idée,
N u U V E AU TYPE
en recherche ou en voltige, par les
équipes échelonnées sui- les lignes, était
fort en honneur. Il consistait à suivre
les déformations des voies, à « voltiger »,
en (|uel(|ue sorte, à la recherche des
défectuosités suiicrlicielles, en dehors, le
[)lus souvent, d'oi)érati(ins im|)()rtantes,
réellement sérieuses. Avec celle mé-
thode, qui avait le grave inconvénient
de masquer la situation et de ne per-
mettre qu'un contrôle difficile, puis(pic
les ('•quipes élaienl toujours en < l'air i.
--- répondent que c'est précisément à
l'exlrême mobilité des équipes, à la fré-
quence de leurs déplacements, que l'on
doit la stabilité des voies, en n'imi)orle
quel point des lignes dont on tâle ainsi
le pouls, continuellement, sans arrêl, el
(|U0 pour tenir nue voie en ('lat de sécu-
rité complète, il faut, eu dehors des
renouvellements généraux , voltiger
dessus, à l'incessante recotuiaissance
des parties défectueuses. Ce sysième a
été abandoinii'.
i.A SKCiHiTi:; suit m;s chemins de fi;h
Maiiilcnanl la staliililc dus voies est
•assurée ])ar la méthode dite de l'eiitre-
licn courant et de la révision heclomé-
Irique. Si, comme précédemment, cette
seconde manière laisse les chefs d'équipe
libres de se porter, à volonté, sur les
points dangereux de leur canton, toutes
les fois que la sécurité l'exige, elle les
oblige aussi, dés qu'ils s'attaquent à un
endroit quelconque d'une voie, non seu-
Icmenl à remédier à son mauvais état
appuient, mais encore à reviser entière-
ment cette \()ie sur la longueur mini-
mum d'un demi-hectomètre. Au point
de vue de la sécurité et du rendement
des trains, au poids des machines, à la
nature des plates-formes, ainsi qu'au
système de la voie.
La classification des vitesses-limites
des trains exige qu'on observe : les dé-
clivités exceptionnelles, les rayons, le
type, l'âge et la légèreté des voies, la
qualité du ballast, l'usure des rails et
des traverses. Ainsi, une ligne qui, par
son tracé et son trafic, est susceptible de
prendre place dans une catégorie de vi-
tesses-limites élevées peut, cependant,
n'être admise, provisoirement, que dans
VIE 1) r >• £ c L 1 s s A G E
du travail des équipes, les voies ainsi
suivies sont maintenues dans un état de
solidité incomparable, qui répond aux
besoins de la circulation sur les chemins
de fer.
La revision hectométrique et l'entre-
tien courant comportent tous les travaux
nécessaires à la mise au point de la voie :
dégarnissage, assainissements, vérifica-
tion des dévers et des courbes, élimina-
tion du matériel usé, ressabotage, con-
solidation des attaches, bourrage des
traverses, serrage des coins, raccorde-
ment des déclivités et de la dénivella-
tion, etc. Les parties de voies ainsi
entretenues peuvent, à moins de cas
spéciaux, attendre, en leur correcte
recomposition, que l'équipe y soit ra-
menée par un roulement normal, subor-
donné au degré de tolérance qu'il con-
vient de ne pas dépasser sans risques
pour la sécurité, au trafic, à la vitesse
une classe inférieure, si la voie est fati-
guée, le ballast défectueux, l'entretien
négligé. On ne doit pas perdre de vue,
en effet, que, pour supporter de grandes
vitesses, il y a des voies qui demandent
un entretien soigné, une revision sé-
rieuse. Indépendamment de son impor-
tance, une ligne est donc inscrite dans
une classe de vitesses, en raison de son
tracé et de son état.
Dans ces conditions, le service de la
voie, responsable de la sécurité quant à
l'ossature des lignes et à leur stabilité
plus ou moins rigoureuse, appelé aussi
à juger des points dangereux, ne pou-
vait se désintéresser de la marche des
convois en cours de route. En certains
endroits, sous des vitesses exagérées,
des déformations sont à redouter et, au
passage de grandes travées métalliques,
sur de longues et fortes déclivités, aux
embranchements, sur les pointes d'ai-
LA SECURITE SUR LES CHEMINS DE FER
guilles, la sécurité s'amoindrit quand la
vitesse dépasse les limites normales im-
posées. Sur les meilleures lignes, il esl
des points particuliers qui doivent être
franchis avec prudence.
Naguère, on n'avait pour contrôler la
vitesse des trains que le pendule rudi-
mentaire tenu à la main, ou tout autre
procédé analogue aussi primitif. Aujour-
d'hui, toutes les Compagnies possèdent
des enregistreurs de vitesse de différents
systèmes. Auxiliaires précieux du ser-
vice de la voie, ces appareils permettent
de tenir la main à ce (|ue les vitesses-
limites autoris('es soient rarement dé-
s'élever, toutefois, au-dessus d'une limite
maximum qui n'est point rigoureusement
la même pour toutes les Compagnies.
D'ailleurs, sur ce sujet, l'accord esl loin
d'être parlait. Un ingénieur, — autri-
chien, je crois, — n'a-t-il pas démontré
que le dévers n'était rien moins que
nécessaire à la sécurité? Mais les spé-
cialistes sont plutôt rares qui ont admis
cette théorie et, en France, le principe
est d'établir les voies en courbe avec un
surhaussement de la lile de rails du
grand rayon. Cependant, sur la longueur
des appareils de changements et de croi-
sements, sur les tra\ersées-jonrlions, on
Ballast.ige des voies au-dessus dn niveau des traverses (Profil en travers).
|)assées par les machinistes sur les pdints
où la sécurité des voies exige des pré-
cautions.
Les Compagnies de chemins de fer
veillent, d'ailleurs, scrupuleusement, à
ce (pie les enregistreurs de \itesse du
service de la voie soient en permanence
sur les lignes qui réclament un contrôle
de tous les instants. L'installation do ces
appareils a été, en effet, approuvée ré-
gulièrement, pardécisions ministérielles,
et leur non-fonctionnement serait très
sévèrement apprécié par les pouvoirs
[)ublics, si le moindre accident survenait
aux endroits spéciaux qu'ils ont |iour
mission de protéger.
I.'écartemoiil niinn.il et la ch^nivella-
lioii (les files de rails, le dévers ou surélé-
\atiiiii dii grand rayon des parties
courbes, le raccordement des dévers,
celui des courbes avec les alignements
droits, ont leur valeui- dans la stabilité
des voies.
Le dévers, on le sali, croil ,'i mesure
que le raymi de Cdiirburi' dimiiuie, sans
néglige le dé\ers, et il semble même,
qu il y ail tendance, aujourd'hui, à se
rallier aux idées de l'ingénieur autri-
chien, sinon pour l'élimination complète
de tout dévers, du moins pour sa sup-
pression facultative dans les courbes de
rayon élevé.
S'il est admis, maintenant, que les
trains peuvent passer « en vitesse » dans
les courbes supérieures à mille mètres
établies sans dévers, il est non moins
accepté (jue, dans les couilics de plus
faibles ravons, un d(''V('rs esl nécessaire
pour combattre l'action de la force cen-
trifuge des convois.
La vitesse des trains suivit les progrès
(le la machinerie, et, tout d'abord, les
ingénieurs crurent ipi'ils de\ai('nl forcer
le dévers des (■iiurlH'> dniis iiiu' jirojior-
lion correspondante. L'exiiérieiue dé-
montra vite, sur les lignes à très petits
rayons surtout, ([u'il fallait se borner à
un surhaussemenl limité; car, si, à la
descente des trains, la \'oie se trouvait
bien du dévers calculé suivant la vitesse
maximum tolérée, à la montée, cette
mcmie voie, parcourue par des convois
i.A SKCuitiTi!: suit i.Ks (;iii:mins di; i'ku
|)lus calmes, se d6form;iil ; les Irains ne
cliassant ])lus autant sur le ((ranci rayon.
ratif,'uaient <lavantaf,'o l'autre file de rails,
les (Inversaient, disloquaient les attaches,
allaient ius(|u"à tordre ou arracher les
crampons du type Vignole et compro-
mettaient alors, sérieusement, la circu-
lation. On revint à des dévers plus
faibles. Depuis, sur les lignes sinueuses
qui reçoivent des express, on a renforcé
certaines courbes, — difficiles à maintenir
en bonnes conditions de stabilité, — en
ajoutant une traverse supplémentaire
j>ar longueur de 5'", 50 et en employant
de gros coussinets.
L'altération de l'écartement et de l'in-
clinaison des rails ne se manifeste point
moyen j)ratique qui permit de vér'ifier,
rapidement, l'espacement des rails el li-
dévers, sur toute la longueur d'une ligne
ou d'une section de ligne. Ce moyen,
un .Mlemand l'a trouvé, sous la forme
d'un a])pareil qui enregistre, graiihiquc-
nienl, sur une bande de papier mobile,
d'une manière automatique et continue,
dans toute l'étendue du parcours sur
lequel on le fait rouler, l'écartement et
la dénivellation d'une voie. I.,es dia-
grammes sont envoyés aux ingénieurs
qui, par leur simple examen, peuvent
diriger le travail des équipes d'entretien
sur les points dangereux où la sécurité
parait insuffisante. Certes, cet appareil
ne peut su[)|)léer complètement la sur-
Voie eu courbe, les traverses noyées dans le ballast (Coupe transversale).
de la même façon : dans les courbes, la
voie s'élargit, dans les alignements droits
elle se rétrécit, au contraire, sous l'in-
fluence des pressions qui tendent à dé-
verser les rails, à l'extérieur de la voie
dans le premier cas et à l'intérieur dans
le second. Mais, quelle que soit la cause
des perturbations jetées dans lécarte-
ment, il est de toute nécessité de ramener
les files de rails conjugués à leur largeur
normale, dès qu'elles accusent un dépla-
cement hors des limites de tolérance, et
qui ne \ a pas sans danger pour la sécu-
rité. .\ cet effet, on se sert d'un gabarit
d'écartement que complètent, dans les
courbes, une règle à dévers et un niveau
de poche. Seulement, ces vérifications,
tant multipliées soient-elles, ne peuvent
forcément porter que sur des points
isolés. On ne possède jamais la certitude
absolue qu'en n'importe quel endroit
l'écartement de la voie est normal et le
dévers régulièrement donné aux courbes.
Il était intéressant de rechercher un
veillance de l'homme. Mais il la com-
plète. Bien d'autres causes que celles
qu'il relève influent sur la stabilité des
voies. On aurait tort d'attendre qu'il
indique les traverses à remplacer, le
serrage des éclisses et des tirefonds, le
mauvais sabotage, les rails cassés dont
il signale, néanmoins, l'usure, les atta-
ches disloquées et jusqu'à l'état du...
ballast. Ce serait trop beau, en vérité.
Quand survint, en Ecosse, la cata-
strophe du pont de la Tay, on s'émut de
la stabilité des voies sur les grands ou-
vrages en fer. Le pont de la Tay avait
été emporté, en partie, par un ouragan
et un train s'était englouti dans la ri-
vière. L'accident, plus récent, de Mœn-
chenstein, sur la ligne de Sonceboz à
Bâle, en Suisse, remit la question sur le
tapis et lui donna un regain de triste
actualité. Sous la charge d'un convoi
bondé de voyageurs, un jour de fête, un
LA SÉCURITÉ SUR LES CHEMINS DE FER
pont métallique s'était écroulé. On
s'alarma encore — sérieusement, cette
fois — et, dans les mois qui suivirent, le
ministre des travaux publics, guidé par
le contrôle des chemins de fer français,
prit nettement position vis-à-vis des
Compagnies et jirescrivit une série de
nouvelles mesures destinées à prévenir,
sur nos raihvays, l'apparition de sem-
hjables catastrophes. L'accident de la
Tay était dû à une tempête et on pou-
vait alors, à la rigueur, arguer d'un cas
exceptionnel. Mais, en Suisse, le fait
s'entachait de causes autrement graves :
le pont de Mœnchenstein était en mauvais
état, assure-t-on, et sa stabilité compro-
trafic. Certains ouvrages furent ren-
forcés, d'autres entièrement refaits; et
l'on peut citer, notamment, des ponts
de la ligne de Paris à Rouen qui, malgré
un bon état relatif, ont été reconstruits,
sans hésitation, par la Compagnie de
l'Ouest.
La surveillance et l'entretien des tra-
vées métalliques et des voies qu'elles
supportent sont des plus rigoureux. Les
agents supérieurs font de fréquentes
tournées sur les grands ouvrages, en
dehors des chefs d'équipes et des gardes
qui doivent s'assurer du serrage perma-
nent des boulons, des coins et des tire-
fonds et vérifier les attaches de l'ossature
Voie eu alignement druit, les traverses noyées dans le ballast (Coupe transversale).
mise, malgré des réfections successives
qui n'avaient pu réussir qu'à dissimuler
le danger.
Pour répondre aux exigences de la
situation et se conformer aux instruc-
tions ministérielles, les Compagnies des
chemins de fer français se préoccupèrent
de réunir et de revoir tous les documents
relatifs aux travées métalliques — petites
ou grandes — de leurs réseaux. On refit
l'historique de tous les ouvrages en fer
placés au-dessus et au-dessous des \ oies,
l^ourla nature et la provenaneedu métal,
les procédés de montage, le mode de
construction des appuis, les résultats
(les épreuves, les réparations ou les mo-
difications apportées par l'entretien. On
établit à nouveau, avec le plus grand
soin, tous les calculs de résistance, à
seule fin d'ajjprécier si les efforts sup-
portés par le métal, sous l'influence des
surcharges ])révues jiar les plus récents
règlements, n'atteignaient, nulle part,
une limite dangereuse, en raison du
poids toujours croissant des machines
et (le l'augnientalion des vitesses et du
métallique, pour éviter que les efforts
transmis par les trains aux travées ne
soient pas aggravés par des chocs impu-
tables à l'état des voies.
En résumé, de l'examen que nous
venons de faire, il ressort que, depuis
quelques années, la sécurité sur les che-
mins de fer s'est considérablement amé-
liorée. l"]n particulier, la solidité des
voies françaises est admirable. .Aussi
bien, il n'est pas jus(]u'à la libre Amé-
rique qui ne se range et no veuille, dé-
sormais, détruire la légende qui la montre
comme détenant le record du sans-gène
dans l'établissement et l'entretien des
railways. Après l'Angleterre, elle dorme,
également, plus de santé à ses voies cl
les originaux cpii, mainlenani, traver-
seraient encore r.Vtlanlique pour s'offrir
un bon petit dérailleinenl en seraient,
vraisemblablement, pimi- leurs fiais de
voyage.
Loiis lIlhlKV.
LE MOUVEMENT LITTÉHAIRE
La lonliilive de M. Paul Adam, dans son
l'oman la Bataille d'Uhtle (paru chez Ollen-
DOHFFi, ne nian(|ue ni d"iiilôri'l, ni do nou-
vi-autô, ni <li' laliMil, ni de t|ucl<jues défauts
(|uo nous dirons.
Qu'ost-ce (|uc c'est que celte bataille
d'ihde? A vrai dire, très peu importe:
c'est la bataille en soi, et le lécit peut s'en
localiser dons le tem|is et l'espace, au ■frc
de chacun. C'est une campagne que mena
le pénéral Haxi, en juin I8;iy, au cours de
celle fjueire d'Italie, mieux connue par les
autres batailles de Paleslro, de Magenta,
de Malegnano et de Solferino. Mais ce dont
il faut convenir tout de suite, c'est de l'at-
trait de ce conte militaire, du minutieux
réalisme qui lui donne un air particulier
de compétence et d'expérience, comme
aussi de la part sérieuse faite à la philo-
sophie de la guerre.
Mais il convient de démêler et de dis-
cerner les éléments très complexes que le
livie contient et qui le caractérisent : car
c'est toujours une rare fortune de rencon-
trer un livie (lui ait du caractère.
Tout d'abord, c'est un roman <( de condi-
tion », comme on eût dit autrefois, un
roman professionnel, comme nous disons.
Heauniarchais est l'un des premiers qui
aient songé à orienter la littérature dans ce
sens, c'est-à-dire à penser qu'il pouvait se
dégager un intérêt assez puissant et assez
général, fût-ce d'un métier particulier. Il a
déduit et exposé toute cette théorie sur la
capacité littéraire des professions, et il en
a lente l'application dans son drame les
Deux amis, où l'intérêt sort tout entier de
la situation critique dans laquelle peut par-
fois se trouver, de par son métier, un rece-
veur des finances. Il a échafaudé toute son
action sur celte qualité spéciale de fonc-
tionnaire dans l'administration des finances.
Ce receveur sauve un ami de la faillite en
lui prêtant, pour vingt-quatre heures, une
somme qu'il prend dans la caisse officielle.
Mais l'inspecteur des finances arrive à l'ini-
proviste. Le fonctionnaire ne peut expliquer
l'absence des fonds, car cette révélation rui-
nerait le crédit de son ami. 11 se perd par
dévouement. Voilà un drame dont le pathé-
tique sort des grillages mêmes de la caisse.
C'est ce que Beaumarchais appelle le drame
de condition.
Je rattacherais volontiers à cette théorie
le roman de Paul Adam, qui est le roman
de la condition militaire. 'Tout linlérêt est
concentré sur la tête d'un général qui veut
gagner une bataille et sur les moyens dont
il use et dont il dispose. C'est le roman
militaire technique.
Toute la campagne, avec ses évolutions
cl ses lactiques, y est suivie minu'tieusc-
menl, heure par lieuie ; et si (l'aucuns
pourroid trouver que ce général nous sa-
lure un peu de sa stratégie et parfois
tombe dans les redites et les longueurs,
il faudra [)onrtant s'accorder sur le rare
mérite d'un livre qui partout nous pren<l
aux entrailles et doit sa grandeur à sa sirfi-
|)licité même.
Il y a des précédents. D'autres se sont
déjà complu h narrer des batailles dans
le détail, et les exemples n'étaient pas
décourageants, puisipi'ils ont olfert à notre
admiration la Chartruue de Parme, de Sten-
dahl, la fameuse bataille de Waterloo, par
Victor Hugo, <lans ses Misérables, sans
compter tant de Mémoires militaires qui
ont fait en ces derniers temps la vogue du
nom de leurs auteui-s, à commencer par
ceux de Marbol, dont le général Haxi n'est
pas un parent fort éloigné.
Car lui aussi, il raconte ses mémoires :
seulement la teneur y est plus régulière
que dans le réel et plus artistique, et l'ima-
gination aide la nature. Et surtout, la phi-
losophie aide de son commentaire perpé-
tuel la brutale franchise des faits.
Mais d'abord, ces faits, voici quels ils
sont. Le général Haxi, après la bataille de
Malegnano, fut investi du commandement
en chef. Il va de l'avant, vers le cours
supérieur de l'Adda, rencontre les Autri-
chiens, les culbute, établit des batteries,
des ponts de bateaux, des ambulances,
fait charger, virer, voiler, emporte des
villages, apaise des séditions, fait fusiller
un mutin, combine d'habiles mouvements,
I se porte aux premiers rangs , gagne la
I bataille d'Uhde et parvient au faite des
I honneurs, pour en être précipité par de
menus faits que nous verrons.
C'est donc un tableau exact, fouillé,
minutieux, consciencieux de la guerre : et
celle-ci n'est pas flattée. Cet hymne de
bataille est un des plus funestes procès de
la gloire militaire. La guerre a subi rare-
ment un plus rude assaut, sous la forme
déguisée et par conséquent dangereuse
du panégyrique. Quand l'abbé de Saint-
Pierre piôposait son Traité de la paix uni-
verselle, il n'a pas écrit une page qui fit
plus de tort à l'état militaire que chacune
de celles-ci.
On a souvent décrit des batailles. Je ne
sais si on l'avait jamais fait de cette façon.
Les peintres militaires se sont pour l'ordi-
naire appliqués à laisser dans l'ombre le
côté horrible de la boucherie qu'est une
bataille, pour en faire voltiger le panache
I.K M(>U\I:MKXT LITTKUAIIiE
<!(_■ l'uuu'C' cl de gloire, |)()ui- l)ruiulu- le
clrnpeau troué de balles, faire éclater la
l'anl'are des clairons au-dessus des esca-
drons reluisant au soleil et |i(>rliser la
sanglante mêlée. Dans les rc'cils mili-
taires, dans les chants de guerii\ iliuis les
hymnes du soldat, dans les couplets
patriotiques, ce sont toujours les mêmes
ofTets et les mêmes eiîorts, l'idéalisation
enthousiaste dune chose sainte, avec les
mêmes mots, gloire, victoire, clairon,
escadron. Il y a un arsenal de fleui-s el de
rubans pour les récits de guerre M:ns est
proprement mis. Le voile resie lir('' sui-
tes horreurs, ([u'on évite de décrire el de
dévoiler, comme par un consentement
tacite, pour ne pas décourager les recrues.
Il y avait, sur les blessures que font les
ol>us, une sorte de (■iiii'..piiation du si-
lence. On aurait dit que les véléraiis for-
maient une espèce de franc-nuii,'onnerie
muette pour éviter d'attirer jamais l'atten-
tion des bleus du côté de l'ambulance : el
cela, c'était encore respivler liili'e <]<■
Pairie, le drapeau, el bi ilnre iici cssilc' de
lancer aux gueules de canon des chairs
jeunes pour la protection des frontières.
Prenez le contrc-[)ied de celle méthode
•t vous
.1 le
sure, pas une
pas dire qn il
engageant. < • C
ce n'est pas jol
c'est adniirabli
vif, et iiu''ine --n
dans sa rénu^i,
livi
.l.s b..r
.np, pâ-
li, el r^
ir.-iil, el
be.i.ix ras. Il
M-lanle .■..Ile,
■Il a i;biii.- Il
Ihhi. .Il' III
JiKHi.inic, .le
MHIS en .I,'.
ecli.illlillc.ns r
de M>n> IN
.aile d,.s ope
.'liions <loMl
ni l'oib'nr du
béanles, des
s.ini;, III bi
■nliailb's p.
pourlaiil qn,-
je vous ,
Non.
1 <pii'
di'pni I,
qnrlq,
,1 l-aul I
ipl,
J.lgel'
arlisU
Kn rIV.'l, p.n'.iil 1,'^ rliiillrll,'-. ,,ii >r phii
:;iiai,'lll .'Il il.ili.'ii .1.', l:,,iII.ii'.U -.m:; l.inU, pin
■Mii'i.T. .I..III un,' bail.' .n.iil Un, In I.'. n.i
l'iii.'-, I.'iilait la i'.'spii'.'ili.,i, ,,,,,' l.i li.au'lu'
VI. - ID.
Mais le san^ léloud'ail aussi là. De ses iluif^ls.
il arrachait des lambeaux de son palais déniuli.
des esquilles d'os, crachait cl vomissait cela,
les veines tendues sous les rides du front
chauve. Sa poitrine, dans l'unifornie verl, se
f;.inllait, se creusait. Il portait ses mains à
son cou. Il battait l'air des bras... Il me re-
îîarda de ses yeu.v ])leureurs. Je fis un sahil
militaire, et passai. Il me parut à m.ii-ménii'
que du san^ en^'. irj^i'ait ma bouche, el je era-
eliai .riiislincl.
C'est le genre lempé-i'e. Il s a pire.
\'ous c(Hn])renez ii prés.'iil la noie. C'est
ce cpii donne au livre et air .l.'M'spéianl ;
il inspire le dégoùl di' la ;_;iieii'i' jiar la
répuNioii de la .Imib-iii' iiliysii|ue, el
celle-. 'i n'i'sl pii". .lunp.'iisee par renthou-
siasm.', I.i loii.' u.iii'r.'iisr, l'édaii patrio-
lique.
Le l;.-ii.'1','iI b'axi e-,! im sa-e, ipii ne
s'emballe pas. A un seul inonieiil, on le
sent s'agilei- sur sa s<dle, el c'est par
l'ennui de voir (oui le monde aj4ii' dans
la mêlée bin.lis .jn'il demeure à ne rien
biire ;
ba plupai'l des.,lli.'i,-i'seli,-ris>eiit le nieiu'lie
direct. Passé les premières éin.ilions du d.-bul,
on suit le coml)aL avec une ardeur très pa-
reille à celle qui anime t.- chasseur exlerniinant
de remise en reiiiis.' un.' .'.aii|iaf;ine ilr per-
dreau.\. Les eapilaiii.'s ni.ini.nl l.ur- li les
.'.iinuie une meiil.- .1.' . hniis .Inss,-. I|> Irs
.'M'il.'iil. I.'s m,''ii,.,i|, |,'s ,,|,,'ns,'nl. I.'s laneenl
av.',' I.ml.'s I,', ni-, 'S, 'h,,!, ,■',.„ ,r,,„ s|„„.l. Plus
lai'.l. I..i's,|,, ,,„ iill.'iiil I.'S ^,',,,1,'- s,i|H--rieurs,
1,'s pi',',..','iipiili.,iis .l,_-vi,'iiii,'iil li,,p n.im-
lii'eus.-s, .livei'ses. Le |..ueur ,1 èeliecs remplace
I.' ehasseiir ilans la |>ei's.,iiiie du eoLaiel. .\l.a's.
lalnieité du niassacr,' i...iis éiii.-iil ,'l nous
.ivr,' la 'li,'M',',l,'s .,,l,|a|-, ■ri'i-l.'in.'iil. p,n' .1,-
\..ii'. is ..i'.l,,iiii.,ii-. ,1,'s a-anis av,'.- I.'s
.pi.'Is. .i.'iin.'s, .,11 liiii'lail un ,|.,w'ii\ liall.ili
La page esl joli,-, l'.lh-s s I M-aii.-. ,ii p
.-oiuiii.- .-.-ll.-da', ,-l I.Mil.-s les 1-,-serves
biil.-s. e.- liM'.' ,'sl .Inii li.,i ,' ,1,. laleul.
Ou h- s.-iil a .-,-1-1. lin. 'S .l.'s.'iiplions ,pii
NOUS b.ipp.'iil .',,111111.. un,' MSI, ,11 .liri-ele.
.'I aussi a . I.'s a p.i vus plu I, ,s, ,p|ii, pi,-s dum-
haiih- poil.-,- ,'l .liiii.' m:;, '1,1, 'lis,' Nisée. Le
t I .!.- ,--ll.- pliilos.q.bi.- .1,- la guerre,
.-■.-si la iii.'lan.'ob,' .h'sabiis.',., j.a guerre
esl bonne .-I a ra^.iii .1,- lii.-i-, parc-e ipie
l.i \1.' 11.- \aiil p., . ,pi OH 1.1 \i\e. l-;sl-ou
j.-iiii.'.' .'II.- amuse, .'.uiiiiH- un.' parlii' .1,'
p..l..; pass.' .piaraiib' ans, ,pi iiiipoi I ,- uiu-
ball.-.' 1 ,- p.-ssiniisiii,- nie i.ipp.-ll.- b- i
SI piol,,n.l ,bi,ii i,,iii,iii.-i.-i ,bi SI.-,'!,' ,1,'iiiier
bi.'ii in|usl.'iii,'nl oiiMi,', llub'.'sin :
- In .'iilaiil .1.' di'iiN jours'. -si déjà
•'^-'•' '"-"^ I '■ "i""iii :
l'.iiil .X.laiii ai-i-i-pl,- 1.1 l;ii.-i'i'.- et s'en
iiaii.l I .'lais j.-iiii.< la b.itaill.'
sp..i'i;à_e..iii, s,-„- p.^nll.-.u.
ablail
M-: MOIVKMKNT 1. 1 I T Kll A I H K
le jru (le pitln. la clmsso ù t'MUrrt', <ni la coiirM;
(l'obslacles pnur (îonlieiiicn. Après (|iiai'aiile
ans, la vio ne eoiiscrve pas la valeur qu'iiii
lui allril)uc de seize i vinijt-ciiiq. Les aiDours
lU'viies. les (l'aliismis des amis, les cDnciir-
rences pr^lessionnelles, lu ^l'^'i'i-' des canailles
l't la Mialeclijince évidente des linnntlcs Rcns,
le Irioniphe du vice et IVibscurilé de la vertu,
vcius i>iil, par riiahituelle répétition de leur
apparence, lassé de croire à la beauté de
Los vi'lcriMis sont nicillcnis soldais ipic
les autres, parce i|u'ils n'allondent plus
rien lie la vio, et ne ressoniblonl pas à ces
ailoloseonis assoilTés (le bonliour. Aussi le
^énor.Tl Raxi voudraif-il qu'on ne fit la
•;iiorro qu'avec des hommes mûrs et désa-
busés.
lui somme, on allond au bout de sa
Ihéorie la (lélinilion linalequi ne vient pas
et (|u'il a omise peul-èlre par timidilé :
la guerre est un suicide collectif.
tt s'il accepte encore le Iléau, c'est qu'il
lui (rouve une consolation : d'aucuns la
liouveronl maifrre. La f^uorre est bonne
parce (lu'olle étend sur l'herbe des cada-
vres qui enfanteront la vie et (|ui feront
i;rouillor des milliers de bêles soudaine-
nienl ciéés dans les entrailles en pourriture.
.\u biiid du chemin, le cadavre d'un lani-
bour, eiil'oui [iresque dans les herbes hautes
de la prairie, parmi les renoncules mouillées,
me donna peu de tristesse. Cependant un vis-
cère noirâtre, le foie sans doute, débordait
|)ar la déchirure de la tunique entre les nœuds
ilirs intestins rougis; et la tète, je ne la pus
découvrir. Les fleurs des champs s'étaient re-
jointes au-dessus, en bouquet blanc, bleu,
'd'or...
Des hirondelles crièrent, coupant la splen-
dciu- du jour par leur vol en biseau.
l'auvre garçon! pensai-je... Douce fumée,
là-bas, dans la France, sur la chaumière. La
lileuse tourne son rouet devant l'image du
Juif-Errant... La petite soeur traîne au bout
d'une ticcllc la boite où se prélasse la poupée...
Le vent caresse la chevelure des moissons.
Les bœufs boivent... Et ta mère blanchie
pense à ton retour... Tu ne reverras rien.
Mais à quoi bon revoir?... Tu aurais croulé
sous les grosses ivresses du dimanche, en
chantant d'ignobles refrains... et puis, toute
la vie. tu aurais sué de peine et de misère,
pour faire resplendir le sol d'une patrie qui ne
te distribue en échange que le travail,
l'amende, la prison, l'enrôlement, la faim et
la mort... Pourquoi dire qu'il eût mieux valu
que tu vives?... Seulement, tu ne prévoyais
pas. Tu espérais... Et, d'espérances en espé-
rances, tu aurais gagné l'âge des maladies
féroces... Va, va, dors ici, tambour, auprès de
ta caisse crevée.
De toi une vie forte germera. Des millions
de bètes vont sourdre, se répandre, créer des
c\islences travailleuses, amoureuses, lut-
teuses, comme llunnaine destinée... Pourquoi
dire que tu es mort!... Est-il une vie?... est-il
uni; mort?... Sur ton visage verdi, les fleurs
claires se sont assend>lé
douceur du large vent!...
Je vous ai fait lire cette |)a(;(! parce
qu'elle donne deux notes bien caractéris-
liques de l'o-uvrc : pessimisme el sensibi-
lité.
La soDsibililé est l'inspiratrice mère (h;
cette sombre piiilosopbie, qui plaint dou-
loureusemenl les victimes de la (jnerre et
leur elierche des raisons do lu' rien
i-,.;^rolter. (rest celle sensibilité tendre el
compalissanle qui revêt le mas(|ue et
l'impassibilité sto'icienne, comme le visage
se contl-acle et se durcit de pour de
pleurer. Le général Raxi déplore tant de
morts, et quand il doit faiie fusiller un
mutin, il ne dort pas durant toute la nuit
qui précède le matin do l'exéoulion. Ses
yeux se mouillent quand il traverse les
bivouacs où les gas lui font l'effet de
songer tristement au petit cimetière de
leur village " contre le mur de l'église
fauve >i.
Car ce militaire est un analyste à froid.
S'il regarde la mêlée, il en démêle les
éléments constitutifs, non sans une cer-
taine finesse. On a rarement fait une plus
belle élude des étals d'âme sous le feu
ennemi. Voyez ceux-ci, lancés aux [las de
charge :
Les pompons des shakos pariu-enl. pas-
sèrent, avec les tètes des hommes, si fripées
et \'ieillies par l'émotion, que tous me paru-
rent des sexagénaires fous, se ruant contre la
terreur d'une vision qui séchait à distance de
leurs yeux hagards.
La touche est forte et pittoresque. Voici
encore ce ([u'on peut appeler une vision
do peur physique, une de ces pages qui
rappellent Marbot.
<• A qui le tour? cria un sergent... Qui va
chercher la brouette de l'escouade?... De quoi !
de quoi ! on boude au dessert ? En voilà, des
eunuques !... alors. Pleurez pas !... j'y vais... u
Il sauta sur la route, regarda fièrement les
vignes. Des coups de feu filèrent entre les
échalas... L'eau bleuâtre, vaste et rapide, le
séparait de la mort. C'était un svelte garçon,
aux jambes droites. La veste déboutonnée
sur sa cravate bleue, le képi à l'oreille, il mit
ses mains dans les poches, et, pour éblouir
l'admiration des hommes, tenta de siffler.
Mais il ne sortit de ses lèvres qu'un faible
cri... Alors, il haussa les épaules, comme s'il
se blâmait lui-même, et marcha posément
vers la brouette abandonnée sur la chaussée
blanche... Telle une lyre immense, l'air, au
passage des balles, vibra. La fusillade pétil-
lait dans les vignes. L'homme marchait tou-
jours posément. Il se forçait à compter ses
pas, à contenir sa hâte. Je tirai ma jumelle,
et je vis, dans les verres, sa face de mort, la
peau collée au crâne, suante, les yeux vitreux
qui ne pouvaient plus rien percevoir. Dans
les poches du pantalon les mains du sergent
].\: M(m\'i:m KXT i.ittkk a in i-:
se crispaiciil. Kilos <Tni)m,niiau'iil I c'I.illV
Ainsi se roiclil-il ciinhr la ))Oiir. ànie maf,'iii.
V <-v[[f i-a|iiilc iiiliif,'!!!' (l'oidic |i
11 l'dil voit oiicoro iiiri-'ililli \ciil l'air
liquc. et continua <lo maivluT k-nlL-nu-nl . ^.„„^^scv par son amani la iMinillr .1.- s,,
pour valoir au conra^'c a ses honinu's. | ' ' ■ 'i . . , i
I
Il décrit aussi avec- siirrlc rl joslosso la
mêlée {yéiiéralc, l'clan i-.iiniiiuii ([iii oniporU'
et soulève une ariiii'o an pas de cliai'j;e
]iar une sorte de rcoiinict ion s'alvanii|iie,
un fluide qui se douane de idiacun et si'
mêle aux volontés des eaniarailrs. pour se
eoiulenser au-dessus de la massi', ipi il en-
veloppe bientôt d une atmosphère spéciale
oii s'ainal^onient les peurs, les terreurs,
les fureurs, les ambitions, les beslialilés
et les ra^es en une énerjj-ie collective. Kl
nialfi'n'' lui, il esl saisi par cette poésie
frrandiose de la cliarue de cavalerie; cl le
^'énéral redit après l'aulre :
— Ali! les braves (;ens!
Dans tout cela, il v a un vif souci du
nalurel cl delà \r\i\v. Ces! un iciioincaii
du réalisme appliipicaii ludilarisiiie. Ajou-
tez une science un peu proli\e de la slra-
tét;ie cl de la lacli.pie, el des explications
teclmiipies doni \l es! peiil-elie. à la lon-
f;ue, l'ail abus, el .pii dojineni à eerlaines
paj,'es un va-ue aspeel de , aider d'élèNC
de Saiul-Cvr. l.a préoccupai ion dn n'ad es!
p(nl.'-e ;'! un ponil Ici, (pie des ealles, .li's
plans, des rcdexes s(,nl adosses au li'\le
pour l'ollilier la \eiaeile ,1e ,es pseudo-
mémoires. On n..us v donne même le p.n-
Irail de l'Iieroïne.
Car d V a une lii'roïne. (;.• Ihei
tuel de la douleur. <le l.i s, adVi-.m.-.- el d
mal esl léyèremenl \arie par une e.anl,'
cl pAle iniriuuc <pn seslonipe .a l'hon/on :
le -énéral .a une l'en, me. une jeune l'emnn-
snllisanli' el \audcaise el mlid.-le, ipii re-
pond au n.Mu .llalilh. Idie .i jns.pi a pré-
sent iloiile osleilsd.l.'nieul d,' la \ran' N,a~
leur de s,,u nia.i, el eelni-.a -a-ne la
bal.ailh' (Il II. le. nn peu | - Im prouver
ce (pi d s.ail laire. Seideinenl. I M ,e. ,ii( I u i I e
de sa leniine deliave la presse el le minis-
tre de la -lierre .in. ne le i;cm'-ral trop
bruyanl eu dis-,a. c .m tond de l'AI-éric.
Tout cida esl rapi.leineiil iiidi.pié paripiid-
(pies Icdires (pu snlliseni .'( rompre la
nu.noloiiie des (.pei.ilions s| ial(''ni(pics
an.vipielles elles .|.,nneiil nn Ineii' l'iililc
mobile.
Ces! aussi une leçon ipie le ^.aieial lire
de ses a\eiil(llcs, (■.■||e pelilesse des
causes dans les ^i,,i,,|s ell',.|s, (l(,nl il lail
la loi .le loirauisinede laniKc. i:ai landis
.pie liaxi se bal poilisa lemme, alili de lui
apporter - .a'Ile -loire .allendiic p,ir la
na'ivelé de s.,ii a.lolesceii.-.' -, le niainais
vouloir on l'indolenc,' .l.'s ..lli. leis d elal-
major, jaloux de Haxi, ris. pi. ni le s.dul du
corps (l'armée dans une .ni l.iis.a.le .pic li'
service des re.a .nnaissan.a's u a p.iinl vue,
cl lefréuéral supp.nle lonles l.'s iii.iis.-i ies.
j.Hll,- un aulr.' elein.ml .1.
1 -lemps il a clé (!.■ mode de pieler
une àme h la nalure el de rass(,. ier à nos
senlimeiils. Cela depuis .l.-.l. lîcnsseau.
(|ui a (''II'' le poulil'i' de ce p.inl lieisnie sen-
liiueiilal. i:ar c'esl de lui .pie .latent ces
l'.n iiiules,anj..ui(l liui \ ledlies, ,pu Linl luire
le s(,l,.|l .luii.. belle m.ilinee davril au-
dessus des joveuses li,uicailles el (lev.'r-
senl les lalaracles du eicd, par un.' bcide
nnil (le iiox.'iiibre, an-dessns dn ciiin.' et
du inalhcnr.
li.ixi ne counail pas cadlc coin (ndance,
celle svinpalliiede llioinmeel des ,1, oses;
il n'en a e.mslale ,pie les desaccor.ls. .l,.nl
runir..rnnle seiail. il l'aiil le .lire, aussi
invraisemblable el ,inssi , on v enl lonnelle
(pie S(ni ( (.nlr.ilic. l.a \eiile, .'esl .pi,l
pleul ,in lias,ir.l .!.■ nos j(,i,-s cl de nos Iris-
lesses. Mais l'alll Adam s.lil Ir.ill.n I,'
paysaii.. :
liicii .1.- ccll.' lialnrc esln.ilc ii .-v (iipiail la
pivs, ii.c .le la ni..rl. I.cs l'.aiv .1 .irlillcrir l.ni-
iiaiinl pour qncl(|iic l'.'-lc. s;, ns d, aile, p.mr un
|.ai .1,- ;;aniiiis brnvanis. anus .Ic- pi'-lar.b. Le
■I..11- .1.- I,-. 1 .-. .-1 parnn K- l....s. 1,-s liii-
sar.ls s,.„,|,lai,a,l .■ ir. vcli.-ni> al, al. 's, .'i un
rell.l.-/,-V(.ns de , li.isse. .-.■ b.us malin.,.
l.a ].lnie ,essa. I.or du M.l.al e.nl.i enire
les nues .au.ilées. el le ci.-l. peur s,,„niv. s.'
I"''l'''- i .|,-Tnas,|,,a .!.■ s,.s hrnnu-s. c.inini.' 1,- ,aiiu's de
I All.e l.leiiali-e.
Il
dir.'
.1 (le la l'orme
r\ du sl\le, (pii soni sci^iies cl éllldiés,
ln,p peul-elr,.: I.. iial ,11 .1 m.iii.pie parfois,
el .picl.pi.-s |.,|is l,(,ii|ieiirs (lexprcssion
- 1.-' ''■'■'(■.." (le.pi.d,p,..sp,e.a..sil..s, ( .1,
a MI par les exliails cil, s ,pi.. la laiiijue
esl rcriii.', banclie, de 1 ..loi. I ,e lli.d
esl i.,ii|..urs .11. a. lie, .-I s.aneni Ir.ané.
I..1 soll .le la licMC rap,' ■ la -ori;.', et
les balles decllirenl ■■ la sole de I an . Ce
n'esl p.. lui lli parler .le la. ..11 b.in.de. Mais
celle rcelierclie même mène parfois .a la pré'-
ciosilé, an ililel lanl isiiie, ;'i I acrobalie de
plume ipii l'ail .'■.lire à seiieslre pour
,. ,'1 -aindli- . , ..u l.'s cloclies biani.ml
lliMiin.' .le M.-I.ni.' ■. on bien la bisilladc
fail ' sou liiiiil d.' monslrneuse b'ilnre ,
(In seul le havail ( lin veslieal iou il Iraxcis
1,. \,Habiilaii,- pour rendre des idé-cs .-n
s..i-meni.' mu. nie.ises. Tell.- melapliore.
iparelarn:
is el Icnncn
leiiMC. esl lroppr..|..Ui.ec. p.ir le
d.-laiil clier .aux prcen-nscs di- la .■li.mibrc
bimie ;
l>..nre,-Me;;.an.l.- l'.iiiii.iu a ni.-x. (i\ ..n.-xp.isr
Cil plal seul. I.lniil v .a s m,' ^,,,,1,1.' peu de cli, .se.
I.e ra;;,,nl .l'nn s,,nn,.|,,.
Il esl de s,.l alli.|ne .iss^usenne pari, .ut.
I.K NlllIVKMKNT l.l'l T KU A 1 II i:
Molit'io l>li'iiii:iil p.ir là l't-xccs qui coii-
sislc il ('|iiiis(M- la iiK-laplinrc : il faut cm
sorlir. M. Paul Adam s'v complail trop
lonplcnips. Mais nous ne voulons pas insis-
ter sur ces icmaïques do détail, qui nen-
lanicnl pas la valeur de l'ouvrajje et (pii
<'onslaleronl seidenienl cpie ce livre mé-
rite d'èlre lu avec soin : c'est le meilleur
liomniay-e qu'on puisse rendre;» un auteur.
Au total, il se distinguo par des qualités
(le style, de pensées; l'observateur s'y
double d'un peintre et d'un philosophe, et
nous ne savons pas s'il no faudrait pas
prononcer le mol de chol'-d '(ouvre, à la
oondilion que l'ouvrajjfo aurait ce qui lui
manque, la foi, l'élan, l'enthousiasme,
l'amour de la patrie pour olle-mt-mo, le
cidie du drapeau défondu autrement que
par routine, par consijjne, par nécessité,
par désenchantement ou par vanité conju-
ffalo.
I 11 roman d'André l'Iiouriot est toujours
une heureuse fortune, et ce n'est pas
celui-ci qui nous démentira, car Boisfieury
(chez Lemebue) est un ajfréahle récit fait
lie descriptions telles que Thourict sait les
faire, de bonne humeur, de situations pa-
thétiques, do passion et d'infortunes. Tous
les éléments d'intérêt sont réunis. C'est le
cas d'un joiiiio homme, Jac(|ucs Chantai,
qui habite Juvigny et (jui est malheureux
dans ses amours. Jeune encore, il devient
épris d'une charmante jeune tille, Clau-
dette Le Mesnil, dont ses parents ne veu-
lent point parce qu'elle est sans fortune.
Sou père, pour I éloigner, l'envoie faire son
di-oit à Paris, où il passe deux ans. A son
retour, il s'amourache cette fois d'une
Vi-uve de vingt-huit ans qui a la réputation
d'être très austère, mais qui ne l'est pas,
et qui s'appelle Sylvie des Rônis. Pour
l'éloigner encore, son père lui fait obtenir
une charge en Touraine. Jacques charge
un ami de recevoir ses lettres pour les
remettre à Sylvie. Vous devinez ce qui
arrive toujours dans ce cas-là, comme dans
la MéVite de Corneille, et comme dans Ba-
jazet, où Alalide est l'infidèle messagère
de Roxane. Ici encore, l'ami prend la place
de l'absent et devient à son tour l'amant
de Sylvie. Jacques le sait, se désole, se
console, et part pour Paris en se répétant
le vers de Goethe : « Et maintenant, en
avant de nouveau sur le chemin de la vie. »
En avant, après la double expérience
de l'amour irrégulier et de l'amourotle
printanière, celle que Goethe a si joliment
définie : « Ces amours de la première
jeunesse, auxquelles on se livre sans au-
cune pensée d'avenir, sont pareilles aux
bombes (|ui s'élèvent en courbes brillantes
vers les étoiles, semblent s('journor im
instant uii milieu d'elles, reparaissent pour
décrire la même courbe en sens inverse
et |)0iu- porter la désolation là où elles
retombent. »
\'oici un bien joli malin de févriei', c'est
obseivé et noté sur nalur(- :
Lo soleil iiioiitanl au zénith et déjà plus
cliaud dissulvuil peu à peu les pcndvUjques
(le givre. Klles |ileuvuienl en (nies noulte-
telles sur la terre dégelée. Une lumière
blonde baignait les fougères recroquevillées
el les ronciers de la cloirièrc, ou çà et là
l'elléljorc noir dressait de pâles inflorescences
vcrdàlrcs. Des mésanges se mirent à gazouiller
dans les sapins qui anriluicnt le rendez-vous
de chasse; on les voyait sautiller, la tùLc en
bas, au long des branches résineuses, éplu-
chant les aiguilles une à une el jetant une
menue el brève modulation. Sous lu caresse
du soleil de février, le bois se nujnlrail dans
toute sa beaut'^* lù\'ernale. Les arbres dé-
pouillés révélaient mieux l'élégance solide ou
légère de leur armature, les nuances tendres
et variées de leur écorce humide. Le gris
argenté des hêtres, le vert cendré des frênes,
le satin blanc des bouleaux, le i-ouge aurore
des sommités du tilleul formaient une gamme
de couleurs d'une délicatesse infinie. Les
yeux en étaient doucement caressés, les sens
se délectaient sous 1 action de ce premier
elTort de la nature pour se débarrasser de son
enveloppe glacée. De tièdes vapeurs s'exha-
laient du sol amolli. Cela sentait la sève dé-
sengourdic cl remontante, le parfum moite
de la terre mouillée par les larmes du prin-
temps nouveuu-né ; lentement, par-dessus les
bois ensoleillés, les cloches villageoises re-
commencèrent à tinter |)Our l'angélus de
midi.
Entrons aussi au salut du mois de Mario,
dans l'église assombrie par le soir; c'est
un tableau d'une touche habile, discrète,
et d'un heureux effet dans son réalisme de
bon aloi ;
Parfois, le soir, faisant faux bond à ses
amis de Boistleuiy, il se glissait sous les
orgues de Saint-Antoine. Là, blotti dans
l'ombre, il dominait la nef où les fidèles en-
combraient les bancs de chêne. De rares
lampes éclairaient à peine les voûtes obscures
des bas cotés; quelques cierges scintillaient
dans le clia-ur décoré de plantes vertes, où
des prêtres occupaient les stalles de pour-
tour... etc.
Lisez cette page. Joignez à cola le ta-
bleau animé d'une joyeuse bande d'amis
organisés en société dans un petit domaine
phalanstérien el fleuri, de ravissants pay-
sages, des scènes animées, des analyses
ingénieuses d'àmes et de mobiles, des
caractères nettement tracés, el vous saurez
pourquoi Boisfieury est un nouveau petit
chef-d'epuvre dont Thoiiriet vient d'enrichir
sa déjà riche galerie.
LK MOUVEMENT I, ITT Kit A 1 UE
M. Allivcl liMmliMUil. le Miiaislrv <U>
riiisliLiclioii [jul)liinii>, si'sl |irc|i:irt' à hi
|ioliti(|iic par riiistoirc, i|ui iii csl la iiu'il-
li'iirc école. De ces prcmirn"- |iiodiloclioiis
est né un livie que nous avons tous lu
jadis et dont voici, à longue distance, une
réimpression illustrée : c'est l'Anneau de
César, ])ublié en deux volumes chez IIetzel.
(rest le roman historique, non pas à la
façon de Dumas |)ère. mais le roman at-
trayant et didaelii|iie.
11 y a deux façons de compi-eiichc le ro-
man historique. Les vuis se servent de
l'histoire pour l'altérer et la plier à leurs
inventions. Ils ne respectent i(ue les grandes
lignes. Mais qui saurait son histoire de
France uniquement d'après les romans de
Dumas aurait une science bien fantaisiste.
Les autres subordonnent le roman à
Ihistoire, et, de même que le conte fait
passer la morale aprè.s lui, de même il
anime l'histoire et en grave mieux le sou-
venir, (/est ce genre auquel appartien-
nent les romans didactiques, ([ui sont plus
ou moins di(laili(picN cl pins ou moins ro-
manesques.
Pres(|ue toutes les époipies oui inspiié
des éi>isodes de ce genre, de ces livres cpii
instruisent en anuisant, .séria hidfi. (Jui a lu
le Voi/ai/e du jeune Anachaish, p.ir- l'ablK-
HarIhc'Icmy, a beaucoup appris sut- la
(irèce aulique. On connaît bien les mciurs
romaines ([uand on a lu les quaire gros
volumes de De/.obry, Rome au siècle d'Au-
i/UKle, dont i|U(dques é]]isodcs oïd du dra-
maliquc. Pour IK-vpIr aiirirnu.', si l'on
liouM' hop de faulaisic daus /,' Homaii dr
la Mou,,,. ,\v Thcplnlc (.aulici, ..u a loil
da\oir ronq.l. leincul oublie uu roui.iu di-
.lacliqlle qui eul beaucoup (!,• sucées au
siècle deriiicr, le S,l/ws. de labbe Terras-
son, tableau viv;nd de la \ i<'ille civilisation
égypiiemn.'. (iiuuuuMif aussi oul)lier mi des
chefs-d'iiti\ re du genre, le 'J'i'léiuai/uc /
VcTS le temps de l''énclon, on lit aussi un
ouviage de l,i uu'me famille qui eut mi
succès prodigieux et ipu s'appidait les
Voi/at/rx de Ci/rus. ('.riir époipu'-là est
d'a'ill'eurs la plus liche en travaux de cette
H.ilure l'I eu pseudo-rueuioiies, l'Ins près
dl' nous. ,1 eoUVUMll de UU'Ul U-, le
dranu' vèridiipic' cl einiaixanl de \ilel, l,i
JJf/ue, et aussi la Jeanu, d'Ai;-. de .losiqih
Ka'hre, toute calquée sui l.i \eril.-. On \od
<]tw ce genr(> didaeli.pie i^sl li.'s souple l'I
peut se prête]' .'i mille formes iliserses et
aimables.
L'Anneau de Céxar en est mu' preuve nou-
V(dle. Le fond, le décor magistral devant
leipn^l évcdue l'intrigue, c'est la con((uètc
lies Gaules par César et la description
aussi piltoresipie que savante de l'aspect
du pays à cette date, ("est Lutèce la
boueuse, nichée sur le bord de la Séquano
toute bordée par les bateaux des uatdes,
ari'osée par la Bièvre , domiu(''e par les
hauteurs qui s'appelaient alors la Hoclie-
(irise on la llaule-Biniie, et cpii sont au-
jourd'hid Bicètie et Ménibnimtant. Des
bois épais et profonds entouiaieni la petite
cité. Les Commentaires de (lis.u ie\i\eul
de façon ]>récise et pittoicsipie à li.ivers
ces pages érudiles . palheli.pies id édi-
fiantes.
La fable
,1 alh
■\<r de fa
émouvante les è]pis(i.les hisloriqnes. Le
héros esl le jeune daulois N'eueslos. Il
aime Andiiori;;a. ainu'e aussi par h' liaitre
Kérétorix. Il esl lad pnsoinder par les
Bomains ; c'est lui. i est X'eueslos. (pii,
daus une baladle. saisit un ,lief romain
par le bras, mais lei un s'cM-liappa, et
le (iaulois conserva < ,• ipi d pul aiiaeher
.dti
iiih
•I la b;
;ue.
II
reconnut 1'. eau de (iesar. II avait tenu
un inslaiit la \ic' du lernlde imperator. La
scène de la eoinpai ni ion du pris(mnier
devani Cès.ii-, ipiil aN.iil failli tuer, ne
mampie pas de Lirandeiii-. Le g(''néral \ain-
(|nenr pardonne génércusemeiil el eiixoie
le brave Venestos" se battre en lIKiie. La
scène de la nnirt de Kèielonx, lue par
sou \alel au moinenl ..ii il \.i |iei(lie Aiu-
Inoii^.-i, e(uislale cpi'il iiv .-, p.is loin de
riilstoiieii au roiiiaucaer. 'l.'liishnre ii'.'st-
elle p.is le plus \ luiv , le plus saisissant
des roiniins?
La lin s'.dève. el l.i e,nieliisi,ui a une
hanle pliil.isoplii.' ,'paiidue a lia\ers les
proplielies d \inl.ioli;;a el les deiiiieres
pa^'es des nnanoires de \\uiesl,,s. Le poi-
gnard de Brulus a veii-e la ( ,aule de ( :èsar ;
mais ipii sait si la (iaiile ne doil pas savoir
gré aux Bomains d'aMiir ilendn sur idie
à <•(• nnnnenl-là son |irolecliual cl sa eixi-
lisation? Ce s(uil les Bomains qui nous .uit
faits <'e ipie nous soiniues : <pii sait (piels
sauvagi's nous serions, si nous n'avions
béuélieié pai' eux de tous les sieeh^s auté-
lienrs des eiv illsalious liidK'niqiie el orien-
tale?
L i'. o ( '. 1- Ail F. r I !■ .
CAUSERIK SCIK.NTIFIQUK
PiMitlaiil If sii'g-o (lo Paris Ip ni:in(|uc tic
moyciis (le (•omimiiiicalions jivoc \e rcslo
do la Kraïu'i- l'iit uiic dos plus criiollos
oprouvos i|ir('iiroiit à suliii' los assiopfôs, ol
au poiiil do vuo ào la dofonso, les olioscs
oussoni sans doulo aulronioiil lournô si le
comniandonieul avait pu conospomlro
sùrOTnenl avec los lioupos l'rain'aises
siluoos au delà do la lif;no d'invoslisse-
monl. Si à oe moinout lui invontour do
f;énio avail sui'fji avec nu moyen d'uc-
tionnop los appareils lolé^rapliiques sans
se servir de lils eonduoteurs, il eût oto
considôi'é conimo un messie. La chose fut
tenlôo par M. Bourliouze, préparateur de
physiiiuo il la Sorbonne; il parvint à
transmet Iro dos signaux éleclrii|ues en
reliant ii ohacpie station los fds des appa-
reils à la terre d'une part et à la Seine
d'autre part. Mais los résultats étaient
incertains ol ne se produisaient, du reste,
([u'ii une distance trop faillie pour pouvoir
rendre les .services ([ue los circonslances
exigeaient. Depuis, à ditTéronles reprises,
dos essais du même genre ont eu lieu,
notamment en .Vngleterre, avec des résul-
tats plus appréciables, mais, en somme,
sans ipi'ils tussent considérés comme bien
pratiques. Nous-môme, on 1890, nous
avons l'ait nue expérience que nous allons
relater ici parce qu'elle est facile h ré-
péter et qui, à ce |)<)int de vuo, pourra inté-
resser nos lecteurs. On en trouve tous los
éléments dans los appareils très répandus
aujourd'hui comme jouets scientifiques,
vendus mémo dans les bazars : une pile
au liichromalo de ])otasse, une bobine
d'induction et mi téléphone.
Lorsqu'on a mis la bobine en fonction-
nement, le petit marteau, ou tremblour,
produit un ronflomonl caractéristique; or,
on attachant l'une des extrémités du fd
induit do la bobine au robinet d'un bec do
gaz, l'autre à un robinet d'eau {ce qui est
facile en se plaçant, par exemple, dans une
cuisine), ou peut entendre le ronflement
du tremblour très distinctement dans
toutes les maisons d'un quartier, plus ou
moins loin, suivant la force de la bobine.
Il suffit pour cela d'attacher les extrémités
du fil d'un téléphone aux robinets de gaz
et d'eau de la maison où l'on veut faire
celte constatation. Les signaux de l'alpha-
bet Morse peuvent être ainsi transmis en
faisant produire au Irembleur les inter-
ruptions nécessaires. En supprimant celui-
ci et en le remplaçant par un microi)li(uie,
nous avons pu transmettre un air de piano
h toutes los maisons d'un (piartioi-. Nous
devons dire copoudani (|ue dans certain^
immeidiies parisiens, ceux de construction
n'-eenle notamment, 1 expérience ne réussit
pus; cela tient, croyons-nous, ii ce (|uo
l'installation des conduites fie gaz n'est
plus faite dans les mêmes coiidilion->
qu'autrefois.
Mais ce n'est pas là, à vrai dire, do la
lélégra|iliie sans fil; ce nom ne peut s'ap-
pliquer qu'à un système dans lequel,
comme dans le télégraphe optiipie, aucun
conducteur, quel ((u'il soit, n'est néces-
snii'O. Un joime inventeur do vingt-doux
ans, M. Marconi, élève du savaid profes-
seur italien Righi, vient d'imaginer des
appareils ipii permettent d'obtenir ce ré-
sultat. Bien (|ue d'origine italienne, c'est
en Angleterre, sous la direction du cé-
lèbre électricien M. Preece, qui s'est
beaucoup occupé de colle question, que
ses essais ont été faits; on est parvenu à
Iransmeltre des messages à l.'i kilomètres
de distance. C'est en s'appuyani sur los
théories nouvelles des vibrations île l'éther
([ue M. Marconi a pu réaliser colto inven-
tion. On sait on effet, aujourd'hui, d'unes
façon certaine, que la lumièi-e, la chaleur,
l'électricité cl. en général, toutes les
formes de l'énergie, ne sont autre chose
(pie des vibrations de cette substance
impondérable ((ui existe dans l'univers
entier et qu'on a nommée l'éther (ne pas
confondre avec l'éther sulfurique du phar-
macien). Pour produire la lumière, la
chaleur, l'électricité... il faut faire vibrer
l'éther, de même que pour produire des
ronds dans l'eau il faul faire vibrer celle
eau en y jetant une pierre. Si la pierre est
assez grosse et tombe d'assez haut, les
ronds ou ondes s'étendront très loin et il
suffira, pour constater leur présence à
une assez grande dislance, d'avoir des
appareils suffisamment délicats pour les
enregistrer. Quand nous faisons de la
lumière rouge, c'est que nous avons donné
à l'éther des vibrations dont la fréquence
est de iOO billions par seconde; si la lu-
mière devient violette, c'est que les vibia-
tions ont alleinl 800 billions; notre a>il
perçoit ces vibrations, mais il est impuis-
sant à en percevoir d'autres, celles qui
donnent naissance aux rayons Rœntgen,
par exemple, dont nous constatons cepen-
dant la présence d'une autre façon.
Depuis quelques années déjà, M. Herlz
a indiqué le moyen de produire des ondes
éleclri([ues d'une forme loule particulière
au moyen d'un appareil nommé radiateur,
qui n"o>l autre, en somme, qu'une sorte
( •- A V S E li I E SCIE X T I F I Q V E
<h- Ijobiiio d'induclioii d.iiis laquelle les
décharges s'opèrent d'une façon spéciale.
Crest cet appareil cpii, avec quelques mo-
tlitications, sert de Iraiisiiiellein- à M. Mar-
coni (li^-. !'■ I.e lil in.luil de la l.ohine H
Fig. 1. — Appareil transmetteur de M. Marconi
pour la télégraphie sans fil conducteur.
C, manipulateur Morse et piles; B, Ijobiue d'induc-
tion ; A et B. sphères en cuivre encastrées dans une
caisse T pleine d'iuiile. tonnant W radiateur qui
produit les ondes électrique-.
est relié il deux sphères pleine-- en ciii-
vi-e A et B de 0™,1D de dianielre, d^ul l.i
moitié li'empe dans vnie caisse T pleine
<l'huile el dent les .lulres moitiés exposées
à lair lilire se termineiit par des s]ili.'qes
plus petiles. Celle disp.isiti.m a p..ur Iml
d'étendr.' .lans une lar-e mesure la dis-
tance il laipielle h^s oude- eleelinpies s,,
prcqia-enl.
Il l'allail maintenani I louM'r I insirumeul
capable de leci'Noir ces les et de mani-
l'.'ster leur présem-c-. i;in\enlem- a ulilis,'
une parlicnlai-ilé, coniLue ili'jii, îles siilis-
laiiees eondiicl lices linenienl duisées.
Lorsque il.iiis un eireiiil éleetrique on
inlerpose des limailles nn-lalliipies très
lines. celles-ci ollVeiil une 1res grande
résislanee an p.issane du eonr.iiil; mai-,
si elles se lioineiil en piV-seiir,' d 0,1, 1rs
éleclriques, elles | .leiiiieu I 1 m in.M 1 1.1 lemenl
une colH'sion ipu le-- leml 1 1 i-s eonduc-
hiees, el il lanl en-mie rompre eelle cohé-
sion en les .i-ilani pour leur laiie perdiv
leur lu.'ldulili'.
l.e icca'pleiir se compose doue île deux
Fig. 2. — Appareil récepteur de M. Mareniii,
M et N, plariues i|ili recueillent les on.les éleetrique-;
Jv, I''. cylindres eu argent eiifermis dans iiii tube de
verre It oii le vide est (ait, et séparés l'un de l'mitre
par un aiuas do Une limaille uiétalliquc. Le eouranl
de lu jjile locale n'actionne la sonnerie S que quainl
la linialUe c^t sous rinlllleju-j îles onile< electri(llles.
petits cylindres eu arj;eiit V. et !■' (M;;-. :;
vnrermés dans iiii lulie de \erie lioii l'on
a fait le \iile, et laissant entre eux un es-
pace liiire d'environ un demi-niillimèire,
qu'on comble avec de la limaille de nickel
et d'arf^ent finement divisée. On interpose
ce tube dans un circuit composé d'uiu-
pile et d'une sonnerie. D'après ce que nous
venons de dire, le courant de ce circuit
local ne peut actionner la sonnerie S que
quand l'appareil se trouvera .sous rintUience
des ondes envoyées par l'autre station,
ondes qui seront recueillies par les grandes
plaques métalliques M et \ disposées de
eliaipie col.', l.e inarleau de la sonnerie
\ieiil Ir.ipper sur le lube de manièi'e à ce
([ue la cohésion soit rompue dès que l'.-ip-
pareil n'est plus sous l'inlluenee des ondes
qui le rendent conducteur. On comprend
qu'on puisse, au moyen du mani])ulaleur C,
produire les onde.s du transmetteur i)en-
dant un temps plus ou moins long el ac-
tionner ainsi la sonnerie du réce])teur de
façon à produire des tintements ])lus ou
moins longs qui sei-ont assimilés aux poinis
el aux Iraitsdel'alphal.el Morse. Du |,eiil,
du resie, en inlercalani dans le eircnil ce
qneii télégraphie on .ippellc nii relai, aijir
snr iiii appareil ordinaire imprim.inl les
Ces expcnelices soi
eenles pour qnoii ,,ii,s
les applleallons praliq,
messes p, m, i'"''/'.,! cmr
"l'I'-^ II. on se propos
cominuniqnei' les navin
1 eneor,- |
-e se ptonin
op rè-
esqnellesi
en\enl
le pro-
Comme p,
emiei-i'
■ d'ess.ncl' (
l<- l'aire
■seiilre.'ux
•1 avec
Les lianucrs ,1e loxvde de .-arbon,' ne
soûl |,lns a si-iialcr, son aelion motlelle
nesl ,|iie lio|, c ne. si, il,, ni ,1,'pnis I.,
vo-n,' l,,n|,,n,'s plus -rande ,les lov.-rs .'i
eoinbiisli,,,, l.mie lise/ p.,cles mol,il,.s .
Cesl un p,.ls,,i, ,lii sallu r\ il esl m,,,-|,.|
inellie ,piaii,l il 11 existe ,|ans I .,ir ,p,a I.,
dose ,1,' I p.>,,r 1.000. Si ,-ell,' pnip.,ili,,ii csl
di- II) pour 100, il snllil ,1e ,piel,pies s,--
e i,-s p,iiir,pi,- \r s.ingi'll .lll ,l,.j;i .abs,,,!»-
1 I mil cl eu un.' miniile I S .à JO pour
Mltl : la m., il .■sl al,,rs certaine il bref délai.
Mais ,-,.,pi il \ :, ,!.. liés -rave aussi, e'esl
■pie s,,n a,l„.,, a lies faible dose est pcr-
sislaiil,', i,,,.,,,,- , pi. ,11,1 l.i ,-;,„sc a ,-,'ss,-
,reMs|,.|.; ,1 sallaeli,. .m ulolnile ,ln s,,,,;^,
s \ llx,- cl i-M-i,r son achoii iv, lii.l 1 ice sur
I liemo-lohin.-. Ii'iilmmml mais snr.nmml :
'""' l"'i-""i l'O a s,'j,,iiin,' pemlanl ,p,el
ipies lienrcs ,lalls une pie,-e ,pi; , ,,■„!
nu p.-ii ,l,. ,•,• 1,'iiibl,- -a/ ,l,'M,-iil m.ila.l,'
plusieurs i.airs api.'s sans ,p,,,ii sac-Ile
pourquoi, (iombnni ,l,' pmsonni's i,e ,loi-
venl-elles pas l,air aiieinie an séjour per-
maiienl dalelims ,,,, ,l,- bnie.mx on les
im.vcns ,!,■ cl,,,uiraL;e. .1 V',lair,>-e. s,. ni
c. A r s i: Il I !■: s c i k n ï i i' i g i ■ !•;
(mis [dus ou moins l'iivoriihles h la piixliir-
lioii (le l'oxydo il<" carbone ol on la vcn-
lilalion osl insnrfisanli- !
Mien (les invenlenrs ont clioiclu" 5 faire
un appareil (pii d('x('le la présence de ce ffaz
dans l'almosplièro d'une pii'cc habitée,
niais c'est fort difficile, car il est inodore,
incolore, a presque la même densité i|uc
l'air et on ne sait par où le saisir. On en
est arrivé "h conseiller de mettre dans la
pièce à surveiller de petits animaux, tels
(pie des souris ou des oiseaux : quand ils
(leviennent malades, on est prévenu. C'est
un peu primitif comme procédé, mais cela
n'est pas à dédaigner îi défaut d'autre chose :
le tout est de s'apercevoir à temps (pie le
serin ou la souris deviennent malades.
D'autres moyens plus scienlifi(pies ont été
proposés, et le dernier, tout récent, cpii est
dû A M. A. Merniet, nous parait tout à fait
digne de fixer l'attention. Il permet de faire
facilement l'analyse de l'air au point de
vue de sa contenance en oxyde de car-
bone. On sait qu'une solution faible de
permanganate de potassium, qui a une
teinte rose, est décolorée par ce gaz lors-
(pi'elle a été acidulée par l'acide azotique.
M. Mermet a rendu la réaction encore plus
nette en ajoutant un peu d'a/.otate d'ar-
gent. La